« Nos comités ont été soumis à des bombardements israéliens directs. »
Plus tôt cette année, alors que le nord de la bande de Gaza se dirigeait vers la famine sous les bombardements et le siège israéliens, les agences des Nations unies ont entrepris un effort d’urgence pour tenter d’acheminer l’aide alimentaire en toute sécurité à des centaines de milliers de personnes au bord de la famine.
Pour assurer les livraisons, les agences – notamment le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’organisme de coordination de l’aide des Nations unies, l’OCHA – se sont tournées vers la communauté palestinienne locale, qui a formé des comités d’urgence composés de membres de familles et de tribus importantes, ainsi que d’autres volontaires.
Pendant quelques jours, à la mi-mars, le système a fonctionné. Les convois de l’ONU ont acheminé d’importantes quantités d’aide alimentaire dans des parties du nord de Gaza qui avaient été isolées depuis le début de la guerre, sans les pillages ni les attaques ou interférences israéliennes qui avaient entravé les efforts d’aide humanitaire pendant des mois.
Mais alors, moins de 48 heures après la première livraison réussie, une frappe aérienne israélienne a touché, le 18 mars, un entrepôt utilisé pour stocker l’aide destinée à l’initiative, tuant deux personnes qui y travaillaient. Au cours des deux semaines suivantes, dans ce qui semble être une série de frappes ciblées sur des individus et des points de distribution clés, l’armée israélienne a tué plus de 100 Palestiniens – ceux qui participaient à cet effort et, dans de nombreux cas, des membres de leur famille et des civils qui se trouvaient seulement à proximité.
Ces attaques répétées ont contraint les comités à faire marche arrière, paralysant de fait le plan, qui intervenait à une période critique dans le nord de la bande de Gaza où des enfants mouraient de malnutrition et de déshydratation presque tous les jours.
« Nos comités ont été soumis à des bombardements israéliens directs, bien que l’ONU nous ait informés être en contact permanent avec Israël et leur fournir nos coordonnées et les détails de nos fonctions », a déclaré Yahya al-Kafarna, 60 ans, chef d’une famille importante du nord de la bande de Gaza. « Les comités ont quand même été pris pour cible et plusieurs d’entre nous ont été tués. »
The New Humanitarian a passé sept mois à reconstituer la façon dont les agences de l’ONU ont élaboré ce plan d’aide avec les communautés du nord de Gaza – et comment Israël l’a détruit – en passant au peigne fin les preuves visuelles et les informations en libre accès, et en menant des dizaines d’entretiens avec les responsables de l’aide et les Palestiniens concernés. Nous avons enregistré le nombre de personnes tuées – une estimation prudente – en utilisant les mises à jour de l’OCHA, d’ACLED (Armed Conflict Location and Event Data) et les rapports des médias.
« La politisation de l’aide n’est pas nouvelle, mais planifier l’utilisation de l’aide de la manière dont les Israéliens l’ont fait à Gaza, et finalement éliminer des personnes – les tuer – pour avoir organisé une opération réussie de réception et de distribution de l’aide est quelque chose de nouveau ». Ali Al-Za’tari, ancien fonctionnaire des Nations unies
Les conclusions de l’enquête montrent comment l’armée israélienne a violemment perturbé et entravé les efforts humanitaires destinés à empêcher la famine des civils, conduisant directement à l’état d’anarchie qui continue d’engloutir le nord de Gaza aujourd’hui.
Adil Haque, professeur de droit international à l’université Rutgers aux États-Unis – l’un des nombreux experts avec lesquels The New Humanitarian a partagé l’enquête avant sa publication – a déclaré que ceci décrit « un modèle de crimes de guerre apparents » qui est en accord avec les allégations auxquelles le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’ancien secrétaire à la défense Yoav Gallant sont actuellement confrontés à la Cour pénale internationale (CPI), pour lesquelles des mandats d’arrêt ont été délivrés le 21 novembre.
« Toutes ces accusations portent en fin de compte sur les restrictions imposées à l’aide humanitaire », a déclaré M. Haque.
Les conclusions de l’enquête sont également applicables à l’affaire portée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction des Nations unies, qui accuse Israël d’avoir commis un génocide à Gaza.
