Un Rapport sur le Boycott Culturel d’Israël

[Note de l’éditeur : Cela fait en gros trois ans que Hyperallergic couvre le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) et la façon dont il se manifeste dans le monde de l’art, y compris pendant la récente 31ème Biennale de Sao Paulo. Le rapport qui suit, écrit par la commissaire d’expositions israélo-canadien Chen Tamir, esquisse les récents développements concernant BDS et la position de diverses entités liées à l’art. C’est le premier d’une série de rapports qui étudient BDS et ses connexions avec le monde de l’art.]

Introduction

Le rapport qui suit étudie le sujet pressant du boycott culturel d’Israël, en mettant plus spécifiquement l’accent sur les arts visuels contemporains. Sans prendre parti, ce document synthétise l’information sur la récente tendance au boycott et comporte le résumé de récents incidents remarquables à travers le monde concernant le boycott de projets d’art contemporain, certains boycottant Israël, d’autres attirant l’attention sur d’autres causes. Il ne s’agit pas d’un survol complet, mais plutôt de coups de projecteur sur ces questions afin d’essayer de tracer les contours généraux de ce phénomène grandissant.

Ce rapport a d’abord été écrit pour Artis, organisation à but non lucratif qui fait la promotion, à usage interne, d’artistes d’Israël, mais plus on m’a questionné sur le boycott, plus je réalisai qu’il fallait que ce type d’information soit condensé et étudié en profondeur. Une version en hébreu de ce document a également été publiée en janvier 2015 et a servi de discours d’ouverture pour une conférence que j’ai organisée à Tel Aviv avec six autres commissaires. [[Je suis reconnaissant envers mes co-conférenciers, Leah Abir, Hila Cohen-Schneiderman, Udi Edelman, Omer Krieger, Avi Lubin et Joshua Simon, qui ont aussi traduit ce texte en hébreu. Ce groupe entretient aussi un site web avec des liens vers beaucoup de ressources sur le boycott culturel d’Israël et d’autres boycotts dans le monde de l’art contemporain : http://daluthacherem.tumblr.com]] (Ce groupe gère aussi un site web qui a des liens vers beaucoup de ressources sur le boycott culturel d’Israël et d’autres boycotts dans le monde de l’art contemporain.)

Le boycott culturel fait partie d’un appel plus large au Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) destiné à faire prendre conscience internationalement de l’occupation israélienne de la Palestine et d’autres violations des droits de l’Homme des Palestiniens, et ainsi à faire naître une pression sur Israël pour y mettre fin. A l’intérieur de la catégorie boycott, il y a trois appels : universitaire, culturel et économique (boycott des produits ou sociétés israéliens, ou de ceux spécifiquement issus des Territoires Occupés). Le désinvestissement, qui ressemble au boycott économique, demande aux investisseurs de retirer les fonds qu’ils ont investis en Israël ; et sanctions fait référence aux sanctions politiques et juridiques contre Israël. L’année passée, le mouvement BDS a atteint son meilleur résultat jusqu’ici, des membres du gouvernement israélien s’inquiétant maintenant de son impact, surtout celui du boycott et du désinvestissement économiques et de son effet sur l’économie.

La campagne BDS a été organisée en 2005 (bien que d’autres appels au boycott soient nés beaucoup plus tôt [[Les appels au boycott ont apparu dès les années 1980. Il faut faire une distinction entre BDS et autres boycotts, particulièrement ceux en Israël dirigés spécifiquement vers les Territoires occupés. Par exemple, un groupe de près de 60 acteurs, écrivains et directeurs a publié en 2010 une déclaration disant qu’ils ne joueront pas dans le nouveau théâtre d’Ariel, une grande colonie, ni dans aucune autre des quelques institutions culturelles hors de la frontière de 1967.]]) pour répondre à la « Marque Israël », campagne massive de relations publiques lancée cette année là par le Ministère des Affaires Etrangères pour améliorer l’image du pays à l’étranger. Comme la politique israélo-palestinienne en général, la campagne BDS, et surtout les appels au boycott et au désinvestissement économiques, sont brouillés lorsqu’on en vient à tracer une limite géographique : l’appel BDS est généralement perçu comme concernant la totalité d’Israël, mais d’autres appels au boycott ne s’adressent qu’aux colonies juives au-delà de la frontière de 1967. La distinction a moins d’importance quand on en vient à la culture, surtout l’art contemporain international et les cas mentionnés plus loin, mais elle peut être cruciale quand on traite des boycotts à l’intérieur d’Israël. (L’Autorité Palestinienne par exemple soutient le boycott des produits issus des colonies, mais pas de toutes les marchandises israéliennes.)

