Le gouvernement israélien fait un pas important vers une annexion de la Cisjordanie

Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, farouche partisan du Grand Israël, a pris la tête de l’organe de planification des colonies, une instance qui relevait jusque-là du ministère de la défense.

L’Etat d’Israël a fait un pas de plus, lors du conseil des ministres du dimanche 18 juin, vers une annexion de la Cisjordanie, territoire palestinien qu’il occupe depuis cinquante-six ans. Cette nouvelle victoire du camp des colons comprend deux clauses. La première est l’attribution au ministre des finances, Bezalel Smotrich, farouche partisan du Grand Israël, de la responsabilité de la planification des constructions dans les colonies – une prérogative qui relevait jusqu’alors du ministre de la défense. La seconde simplifie le lancement de ces travaux : là où, auparavant, il fallait franchir six étapes avant que les projets soient définitivement validés, il n’y en a plus que deux. M. Smotrich donnera le feu vert initial, puis la proposition sera revue par un comité de planification. Aucune autre instance politique ou militaire ne sera impliquée.

Ce faisant, M. Smotrich, qui avait déclaré lors de sa venue à Paris, en mars, que le peuple palestinien était une « invention », obtient quasi les pleins pouvoirs pour étendre la colonisation à sa guise, au mépris du droit international, qui interdit le transfert d’une population civile sur un territoire occupé. La promotion de ce représentant de la frange extrémiste et messianique du courant sioniste religieux avait été décidée en février lorsqu’il avait pris la tête de l’administration chargée de la Cisjordanie, au sein du ministère de la défense, devenant une sorte de gouverneur du territoire palestinien.

Son objectif, énoncé dans l’accord de coalition négocié par son parti avec le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, est de contraindre ce dernier à travailler « à la formulation et à la promotion d’une politique où la souveraineté sera appliquée en Judée-Samarie ». Autrement dit, à l’annexion formelle de la Cisjordanie. M. Smotrich entend doubler le nombre de colons sur cette terre occupée – ils sont actuellement 700 000, dont 229 000 à Jérusalem-Est, selon l’ONG israélienne La Paix maintenant.

« Le gouvernement annexe de facto les territoires, il ne les annexe pas de jure, parce qu’il ne le dira pas officiellement, mais les mesures montrent qu’il va dans cette direction », juge Mauricio Lapchik, directeur des relations extérieures de La Paix maintenant. Avec ces nouvelles mesures, « construire des logements dans les colonies de Cisjordanie sera presque aussi simple que dans les villes du centre du pays comme Tel-Aviv ou Haïfa », ajoute-t-il. En retirant des étapes avant la validation finale des projets, le gouvernement israélien restreint la capacité des capitales occidentales à freiner la colonisation.

L’Autorité palestinienne impuissante

Ces nouvelles dispositions visent à « autoriser une construction des colonies incontrôlée en Cisjordanie et à rendre toute objection internationale inutile », a réagi l’ONG anti-occupation israélienne Yesh Din. Depuis les accords de paix d’Oslo, en 1993, les Américains sont intervenus à plusieurs reprises, en coulisse, pour ralentir ou suspendre certains projets, comme celui baptisé « E1 », à l’est de Jérusalem, qui couperait la Cisjordanie en deux s’il voyait le jour. Malgré l’insistance des organisations procolonisation, il n’a toujours pas été remis à l’agenda du gouvernement Nétanyahou.

La nouvelle promotion de M. Smotrich est la « première étape », met en garde M. Lapchik, qui craint d’autres annonces dans les prochains mois. « Il y a une liste qui comprend entre cinquante et soixante-dix colonies sauvages, illégales même aux yeux de l’Etat israélien, qui pourraient être légalisées », dit-il. La semaine prochaine, Israël va approuver la construction de milliers de nouveaux logements dans les colonies – 4 560 selon la presse israélienne, 4 799 selon le décompte de La Paix maintenant. A cela s’ajoutent les quelque 10 000 constructions qui ont déjà reçu le feu vert du gouvernement Nétanyahou ces six derniers mois. « Un record depuis dix ans », note le journal israélien de droite Maariv.

« Si Dieu le veut, nous allons continuer à développer l’entreprise des colonies et renforcer l’emprise d’Israël sur le terrain », s’est félicité M. Smotrich, lors de cette annonce dimanche. L’Autorité palestinienne, spectatrice impuissante de l’accaparement des terres qui auraient dû lui revenir après les accords d’Oslo, mais où elle n’exerce aucun réel contrôle, en a appelé à la communauté internationale – sans réponse convaincante. Elle a boycotté, lundi, une réunion de coopération économique avec Israël, la première depuis des années que les Etats-Unis avaient péniblement réussi à programmer.

Un camouflet pour Washington

Dimanche, la diplomatie américaine s’est dite « profondément troublée », rappelant que « les Etats-Unis s’opposent à de telles actions unilatérales qui rendent plus difficile de parvenir à une solution à deux Etats et sont un obstacle pour la paix ». « Ce n’est pas assez, il est temps d’agir », rétorque M. Lapchik. Les annonces israéliennes constituent un camouflet pour Washington: elles ont été rendues publiques en pleine visite en Israël de la sous-secrétaire d’Etat aux affaires du Proche-Orient américaine, Barbara Leaf. En février, lors d’un sommet à Aqaba, en Jordanie, Israël avait promis à son protecteur américain de suspendre la mise en chantier de nouveaux logements dans les colonies pendant quatre mois.

Sur le terrain, l’activisme des colons, galvanisés par le gouvernement d’extrême droite de M. Nétanyahou, alimente le cycle de violences qui s’est enclenché au printemps 2022, avec une série d’attentats en Israël, suivis d’une offensive massive de l’armée israélienne en Cisjordanie. Alors que des colons ont réinvesti la colonie d’Homesh, évacuée en 2005, qui est située entre Jénine et Naplouse, deux foyers de la résistance armée palestinienne, des voix s’élèvent parmi les responsables politiques israéliens pour demander que l’armée lance une attaque de grande ampleur contre ces deux villes.

En face, qu’ils luttent avec les armes ou pacifiquement, les Palestiniens spoliés de leur terre paient le prix de leur résistance. Début juin, l’armée israélienne a tué un enfant de 2 ans à Nabi Saleh, village du centre de la Cisjordanie qui tente depuis plus d’une décennie d’endiguer l’avancée de la colonie voisine, Halamish. Cette dernière est comprise dans le programme de construction qui sera validé la semaine prochaine : des centaines de nouveaux logements devraient y être érigés prochainement.