Ben Arad, âgé de 18 ans, est le troisième objecteur de conscience mis en prison depuis le 7 octobre. Il dit à +972 pourquoi l’attaque israélienne sur Gaza l’a poussé à l’action
“Depuis le début de la guerre, j’ai compris que j’ai l’obligation de faire entendre ma voix, et d’appeler à la fin du cycle de violence ». C’étaient les mots de Ben Arad, un objecteur de conscience israélien de 18 ans, peu avant qu’il se présente au centre de recrutement de l’armée israélienne près de Tel Aviv le 1er avril et déclare son refus de s’enrôler dans le service militaire obligatoire, en signe de protestation contre les bombardements d’Israël sur Gaza et contre la longue occupation.
Arad est le troisième jeune à refuser publiquement l’enrôlement militaire pour des raisons politiques depuis le 7 octobre. Il a été jugé et condamné à une première incarcération de 20 jours dans une prison militaire. Il prend la suite de Tal Mitnick, qui a passé 105 jours en prison pour trois condamnations et de Sofia Orr, qui a passé 40 jours en prison pour deux condamnations – aucune des deux n’ayant pour autant été exemptes de service militaire, ce qui veut dire qu’elles peuvent encore être condamnées à de futurs passages par la prison.
Né à Ramat Hasharon, non loin de Tel Aviv, Arad a passé les derniers mois comme volontaire au kibboutz Masahbei Sadeh dans le désert du Neguev/Naqab, où il a travaillé avec des jeunes du kibboutz et dans des écoles du village bédouin voisin de Bir Hadaj. Comme beaucoup d’autres jeunes israéliens effectuant ce qu’on appelle « une année de service » avant l’armée, cette année, Arad a été informé que le programme avait été réduit à cause de la guerre et qu’il serait donc enrôlé dans l’armée en avril au lieu de décembre.
Lors d’une interview du magazine +972 et de Local Call, avant sa condamnation, Arad avait expliqué qu’il ne s’était jamais défini comme un « activiste » jusque-là et que la vue de la destruction de la Bande de Gaza par Israël – qu’il a décrite comme « une campagne meurtrière sans précédent non seulement contre le Hamas mais contre l’ensemble du peuple palestinien » – l’a convaincu de la nécessité d’être réfractaire.
« Le meurtre de civils à Gaza, la faim, les maladies, la destruction de la propriété, (en plus) des crimes des colons dans les territoires occupés – entretiennent tous la flamme de haine et de terreur » a-t-il dit. « Mener le combat ne ramènera pas les otages. Cela ne ressuscitera pas les morts. Cela ne libèrera pas les habitants de Gaza du contrôle du Hamas et cela n’apportera pas la paix.
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L’ L’interview qui suit a été raccourci pour clarification.
Comment es-tu parvenu à la décision de refuser la conscription ?
Je n’ai pas grandi dans un environnement où l’on parle de ces choses-là, mais j’ai été élevé à avoir une pensée critique et à tout questionner. J’ai pris une voie plutôt différente de l’Israélien de gauche moyen ; elle commence avec l’occupation et ne porte, dès lors, que sur des questions globales comme le capitalisme et le colonialisme. Je me suis senti concerné très jeune par le réchauffement de la planète et sur l’environnement. Cette ligne de pensée m’a conduit vers une idéologie anticapitaliste, qui m’a amené à l’anticolonialisme et de là à la lutte contre l’occupation.
Avant la guerre, je me sentais déjà peu fait pour le service militaire, mais je ne suis pas allé à beaucoup de manifestations et je n’étais pas militant. Depuis le début de la guerre, je me suis senti obligé d’agir. J’ai ressenti que je devais cela à moi-même et au monde.
Comment tes amis et ta famille ont-ils réagi à ta décision ?
Je suis d’une famille où tout le monde s’est engagé. Mon frère, qui a deux ans de plus que moi, est officier actuellement. Nombre de mes amis sont soldats. Autour de moi, ils désapprouvent (le fait d’être réfractaire), mais certains sont d’accord sur certains points. La plupart des gens autour de moi respectent ma décision et reconnaissent que je me bats pour une chose que je pense juste et pour laquelle je veux bien payer le prix de mes principes.