Les boycotts universitaire et culturel sont conjointement menés par la Campagne Palestinienne pour le Boycott Universitaire et Culturel d’Israël (PACBI) et fonctionnent de façon similaire, mais ce document met exclusivement l’accent sur la culture, spécifiquement l’art contemporain, pour gagner en concision et en focalisation, mais aussi parce que l’université et le monde de l’art ne fonctionnent pas de la même manière : le monde de l’art est beaucoup moins structuré, il est régi principalement par un contrat social plutôt que par un protocole officiel, et ses structures de financement sont beaucoup plus complexes et informelles que le système de l’université – au point que même PACBI dit dans ses lignes directrices que « beaucoup de ces événements et projets tombent dans une zone grise incertaine qu’il est difficile d’évaluer ». [[Les directives PACBI pour le boycott culturel international d’Israël (révisées en juillet 2014) Connexion: février 2015].]] Cependant, et le boycott universitaire et le boycott culturel visent des institutions et pas des individus (sauf dans les cas où un individu représente une institution ou agit avec un mandat officiel). [[« Ancré dans les préceptes du droit international et des droits humains universels, le mouvement BDS, PACBI compris, rejette par principe le boycott d’individus fondé sur leur identité (par exemple la nationalité, la race, le genre ou la religion) ou leurs opinions. Si toutefois un individu est un représentant de l’État d’Israël ou d’une institution israélienne complice (tels que doyen, recteur ou président) ou bien est recruté /missionné pour participer aux efforts d’Israël pour redorer son image, alors ses activités sont sujettes au boycott institutionnel auquel appelle le mouvement BDS » [Les directives du PACBI pour le boycott académique international d’Israël [Connexion: février 2015].]]

Le boycott culturel dénonce spécifiquement les programmes internationaux financés par ou en partenariat avec un organisme officiel israélien, soit « un ministère, une municipalité, une ambassade, un consulat, l’État ou tout autre financement public de film », ou qui fait fonction de porte-parole de l’État d’Israël. [[Les directives PACBI pour le boycott culturel international d’Israël (révisées en juillet 2014) Connexion: février 2015].]] PACBI a rédigé des [lignes directrices et principes généraux et on peut s’adresser à elle pour déterminer la « boycottabilité » d’un projet, d’une institution, ou d’un événement donné, en s’appuyant sur son principe général :

En général, PACBI incite fortement les travailleurs internationaux de la culture (par exemple les artistes, les écrivains, les réalisateurs) et les organisations culturelles […] à boycotter et/ou à essayer de faire annuler des événements, activités, accords, ou projets en lien avec Israël, ses groupes de lobby ou ses institutions culturelles, ou qui promeuvent autrement la normalisation d’Israël dans la sphère mondiale de la culture, blanchissent les violations par Israël des lois internationales et des droits des Palestiniens, ou violent les lignes directrices de BDS. [[Ibid.]]

Sont inclus dans le boycott les projets financés indépendamment, qui présentent Israéliens et Palestiniens ensemble, même s’ils abordent l’Occupation, à partir du moment où ces projets font la promotion de la « normalisation », c’est-à-dire sous le déguisement de deux parties soi-disant égales, plutôt que de montrer l’asymétrie entre l’oppresseur et la victime ou l’invisibilité de cette dernière dans l’ensemble de la société israélienne. Ceci s’étend aux visites dans la région, en demandant aux artistes et autres producteurs de culture de ne pas associer une visite en Israël à une visite en Palestine, sauf si leur visite inclut une composante militante anti-occupation. [« Les universitaires internationaux qui insistent pour franchir les « piquets de grève » de BDS en poursuivant des activités avec des institutions israéliennes qui peuvent être boycottées et en rendant ensuite visite à des institutions ou à des groupes palestiniens pour « équilibrer », violent la directive de boycott et contribuent à donner une fausse perception de symétrie entre l’oppresseur colonial et les colonisés. […] les Palestiniens estiment que la solidarité implique le respect de l’appel au boycott, un appel qui fait autorité, qui vient de l’opprimé, et qui n’associe en aucun cas la visite d’institutions ou groupes palestiniens avec des activités liées à des institutions israéliennes boycottables. Les visiteurs internationaux qui tiennent à inscrire des institutions culturelles israéliennes dans leur itinéraire, un moyen pour « soulager leur conscience », ne doivent pas s’attendre à être les bienvenus dans les institutions culturelles palestiniennes. [Les directives PACBI pour le boycott culturel international d’Israël [Connexion: février 2015].]]]

Le mouvement BDS, et particulièrement le boycott, a progressé régulièrement au cours des quelques dernières années, comme c’est mis en évidence par les estimations financières du coût du boycott économique. [[Un rapport récent a estimé que le boycott a coûté jusqu’à présent 30 millions de $ à Israël. Voir: Report: Boycott has cost Israel 30mln dollars so far, i24 News, 8 mars 2014 [Connexion: octobre 2014].]] Cependant, il n’existe pas de résultats mesurables du boycott universitaire et culturel étant donné que mesurer l’absence dans la culture ou à l’université est un vrai défi ; en fait, il est impossible de quantifier ou même d’illustrer ce qui n’arrive pas, quels artistes refusent de travailler en Israël, ou quelles expositions ou projets auraient pu y prendre place si le boycott n’avait pas existé. Et pourtant, dans le champ de l’art contemporain, quelques cas survenus en 2013 et 2014 et examinés plus loin sont des exemples remarquables et peuvent peut-être prédire ce qui nous attend

