Après presque deux mois de prison, Malak al-Khatib, la plus jeune palestinienne jamais faite prisonnière, à 14 ans, a été libérée. Elle nie toutes les accusations portées contre elle.
As-tu lancé des pierres sur la route ? « Pas vrai ». Portais-tu un masque ? « Mensonge ». As-tu jeté un couteau au sol ? « Mensonge ». Puis, « Ils ont peut-être pris mon stylo pour un couteau et mon cahier pour une pierre ». As-tu essayé d’échapper à la police ? « Je n’avais pas peur et je n’ai pas couru ».
Malak al-Khatib, la fille de 14 ans à propos de laquelle nous avons écrit la semaine dernière, la plus jeune Palestinienne jamais emprisonnée, est de retour chez elle. Condamnée à deux mois dans une prison israélienne pour avoir jeté des pierres et pour être en possession d’un couteau, la jeune élève en huitième année d’école, du village de Cisjordanie de Beitin, a été libérée vendredi dernier, après une réduction de peine de deux semaines.
Son père, Ali Youssouf al-Khatib, a dû payer une amende de 6 000 shekels (près de 1 300 euros) pour obtenir sa mise en liberté. Il avait aussi fait le voeu de raser sa barbe le jour de la libération de Malak. Nous l’avons rencontré cette semaine – il est maintenant imberbe – sur le même balcon fermé de sa maison où nous lui avions parlé une semaine plus tôt. Malak, la cadette de la famille, était assise à ses côtés. L’oiseau solitaire dans la cage suspendue au mur avait maintenant un compagnon ; les deux oiseaux gazouillaient joyeusement.
Malak est plus jolie, plus douce d’aspect et plus charmante que sur les affiches qui réclamaient sa libération. Celles-ci ont maintenant été remplacées par de nouvelles affiches qui lui souhaitent la bienvenue de retour.
La maison était remplie d’invités. Pendant que nous étions là, toutes les filles de la classe de Malak sont arrivées avec leur professeur. Malak voulait par-dessus tout être avec elles, plutôt que de rester avec nous et de répondre à nos questions.
Elle a une fossette, quelques petits boutons et un sourire triomphant qu’elle n’esquisse que rarement. Elle semble assez sûre d’elle – elle a demandé à son père de ne pas fumer à côté d’elle – mais ne ressemble pas à la personne décrite par le juge de la cour d’appel militaire de l’armée israélienne, le Lieutenant Colonel Ronen Atzmon.
Atzmon a écrit, comme un expert en développement de l’enfant spécialisé dans l’adolescence, « L’ensemble des circonstance que j’ai décrit plus haut donne l’image d’une fille jeune mais indépendante au point d’être rebelle. Elle n’obéit pas à l’autorité des adultes qui l’entourent – ni ses parents, ni le principal de l’école ni son avocat. Son comportement au cours de l’interrogatoire et au tribunal suggère aussi une assurance exagérée, obstination et agressivité ».
Une assurance exagérée ? À quel point, exactement, l’assurance manifestée par une jeune incarcérée de 14 ans devient-elle exagérée ? Quand elle ne s’effondre pas ou ne courbe pas l’échine devant ceux qui l’interrogent et les juges ? L’unité de l’avocat général militaire a posté ces commentaires du juge Atzmon, avec beaucoup d’autres, sur sa page d’accueil internet. Sous le titre « Le traitement militaire du cas de Malak al-Khatib », l’armée a essayé de répondre longuement aux accusations portées en Israël et principalement à l’étranger, contre le système de justice militaire israélien qui a emprisonné une jeune fille de 14 ans.
Mais de graves questions sont restées sans réponse. En plus du fait qu’une fille de cet âge ait été jetée en prison, Malak a été interrogée sans la présence de ses parents ni de son avocat – bien que ce soit obligatoire dans de telles circonstances pour des enfants israéliens – et elle a été forcée, dit-elle, à signer des documents en hébreu dont elle ne comprenait pas la signification. En fait elle a signé des aveux sur la base desquels elle a été déclarée coupable et condamnée à deux mois de prison en négociation de plaidoyer.
Son avocat, Juad Boulous, nous a expliqué la semaine dernière qu’il avait accepté la négociation de plaidoyer après que Malak ait reçu l’ordre de rester en garde-à-vue jusqu’à la conclusion de la procédure engagée contre elle. Il était clair pour lui que tout recours prendrait plus de temps que les deux mois de la condamnation. L’unité de l’avocat général militaire dit que tout a été fait selon la loi et cite les remarques du juge comme en étant la preuve.
