La moitié de la terre de Cisjordanie saisie par Israël ne sert qu’aux colons, dit un rapport

La terre expropriée qui doit juridiquement servir à la fois aux colons israéliens et aux Palestiniens n’est maintenant couverte que de colonies et de routes pour les seuls Juifs.

D’après un rapport publié mercredi, presque la moitié de la terre de Cisjordanie expropriée pour des raisons d’utilité publique ne sert qu’aux colons juifs.

Cette terre a été saisie principalement pour y construire des infrastructures telles que des routes mais, au cours des années, Israël a émis des ordres d’expropriation pour des parcelles sur lesquelles quatre colonies ont été créées. Au cours des années, les décisions de la Haute Cour de Justice israélienne ont déterminé que la terre palestinienne de Cisjordanie ne peut être saisie pour des raisons d’utilité publique que si elle bénéficie aussi aux Palestiniens.

Le rapport a été publié par les associations israéliennes à but non lucratif Kerem Navot et Haqel et a découvert que, sur la terre expropriée en Cisjordanie, seuls 2 pour cent sont utilisés par les seuls Palestiniens. Le reste de la terre sert en partie aux deux populations et en partie aux seuls colons.

D’après une étude conduite par Dror Etkes et le procureur Kemer Mashreki Asad, depuis l’occupation de la Cisjordanie en 1967 jusqu’à 2022, 313 ordres d’expropriation ont été émis à des fins publiques pour des terres sur une zone d’environ 74.000 dunams (soit environ 7.400 hectares). Les terres saisies qui servent à la fois aux Juifs et aux Palestiniens représentent approximativement 37.000 dunams (soit environ 3.700 hectares) ; celles qui ne servent qu’aux colons représentent plus de 36.000 dunams (environ 3.600 hectares). Seuls 1.532 dunams (environ 153 hectares) servent aux seuls Palestiniens.

La plupart des ordres d’expropriation ont été émis pour construire des routes utilisées à la fois par les Palestiniens et les colons. Dans certains cas cependant, des ordres d’expropriation ont été émis pour construire des chemins d’accès aux différentes colonies ou des routes à l’intérieur de celles-ci.

L’un des exemples évidents de la façon dont des terres prétendument saisies pour des raisons d’utilité publique ne servent finalement qu’aux seuls colons, c’est la construction en 2022 de la route utilisée par les résidents de la colonie juive de Kedar. Pour construire la route, l’armée israélienne a exproprié quelques 194 dunams (environ 19 hectares) du village d’Abu Dis dans la périphérie de Jérusalem.

Selon le plan d’origine, la route était supposée connecter l’entrée de la ville palestinienne d’Al-Eizariya avec la route principale qui mène à Bethléem. Pourtant, l’armée a bloqué la route et, pendant 20 ans, elle a presque exclusivement servi aux colons de Kedar. L’année dernière, l’armée avait prévu de retirer le barrage et de permettre aux voyageurs palestiniens d’utiliser eux aussi la route, mais à la suite de protestations des colons, le projet n’a jamais avancé.

A quatre occasions, des ordres d’expropriation ont été émis pour une terre sur laquelle des colonies ont ensuite été construites. Le plus important d’entre eux fut l’ordre émis en 1975 qui a exproprié plus de 28.000 dunams (environ 2.800 hectares) sur sept villages palestiniens.

La ville de Ma’aleh Adumim, la zone industrielle de Mishor Adumim et une partie de la colonie de Mitzpe Yeriho ont été construites sur cette terre, mais ne recouvrent qu’environ un quart de la zone totale expropriée. Les colonies d’Ofra et Har Gilo ont elles aussi été construites là, et le projet de construction controversé dans la zone E1 (entre Jérusalem et Ma’aleh Adumim) est supposé être réalisé en se fondant sur cet ordre de 1975.

Israël a également émis des ordres d’expropriation pour des sites archéologiques. Par exemple, 139 dunams (environ 14 hectares) de terre près des maisons du village palestinien d’Al-Auja ont récemment été expropriés pour le site archéologique d’Archelais. En revanche, parmi les ordres d’expropriation émis pour l’usage des seuls Palestiniens, on trouve ceux prévus pour la construction d’usines de traitement des eaux usées et de stations de bus.

Les données montrent la corrélation entre le nombre d’ordres d’expropriation et l’augmentation de la construction de colonies. D’après le rapport, il ne s’agit pas d’une coïncidence. Quelque 56 % des 179 ordres qui ont été émis à ce jour l’ont été entre 1977 et 1984, et c’est au cours de ces années que 70 nouvelles colonies ont été construites – tâche qui requerrait la construction d’infrastructures et de routes.

La position juridique israélienne acceptée, c’est que l’expropriation de terre pour des raisons d’utilité publique pour les colons n’est autorisée que que si elle sert également aux Palestiniens. Cette décision a été prise à la suite d’une pétition déposée contre la construction de la Route 443 (qui va de Tel Aviv à Jérusalem), qui a déterminé qu’on pouvait construire cette route parce qu’elle est utile aux deux populations.

En 2017, le Procureur Général d’alors Avichai Mendelblit a présenté un avis juridique selon lequel une terre propriété privée palestinienne pouvait être expropriée pour cause d’utilité publique des colonies. C’était dans le cadre d’une tentative de légalisation de l’avant-poste juif de Harsha, situation compliquée par le fait qu’une route d’accès traversait une terre privée. L’avis a été rendu à la lumière d’une décision de justice de l’ancien Juge de la Cour Suprême Salim Joubran qui décida que cette terre pouvait être saisie au profit des colons israéliens parce que eux aussi faisaient partie de la « population locale » de la Cisjordanie.

En 2020, la Présidente de la Cour Suprême Esther Hayut a annulé une loi qui légalisait le statut de colonies partiellement construites sur une terre privée palestinienne, sous le prétexte que c’est ‘inconstitutionnel’. Dans son jugement, Hayut a dit que cette loi ‘cherche à légaliser rétroactivement des actes illégaux perpétrés dans la région par une population spécifique tout en faisant du tort aux droits d’une autre’.