Récents exemples du boycott à l’échelle internationale

L’usine de matelas

La tentative notable la plus récente d’organiser une exposition commune à des artistes israéliens et palestiniens traitant directement de la situation locale, devait se tenir à l’usine de matelas de Pittsburgh en mai 2014. Intitulée Sites de passage : frontières, murs et citoyenneté, l’exposition s’inscrivait dans une série d’échanges culturels entre artistes américains et étrangers ; elle devait impliquer cinq artistes israéliens et trois artistes palestiniens. La conservatrice invitée, Tavia La Follette, s’était rendue pour cela en Israël et en Palestine mais avait eu du mal à trouver des Palestiniens prêts à participer, du fait du boycott. Les trois artistes palestiniens qui ont accepté de participer à l’exposition, de même que les Israéliens, l’ont fait en pensant qu’il s’agirait d’aborder les violations des droits humains ; or, sur la base de pressions émanant du monde arabe (sur facebook) auxquelles s’est ajoutée une couverture médiatique enflammée de la part des media pro-israéliens, les artistes palestiniens, se sont souciés de leur sécurité et d’une possible perte de confiance de la part de leurs compatriotes à leur retour. Les critiques portaient sur des mots tels que « dialogue » et « collaboration » apparaissant dans la présentation officielle de l’exposition, au motif qu’ils suggéraient une normalisation et, alors que l’exposition n’a reçu aucun financement du gouvernement israélien, ces pressions ont suffi à ce que les artistes palestiniens se retirent précipitamment et que l’exposition soit annulée. Deux articles du Pittsburgh City Paper ont rapporté l’histoire, de même que de nombreux journaux juifs ; pour autant, il est difficile d’en évaluer l’impact sur la communauté artistique internationale. Il n’est pas évident non plus d’imaginer sérieusement, de la part de toute institution qui se respecte, une exposition de ce genre mettant aujourd’hui en avant des artistes israéliens et palestiniens. Cet incident semble avoir été fatal à la possibilité d’expositions conjointes israélo-palestiniennes.

Creative Time: le sommet de 2012 et La Vie comme Forme

Creative Time est une association qui se centre sur l’art public et socialement engagé. Depuis plusieurs années, elle organise une conférence annuelle (un « sommet »). Juste avant le sommet de 2012, le collectif artistique égyptien Mosireen a annulé sa participation à une déclaration mentionnant un partenariat de Creative Time avec le Centre Israélien pour l’Art Numérique (ICDA) à l’occasion du sommet. ICDA était l’une des douzaines d’organisations internationales qui allaient diffuser à leurs publics locaux la conférence en streaming direct. Normalement, le terme « partenaire » renvoie aux institutions coproductrices d’un événement ou à celles qui le financent, mais Creative Time a fait, naïvement, un usage erroné de ce terme, ce qui a pu créer une ambiguïté dans la relation. Le comble c’est que ICDA a une programmation systématiquement progressiste, sinon radicale, et que cette association a monté plusieurs expositions et projets « politiques » (dont « Espaces Liminaux » mentionnés plus bas). Plusieurs participants au sommet ont commencé leur communication par une déclaration de soutien au boycott d’Israël ou de soutien à la Palestine en général. Cela a entraîné une certaine tension, dans une atmosphère où l’on pouvait penser que quiconque s’exprimerait contre le boycott serait ostracisé. Mais Creative Time n’a pas tenté de s’expliquer sur la nature de son partenariat avec les organisations qui diffusaient le sommet en streaming. Ils n’ont pas non plus saisi l’opportunité de faire état de la situation dans son ensemble au cours du sommet. Finalement, ICDA a publié une déclaration, suivie bien plus tard d’une déclaration de Creative Time, expliquant essentiellement la nature de leur partenariat et exprimant en termes diplomatiques leur soutien à la liberté de parole. Il faut dire encore que, nonobstant le bien-fondé du boycott, le sommet a réussi a rendre visible le soutien au mouvement BDS et à ses objectifs au sein d’un groupe de personnalités du monde des arts hautement influentes et politiquement engagées.

En 2013, en dépit du trouble créé par la restitution de l’année précédente, Artport, un nouveau programme de résidence sur fonds privés à Tel Aviv, qui se centre sur l’art socialement engagé, a diffusé le sommet 2013 de Creative Time en streaming et, quelques mois plus tard, a monté une exposition itinérante « La vie Comme Forme ». Mise en circulation par l’Internationale des conservateurs indépendants, l’exposition a d’abord été organisée à New York en 2011, sur la base d’œuvres de pratiques sociales recherchées dans le monde entier. Aussi bien le streaming du sommet de Creative Time qu’ensuite l’exposition de la version allégée itinérante de « La Vie comme Forme » se sont déroulés sans incident. Quand, cependant, une deuxième installation de « La vie comme Forme » a été montée au Technion de Haïfa quelques mois plus tard, comme prévu, plusieurs artistes ont retiré leurs œuvres et ont appelé au boycott de l’exposition parce que le Technion est financé par l’État (comme toutes les universités israéliennes, quoiqu’il soit aussi impliqué dans le développement de l’armement militaire). L’installation au Technion, comme celui d’Artport, a été organisé par ICI qui gère le transport de l’exposition. ICI n’a pas de dispositif établi pour informer les artistes avant chaque localisation du projet itinérant. Les artistes auraient-ils boycotté l’installation de « La Vie comme Forme » à Artport s’ils en avaient été informés ? Ce n’est pas clair. Plusieurs déclarations ont été publiées par les parties prenantes, la plupart déplorant des processus internes et le fait que les artistes n’aient pas été prévenus plus tôt. Cette histoire a été largement couverte par Hyperallergic, avec la déclaration complète des organisations sur Art F City, et récapitulée dans un article de Mondoweiss.

