Des colons qui tuent des Palestiniens : Une histoire d’impunité

Quand des colons israéliens tuent des Palestiniens et ne sont pas inculpés : 8 cas qui se sont terminés sans procès. L’assassinat de Qosai Mi’tan, âgé de 19 ans, par des….

Quand des colons israéliens tuent des Palestiniens et ne sont pas inculpés : 8 cas qui se sont terminés sans procès.

Elisha Yered, un des deux suspects impliqués dans l’homicide d’un Palestinien à Burqa, village de Cisjordanie, au tribunal. (Photo Sraya diamant)

L’assassinat de Qosai Mi’tan, âgé de 19 ans, par des colons est l’une des principales histoires de cet été en Israël, mais c’est en réalité la plus récente d’une série d’agressions similaires, par balles ou à l’arme blanche, de Palestiniens de Cisjordanie dans lesquelles personne n’a été inculpé.

Comme pour la mort de Mi’tan le 4 août dans le village de Burqa, huit autres Palestiniens ont été tués ces 15 dernières années, d’après une enquête de Haaretz avec l’aide des associations israéliennes de défense des droits de l’homme, B’Tselem et Yesh Din.

Il y a eu, par exemple, Ali Harb, qui a été poignardé à mort il y a un an par un résident de l’avant-poste Nofei Neheima. Harb a été tué alors que lui et des membres de sa famille essayaient de chasser des colons qui cherchaient à installer un avant-poste sur leur terre. L’enquête a été close deux mois plus tard.

Les incidents sont similaires : Des colons arrivent aux abords d’un village palestinien ou dans une zone ouverte entre une colonie et un village voisin. Un affrontement éclate et un Palestinien est tué. Dans certains cas, les allégations des colons de légitime défense semblent crédibles, dans d’autres nettement moins.

Juin 2022 Ali Harb L’affaire a été close sans inculpations  Mai 2021 Ismail Tubasi La police a lancé une enquête après demandes des médiasJanvier 2019 Hamdi Na’asan Des suspects ont été interrogés ; l’affaire est toujours en cours sans inculpations
Février 2023 Sameh Aqtash La police n’a ouvert une enquête que des semaines après sa mortFévrier 2023 Methkal Rayyan Aucune arrestationJanvier 2011 Yousef al-Khalail Un suspect a été arrêté, mais n’a pas été inculpé
Janvier 2011 Odai Qados Quatre suspects ont été arrêtés mais n’ont pas été inculpés Novembre 2017 Mahmoud Odeh L’affaire a été close sans aucune inculpation
Palestiniens tués dans des accrochages avec des Israéliens en Cisjordanie ces 15 dernières années

Dans aucune de ces affaires, un Israélien n’a été traduit en justice. Dans l’une d’entre elles, il est impossible d’identifier le tireur à cause de défaillances dans l’enquête de la police.

D’après B’Tselem et Yesh Din, depuis 2018, des Israéliens qui ne sont pas des gardiens de sécurité ou des membres des forces de sécurité ont tué 38 Palestiniens. Parmi eux, 21 avaient tenté ou mené une attaque terroriste.

Quatre de ces assassinats correspondent clairement à la description de terrorisme juif – le meurtre par incendie volontaire des membres de la famille Dawabsheh en 2015 et l’assassinat en 2018 d’une femme de 47 ans, Aisha Rabi, qui roulait avec son mari près d’un checkpoint de Cisjordanie quand des pierres ont été jetées sur leur voiture. Cette affaire est ouverte depuis janvier 2019. D’autres Palestiniens ont été tués par balles après que eux mêmes ou d’autres aient jeté des pierres sur des voitures de colons.

Ci-dessous, les huit victimes des 15 dernières années.

Ali Harb

Le 21 juin 2022, environ 20 adolescents et un adulte de la colonie de Nofei Nehemia sont allés dans une zone hors de l’enceinte de la ville d’Ariel en Cisjordanie. Le but : y installer un avant-poste.

Ce terrain est très proche du siège de la police israélienne en Cisjordanie et d’une entrée surveillée d’Ariel. Il appartient aux résidents du village voisin d’Iskaka qui sont arrivés sur le site après avoir entendu que des colons s’y étaient rassemblés.

