Un véritable ami d’Israël l’amènerait à faire face à quelques vérités embarrassantes

La visite du président Biden s’est arrêtée avant de s’attaquer aux causes profondes de ce cycle de violence sans fin — cela devrait être son objectif.

Le président Joe Biden est arrivé à Tel Aviv mercredi avec trois objectifs principaux. Il voulait réaffirmer le soutien total de son gouvernement au gouvernement israélien, répéter aux Etats alentour son avertissement à ne pas intervenir dans la guerre entre Israël et Gaza et demander que ses hôtes fournissent une certaine aide humanitaire aux civils palestiniens de la Bande de Gaza assiégée, qu’ils continuent de bombarder intensément avant l’invasion terrestre projetée.

Appuyée par les porte-avions américains et les flottes navales britanniques qui sont arrivés dans la région la semaine dernière, cette courte visite a été essentiellement vue en Israël comme une solide approbation de sa campagne, qui a déjà tué plus de 3000 Palestiniens, dont des centaines d’enfants. Biden a été reçu ici comme une sorte de sauveur, sur la toile de fond des massacres du 7 octobre et de l’impopularité étendue du gouvernement de Benjamin Netanyahou, dont tout le monde suppose qu’il s’effondrera dès la fin de la guerre.

Mais est-ce vraiment ce qu’un président des Etats-Unis devrait faire ? Dissuader d’une guerre dans la région, si c’est ce qui inquiète le plus les responsables des Etats-Unis, est certes une cause légitime. Biden avait aussi raison de dénoncer les crimes de guerre commis par le Hamas le 7 octobre. Les massacres de familles entières à l’intérieur de leurs maisons, de fêtards sans défense au milieu d’un champ, culminant en un nombre de morts de plus de 1300, et l’enlèvement d’environ 200 Israéliens et étrangers, dont des enfants et des personnes âgées — cela devrait être rejeté catégoriquement par toute personne décente. La traumatisme de l’attaque du Hamas a ébranlé chacun en Israël jusqu’à l’os, ravivant aussi pour beaucoup les lointaines mémoires d’autres massacres de juifs, dans d’autres endroits, dans d’autres temps, et suscitant la peur profonde de l’annihilation ; en ce sens, Biden a raison de réconforter les Israéliens en leur assurant qu’ils ne doivent pas redouter un tel scénario.

Mais l’aide militaire et les porte-avions n’offrent pas une sécurité à long terme, pas plus que ne le font des murs, des tanks et les systèmes de sécurité les plus avancés du monde — comme nous Israéliens l’avons tous appris douloureusement quand le Hamas a fait irruption hors de Gaza au début du mois. Après avoir exprimé ses condoléances et sa sympathie, Biden – et n’importe quel ami influent d’Israël, d’ailleurs – devrait vraiment se focaliser sur trois tâches fondamentales : faire qu’Israël assume sa responsabilité dans ses propres crimes de guerre contre les Palestiniens ; réfléchir à la façon dont ces crimes contribuent au manque de sécurité même des Israéliens  ; et demander qu’Israël retourne à la table des négociations de paix, en garantissant cette fois-ci une égalité de traitement pour les Palestiniens, de façon à assurer vraiment la fin de l’apartheid.

Il suffit pour cela que Biden soit à la hauteur de ses propres déclarations précédentes : «  Je crois que les Palestiniens et les Israéliens méritent également de vivre en toute sécurité et de jouir d’égales mesures de liberté, de prospérité et de démocratie », disait-il en mai 2021. Cette vision est loin de la réalité cruelle à laquelle les Palestiniens sont confrontés quand la région n’est pas à la une de la presse internationale. Vivant sous un régime que les groupes des droits humains régionaux et internationaux et les rapports des Nations unies ont décrit comme un « apartheid », les Palestiniens sont traités comme des citoyens de seconde classe à l’intérieur même d’Israël, sont soumis à un régime militaire brutal et raciste en Cisjordanie et suffoquent dans la plus grande prison du monde à ciel ouvert dans la Bande de Gaza assiégée, qui est aussi bombardée régulièrement par Israël. L’actuel gouvernement d’extrême-droite de Netanyahou n’a fait qu’exacerber les politiques de ses prédécesseurs. Les Palestiniens n’ont certainement pas obtenu une « mesure égale » de toute chose dans ce système criminel.

Selon le groupe israélien de défense des droits humains B’tselem, Israël a tué plus de 3500 Palestiniens au cours de la décennie entre 2010 et 2020, tandis que les Palestiniens ont tué 198 Israéliens. Couplé avec le soutien international et les récents accords de normalisation avec des Etats arabes, cela a donné aux Israéliens un sentiment d’immunité. Pendant tout ce temps, les Palestiniens ont ressenti un désespoir croissant, toutes les voies légitimes pour leur libération étant bloquées, tandis qu’Israël emprisonnait leurs leaders politiques et tuait les manifestants et que les pays passaient des lois pour réprimer la campagne non-violente pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS). Si cibler brutalement des civils est injustifiable, l’attaque du 7 octobre est aussi la preuve que cette situation ne peut être stable.

Pour faire valoir ce point de vue, Biden aurait aussi pu tendre un sombre miroir devant le visage d’Israël. Depuis le massacre, des politiciens israéliens enragés, des généraux et des journalistes ont utilisé une rhétorique génocidaire contre les Palestiniens — les définissant comme des sous-humains et appelant à écraser Gaza. Beaucoup d’Israéliens acceptent la punition collective consistant à dénier aux 3 millions de résidents de la Bande de Gaza électricité, eau courante, combustibles et vivres. Mais si Israël peut si facilement mettre à l’écart les lois et les conventions internationales, s’il ne respecte pas les droits et l’humanité des Palestiniens, causant souffrance, destruction et mort, comment peut-il s’attendre à ce que ces derniers respectent les droits des Israéliens ? Si nous Israéliens nous rappelons de l’Holocauste quand nous voyons des images des communautés décimées dans le sud, comment les Palestiniens ne craindraient-ils pas une « deuxième Nakba » — ce dont Israël les menace effectivement, en chassant un million de Gazaouis de leurs foyers ?

Le dernier président des Etats-Unis à honnêtement obliger Israël à un certain degré de responsabilisation a été George Bush Sr, qui a décidé de conditionner l’aide américaine à l’arrêt par Israël de la construction de colonies illégales et à l’ouverture de négociations de paix avec l’OLP. Biden aurait pu en prendre de l’inspiration. Il ne devrait pas fournir à Israël un appui infini, mais plutôt exiger de lui un cessez-le-feu immédiat, assurer la libération des otages civils retenus par le Hamas (ce dont il a dit hier que c’était une priorité), faire pression en vue d’un accord d’échanges de prisonniers pour la libération de soldats captifs et de prisonniers palestiniens, et de la levée du siège de Gaza.

Après cela, on devrait exiger d’Israël de retourner à la table des négociations avec l’OLP sur une base entièrement différente de celles des années Oslo : l’objectif déclaré doit être la fin du système d’apartheid, garantissant un avenir de paix, d’égalité et de justice pour tous les résidents du pays entre la rivière et la mer, y compris pour les réfugiés palestiniens, dans n’importe quelle configuration politique sur laquelle les parties s’accorderont. Alors seulement le cycle de violence pourra être brisé et la vision déclarée de Biden sur l’égalité se concrétiser.

  • Haggai Matar est un journaliste israélien et militant politique, et le directeur exécutif de +972 Magazine

Trad. CG pour l’AURDIP