En janvier, la CIJ a ordonné à Israël de « prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire dont les Palestiniens de Gaza ont un besoin urgent ».
« Ce que vous avez présenté n’est pas seulement une incapacité à prendre des mesures positives, mais en fait favorise des actes qui ont accéléré et enraciné une situation et rendu difficile ou impossible d’en sortir », a déclaré M. Haque.
Répondant à des questions détaillées sur les conclusions de cette enquête, un porte-parole de l’armée israélienne, les Forces de défense israéliennes (FDI), a écrit : « En réponse aux attaques barbares du Hamas, les FDI s’emploient à démanteler les capacités militaires du Hamas. Contrairement aux attaques intentionnelles du Hamas contre des hommes, des femmes et des enfants israéliens, les FDI respectent le droit international et prennent les précautions nécessaires pour atténuer les dommages causés aux civils ».
Mais en fin de compte, la manière dont le plan des comités et des Nations unies visant à sécuriser les livraisons d’aide s’est effondré sous un barrage d’attaques n’est qu’un microcosme de la bien plus large obstruction et politisation par Israël de l’aide humanitaire dans l’enclave, expliquant pourquoi les efforts d’aide n’ont jamais pu démarrer.
« La politisation de l’aide n’est pas nouvelle, mais planifier l’utilisation de l’aide de la manière dont les Israéliens l’ont utilisée à Gaza, et finalement éliminer des gens – les tuer – pour avoir organisé une opération réussie de réception et de distribution de l’aide est quelque chose de nouveau », a déclaré l’ancien fonctionnaire des Nations unies Ali Al-Za’tari, qui a également examiné les résultats avant leur publication.
« C’est du jamais vu », a répété M. Al-Za’tari, qui a été coordinateur humanitaire de l’ONU en Syrie entre 2016 et 2018 et a occupé d’autres postes de haut niveau en Libye, au Soudan et ailleurs au cours d’une carrière de quatre décennies. « Je veux dire que je n’ai jamais rien vu de tel ».
Aujourd’hui, l’effort international visant à mettre en place une réponse sûre, ordonnée et efficace à la catastrophe humanitaire d’origine humaine à Gaza reste limité par les restrictions imposées par Israël, l’insécurité et l’effondrement de l’ordre public – une situation que l’assassinat en mars de membres du comité d’aide a contribué à cimenter.
À la place, une économie de guerre basée sur l’exploitation des prix, le profit et la loi du plus fort a pris racine, culminant dans les récents événements qui ont vu des gangs, apparemment soutenus par l’armée israélienne, s’emparer des routes de l’aide et piller à volonté.
À deux doigts de la famine
Il était près de minuit, le 16 mars, et Bilal*, un habitant de 34 ans du camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de Gaza, attendait l’arrivée d’un petit convoi de camions transportant de la farine. S’ils y parvenaient – ce qui était loin d’être garanti – ce serait la première fois en quatre mois qu’une aide humanitaire parviendrait au camp.
Les bombardements israéliens, les opérations terrestres et les ordres d’évacuation avaient forcé la plupart des habitants à fuir, réduisant Jabalia à des tas de décombres, à des routes défoncées et à des bâtiments éventrés. À la fin du mois de janvier, il ne restait plus qu’environ 100 000 personnes dans le camp, désespérées par la faim.
« Les enfants pleuraient jour et nuit sans s’arrêter », a déclaré Bilal. Il se souvient d’avoir vu des parents nourrir leurs enfants avec des céréales grossières destinées aux animaux ; d’autres marchaient pendant des jours dans les ruines du camp à la recherche de restes. Certains restaient dehors toute la nuit, de peur de rentrer dans leurs tentes et de se retrouver face à leurs enfants les mains vides. La famille de Bilal ne faisait pas exception. Il raconte que sa mère, diabétique, a failli mourir de faim.
« Une nuit, une fillette qui n’avait pas encore sept ans a frappé à ma porte et m’a demandé si j’avais ne serait-ce qu’un morceau de pain ou une tomate qui pourrait la rassasier », raconte-t-il. Bilal ne pouvait pas se contenter de la repousser. Il lui a donné quelques-unes des dernières réserves de sa famille – un peu de pain et quelques légumes.
