Pendant plus de quatre mois, l’Autorité israélienne des antiquités et l’ONG de colons Elad ont effectué des fouilles à Jérusalem-Est pour tenter de trouver la piscine la plus ancienne et la plus importante de l’histoire de Jérusalem. Il est possible que l’absence de découverte oblige à redessiner les cartes de l’ancien Jérusalem.
Au petit matin du 27 décembre 2022, d’importantes forces de police sont arrivées dans un verger appartenant à la famille Sumarin à Silwan, à Jérusalem-Est.
Ce verger où poussaient des dizaines d’oliviers, de citronniers, de figuiers et d’autres arbres fruitiers, ainsi que des fraises, était l’un des derniers à survivre dans un quartier de plus en plus peuplé.
Des policiers et des agents de sécurité ont évacué du site la famille pendant que des ouvriers d’Elad, une organization qui promeut le déplacement des Palestiniens par des colons juifs, démantelaient la clôture.
« J’ai essayé d’entrer, mais un garde m’en a empêché avec du gaz poivré. Il m’a dit que si je bougeais, il m’aspergerait », a déclaré Shadi Sumarin, dont la famille s’occupait du verger depuis des décennies.
Dans le même temps, l’Autorité israélienne des antiquités, l’Autorité israélienne de la nature et des parcs et Elad ont publié une déclaration commune aux médias intitulée : ‘L’ancienne piscine de Siloé (Breichat Shiloah en hébreu) dans le Parc National de la Cité de David sera à nouveau entièrement exposée et ouverte au grand public’. L’annonce était accompagnée d’images montrant à quoi ressemblerait l’ancien et magnifique bassin une fois qu’il aurait été transformé en ‘un site archéologique et historique majeur au niveau national et international’. Selon la plupart des archéologues, la piscine se trouve sous le verger de la famille Sumarin.
Quelques jours après l’arrachage des arbres du verger, les anciennes terrasses ont été détruites et les fouilles ont commencé pour découvrir l’ancienne piscine. Des bulldozers ont été amenés sur le site pour enlever des couches de terre, et des dizaines de camions ont été alignés pour les transporter, mais à ce jour, aucune trace de la piscine n’a été découverte.
À certains endroits, les ouvriers ont creusé jusqu’à plusieurs mètres en dessous de l’endroit où le sol de la piscine était censé se trouver et n’ont rien trouvé, juste de la terre vide de vestiges et aucun élément structurel (murs, sols ou parties de bâtiments).
Les chercheurs de l’Autorité des antiquités demandent un peu de patience, précisant que les travaux sont toujours en cours et que certaines zones n’ont pas encore été fouillées. Mais on peut affirmer sans risque que l’ancienne piscine n’est pas là où elle était censée être, ou du moins pas de la manière dont les chercheurs l’ont présumée ces dernières décennies.
Les fouilles, financées par des millions de shekels par le ministère du Tourisme, soulèvent non seulement des questions sur l’archéologie de l’ancienne Jérusalem, mais aussi des questions éthiques sur le fait de savoir quand des fouilles causent plus de mal que de bien.
Dans la Jérusalem antique, la piscine de Siloé était l’un des lieux les plus importants de la ville. On pense qu’il s’agit de la piscine mentionnée dans le Livre des Rois de la Bible comme l’un des projets entrepris par le roi Ézéchias au cours de la période du Premier Temple. Les archéologues affirment qu’à l’époque du Second Temple, c’était l’un des principaux centres urbains de Jérusalem. La piscine n’était pas seulement le réservoir le plus important de la ville, mais aussi son principal mikveh, utilisé par les pèlerins avant qu’ils ne montent sur le Mont du Temple. La piscine est également mentionnée dans le Nouveau Testament, où il est dit que Jésus a utilisé son eau pour rendre la vue à un aveugle de naissance.
Au fil des siècles, la piscine qui avait fait la gloire de la Jérusalem du Second Temple a disparu. Les archéologues ont supposé qu’elle se trouvait près de l’extrémité du tunnel de Siloé qui achemine les eaux de la source de Gihon. A l’époque byzantine, une église a été érigée sur le site et, à côté, un petit bassin a été transformé en lieu saint chrétien. Plus tard, l’Église orthodoxe grecque, qui a succédé à l’Église byzantine, a pris le contrôle du site et de ses environs.