La biennale 2014 de São Paulo

La manifestation d’envergure la plus récente du boycott culturel d’Israël a eu lieu à la Biennale de Sao Paulo au Brésil en septembre 2014.[[Un boycott peu connu de la biennale a eu lieu en 1969 quand des artistes internationaux ont boycotté l’événement pour protester contre la censure qui ravageait à l’époque ce qui était une dictature militaire brutale [Connexion: octobre 2014].]] Les commissaires étaient Charles Esche, Galit Eilat, Nuria Enguita Mayo, Pablo Lafuente, Oren Sagiv et les conseillers associés Benjamin Seroussi et Luiza Proença. Oren Sagiv et Galit Eilat sont israéliens, la seconde soutient activement la campagne BDS et elle est une pionnière en Israël du travail de conservation dans une approche politisée. Elle a fondé le centre Israélien d’Art Numérique en 2001, qui a porté des projets tels que Espaces Liminaux, une importante plateforme de recherche et des expositions d’artistes israéliens, palestiniens et internationaux de 2004 à 2006 (plus d’informations, dont des questions des organisateurs sur pourquoi un tel projet ne pourrait exister aujourd’hui, à voir dans mon article sur le projet dans l’Exhibitionniste [[Liminal Spaces, Chen Tamir, “The Exhibitionist: Journal on Exhibition Making [Connexion: octobre 2014].]]). Il est donc surprenant que la Biennale ait souhaité et accepté un financement du consulat d’Israël, ce qui a déclenché un appel manifeste de la majorité des artistes participants à refuser le financement, sur la base du BDS. Leur appel a ensuite reçu le soutien des commissaires eux-mêmes, lesquels, dans leur déclaration, ont pris des distances par rapport à l’administration de la biennale qui avait souhaité avoir ce financement. La situation a été sauvée de justesse par un amendement enregistré, envoyé au bureau du parrainage, selon lequel chaque consulat impliqué ne devait soutenir que les artistes de son propre pays.

Eilat aurait initialement averti l’équipe et le bureau de l’administration de la Biennale de ne pas demander de soutien au consulat d’Israël, mais, d’après elle, les membres du bureau ont insisté pour suivre leur politique générale consistant à s’adresser à tous les consulats au Brésil (même ceux qui n’avaient pas d’artistes représentés dans la Biennale). D’après elle, presque jusqu’à l’ouverture, on ne pouvait savoir clairement si le consulat soutiendrait la Biennale. Ils n’avaient pas donné de réponse jusqu’à 10 jours de l’ouverture, probablement en raison de tensions politiques entre Israël et le Brésil, ce dernier ayant rappelé son ambassadeur pour exprimer son désaccord sur l’opération Protective Edge sur Gaza. Ce n’est qu’après que le Président d’Israël récemment élu ait appelé pour s’excuser que le consulat a accordé un financement à la Biennale ; celle-ci s’est alors empressée d’ajouter leur logo sur touts les documents imprimés et affichés. À l’annonce du financement, des artistes ont appelé au boycott et fait pression sur beaucoup d’autres artistes participants pour qu’ils signent l’appel ; des réunions nocturnes ont eu lieu pour en discuter et envisager les stratégies possibles. Le compromis finalement atteint d’une déclaration précisant que le fait que chaque consulat ne finance que les artistes de son pays, était un moyen de conserver les fonds du consulat d’Israël sans que des artistes ne se retirent de l’exposition. Il est intéressant de noter que certains artistes qui auraient pu se retirer pour ne pas accepter indirectement un financement d’Israël, ont fait état des dangers qu’ils pourraient courir dans leurs pays pour collusion évidente avec l’État d’Israël. (Le financement du gouvernement brésilien, qui a toutes sortes de pratiques brutales, n’a pas été mis en question). Indépendamment du bien-fondé du boycott ou de son compromis, une victoire a été clairement remportée en termes de rehaussement de la visibilité internationale de la campagne BDS, car on peut penser que d’autres biennales internationales sont susceptibles de prendre cet incident en considération lors de leurs futurs projets d’expositions.

Le 22 octobre 2014, une lettre ouverte a été publiée en espagnol[[Carta Abierta Bienal de San Pablo”, mars 2014, n° 9. [Connexion: octobre 2014].]] par des artistes, des collectionneurs, des galeristes et des conservateurs sud américains s’opposant au boycott et déplorant la « suppression » du financement israélien à la Biennale de Sao Paulo. La lettre est mal traduite en anglais et elle est sortie dans une publication en ligne mineure de Miami, appelée Arte al Dia (l’art au quotidien).[[Traduction anglaise suit l’espagnol http://www.observatorio-arendt.org/wp/?p=3227 [Connexion: octobre 2014].]]

Boycotts d’autres projets d’art contemporain

Tandis que le mouvement BDS se manifeste de la façon la plus large et persistante, le boycott en tant que tactique pour attirer l’attention sur la complicité culturelle avec des systèmes de pouvoir qui violent les droits humains, généralement via des sponsors riches ou des fonds gouvernementaux, a récemment gagné en popularité, dans toute une série d’événements de grande ampleur autour de l’art contemporain dans le monde entier – au point que cela pourrait être pris par erreur pour une nouvelle forme de critique institutionnelle. Un résumé des principaux exemples de boycott non israéliens qui ont secoué le monde de l’art international est présenté ci-dessous.