Mais après avoir enduré cette situation, empirant pendant des mois, une lueur d’espoir est apparue. Les chefs de familles et de tribus importantes de la région demandaient des jeunes hommes pour sécuriser les convois d’aide de l’ONU.
Les forces israéliennes avaient régulièrement tiré sur les personnes qui attendaient les livraisons d’aide dans le nord. Bilal savait que cela pouvait être dangereux, mais il se porta tout de même porté volontaire pour aider. « Il y a des milliers de personnes qui vivent ici dans le camp et qui ont souffert », explique-t-il. « Tout cela m’a poussé à prendre des risques, quelles que soient les circonstances. »
Thaer*, un autre habitant de Jabalia qui s’est joint à l’effort, a ressenti une obligation similaire. « Les gens ici ont atteint un point où leurs corps ont commencé à s’effondrer et ils tombaient dans les rues à cause d’une faim extrême », a-t-il déclaré.
« Il n’y avait personne pour protéger l’aide qui entrait dans le nord », a-t-il ajouté. « Il était de notre devoir … d’aider autant que nous le pouvions. Je n’exagère pas en disant que j’étais prêt à mourir à l’époque pour que les gens d’ici puissent vivre. La famine tuait les enfants, les personnes âgées et les malades. »
Coupés du sud
Le fait que des civils ordinaires comme Bilal et Thaer aient été appelés à tenter de sécuriser les livraisons d’aide internationale montre à quel point les conditions dans le nord de la bande de Gaza sont devenues désespérées, et les défis énormes auxquels les agences humanitaires sont confrontées lorsqu’elles tentent d’y remédier.
Avant octobre 2023, environ 1,1 million de Palestiniens – soit près de la moitié de la population de Gaza – vivaient dans la partie nord de la bande de Gaza, qui comprend la principale métropole, la ville de Gaza. En mars, après des mois de bombardements, de famine et de déplacements vers le sud, il ne restait plus que 300 000 personnes.
En réponse immédiate aux attaques meurtrières du 7 octobre 2023 contre Israël par le Hamas – le parti politique et groupe militant palestinien qui gouverne Gaza depuis 2007 – l’armée israélienne a annoncé un « siège complet » de l’enclave, bloquant l’entrée de la nourriture, de l’eau, du carburant et d’autres fournitures essentielles. Quelques jours plus tard, les autorités israéliennes ont ordonné à tous les habitants du nord de quitter leur domicile, leur donnant 24 heures pour évacuer au sud de Wadi Gaza, une zone humide située en dessous de la ville de Gaza.
Au cours des semaines suivantes, les frappes aériennes israéliennes ont pilonné le nord et les troupes terrestres ont tracé au bulldozer une route d’est en ouest, juste au sud de la ville de Gaza. Début novembre, elles avaient coupé la bande de Gaza en deux, la laissant divisée de la Méditerranée à la frontière israélienne par une zone étroite dénommée corridor de Netzarim. Deux postes de contrôle israéliens situés sur la route créée par l’armée contrôlent depuis lors l’accès au nord.
À la fin d’octobre 2023, Israël a commencé à autoriser l’entrée de quantités extrêmement limitées d’aide dans la bande de Gaza, mais toute cette aide passait par les postes-frontières du sud : presque aucune aide ne parvenait au nord.
La principale autorité en matière d’insécurité alimentaire, l’IPC, a averti à la mi-décembre que Gaza était sur la voie de la famine. Elle a qualifié la situation dans le nord – en raison des contraintes d’accès supplémentaires – de « particulièrement préoccupante ». En janvier, la CIJ a ordonné à Israël de prendre des mesures pour faciliter la réponse humanitaire.
Au lieu de cela, Israël a refusé la grande majorité des demandes de l’ONU d’envoyer des convois d’aide dans le nord. Les quelques convois approuvés ont souvent été la cible de tirs israéliens, et les Nations unies ont signalé que les soldats israéliens menaçaient et intimidaient de plus en plus les travailleurs humanitaires, notamment en pointant leurs armes sur eux aux postes de contrôle, en les détenant pour les interroger et en retenant les convois aux postes de contrôle du nord pendant de longues périodes sans raison apparente.