Le colon soupçonné d’avoir tué Ali Harb lors d’une reconstitution (photo provenant des pièces de l’enquête)

Le suspect de l’attaque au couteau n’a pas été arrêté le jour de l’incident. Le couteau a été laissé sur le site et le suspect a été arrêté le lendemain quand il a déposé plainte contre les Palestiniens qui s’étaient trouvés sur les lieux. Le suspect a prétendu qu’ils l’avaient attaqué lui et ses amis ; ces Palestiniens ont alors été arrêtés et interrogés pour agression.

Les colons ont prétendu que les Palestiniens leur avaient jeté des pierres tout en brandissant des bâtons et des haches, tandis que les Palestiniens niaient avoir commis des actes de violence. Le Bureau du Procureur de l’État a dit que la déclaration de légitime défense du suspect ne pouvait être rejetée.

Yesh Din, représentante de la famille Harb, a fait appel du classement de l’affaire : l’une des principales revendications de la famille, c’est que même si une autopsie d’Ali Harb a été faite à l’hôpital de Ramallah, la police n’a pas exigé de voir le rapport. D’après ce rapport, qui a été transmis à Haaretz et traduit par Yesh Din, le couteau a été enfoncé d’environ 9 centimètres [3,5 pouces] dans le flanc de Harb, l’exacte longueur du couteau.

Mais lors d’une reconstitution pour la police, vue par Haaretz, le suspect a expliqué qu’il avait poussé Harb sur la poitrine et que Harb avait accidentellement été poignardé par le couteau du suspect. L’incohérence entre la version du suspect et les conclusions de l’autopsie ne figure pas dans le dossier de la police.

Par ailleurs, deux Palestiniens ont attesté que le colon avait essayé plus tôt de poignarder l’un d’entre eux, et un colon a attesté que l’un de ses amis avait dit qu’il avait vu le suspect essayer de poignarder un Palestinien à la jambe. Quand cet ami a été interrogé, il a invoqué son droit à garder le silence.

Un cortège de deuil porte le corps du Palestinien Ali Harb, tué par un colon israélien, lors de ses obsèques dans le village d’Iskaka, nord de la Cisjordanie, en 2022 (photo : Jaafar Ashtiyeh/AFP)

En plus, Yesh Din a dit que la police n’avait pas correctement étudié les vidéos qu’on leur avait fournies et que la police n’avait pas tenté d’obtenir des Palestiniens les documents de propriété de cette terre, prétendant d’emblée en revanche que les Palestiniens étaient les transgresseurs. Yesh Din n’a pas encore reçu de réponse à son appel.

En réponse à une demande d’Haaretz, le Bureau du Procureur de l’État a dit que l’affaire était encore étudiée, car l’appel est toujours en cours d’examen, et que les documents de l’autopsie n’étaient transférés au bureau que pendant la phase d’appel malgré une tentative pour les obtenir pendant l’enquête. Le Bureau du Procureur de l’État a ajouté que les documents de propriété foncière n’étaient pas pertinents et que la reconstitution correspondait aux découvertes de l’enquête.

Methkal Rayyan

En février, Methkal Rayyan, âgé de 27 ans, du village de Qarawat Bani Hassan, au nord de la Cisjordanie, a été tué par balles par un colon, selon un témoin visuel. Rayan a été tué aux abords de son village, à quelques centaines de mètres d’un site en construction où, d’après les Palestiniens qui ont parlé avec Haaretz, des colons étaient arrivés. Il n’y a pas eu d’arrestations.

Dans une déclaration, le Conseil Régional de Samarie a dit que des randonneurs de la colonie de Havot Yair ont été attaqués par des Palestiniens. Les Palestiniens ont dit que la situation dans la zone s’était détériorée à la suite de l’installation par les colons d’un avant-poste de bergers près de Havot Yair, ajoutant que les colons allaient régulièrement dans les abords du village et utilisaient même des drones pour surveiller la construction dans la zone.

Le père de Methkal Rayyan tient un téléphone où l’on voit la photo de son fils, en février 2023 (photo : Alex Levac)

D’après les Palestiniens, ce jour-là, des colons sont arrivés sur le site en construction et ont commencé à injurier et à attaquer les ouvriers du bâtiment, qui ont alors appelé à l’aide les résidents du village. Des deux côtés, des pierres ont été jetées sur les autres, aboutissant aux tirs qui ont tué Rayyan, ont dit les Palestiniens.

