Agzayeh Karan est née à Gaza, mais elle vit en Israël depuis 1992, après son mariage avec un citoyen israélien. Mère de 12 enfants, dont quatre sont mineurs, Karan n’a….
Agzayeh Karan est née à Gaza, mais elle vit en Israël depuis 1992, après son mariage avec un citoyen israélien. Mère de 12 enfants, dont quatre sont mineurs, Karan n’a été autorisée à parler ni avec ses enfants ni avec un avocat une fois que le processus d’expulsion a commencé.
La police israélienne a expulsé brutalement vers Gaza une femme née dans la bande de Gaza, mère de 12 enfants dotés de la citoyenneté israélienne, dont quatre mineurs.
Agzayeh Karan, cinquante et un ans, a été expulsée sans avoir été entendue et moins d’un jour après son arrestation lors d’un contrôle de routine, alors qu’elle se rendait sur son lieu de travail, du fait qu’elle ne disposait pas d’un permis de résidence valide. En l’espace de quelques heures, elle a été conduite dans un poste de police puis au point de passage d’Erez, sans être autorisée à parler avec ses enfants ou à consulter un avocat. L’ex-mari de Karan a quitté la famille il y a des années, et ses enfants mineurs sont maintenant en Israël sans avoir près d’eux aucun de leurs parents.
Karan est arrivée en Israël en 1992 et elle a épousé un citoyen israélien. Elle vivait dans un village du Néguev, Hashem Zaneh. Le plus jeune de ses enfants a sept ans. D’année en année, Karan a renouvelé son permis de résidence en Israël tous les six mois. Après le départ de son mari, explique-t-elle, elle n’a pas renouvelé le permis parce que cette démarche avait un coût, et qu’elle n’avait pas d’argent. Karan a indiqué à Haaretz qu’elle ne savait pas écrire ; or son mari a brûlé ses papiers administratifs quand il l’a quittée.
Il y a environ trois semaines, un dimanche matin, Karan se dirigeait vers son travail, qui consiste à cueillir des légumes, quand un policier a arrêté la voiture dans laquelle elle se trouvait et a demandé aux passagers de présenter leurs papiers. Voyant qu’elle n’avait ni pièce d’identité ni permis de résidence, il l’a emmenée au poste de police de la ville d’Ofakim. “Pendant toutes ces années, rien de pareil ne m’est jamais arrivé”, dit-elle. “Je vais au marché, je reviens, j’apporte des choses à mes enfants et je travaille dans l’agriculture pour les nourrir. J’ai expliqué au policier que je n’avais pas de pièce d’identité, que mon mari m’avait quittée.”
Au poste de police, raconte-t-elle, on l’a interrogée, on a confisqué son téléphone, et on ne lui a pas permis de parler avec ses enfants, ni de consulter un avocat. On lui a dit qu’elle serait expulsée vers Gaza.
“Je leur ai dit, ‘attendez, j’ai besoin de mes enfants.’ Je n’ai pas vu mes enfants avant qu’ils m’emmènent. J’ai une fille en deuxième année d’école, ils ne m’ont pas laissée la voir. J’ai quatre enfants très jeunes”, a dit Karan à Haaretz lors d’un appel téléphonique depuis Gaza, au cours duquel elle était en larmes. Après le poste de police, on l’a emmenée au point de passage d’Erez, où on l’a de nouveau interrogée et où, dit-elle, on lui a demandé combien d’enfants elle avait. Au bout d’environ quatre heures, on lui a ordonné de rentrer à Gaza. “J’ai la charge de mes enfants, je suis leur père et leur mère, la seule à être responsable d’eux”, dit-elle. “Leur état émotionnel est effrayant maintenant ; ils hurlent, ils me demandent où je suis et quand je vais revenir. Où sont mes droits humains ?”