Lorsque des pilotes de l’armée de l’air allemande ont pris des photos aériennes de Jérusalem pendant la Première Guerre mondiale en 1918, la zone était verte et servait peut-être déjà de verger. Dix ans plus tard, l’église a loué le terrain situé sous le petit bassin à la famille Sumarin, l’une des familles qui ont fondé le village de Silwan.
La famille a entretenu le verger longtemps après que d’autres dans la zone aient succombé au développement urbain. En 2004, à l’insu de la famille, le Patriarcat grec a vendu les droits de location du terrain à l’association Ateret Hacohanim, qui les a ensuite transférés à Elad. Cette transaction a été effectuée dans le cadre d’un accord historique conclu entre Ateret Hacohanim et le patriarcat en 2005, dans lequel ce dernier a également vendu deux hôtels historiques près de la porte de Jaffa, dans la vieille ville, à des prix inférieurs à ceux du marché. Le patriarche de l’époque a été expulsé et son successeur a tenté en vain de revenir sur l’accord.
Pas de découvertes
Il y a environ six mois, Elad a exigé que la famille Sumarin quitte le verger et, en décembre dernier, l’a saisi avec l’aide des Autorités chargées des antiquités, de la nature et des parcs.
‘Après des années d’attente, nous avons le privilège d’exposer ce site important et de le rendre accessible aux millions de visiteurs qui viennent à Jérusalem’, a déclaré le maire de Jérusalem, Moshe Leon, dans le communiqué de presse publié à l’occasion de l’opération.
L’organisation La Paix Maintenant a découvert que les 25 millions de shekels (6,9 millions de dollars) qu’ont coûté les fouilles ont été financés par le ministère du Tourisme, par l’intermédiaire de l’Autorité de développement de Jérusalem. Mais il s’est passé ce qui arrive souvent dans le monde de l’archéologie : le site n’a pas coopéré avec les hypothèses des archéologues. Dans ce qui était autrefois un verger, il y a maintenant un trou géant avec à peine une trouvaille pour le justifier.
L’hypothèse selon laquelle la piscine de Siloé se trouverait sous le verger s’appuyait sur des fouilles antérieures qui avaient mis au jour des parties de la piscine. En 2004, lors de la pose d’un égout souterrain à Silwan, l’archéologue de l’Autorité des antiquités Eli Shukron s’est trouvé par hasard dans la zone et a remarqué qu’un bulldozer avait mis au jour d’anciennes marches en pierre. Shukron a interrompu les travaux et a appelé le professeur Ronny Reich pour qu’il vienne sur place. À l’époque, les deux hommes participaient aux fouilles de la Cité de David. Reich s’est souvenu qu’une autre partie des mêmes marches avait été découverte par deux archéologues américains au début du 20e siècle. Ces deux découvertes ont donné lieu à des fouilles au cours desquelles trois dizaines de mètres d’escaliers furent mises à jour, menant à ce qui semble être une très grande piscine publique.
Sur la base de ces travaux et de la logique topographique, Reich esquissa une piscine entourée sur ses quatre côtés d’une grande et luxueuse structure à laquelle on accède par des escaliers. Dans un rendu joint au communiqué de presse qu’il a publié, Elad a rempli la piscine d’eau, l’a peuplée de personnes et a ajouté une rue de pèlerinage menant de la piscine au Mont du Temple.
En raison du manque de découvertes, les fouilles ont été effectuées principalement à l’aide de bulldozers, plutôt que lentement et méticuleusement à la main. Dans une grande partie de la zone de la piscine projetée, les bulldozers creusent sous le niveau où le sol était censé se trouver, sans trouver la piscine ni les escaliers qui l’entourent.
Une règle bien connue en archéologie veut que l’on soit prudent dans les conclusions que l’on peut tirer en l’absence de découvertes effectives. Cependant, un certain nombre d’archéologues qui connaissent la région admettent qu’ils ont été surpris à la fois par le fait que les fouilles ont été menées avec des bulldozers et qu’elles n’aient pas permis de confirmer la présence de la piscine, du moins pas de la manière dont les archéologues des 20 dernières années l’avaient imaginée.
‘Il est surprenant que dans la zone du parc, rien n’ait été trouvé’, a déclaré M. Reich.’ Je ne peux pas l’expliquer. Pendant des années, j’ai voulu creuser une tranchée entre les arbres pour obtenir des réponses – à quelle profondeur se trouve la piscine et s’il y a des marches de l’autre côté. Maintenant ils ont fait un gâchis divin et nous n’avons eu aucune réponse. J’espère que dans le feu de l’action, aucune donnée n’a été perdue’.