L’Île Saadiyat d’Abou Dhabi

Abou Dhabi développe actuellement l’île Saadiyat, une grande île au large de la côte d’Abou Dhabi dans les Émirats Arabes Unis, qui doit devenir un centre commercial, résidentiel et de loisirs de premier plan et abriter le principal hub culturel du Moyen Orient. À côté d’autres initiatives de grande ampleur, deux musées sont bâtis sur l’île en franchise, l’un par le musée Guggenheim et l’autre par le Louvre. Les deux musées ont été critiqués pour « brader » et sans doute compromettre leur intégrité en participant à des marchés lucratifs, mais une critique plus forte leur a été infligée en 2011 quand plus de 130 artistes ont signé une déclaration de boycott à propos de l’exploitation des ouvriers de la construction. Dans la pétition qui a circulé, les artistes appelaient à un boycott du Louvre et du Guggenheim pour mauvais traitements et exploitation d’ouvriers du bâtiment employés à la construction du complexe. Ils disaient qu’ils refuseraient de coopérer avec les musées jusqu’à ce qu’ils aient la garantie que les ouvriers auraient des conditions de travail justes et qu’un contrôleur indépendant serait appointé pour publier leurs recherches sur les conditions de travail. Les artistes ont formé un groupe appelé Travail au Golfe (GulfLabor), qui poursuit son action depuis 2011. À ce jour, néanmoins, peu de changement est intervenu sur le terrain, sauf en ce qui concerne une légère amélioration des conditions de travail des ouvriers qui construisent ces institutions particulières, par rapport à d’autres projets de construction sur l’île.

La Biennale de Sydney en 2014

En mars 2014, la Biennale de Sydney a ouvert sa 19ème session, mais de justesse. Avant son ouverture, un boycott a été appelé par les artistes de la biennale visant son principal sponsor, Transfield, une multinationale qui, parmi d’autres services tels que le traitement des ordures ménagères et les transports publics, est impliquée dans la construction et la gestion de centres de détention off shore pour demandeurs d’asile sur deux îles de Papouasie Nouvelle Guinée. L’immigration illégale de tout le Pacifique est un des points de controverse majeurs en Australie. La privatisation de la détention et de la gestion de ces demandeurs d’asile déculpabilise le gouvernement pour son traitement des réfugiés et c’est en même temps lucratif pour les sociétés qui y contribuent. Le boycott de la Biennale 2014 de Sydney a commencé, comme beaucoup de boycotts, par une déclaration d’artistes suivie d’un abondant débat public. En fait, cela s’est même étendu au boycott du Musée d’Art contemporain d’Australie à cause de ses liens avec Transfield. Finalement, le président du bureau de la Biennale de Sydney, Luca Belgiorno-Nettis, qui était aussi le PDG de Transfield, a quitté ses fonctions. Le financement de Transfield s’interrompra après la prochaine Biennale (ces financements se font jusqu’à présent via des contrat de 4 ans), ce qui portera un coup sérieux à la Biennale, créée par le fondateur et ex PDG de Transfield (le père de Belgiorno-Nettis). Comme dans la plupart des boycotts, les critiques prétendent que les artistes « mordent la main qui les nourrit » et maintiennent que le boycott n’aura pratiquement pas d’effet sur la politique du gouvernement vis-à-vis des demandeurs d’asile, tout en compromettant complètement l’avenir de la Biennale. La Biennale a cependant trouvé d’autres fonds privés, finalement, et on dit que Belgiorno-Nettis reprendrait sa place au bureau puisqu’il s’est récemment défaussé de ses parts dans Transfield.[[“Sydney Biennale 2016: Belgiorno-Nettis family may be back as sponsors” Par Steve Dow, 2 décembre 2014, The Guardian [Connexion: décembre 2014].]]

Ce qui est intéressant à propos de ce boycott, c’est non seulement son retentissement international mais la question qui se pose sur ce qui a fait de la Biennale de cette année la Biennale à boycotter, après 40 ans de sponsorisation par Transfield. Pourquoi est-ce arrivé maintenant ? L’Australie a une longue histoire de campagnes politiques conduites par des artistes depuis 1973.[[En 1973, quand Transfield établit la biennale de Sydney, un autre événement d’art contemporain à Victoria était dans le chaos à cause d’artistes protestataires. La même année, le « Mildura Sculpture Triennial » fut mis en effervescence après que des participants, protestant contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, objectèrent à une exposition itinérante d’artistes français qui devaient visiter la ville en même temps. Le festival de Tasmanie « Ten Days on the Island » a continué pendant plus d’une décennie après que Forestry Tasmania ait retiré sa subvention de 50 000 $ pour l’événement à la suite d’un boycott et que le premier ministre de Tasmanie de l’époque, Jim Bacon, ait démissionné de sa présidence. La fin du soutien de Forestry Tasmania a lieu après que le festival de 2003 ait été boycotté par plus de 50 artistes ainsi que du fait d’écrivains comme Peter Carey Richard Flanagan qui argumentait que la subvention faisait partie d’une campagne de propagande pour l’abattage forestier ». Biennale boycott is the latest in long line of political protest by artists, 15 mars 2014, par Rea Andrew Taylor et Fiona Gruber, The Sunday Morning Herald. [Connexion: octobre 2014].
]] Mais peut-être que d’autres boycotts internationaux intervenus dans les deux dernières années ont aidé à galvaniser le mouvement, notamment au vu des graines semées lors de la précédente Biennale par la présence de quelques œuvres d’art critiques sur le traitement des demandeurs d’asile.