Après le 7 octobre, beaucoup de gens de gauche sont passés par un processus qu’ils disent de “dégrisement », allant plus vers la droite. Avec toi, c’est l’inverse qui s’est passé.
La barbarie de la brutale attaque du Hamas voulait éradiquer tout espoir de paix et d’un avenir commun et l’impact de cette attaque sur le peuple israélien est encore omniprésent. Beaucoup de gens ont vu les choses choquantes qui se sont passées le 7 octobre et leur réaction immédiate a été qu’il n’y avait pas d’autre choix que de détruire le Hamas par la force. Je pense que c’est une sorte d’oxymore : je ne crois pas que la violence puisse être détruite par la force. Les attaques et les incursions terrestres ne font qu’instaurer une réalité cruelle pour les gens de Gaza, que répandre la faim et les maladies et cette réalité ne contribue qu’au soutien du Hamas et produit une nouvelle génération qui n’a rien à perdre. D’où la résistance à l’occupation qui ne fait que renforcer le cycle de violence. La lutte contre le terrorisme doit être une lutte politique.
Penses-tu que dans le climat actuel il soit possible de convaincre d’autres jeunes de refuser ?
Je n’appelle personne à refuser. La seule chose sur laquelle je peux insister c’est d’inciter les gens à analyser leurs perceptions, à questionner et à avoir une pensée aussi critique que possible. C’est tout ce qu’on peut demander. Ceux qui s’enrôlent devraient essayer de penser en profondeur aux implications et à la signification du service militaire. À mon avis, servir dans l’armée est un acte politique, mais les gens ne le perçoivent, pas de cette manière. Ils s’enrôlent parce que c’est la loi, parce que la conscription est obligatoire. Je veux qu’ils examinent leurs actions et leurs perceptions au microscope.
Ton refus est-il aussi une expression de solidarité avec les Palestiniens de Gaza ?
Absolument. Je pense que nous devons être solidaires des Gazaouis et des Palestiniens en général. Nous ne pouvons qu’aller vers la paix si nous agissons pour une désescalade et nous montrons solidaires. Sans cela, nous n’avancerons pas.
Es-tu effrayé d’aller en prison dans l’atmosphère actuelle ?
La peur n’est pas tant celle d’une persécution politique ou judiciaire ou de la prison elle-même. Mais il ne fait pas de doute qu’il y a maintenant de l’aliénation dans la société israélienne. Quand on parle dans des termes que le public refuse d’entendre dans le climat actuel – quand on parle des 13 000 enfants tués à Gaza par exemple – cela crée une sensation d’aliénation et c’est de cela dont j’ai peur.
As-tu parlé aux refuzniks qui sont actuellement emprisonnés, dans ta préparation à ton emprisonnement ?
Oui, j’ai parlé à Sophie sur son expérience en prison et sur comment elle gère les réactions à son refus. Je lui ai demandé comment elle répond lorsque quelqu’un lui demande quelle solution elle suggère. C’est une question un peu difficile, parce qu’il faut beaucoup d’imagination pour se représenter ce qu’il faut qu’il arrive quand la guerre prendra fin. Elle m’a dit qu’elle répondait que nous sommes des adolescents, et non des dirigeants du monde qui savent tout et que nous ne pouvons parler qu’à partir de ce que nous connaissons : pour penser des solutions possibles nous devons d’abord arrêter la guerre et dégager la fumée qui rend difficile de voir au-delà du présent.
L’armée ne permet pas aux prisonniers militaires de venir avec beaucoup de choses, mais tu as le droit de prendre un lecteur de CD et certains livres. Quels CD et livres prendras-tu?
Je prévois de prendre “Orange Mécanique » – le livre et la bande -son sur CD. J’espère qu’ils me les laisseront parce que le livre a un contenu violent, aussi ils pourraient me le confisquer. À part ça, « Le Manifeste du Parti Communiste », des livres de philosophie et un tas de CD : Pink Floyd, quelques-uns des Beatles, et Radiohead.
Une première version de cet article a été publiée en hébreu sur Local Call à lire ici .
Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du Collectif photographique Activestills