Un débat à la Knesset révèle que tout le monde ne pense pas qu’affamer les enfants de Gaza soit une mauvaise chose

Une remarque apparemment triviale d’une docteure israélienne a été accueillie par un barrage fougueux de la part de députés. ‘Je ne suis pas sûr que vous parliez en notre nom quand vous dites que vous voulez soigner chaque enfant et chaque femme’, a dit l’un d’entre eux.

La Knesset d’Israël a tenu un débat inédit sur la crise humanitaire dans la Bande de Gaza. Au cours d’un meeting jeudi dernier, Dr. Sharon Shaul, de NATAN, organisation sise en Israël qui fournit de l’aide humanitaire à travers le monde, a fait une remarque apparemment anodine : « Je pense que même tous ceux qui sont assis autour de cette table ne veulent pas qu’un enfant qui souffre ne puisse pas recevoir des antalgiques ou un traitement médical basique. »

Le législateur israélien Amit Halevi (Likoud) l’a rageusement interrompue : « Je ne suis pas sûr que vous parliez en notre nom quand vous dîtes que vous voulez soigner chaque enfant et chaque femme. J’espère que vous ne soutenez pas non plus cette déclaration. Quand on se bat contre un groupe comme celui-ci, les distinctions qui existent dans un monde normal n’existent pas.

Shaul ne s’est pas rétractée : « J’espère que vous non plus ne voulez pas qu’un enfant d’un an dont le bras a été amputé reste sans antalgique. J’espère que vous aussi avez cette empathie. » La députée Limor Son Har-Melech (Sionisme Religieux) n’a pas pu se retenir : « Le seul traitement nécessaire ici, c’est pour vous », a-t-elle dit, pointant Shaul du doigt. Un autre participant a fait remarquer : « Vous êtes le médecin le plus malade que j’aie jamais vu. »

Le débat était convoqué par le député Moshe Tur-Paz (Yesh Atid) dans le cadre d’un sous-comité des Affaires Étrangères et d’une Commission de la Défense chargée de la diplomatie publique et des relations étrangères. La question à l’ordre du jour n’était pas la faim en tant que telle, mais les dommages qu’elle pouvait causer sur les relations diplomatiques et publiques.

« A ma connaissance, l’État d’Israël n’a pas l’intention d’utiliser la faim en tant qu’outil. Je pense que, même si des civils ne sont pas en jeu, dans la morale juive telle que je la connais, on n’a pas le droit d’affamer des non combattants, et j’ai l’impression que le gouvernement israélien n’a pas pour projet d’affamer Gaza », a dit Tur-Paz après la réunion.

Mais ceux qui ont donné le ton du débat, c’était Halevi et Son Har-Melech. Contrairement à l’espoir de Dr. Shaul, ils étaient nombreux autour de la table à penser que la famine et le supplice des enfants de Gaza sont non seulement légitimes, mais même souhaitables.

Shifra Tzur Aryeh, qui s’est présentée comme une résidente du pourtour de Gaza, a réprimandé les députés pour le simple fait d’ouvrir ce débat. « De qui avez vous pitié ? » a-t-elle crié, reprenant la fausse prétention d’« éventration » de femmes enceintes au cours de l’attaque du  7 octobre comme une raison pour  laquelle les Gazaouis ne méritent pas de sympathie.

Une autre participante se nommait Rashel Twito, fondatrice de Tzav 9, organisation qui travaillait à bloquer les camions d’aide pendant la première année de la guerre et dont les activités ont parfois conduit à l’agression des chauffeurs et à la destruction des fournitures humanitaires. Twito a attribué l’accord sur le premier otage aux actions de Tzav 9 – même si leur activité n’a commencé que deux mois après cet accord en 2023 et a pris fin avant le deuxième accord de libération début 2025.