Manifesta 2014

En 2012, Manifesta, la très respectée « biennale européenne itinérante d’art contemporain » annonça que l’édition 2014 se tiendrait au musée de l’Hermitage à Saint-Pétersbourg en Russie. Quelques mois avant son ouverture en juin 2014, le gouvernement russe passa des lois anti gay, y compris l’interdiction de la « propagande gay, de l’adoption d’enfants Russes par des couples étrangers gays, et permettant l’arrestation de gays suspectés, y compris de touristes étrangers. Une pétition circula faisant pression pour que Manifesta se délocalise. Dans la même période, les forces russes manœuvraient en Crimée et débutaient une prise de contrôle de l’Ukraine. Une autre pétition circula avec le même objectif de déplacer Manifesta pour protester contre l’agression russe contre l’Ukraine. Manifesta fit une déclaration répondant qu’il continuerait comme prévu, avec pour croyance que « la biennale agit comme un catalyseur pour la vie artistique locale et internationale et active les cercles dont le souhait est de participer à une plate-forme discursive existante pour l’échange culturel international. Nous croyons que l’annulation du projet alimente directement l’escalade actuelle de rhétorique de la « guerre froide » et manque de reconnaître la complexité de cette géopolitique » [[Manifesta 10 will stay in St Petersburg, Manifesta [Connexion: octobre 2014].]]. D’importants artistes comme Pawel Althamer et le collectif russe Chto Delat ? se retirèrent, mais beaucoup d’autres restèrent, y compris Thomas Hirschhorn, Francis Alÿs et le photographe provocateur russe Boris Mikhailov. Les programmateurs maintinrent que le spectacle est « politique dans un plus vaste contexte » et que montrer de l’art contemporain en Russie est en soi une déclaration forte [[Controversial Manifesta 10 Organizers Condemn Artists Boycotts, Coline Milliard, Wednesday, 30 avril 2014, Artnews [Connexion: octobre 2014].]]. Manifesta fut accompagné de nombreux programmes publics et événements, certains relativement provocateurs et politiquement inspirés [[Pour une interview intéressante entre Warsza et Nato Thompson de Creative Time, voir “Engagement or Disengagement? A Conversation About Manifesta 10 with Joanna Warsza” par Nato Thompson dans Creative Time Reports, 26 juin 2014. [Connexion: octobre 2014].]]. Toutefois, l’exposition elle-même ne cherche pas à être ouvertement provocatrice, avec une série de peintures par Marlène Dumas supposément intitulée « Portraits d’homosexuels célèbres » rebaptisée « Portraits d’hommes célèbres ». Répondant au boycott, le directeur de l’Hermitage dit, « Il y a une très forte tendance à l’isolement en Russie et tous les boycotts ne font qu’isoler et fermer plus la Russie. À l’Hermitage notre mission historique est de garder les portes ouvertes ». [[Ibid.]]

Le boycott culturel en Israël

Alors que la façon dont le boycott culturel opère internationalement est relativement claire – éviter catégoriquement tout ce qui est financé par le ministère israélien des Affaires étrangères – les lignes directrices du boycott deviennent obscures à l’intérieur d’Israël car elles sont dirigées vers des artistes internationaux dans une tentative de générer une pression internationale sur Israël (plutôt que par des Israéliens sur leur propre gouvernement ; en fait, le mouvement BDS et le virage vers l’international sont un résultat direct de la frustration et de la critique, par les Palestiniens, des initiatives civiles israéliennes de paix et du besoin d’avoir une approbation ou une coopération israélienne pour agir contre l’occupation). Alors que certains ont interprété les lignes directrices BDS comme un évitement catégorique de tout ce qui est israélien ou qui visite Israël, le mouvement BDS n’interdit pas la visite d’Israël mais plutôt la collaboration avec une institution complice (ils encouragent les visiteurs à inclure des éléments qui les éduquent sur l’occupation, par exemple une visite sous direction arabe des territoires occupés). Certains ont argumenté que si un artiste (ou non) visite Israël ou prend part à une exposition dans une institution israélienne, il ou elle participera à l’économie israélienne globale par sa présence en Israël, ou si l’institution elle-même est financée par l’État, sera de connivence avec l’État. Cependant ce n’est pas une position du BDS, seulement une préférence personnelle ou peut-être une mauvaise interprétation.

