Je suis l’ancienne présidente de l’Association Américaine d’Anthropologie et c’est pourquoi je vote pour le boycott des institutions académiques israéliennes

Depuis huit ans que l’Association Américaine d’Anthropologie a pour la première fois réfléchi au boycott académique d’Israël, les conditions des Palestiniens n’ont fait qu’empirer, et les institutions académiques israéliennes sont complices. C’est pourquoi je soutiens la nouvelle résolution de boycott.

En cette période critique, les anthropologues qui sont membres de l’Association Américaine d’Anthropologie ( AAA) sont confrontés à une décision capitale. La question qu’ils affrontent est une résolution de boycott des institutions académiques israéliennes, positionnée comme un acte de résistance non-violente faisant cause commune avec le peuple palestinien qui souffre des crimes d’apartheid et de persécution. Le vote électronique de la résolution débute le 15 juin et prendra fin le 14 juillet.

J’ai déjà été confrontée à cette décision. Le 20 novembre 2015, un nombre record de 1.400 membres participaient à l’assemblée générale annuelle de l’association. La longue nuit de discussion et de débat s’est conclue de façon décisive : une motion a été adoptée à une large majorité de soumettre la résolution de boycotter les institutions académiques israéliennes à l’ensemble des membres pour un vote au printemps suivant. Avec une participation de votants sans précédent, la résolution n’a pas été adoptée à peu de chose près. Un taux record de 51 % des membres a voté ; le boycott a été rejeté, avec 2.423 contre et 2.384 pour le boycott.

Je suis au courant parce que, à la clôture de cette réunion, on m’a transmis le marteau du président, faisant de moi le 84ème président de l’AAA. Face à cette situation, mon défi le plus difficile a été de faire la part des choses entre moi en tant qu’individu (et comment je pourrais agir et comment je pourrais voter) et mes obligations en tant que responsable de l’association, défi que j’ai relevé en restant fidèle aux processus démocratique de l’organisation et en revenant sans cesse à ses statuts. Au cours d’une période difficile des six mois qui ont précédé le vote, moi et d’autres membres de la direction de l’AAA avons subi le harcèlement d’e-mails et d’appels téléphoniques de personnes extérieures à l’association qui voulaient que nous retirions définitivement la résolution.

Au cours de ces six mois, je me suis donné pour mission de présenter le vote, exhortant les membres à s’en remettre à leur propre conscience pour faire leur choix et leur fournissant les informations nécessaires pour prendre une décision éclairée. Parmi ces informations, il y avait le rapport du Groupe de Travail de l’AAA sur Israël-Palestine et une bibliographie complète sur Israël/Palestine. Entre temps, j’ai réuni un groupe de travail qui a produit huit actions au sujet d’Israël-Palestine approuvées en mai 2016 par le Conseil d’Administration. Parmi ces actions, il y avait une déclaration de censure de la politique et des pratiques israéliennes principalement orientée sur la liberté académique et la liberté d’expression pour les Palestiniens ; elle comportait un appel à abroger les lois israéliennes qui font de l’expression publique en faveur du boycott un crime.

(le rapport)

Ce n’est pas une question d’ opinion ; les preuves témoignent des conditions terribles qu’endurent les Palestiniens en conséquence directe des lois, politiques et pratiques israéliennes. On y trouve la Loi Fondamentale : Israël – État Nation du Peuple Juif, qui fait de l’État d’Israël l’État « exclusif du Peuple juif ». Par ailleurs, les institutions académiques israéliennes ont une histoire longue et documentée de travail pour faire progresser l’agenda militaire et nationaliste du pays, faire progresser son empreinte dans le territoire occupé et négliger le sort des Palestiniens. Un seul exemple, dans une lettre que j’ai reçue en décembre 2015 de l’Association des Chefs d’Université, Israël, les 8 signataires représentant seize universités israéliennes, dit clairement qu’il perçoit BDS comme « une campagne mondiale agressive anti-Israël [qui] fait perfidement circuler des calomnies et des mensonges ignobles… avec pour seul objectif la délégitimation de l’État d’Israël ». Il n’est fait aucunement mention de préoccupation concernant les violations continues – le déni de la vie, des moyens de subsistance, de la liberté d’expression et de la liberté académique – qui portent atteinte aux Palestiniens.

Une situation autrefois décrite comme un conflit et l’action de l’État d’Israël comme « l’Occupation » est maintenant appelée apartheid par plusieurs organisations dignes de confiance. Par exemple, les recherches et les analyses de données menées par Amnesty International l’ont conduite à conclure que l’apartheid israélien, en violation du droit international, est « un système cruel de domination et un crime contre l’humanité ». Ces mots sont abstraits ; la vérité toute crue de la mort et de la destruction vécue par les Palestiniens est pratiquement insupportable à appréhender. J’ai lu les multiples rapports, c’est le moins que je pouvais faire. On ne peut pas détourner les yeux des faits douloureux.