« Le problème de ces points de contrôle est qu’ils ne sont pas fiables », a déclaré Georgios Petropoulos, chef de l’OCHA à Gaza, à The New Humanitarian en mars. « Il y a des incidents violents. Des gens se font tirer dessus depuis les points de contrôle ».
Juliette Touma, directrice de la communication de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), a déclaré que les retards israéliens entraînaient souvent l’abandon des missions d’aide : « Nous avons eu plusieurs incidents au cours desquels nous attendions à ce point de contrôle avec des vivres. Les gens venaient simplement prendre des choses dans le convoi. Le temps que les Israéliens nous donnent le feu vert, nous n’avions plus rien dans le convoi. Nous faisions donc demi-tour. »
En janvier, seules 10 des 61 missions prévues par les Nations unies dans le nord de la bande de Gaza ont pu être menées à bien en raison des dénégations et de l’obstruction israéliennes. En février, ce chiffre n’était que de six sur 24. Les agences de l’ONU ont été contraintes de suspendre leurs tentatives d’acheminement de l’aide vers le nord vers la fin du mois après qu’un navire israélien a bombardé un convoi alimentaire de l’ONU qui attendait de franchir l’un des points de contrôle, puis les autorités israéliennes – qui s’efforçaient de mettre fin au rôle de l’UNRWA à Gaza pour des raisons politiques – ont bloqué l’accès de l’agence au nord de la bande de Gaza.
Les réserves de nourriture étant épuisées, et presque rien ne passant le blocus, les habitants du nord ont été contraints de manger de l’herbe et des aliments pour animaux, ont expliqué plusieurs personnes à The New Humanitarian à l’époque. Fin février, au moins 10 enfants étaient morts de malnutrition et de déshydratation dans le nord de la bande de Gaza, selon l’Organisation mondiale de la santé, citant le ministère de la santé de Gaza. Une semaine plus tard, ce nombre avait doublé.
Création d’un vide sécuritaire
À mesure que la famine s’installait, l’ordre civil dans le nord du pays a commencé à s’effondrer. Lorsqu’un rare convoi parvenait à franchir les points de contrôle, les personnes affamées qui tentaient de se procurer de la nourriture pour elles-mêmes et leurs familles le dépouillaient rapidement.
« On ne peut pas s’attendre à ce que les gens fassent la queue alors que des centaines de milliers de personnes meurent de faim », a déclaré Nebal Farsakh, porte-parole du Croissant-Rouge palestinien, à The New Humanitarian en février.
Les Nations unies ont commencé à parler de « distribution spontanée ». Le pillage organisé constituait également une menace, mais il était beaucoup moins courant qu’il ne le deviendrait plus tard. Malgré les fréquentes affirmations israéliennes selon lesquelles le Hamas volait et revendait l’aide, il n’y avait que peu ou pas de preuves à l’appui de ces affirmations.
Avant la guerre, les Nations unies n’avaient pas besoin d’assurer la sécurité des convois d’aide à Gaza car leurs agences, en particulier l’UNRWA – de loin le principal fournisseur d’aide dans l’enclave – étaient connues de la population qui leur faisait confiance, selon Juliette Touma, directrice de la communication de l’UNRWA.
Lorsque le chaos a commencé à s’installer, elles se sont d’abord tournées vers la police civile de Gaza, un partenaire logique pour les Nations unies, qui travaillent régulièrement avec les gouvernements locaux et les autorités de facto pour faciliter et protéger l’acheminement de l’aide dans les zones de guerre et d’autres contextes politiquement sensibles dans le monde entier.
« L’ONU pense et agit en partant du principe qu’elle doit se mettre en relation avec toutes les autorités… pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire », a déclaré M. Al-Za’tari, l’ancien fonctionnaire de l’ONU.
