La vitesse et l’intensité avec lesquelles s’est propagée la contestation contre les démocraties occidentales, depuis la nouvelle explosion du conflit israélo-palestinien, sont révélatrices d’un basculement politique, sous la double pression de la guerre russe en Ukraine et de la guerre Israël-Hamas.
La colère monte, elle vient du Sud et elle est dirigée contre le Nord. C’est l’un des effets planétaires de la nouvelle guerre entre Israël et le Hamas. La violence de la riposte de l’armée israélienne sur Gaza à la barbarie de l’opération terroriste menée le 7 octobre par le Hamas contre des civils israéliens a déclenché un puissant mouvement de contestation, teinté d’esprit de revanche, contre les pays occidentaux, accusés d’hypocrisie dans le choix des victimes auxquelles ils apportent leur soutien.
L’accusation n’est pas nouvelle. Elle porte essentiellement sur le principe « deux poids, deux mesures » reproché aux démocraties occidentales selon que la cible d’une attaque fait partie de leur camp ou non. Mais la vitesse et l’intensité avec lesquelles s’est propagée cette contestation depuis dix jours sont révélatrices d’un basculement politique, sous la double pression de la guerre russe en Ukraine et de la guerre Israël-Hamas.
Les dirigeants américains et européens avaient été surpris, en 2022, par la réticence de grands pays du Sud à les suivre dans leur condamnation sans réserve de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. La nouvelle explosion du conflit israélo-palestinien et son coût exorbitant pour les populations civiles, alors que la guerre russe en Ukraine continue de faire rage, ont relancé le débat.
Impuissance
La chronologie des événements sur le terrain a alimenté la controverse : après les massacres du 7 octobre, plusieurs dirigeants occidentaux se sont succédé à Tel-Aviv pour manifester leur soutien à l’allié israélien au moment où celui-ci procédait à des bombardements massifs sur Gaza et sa population. L’explosion meurtrière qui a frappé l’hôpital Al-Ahli à Gaza – dont rien n’accrédite pour l’heure la thèse d’un bombardement israélien – alors que le président américain s’envolait pour Israël a accentué l’image de déséquilibre. La partie arabe de son voyage a dû être annulée, faute d’interlocuteurs, ceux-ci s’étant désistés devant l’indignation soulevée dans l’opinion publique arabe.
Alors que Joe Biden menait cette difficile mission en Israël, le président chinois réunissait à Pékin les représentants du Sud global pour célébrer son grand œuvre, les « nouvelles routes de la soie ». L’invité vedette était le président russe, Vladimir Poutine, paria en Occident mais qui, à Pékin, a eu droit à des honneurs particuliers et à trois heures d’entretien bilatéral. Ni la Chine ni la Russie n’ont condamné l’attaque du Hamas du 7 octobre ; elles ont réservé leurs critiques à Israël et aux Etats-Unis.
Les gouvernements occidentaux paient aujourd’hui leur impuissance à trouver, voire à chercher, une solution à la question palestinienne. Ils paient aussi leur incapacité à adapter la gouvernance internationale, qu’ils dominaient, aux nouvelles réalités des équilibres mondiaux. Dans le climat de tension actuel, leur soutien à Israël, perçu comme exclusif dans le reste du monde, risque de mettre en péril leurs efforts pour tenter de convaincre les pays du Sud que la sécurité internationale est en jeu en Ukraine.
Aucun des pays qui contestent l’« hégémonie américaine », pas plus la Chine que les autres, n’a proposé de plan alternatif pour régler le conflit israélo-palestinien. S’ils veulent garder une marge de manœuvre, les dirigeants occidentaux devront, d’une part, accompagner plus vigoureusement, et plus ostensiblement, leur soutien à Israël de l’exigence du respect du droit humanitaire et, d’autre part, veiller à l’implication des dirigeants des pays du Sud dans les efforts de médiation et de recherche de solutions au Proche-Orient.