La police a dit qu’une enquête avait été lancée, mais d’après ce que Haaretz a pu savoir, aucun colon n’a été arrêté, et aucun n’a été placé en détention prolongée. L’affaire est encore en cours.

Vidéo tournée après l’assassinat par balles de Methkal Rayyan.

Ismail Tubasi

Bien que la police soit dans l’obligation d’enquêter sur les cas d’homicide même si aucune plainte n’est déposée, la police israélienne en Cisjordanie évite fréquemment de le faire si la victime est palestinienne. On en a un exemple avec la mort d’Ismail Tubasi, de la localité d’al-Rihiya, au sud-ouest d’Hébron, en mai 2021.

Un mois après la mort de Tubasi – dans des circonstances qui n’ont pas été éclaircies – la police, semble-t-il, n’avait pas lancé d’enquête. Malgré les questions posées par la télévision publique israélienne et par le site en hébreu Sikha Mekomit (Appel local), la police n’a pas ouvert d’enquête jusqu’au mois d’août 2021.

Des communications faites par sa famille suggèrent que Tubasi, qui a succombé à des blessures d’armes à feu, aurait subi les tirs de colons. Même après qu’une enquête a été lancée, les membres de sa famille n’ont pas été appelés à témoigner. Ce n’est qu’en octobre que Yesh Din a reçu une réponse de la police, après sept sollicitations.

La police assure avoir eu du mal à contacter les membres de cette famille. Ce n’est qu’en mars de cette année que le frère de Tubasi a enfin fait une déposition auprès d’un poste de police. Tubasi était alors enterré depuis longtemps. L’affaire est encore ouverte.

Sameh Aqtash

Une autre affaire sur laquelle la police n’a pas lancé d’enquête tout en ayant connaissance de l’homicide d’un Palestinien est celle de Sameh Aqtash, mort par arme à feu lors des émeutes et incendies provoqués par des colons au village d’Hawara en février 2023. Aqtash a été abattu pendant qu’il se tenait à l’entrée du village en compagnie d’autres hommes rassemblés pour assurer une défense contre les colons.

Le meurtre de Sameh Aqtash

Selon des témoins, Aqtash était derrière une clôture quand il a reçu un coup de feu et ne participait pas aux affrontements avec les colons. Une vidéo montre des soldats debout près de colons à l’entrée d’Hawara, mais l’armée nie que des soldats aient tiré, et des habitants palestiniens pensent que le tireur était un colon.

La police n’a pas ouvert d’enquête, affirmant initialement qu’aucune plainte n’avait été déposée. Plusieurs semaines plus tard, quand le frère d’Aqtash est arrivé à porter plainte après le rejet de plusieurs tentatives, une enquête a enfin été engagée.

Aqtash, à ce moment-là, était déjà enterré, et la police a déclaré qu’en l’absence de corps il serait difficile de mener une enquête. Les services du porte-parole des Forces de défense d’Israël (FDI) se sont simplement exprimés en ces termes : “dans le cadre de l’enquête qui a été menée, il a été constaté qu’il n’existait aucune raison de soupçonner que des soldats des FDI auraient été impliqués dans cette mort.”

Hamdi Naasan

Hamdi Na’asan, 38 ans, père de quatre enfants, est mort par arme à feu en 2019 près du village d’al-Mughayyir, proche de Ramallah. Des colons ont mis en avant deux récits contradictoires.

Ils ont d’abord soutenu que des randonneurs de l’avant-poste d’Adei Ad avaient été attaqués, mais ils ont dit plus tard qu’un Palestinien avait poignardé un colon et avait essayé de le traîner jusqu’au village. Ils assuraient dans l’une et l’autre de ces versions que Na’asan s’était fait tirer dessus par légitime défense, après que des Palestiniens avaient jeté des pierres sur des colons.

L’avant-poste israélien Adei Ad, photographié en 2019. (photo : Emil Salman)

Selon le ministère palestinien de la Santé, Na’asan a été touché dans le dos. Plus tard, toujours en 2019, la police a interrogé deux coordinateurs pour la sécurité des colonies dans le secteur de la colonie de Shiloh. Le site en hébreu Hakol Hayehudi (Jewish Voice) a dit que l’enquête était “un scandale”, soulignant que les téléphones des suspects avaient été confisqués. Aucune inculpation n’a été prononcée dans cette affaire, qui reste en suspens.