Un keffieh autour de ses épaules, sa chevelure souple tirée en arrière et non couverte, Malak raconte que lorsqu’elle a quitté l’école après un examen d’anglais, ce funeste mercredi, le dernier jour de 2014, elle est allée se promener le long de l’autoroute 60, comme elle le fait parfois après les cours, en particulier après les examens (son père nous a aussi parlé de son goût pour les randonnées dans la nature).
Elle nie avoir lancé des pierres sur la route, elle nie avoir été masquée – ainsi que l’ont prétendu les policiers qui l’ont arrêtée – elle nie avoir essayé de leur échapper et avoir lancé un couteau au sol tout en courant, comme en fait état la déclaration de la police du district de Judée-Samarie.
Selon Malak, quatre policiers sont sortis d’une camionnette qui passait par là, l’ont saisie, l’ont attachée et mise dans le véhicule. Ils l‘ont emmenée au poste de police de Binyamin où elle a été interrogée pendant environ deux heures. Ce n’est qu’après qu’elle a été autorisée à voir ses parents, et ce pour quelques minutes – ainsi que nous l’a dit son père la semaine dernière. Elle nie qu’elle a eu l’opportunité de consulter un avocat par téléphone avant l’interrogatoire, selon ce que prétend la police qui dit qu’elle aurait refusé.
À la fin de l‘interrogatoire, dit-elle, on lui a présenté à signer des papiers écrits en hébreu, mais elle a refusé de signer parce qu’elle ne comprenait pas leur contenu. Celui qui l’a interrogé, dit Malak, lui a dit que si elle ne signait pas, elle ne pourrait pas retourner dans sa famille. Aussi, lorsqu’elle a finalement eu la possibilité de voir ses parents, après avoir signé les papiers, elle était convaincue d’être sur le point d’être libérée. Peu de temps après, elle a cependant été emmenée à la prison de Hasharon, près de Netanya. Elle tient la main de son père tandis qu’elle relate l’histoire.
Malak a été incarcérée dans une cellule où se trouvaient déjà trois jeunes femmes palestiniennes, toutes plus âgées qu’elle. Rompues aux usages de la prison, elles l’ont informée des procédures et l’ont mise en garde vis-à-vis des gardiennes dont elles ont dit qu’elles étaient agressives et rudes. Elle devrait essayer de garder ses distances et d’éviter les confrontations avec elles. La nuit, elle a eu froid, explique-t-elle, avec une seule couverture, et la nourriture était peu abondante et insipide. Mais le pire de tout, ce furent les jours où elle était emmenée au tribunal.
On l’emmenait de la prison au milieu de la nuit et on l’y ramenait le tard dans la soirée du lendemain ; elle passait la plupart de ce temps, pieds et mains attachés. Un bandage sur la cheville recouvre une blessure non encore cicatrisée, due au fait d’avoir été longuement entravée. Malak a été conduite au tribunal à six reprises pendant sa détention, jusqu’à sa condamnation le 21 janvier. Sa seule occupation a été de fabriquer des objets avec des perles fournies par la Croix Rouge internationale.
Mais rien ne pouvait soulager Malak de la détresse qu’elle ressentait du fait d’être coupée de sa famille : ce fut le plus dur de cette épreuve. Pour autant, elle na pas pleuré une seule fois en prison. « Ma place est à la maison, à l’école et non en prison » se répétait-elle tant et plus.
Vendredi matin de la semaine dernière, on lui a dit de rassembler ses affaires, car elle allait être libérée. Elle a été relaxée vers 10h30 au checkpoint de Jabara près de Tulkarem, où elle a été accueillie par ses parents, ses frères et toute une foule, dont le ministre palestinien des prisonniers, le gouverneur de Tulkarem et d’autres officiels. Pour un court moment, cette fille est devenue un symbole. « Je suis retournée dans ma famille » a-t-elle déclaré de façon laconique.
Elle ne dort toujours pas bien, nous dit-elle, parce qu’elle pense sans arrêt au sort de ceux qui restent en prison. « Ils ont besoin que je pense à eux » dit Malak, qui nous a dit qu’elle voulait étudier le droit quand elle serait grande.
Est-ce que cette expérience t’a fait changer, lui avons-nous demandé. « En prison, j’ai vu la vérité de l’occupation » répond-elle. « J’ai compris que l’occupation est plus agressive que je ne pensais. Mais cette arrestation m’a aussi rendue plus forte ».
Maintenant elle meurt vraiment d’envie de monter à l’étage au-dessus, chez les voisins, où l’attendent ses camarades de classe. Cela fait deux mois qu’elle ne les a pas vues.
Malak pénètre dans la pièce comme une héroïne, serrant les mains de toutes les filles, les embrassant, les serrant dans ses bras, tandis que sa mère distribue des bonbons.
Malak est désormais malkat hakita – reine de sa classe. La plus petite prisonnière est rentrée à la maison.