Pourtant, les États Unis détournent les yeux. Depuis 2014, des États ont commencé à voter des lois et des ordres exécutifs contre les boycotts d’Israël ; aujourd’hui, il y a 35 États avec une législation en vigueur. Plutôt que de contester la pratique de longue date de confusion de l’antisémitisme et de la critique d’Israël, un nombre toujours croissant d’États et le gouvernement fédéral ont codifié ou songent à codifier cette confusion en adoptant la définition de travail de l’IHRA. D’après un rapport du Service de Recherche du Congrès sorti en mars de cette année, Israël est le plus grand bénéficiaire cumulé de l’aide étrangère des USA depuis la deuxième Guerre Mondiale, recevant 148 milliards de dollars d’aide bilatérale et de financement de la défense anti-missiles ; presque toute l’aide bilatérale américaine à Israël se fait sous la forme d’assistance militaire. Ce n’est pas polémiquer que d’affirmer que les dollars du contribuable soutiennent le système cruel de domination et le crime contre l’humanité.

Ayant siégé à un poste de direction de l’association, je connais en première ligne les défis que représentent la réponse aux différents points de vue de ses membres, l’alignement des décisions avec les valeurs et missions essentielles de l’organisation, dont celle de protéger la liberté académique, la préoccupation de la pérennité de l’association, et le maintien d’une boussole morale en ce qui concerne les questions humaines et politiques en jeu. Je suis également consciente du tort potentiel que peut subir l’association ; certains membres peuvent démissionner, certains donateurs peuvent mettre fin à leurs dons, et certaines réunions annuelles peuvent ne pas se tenir dans des centres publics de congrès dans les États dotés d’une législation anti-boycott sur les contrats de l’état.

Avec tout ceci à l’esprit, le boycott proposé mérite d’être lu attentivement. Il appelle l’AAA à : entreprendre un boycott des institutions académiques israéliennes jusqu’à ce que ces institutions mettent fin à leur complicité dans la violation des droits des Palestiniens comme stipulé dans le droit international ; mettent en place ce boycott selon les procédures de gestion, les statuts et la mission de l’association ; reconnaissent que ce boycott concerne les institutions académiques israéliennes et non les universitaires individuellement, et que les anthropologues qui sont membres de l’AAA sont libres de décider individuellement si et comment ils appliqueront le boycott dans leur propre pratique professionnelle ; et soutiennent les droits de tous les étudiants et professeurs où qu’ils soient à s’engager dans une recherche ou une parole publique sur la Palestine et Israël et dans le soutien au mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Je reconnais que parfois certains principes entrent en contradiction. Si le boycott par AAA fait quelque tort que ce soit à la liberté académique, il faut mettre cela en balance avec les cadavres et les maisons en ruine qui sont le calvaire des Palestiniens. Si des membres démissionnent de l’association et si des donateurs se retirent, ceux qui soutiennent le boycott devraient chacun s’engager à faire adhérer 1 ou 2 membres et à fournir un soutien financier à l’association en plus de leur propre cotisation. On peut affronter d’autres menaces ou torts contre l’Association Américaine d’Anthropologie en prenant sa défense. Si le boycott s’avère inefficace, il faut mettre cela en balance avec la complicité dans la réduction au silence de la condition des Palestiniens sous apartheid, qui les laissent isolés, seuls et invisibles.

Dans mon combat pour prendre une décision, je comprends mon obligation particulière en temps qu’anthropologue à prendre en compte la souffrance des autres. Je comprends aussi que la sûreté et la sécurité ne peuvent advenir que lorsque chaque personne est sauve et en sécurité ; le militarisme, l’occupation et l’apartheid sont contre-productifs face à cet objectif. J’ai conscience des structures de pouvoir qui reproduisent les inégalités et des souffrances sociales qui en résultent, qui conduisent à un sens de la responsabilité d’agir au nom de ceux qui sont déshumanisés, dépossédés et déplacés. J’ai étudié les données et les arguments, et je comprends les risques qui peuvent frapper l’association, à considérer les menaces déjà exprimées et celles qui peuvent advenir. En tant que juive, j’ai considéré les enseignements moraux du livre de prières de ma mère pour m’aider à prendre une décision. Peut-être rien n’est-il plus important ou pertinent que l’impératif de promouvoir « justice, justice », mot écrit deux fois pour « nous apprendre que nous devons pratiquer la justice à tout moment, que ce soit pour notre profit ou pour notre perte, et envers tous les hommes [sic], juifs et non-juifs pareillement ».

Finalement, je voterai pour la résolution de boycotter les institutions académiques israéliennes, seule décision que pourra m’autoriser ma conscience.

Les idées exprimées ici sont celles uniquement de leur auteure et ne représentent pas la position de l’Association Américaine d’anthropologie ou de sa direction.