Karan demeure avec son frère à Dir al-Balah, au centre de Gaza. Ses 12 enfants, tous citoyens israéliens, quatre d’entre eux ayant moins de 18 ans, restent en Israël. Deux de ses enfants adultes s’occupent tour à tour des plus jeunes. “Je ne peux pas être tout le temps là pour eux, ils ont besoin de leur mère”, a dit à Haaretz Sagar al-Hamidi, son fils âgé de 27 ans. “Il faut qu’elle revienne auprès de ses enfants. L’école va bientôt reprendre et personne n’est là pour prendre soin d’eux. Elle était seule à prendre soin d’eux.”
Hamidi et Karan disent que la plus jeune dort mal depuis que sa mère est partie et que l’enfant doit voir le médecin presque tous les jours. “Elle ne peut pas dormir sans sa mère, elle lui était très attachée et un jour, subitement, sa mère disparaît”, dit Hamidi.
Dans le sillage d’une résolution gouvernementale de 2008, Israël proscrit l’octroi d’un titre de séjour ou de la citoyenneté sur la base du regroupement familial aux Gazaouis mariés à des citoyens israéliens. Cependant, des Gazaouis comme Karan, mariés avant l’adoption de la résolution, ont dans certains cas reçu la permission de rester en Israël et de renouveler périodiquement leur statut auprès du ministère de l’Intérieur.
“Il est important de comprendre que, compte tenu de la politique qui régit les mouvements entre Gaza et Israël, dès qu’elle a été envoyée du côté Gaza du point de passage d’Erez, le mur s’est littéralement refermé sur elle. La possibilité qu’elle puisse de nouveau entrer en Israël est proche de zéro”, explique Michal Luft, une juriste israélienne spécialiste du droit de l’immigration et des droits humains. “Sans connaître les détails de ce cas de manière à confirmer cela, on peut dire que la police a infligé des dommages irréversibles à cette femme et à sa famille.”
Les protocoles concernant le passage des Palestiniens de Gaza à Israël, même si ces derniers ont des parents proches en Israël, sont particulièrement stricts et, généralement, ils n’autorisent pas les parties à se retrouver. Par exemple, les adultes qui sont en Israël mais dont les proches sont à Gaza ne peuvent obtenir un permis pour leur rendre visite que dans le cas d’une maladie grave, d’un mariage ou d’un enterrement.
En règle générale, la police reconduit les Palestiniens dépourvus de permis de résidence en Israël jusqu’au-delà des points de passage. Les résidents en Cisjordanie peuvent parvenir à passer la frontière de façon illégale ou à obtenir un permis de résidence. Quand il s’agit de la bande de Gaza, dont les issues sont hermétiquement scellées, cela devient presque impossible.
Selon Osnat Cohen-Lifshitz, juriste à la tête du service juridique de Gisha, une organisation de défense des droits humains qui œuvre à la protection de la liberté de mouvement des Palestiniens, le cas de Karan est inhabituel car elle a quatre enfants mineurs dont elle a été séparée sans avertissement et sans avoir été entendue. “Indubitablement, l’État était dans l’obligation de se saisir de cette affaire”, souligne-t-elle. “Dans un cas où l’on constate une violation aussi énorme des droits humains et des droits des enfants, l’État doit examiner les intérêts des enfants pour toute action qu’il entreprend. À tout le moins, il est obligé de tenir une audience, une mesure ancrée dans les principes du droit administratif et des décisions de justice à l’égard des ressortissants étrangers et des résidents de Gaza.”
La Police d’Israël a répondu par écrit en ces termes : “la suspecte a été placée en détention pour interrogatoire au poste de police après constatation de son séjour illégal en Israël, et elle a été ensuite transférée au point de passage d’Erez conformément à la pratique en vigueur.”
Haaretz s’est adressé à la Coordination des activités gouvernementales dans les Territoires (COGAT), agence responsable des permis délivrés aux Palestiniens et de leur franchissement du point de passage d’Erez, mais les responsables du COGAT ont renvoyé Haaretz au ministère de l’Intérieur. L’autorité chargée au sein de ce ministère de la Population et de l’Immigration a formulé la réponse suivante : « le déplacement vers les territoires n’est pas du ressort de l’autorité.”