« Nous avons tenu bon et avons réussi », a-t-elle dit. « Tous les jours, nous avons bloqué les camions et, grâce à cette action, nous avons obtenu la première vague de retour des otages. Je ne suis pas sadique, mais je connais mon ennemi. Finalement, il y a eu un siège ici et cela a facilité le retour des otages. Cela s’est avéré efficace. Peu m’importe le droit international ou l’ONU – c’est le seul moyen sérieux de négociation qui fonctionne. »

Tzav 9 est considérée comme une association extrémiste qui a été sanctionnée par l’administration Biden et l’Union Européenne. Facebook a retiré sa page. Mais dans la discussion d’hier, Tzav 9 était au cœur du consensus.

Même le natif de Nir Oz, Yizhar Lifshitz – fils d’Oded Lifshitz, qui a été kidnappé et assassiné, et Yocheved, qui a été kidnappé, puis libéré plus tard – ont rendu grâce à Twito : « je te respecte parce que toi au moins, tu as fait quelque chose, tandis que eux (les politiciens) ne font que parler. »

Lifshitz a avancé que, bien qu’« il n’y ait presque pas d’innocents à Gaza, toute personne morale peut comprendre qu’affamer des enfants n’est pas quelque chose dont nous pouvons être fiers… Il y a une ligne dont nous devons être sûrs que nous ne la franchirons pas. Voir des mères tenant des enfants morts dans les bras – est-ce cela qui nous ramènera nos otages ? Notre force réside aussi dans la justice de notre chemin. »

Pour ces mots, il a été sévèrement réprimandé par Son Har-Melech : « C’est terrible que même vous vous évoquiez cela. C’est terrible, affreux, et horrible que vous parliez de famine quand nos enfants ont été dépecés si cruellement. Je ne m’attendais pas à ce que vous, vous disiez cela. »

Il y a eu aussi ceux qui, pendant le débat, ont essayé de parler de la menace de famine et de la souffrance des enfants de Gaza. Arnon Khoury-Yafin, statisticien et économiste qui a construit un modèle pour calculer les quantités de nourriture à Gaza, a essayé d’expliquer la situation aux députés.

Son modèle est fondé sur le calcul de la quantité de nourriture introduite à Gaza d’après les données des FDI et des calories qu’on peut y trouver. D’après son modèle, en moyenne, il y a assez de nourriture à Gaza – mais il a un léger doute sur le fait que les populations les plus faibles et les plus pauvres de la Bande souffrent d’une grave malnutrition.

« D’après ce modèle, nous en sommes déjà à un point où des dizaines de milliers de personnes n’ont pas du tout de nourriture ou ont moins de 300 calories par jour. Même si nous regardons la moyenne, il n‘y aura peut-être pas de carence calorique, mais il y a une carence concernant certains nutriments », a expliqué Arnon. Lui aussi s’est fait retoqué par le député Halevi, qui n’a eu besoin d’aucun modèle ou calculs complexes pour déclarer : « Personne n’a fin à Gaza, pas même un seul enfant. C’est une honte à vous d’amplifier ce mensonge – personne ne manque de rien. »

Dans la session à huis clos qui a suivi, les FDI ont présenté des données semblables à celles de Khoury-Yafin. L’armée prétend qu’il y a encore assez de nourriture dans la Bande, si elle est distribuée avec équité, mais même les FDI admettent que « des poches de famine » se sont peut-être développées : des familles, des enfants, et des nécessiteux incapables d’assurer l’apport nutritionnel minimal.

« Je ne pense pas que quiconque dans cette pièce imagine que, dans 15 ans, nous regarderons en arrière et dirons, ‘C’était formidable de les avoir affamés – quelle habile stratégie’ », a dit Ron Yamin du Siège Politique de la Coalition des Organisations de la Gauche.

Son Har-Melech n’a pu se retenir une fois de plus : « Personne n’affame personne – cessez de répéter les mensonges du Hamas ! » Yamin n’a pas cédé : « Le sort d’un enfant qui n’a pas mangé, qui a perdu sa maison et sa famille, est scellé. La faim mène au désespoir, et le désespoir mène à l’extrémisme. Je suis ici pour vous mettre en garde – si nous n’avons pas mal au ventre quand nous affamons des enfants, le problème nous fera mal au crâne pendant des années. L’expérience de la faim s’imprime dans le corps et l’esprit, et elle nous accompagnera pendant longtemps à l’avenir. »