Quelques exemples de visites très médiatisées organisées selon les lignes directrices BDS incluent la visite de la journaliste et écrivain Naomi Klein dans le pays en 2009, où elle a parlé à la salle de spectacle Amidan à Haïfa et au centre culturel arabo-hébreu de Jaffa [Richard Stallman, un informaticien et militant, a aussi parlé au centre culturel judéo-arabe. En 2006, Roger Waters de Pink Floyd joua à Neve Shalom, une communauté judéo-arabe, malgré que ce concert ait été boycottable car il était organisé par Shuki Weiss Productions, une grande compagnie « complice » qui amène beaucoup de musiciens connus en Israël.]]. Les deux centres reçoivent des financements de l’État, mais ils respectent la clause intéressante du PACBI disant que toutes les institutions culturelles israéliennes sont boycottables sauf si elles dénoncent publiquement les violations israéliennes du droit international et acceptent les droits complets et égaux des Palestiniens. [Le] seul fait qu’une institution israélienne reçoive des fonds d’État n’est pas une condition suffisante pour appeler à un boycott contre elle [[Critères pour choisir la cible optimale BDS [Connexion: février 2015].]]. Pour ne pas être boycottable, les institutions doivent reconnaître publiquement les droits des Palestiniens tels qu’ils sont exprimés dans la déclaration BDS de 2005 (fin de l’occupation ; attribution de la pleine égalité pour les Arabes israéliens ; et reconnaissance du droit palestinien au retour) et mettre fin à sa complicité dans la violation des droits palestiniens, y compris par des mesures et pratiques discriminatoires ainsi que par rôles divers dans le blanchiment ou la justification des violations du droit international et des droits humains palestiniens par Israël.[[[Les directives du PACBI pour le boycott académique international d’Israël (révisées en juillet 2014) [Connexion: février 2015].]]

Où ceci met-il les institutions d’art contemporain israéliennes, dont la plupart reçoivent un financement d’État par le ministère de la Culture ? Alors qu’écrire une déclaration pour se rendre « casher » selon le BDS pourrait sembler plutôt anodin (comme le Centre israélien d’Art digital l’a fait), une telle organisation est susceptible de perdre son financement étant donné ce que certains ont décrit comme le « maccarthysme » actuel du pays. Je me réfère à la violence rencontrée par les manifestants antiguerre et les répercussions auxquelles certains ont fait face quand ils ont exprimé des opinions divergentes du soutien uniforme à l’offensive sur Gaza, y compris des acteurs et des réalisateurs qui ont exprimé de la pitié pour la perte des vies palestiniennes et ont vu ensuite leurs contrats révoqués, ou ont été forcé de s’excuser, ou ont vu leur vie menacée. Un artiste en particulier, Arkadi Zaides, a été régulièrement tourmenté pour une vidéo et un spectacle de danse qui incorpore des séquences vidéo d’un programme vidéo de B’Tselem (dans lequel des caméras vidéo sont données aux Palestiniens pour documenter les conflits avec les colons des environs). Et bien sûr, en 2011, le gouvernement israélien a fait passer la « loi boycott » par laquelle quiconque appelle à un boycott d’Israël doit être poursuivi et pénalisé, y compris par la suppression des avantages fiscaux, des contrats et même des bourses d’études [[Law for Prevention of Damage to State of Israel through Boycott, Wikipedia [Connexion: octobre 2014].]] (Cependant, certains militants radicaux soutiennent ouvertement le boycott en Israël, tels le groupe Boycott from Within) [[http://www.boycottisrael.info/ [Connexion: octobre 2014]]].

Le PACBI, spécialement pour le boycott culturel, contrairement au boycott économique, fait une distinction intéressante et peut être vitale entre financements d’État qui font partie des opérations générales d’un pays, comme les subventions du ministère de la Culture, et argent engagé dans la «hasbara » (relations publiques) via la culture, spécifiquement le financement par le ministère des Affaires étrangères. Comme indiqué dans leurs lignes directrices :

Les produits culturels israéliens (par opposition aux événements publics) financés par des organismes officiels israéliens mais non commissionnés ou liés d’une autre façon à des attaches politiques ne sont pas par eux-mêmes soumis au boycott. Les produits culturels israéliens qui reçoivent des financements d’État dans le cadre de leurs droits comme contribuables travailleurs culturels individuels, sans que lui/elle soit tenu de servir les intérêts politiques de propagande de l’État, ne sont pas boycottables [« Attaches politiques » se réfère aux conditions préalables pour les receveurs de subventions de servir directement le gouvernement israélien par la « propagande », ou la description positive d’Israël. Par une mesure inhabituelle, le ministère des Affaires étrangères israélien exige que les bénéficiaires de subventions (artistes, écrivains, cinéastes, etc.) signent un contrat qui déclare : « Le fournisseur du service est conscient que le but de la commande de ses services est de promouvoir les intérêts politiques de l’État d’Israël au moyen de la culture et de l’art, notamment en contribuant à créer une image positive pour Israël ». [Les directives PACBI pour le boycott culturel international d’Israël (révisées en juillet 2014) [Connexion: février 2015].]].

Beaucoup d’artistes et programmateurs individuels en Israël ont traditionnellement été à l’avant-garde de l’activisme social et continuent d’être engagés politiquement en Israël à présent, mais avec des moyens limités. Leur contribution la plus visible semble être des dons pour des enchères artistiques bénéficiant à diverses O.N.G. et à des groupes militants, y compris une grande vente d’art en septembre 2014 pour lever des fonds pour l’aide médicale à Gaza pendant l’opération Bordure protectrice, organisée par deux artistes israéliens basés à Berlin. Cependant, peu de choses traitant directement du boycott ont eu lieu.