Selon les services du porte-parole des Forces de défense d’Israël (FDI), “après examen des données recueillies, le bureau du procureur militaire a ordonné la clôture de l’enquête concernant les soldats. Les données en lien avec des soupçons d’implication de civils dans cette affaire … ont été transmises à la police israélienne pour faire l’objet ultérieurement d’un traitement et d’une enquête.”

Les services du porte-parole n’ont fait aucun commentaire sur l’issue de l’enquête concernant les soldats.

Mahmoud Odeh

En novembre 2017, Mahmoud Odeh, 48 ans, du village de Qusra dans le nord de la Cisjordanie, a été abattu après qu’un groupe d’enfants, habitants de colonies proches, ont été attaqués à coups de pierres alors qu’ils marchaient près du village. Des habitants palestiniens ont dit qu’Odeh s’était fait tirer dessus pendant qu’il travaillait dans son champ, et que les Palestiniens avaient jeté des pierres en réaction à sa mort.

Un Israélien blessé au village de Qusra, nord de la Cisjordanie, en 2017

Deux Israéliens qui accompagnaient les enfants lors de cette promenade ont été légèrement blessés. Soupçonnés d’avoir causé la mort par négligence, ils ont été interrogés par la police puis libérés après cet interrogatoire. L’affaire a été clôturée et l’argument de légitime défense invoqué par les colons a été accepté.

Une enquête militaire a déterminé que la randonnée près de Qusra avait été entreprise sans la nécessaire coordination avec les forces de sécurité. Un Palestinien a été inculpé pour tentative de meurtre ; il aurait pénétré dans une grotte que les randonneurs visitaient et leur aurait jeté des pierres à faible distance.

Yousef al-Khalail

En janvier 2011, environ 30 randonneurs juifs sont arrivés dans la zone de Khirbet Safa, près de la ville de Beit Ummar, au nord-ouest d’Hébron, et là, des adolescents palestiniens ont jeté des pierres sur les randonneurs. Yousef al-Khalail, de Beit Ummar, âgé de 15 ans, a été touché à la tête par un coup de feu mortel. Quatre suspects ont été arrêtés.

Entrée de Beit Ummar, au nord-ouest d’Hébron, en 2021. (photo : Emil Salman)

Le dossier concernant trois d’entre eux a été clôturé faute de preuves, et le dossier du quatrième a été clôturé au motif de l’absence de culpabilité. Bien que l’enquête relative à la mort d’al-Khalail ait pris fin trois mois plus tard, l’affaire n’a été clôturée officiellement qu’en juillet 2013, un an et demi après sa conclusion effective.

L’enquête initiale a révélé que les randonneurs, qui étaient entrés dans le secteur sans s’être coordonnés avec l’armée – et alors qu’une requête similaire avait été rejetée – n’avaient pas signalé l’attaque aux autorités appropriées.

Selon le recours formé par l’avocat Michael Sfard contre la clôture de l’affaire, les randonneurs avaient antérieurement fait un circuit dans le secteur sans autorisation. Selon le recours, quand ils avaient été attaqués par des Palestiniens, deux des six hommes armés présents dans le groupe avaient tiré sur les lanceurs de pierres, blessant deux adolescents palestiniens.

Le recours de Sfard soulignait notamment que les policiers n’avaient pas trouvé de balles ou de cartouches provenant des armes des tireurs. Ce recours a été rejeté.

Odai Qados

Un jour avant la mort d’al-Khalail, Odai Qados, 18 ans, du village d’Iraq Burin, proche de la colonie d’Har Bracha, a succombé au tir d’un colon.

Une vidéo des caméras de sécurité des FDI a capturé un échange verbal entre l’homme armé et les adolescents palestiniens, après lequel Qados a jeté des pierres sur l’homme armé à très faible distance. Le colon a alors sorti son arme et a abattu Qados d’un coup de feu.

Le suspect n’a été arrêté que cinq mois plus tard et a été placé en résidence surveillée. Aucune inculpation n’a été prononcée.