Dans son livre ‘Digging the City of David’, publié en 2011, Reich écrit à propos du verger : ‘Certains ont dit que tous les arbres du verger devraient être enlevés et que la zone devrait être creusée. Je m’y suis opposé. C’est un merveilleux coin de verdure avec des grenadiers et des figuiers, qui nous a aidés à imaginer le jardin du roi mentionné dans le livre de Néhémie.’
‘Si les fouilles n’ont pas donné les résultats escomptés, cela ne signifie pas que la piscine n’existait pas. Cette région est sujette aux inondations. Il est possible que le bassin ait été endommagé pour une raison ou une autre ou qu’il ait été partiellement démantelé dans le passé, les inondations emportant alors ce qui restait. On ne peut pas encore tirer de conclusions définitives’, explique David Gurevich, chercheur à l’Institut d’archéologie Zinman de l’université de Haïfa, qui étudie les anciens bassins de Jérusalem.
L’archéologue Eli Shukron, partenaire de Reich dans les fouilles de la partie orientale de la piscine, pense également que la piscine a été démantelée au fil des générations. ‘Je n’ai aucun doute sur le fait qu’à l’époque du Second Temple, la piscine avait l’aspect décrit par Shukron et Reich, mais que des processus ultérieurs l’ont détruite’, déclare Shukron.
Nahshon Zanton, un archéologue de l’Autorité des antiquités qui dirige les fouilles, admet qu’il a lui aussi été surpris par l’absence de découvertes, mais explique qu’il est trop tôt pour déterminer à quoi ressemblait la piscine. ‘La reconstitution de Reich et Shukron est raisonnable et logique, et personne ne le conteste. Je pense qu’elle reste correcte’, déclare M. Zanton. Il précise qu’avant que les bulldozers ne commencent à creuser, il a mené une enquête préliminaire parmi les arbres fruitiers, mais que celle-ci n’a rien donné. ‘L’archéologie a tendance à surprendre et ce site a beaucoup de potentiel. Il n’a pas dit son dernier mot. C’est un emplacement de choix à Jérusalem. Tout ce qui en sortira sera intéressant et important’.
Le matin même du début des fouilles, les archéologues Alon Arad et le professeur Raphael Greenberg d’Emek Shaveh, une ONG de défense des droits de l’homme qui tente d’empêcher la politisation de l’archéologie, ont mis en garde contre ces fouilles. Dans une lettre adressée au directeur de l’Autorité des antiquités, Eli Escusido, ils écrivirent : ‘Nous avons été stupéfaits d’apprendre l’existence de cette opération, coordonnée par l’Autorité et des organisations privées, au cours de laquelle des résidents palestiniens ont été expulsés de force d’un terrain qu’ils cultivaient depuis des décennies, dans le cadre d’une opération archéologique visant à mettre au jour la piscine de Siloé.
‘Cette opération, au service d’une organisation privée aux ambitions messianiques controversées, fait à nouveau des fouilles archéologiques un outil politique destiné à favoriser la mainmise de quelques-uns sur le passé et l’avenir de la ville, chère à tous. L’Autorité des Antiquités salit ainsi l’ensemble de l’entreprise archéologique israélienne, en en faisant la propriété d’un secteur étroit de la société israélienne’, ont-ils écrit.
La réponse d’Escusido à la lettre de Greenberg et d’Arad est instructive en ce qui concerne les opinions dominantes au sein de l’Autorité des Antiquités concernant les fouilles dans la Cité de David et les habitants de Silwan. Il a affirmé qu’une fouille est préférable dans tous les cas, car elle créera un pôle d’attraction touristique important qui développera toute la région. Il a ajouté : ‘Je pense que c’est mieux que d’être un site de commerce illégal d’antiquités, tout en collectant de l’argent de protection pour les touristes’.
Shadi Sumrin explique que depuis que le verger a été confisqué à sa famille et que les fouilles ont commencé, il essaie de ne pas regarder le site, même si les fenêtres de sa maison donnent sur la fosse qui était autrefois son verger. ‘C’est très difficile. Je me détourne pour ne pas le voir ; nous avons grandi sur cette terre, nous avons mangé ses fruits, et maintenant il n’y a plus rien’.