Conclusion

Malgré que les directives du PACBI et le mouvement BBS ne visent pas les personnes (seulement les institutions), une telle nuance est parfois sacrifiée par certains en faveur d’une approche « noir/blanc », facilitant pour les gens, soit un simple boycott tous azimuts de tous les Israéliens et de toutes les organisations en rapport avec Israël, ce que certains pourraient appeler « de l’antisémitisme politiquement correct », soit un complet désengagement [[C’est une distinction importante entre le boycott BDS et le boycott de l’Afrique du Sud qui était un boycott catégorique.]]. Le résultat peut fournir une raison d’argumenter que la campagne BDS, volontairement ou non, vise l’existence même d’Israël plutôt que sa politique gouvernementale. C’est une des lignes de fracture majeure du débat BDS, entre ceux qui s’y opposent en argumentant qu’elle promeut l’antisémitisme de manière voilée ou discrimine les Israéliens collectivement, et ceux qui la soutiennent en distinguant entre politique du gouvernement israélien et peuple juif ou population israélienne (comme Omar Barghouti, un membre important du PACBI, l’a écrit dans une récente opinion dans le New York Times.[[« Argumenter que boycotter Israël est intrinsèquement antisémite n’est pas seulement faux, ceci considère aussi qu’Israël et « les Juifs » sont une seule et même chose. C’est aussi absurde et fanatique que de déclarer qu’un boycott d’un État qui se définit comme islamique comme, disons, l’Arabie Saoudite à cause de son horrible bilan sur les droits humains, serait nécessairement islamophobe ». In, Why Israel Fears the Boycott par Omar Barghouti, 31 janvier 2014, The New York Times. [Connexion: octobre 2014].]]).

Les sous-produits regrettables d’un boycott, tels que le prix que les Israéliens individuels payent personnellement pour leur identité nationale, ou la validité même d’un boycott, peuvent être secondaires comparés à sa capacité à élever la conscience sur une question. Plus que tout, c’est un outil très puissant de relations publiques, avec le potentiel d’atteindre bien plus de monde que ne pourrait le faire une exposition ou une œuvre d’art. C’est là que se trouve la seconde ligne de fracture du boycott : la tension entre le contenu d’une œuvre d’art et son contexte socio-politique et économique. Beaucoup de gens argumentent que le boycott bloque le dialogue spécifiquement là ou il est le plus nécessaire ; que les œuvres d’art peuvent atteindre des gens qui seraient pas exposés normalement à l’échange culturel et les poussent à penser de manière plus complexe, ouverte et holistique. De cette façon, une œuvre d’art détient le potentiel d’élargir la conscience politique et d’enrichir les liens culturels. Le contre argument maintient que la majorité des œuvres ne sont pas engagés politiquement ou pas assez, et que même si elles l’étaient, elles vont de pair avec le régime oppressif par lequel elles sont produites. En d’autres termes, les œuvres d’art politiques servent de « feuilles de vigne », justifiant un régime colonialiste en donnant crédit à une fausse démocratie ; c.a.d. que pour chaque film documentaire critique ou œuvre d’art politique le gouvernement israélien peut construire une nouvelle colonie sur des terres occupées. Ceux qui favorisent un boycott culturel complet souligneront un autre problème plus large dans l’argument de voir l’art comme un moyen d’échange socio-politique : qui détermine si une œuvre d’art est suffisamment politique pour être une exception pour le boycott ? La pensée linéaire mènerait à une « police de l’art » ou censure chargée de trier les exceptions à un boycott culturel, ce qui n’est pas seulement problématique éthiquement, mais aussi hautement irréalisable.

Un facteur évident de l’augmentation internationale des boycotts est Internet, qui rend la communication entre et au sein des réseaux d’artistes et de militants plus fluide et instantanée, permettant l’amplification d’un boycott donné. L’abondance de telles sources d’infos et blogs indépendants sur l’art contemporain en rend la couverture bien plus vaste, particulièrement dans le cas des boycotts, qui sont mis en œuvre facilement par la simple dissémination d’une déclaration en ligne ou d’une pétition. En dépit des allusions cyniques sur le « militantisme en fauteuil » ou le «clictivisme », Internet se prête naturellement à l’organisation à la base, un bon exemple en étant les déclarations à la biennale de Sao Paulo faites par les artistes boycotteurs, bien visibles en ligne par opposition à ceux qui sont contre.

Il est clair que dans le domaine international de l’art contemporain, la tendance à boycotter prend de l’essor. Une tentative récente de contrer le boycott a été organisée par des intellectuels et des artistes, surtout Allemands et Autrichiens, mais son effet final n’est pas encore clair. (Il est intéressant qu’un tel appel vienne d’Allemagne, avec sa relation chargée avec Israël et sa « gauche » polarisée entre le camp qui soutient Israël et le camp qui soutient la Palestine). En tout cas, après les récents événements à Sao Paulo, les biennales autour du monde reconsidéreront les demandes de financement au gouvernement israélien et réfléchiront peut-être à deux fois avant d’inviter des artistes israéliens, particulièrement s’ils sont basés en Israël. Ceci donne une urgence au travail culturel sur le terrain en Israël, où les individus et les institutions pourraient bientôt se sentir de plus en plus isolées.

***Merci spécial à Galit Eilat, Nir Harel, Ranie Lavie, Romi Mikulinsky, Joseph del Pesco, Michal Sapri, à Kobi Snitz pour ces retours et à Leah Abir, Hila Cohen-Schneiderman, Omer Krieger, Avi Lubin et Joshua Simon pour le retour et leur traduction de ce rapport en hébreu.