L’un des principaux objectifs déclarés de la guerre menée par Israël est toutefois de démanteler le Hamas et de mettre fin à sa gouvernance de Gaza. En conséquence, l’armée israélienne a adopté une définition large de ce qu’elle considère comme des cibles légitimes. Cela inclut apparemment les civils travaillant pour les autorités locales de Gaza, qu’il s’agisse d’ingénieurs hydrauliciens ou d’employés des télécommunications. Cette définition va à l’encontre du droit international, selon les experts juridiques qui se sont entretenus avec The New Humanitarian.
Lorsque la police civile a commencé à assurer la sécurité des convois d’aide, elle a elle aussi été attaquée. À la suite d’une série de frappes aériennes meurtrières en février, la police s’est retirée et les convois d’aide ont été livrés à eux-mêmes. La sécurité dans toute la bande de Gaza s’est détériorée.
Les Nations unies ont noté que l’armée israélienne avait adopté une « position ferme selon laquelle les policiers sont des membres de l’opposition armée ». Mais le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a vu les choses différemment, écrivant dans un communiqué de presse : « Les membres des forces de l’ordre, comme la police civile, sont des civils et ne peuvent être pris pour cible en raison de leur statut de membres d’une force de police. »
La seule façon pour les policiers de devenir des cibles légitimes, poursuit le HCDH, est de « participer directement aux hostilités et seulement pendant la durée de cette participation ».
Le fait qu’Israël prenne la police pour cible a même suscité de rares critiques de la part des États-Unis, l’allié le plus fidèle d’Israël dans la guerre. En février, David Satterfield, l’envoyé américain chargé de l’aide à Gaza, a déclaré que les attaques rendaient « pratiquement impossible » l’acheminement de l’aide en toute sécurité par les Nations unies et d’autres agences humanitaires.
D’autres responsables américains ont averti que les attaques créaient un vide sécuritaire qui risquait de faire basculer l’enclave dans un état d’anarchie et d’ouvrir la voie à la prise de pouvoir par des gangs armés. Mais les responsables israéliens sont restés impassibles. Un colonel travaillant avec le COGAT, l’organe militaire chargé de la coordination avec les organisations d’aide, a déclaré en mars : « La police du Hamas, c’est le Hamas ».
Chaos et violence
La famine et l’effondrement de la société ont accéléré en parallèle. Des foules de Palestiniens désespérés ont commencé à se rassembler aux ronds-points Koweït et Nabulsi, juste au nord des points de contrôle israéliens dans le corridor de Netzarim, dans l’espoir de voir arriver des convois transportant de la nourriture.
Alors qu’ils attendaient ou se bousculaient pour obtenir de l’aide, les soldats israéliens ouvraient souvent le feu, déclenchant des bousculades et tuant des gens. Lors du pire de ces incidents, le « massacre de la farine » du 29 février, plus de 100 personnes ont été tuées et au moins 700 blessées lorsque les troupes israéliennes ont tiré sur les personnes qui attendaient de l’aide près du rond-point Nabulsi.
Entre le 29 février et le 15 mars, le HCDH a enregistré au moins 10 attaques visant des personnes attendant de l’aide autour des ronds-points Koweït et Nabulsi.
Dans son rapport, le HCDH note qu’« Israël, en tant que puissance occupante, a le devoir… d’assurer la fourniture de nourriture et de soins médicaux » aux Palestiniens de Gaza. Faisant écho à l’ordonnance de la CIJ, il ajoute : « S’il n’est pas en mesure de les fournir, Israël a l’obligation de faciliter les activités de secours humanitaire, notamment en assurant les conditions de sécurité requises pour de telles activités ».
Ahmed Kouta, 24 ans, infirmier canadien d’origine palestinienne qui travaillait à l’époque à l’hôpital al-Shifa, le principal hôpital de la ville de Gaza, a déclaré que les blessures par balle subies par les personnes qui attendaient de l’aide aux ronds-points faisaient partie des blessures les plus courantes qu’il voyait.
Lorsqu’il ne travaillait pas, la faim le conduisait à ces mêmes ronds-points. Selon lui, les soldats israéliens qui se trouvent aux points de contrôle voisins ouvraient souvent le feu sans raison apparente. « Ils ne se soucient pas de qui se trouve là », a-t-il déclaré par téléphone depuis le Canada, après avoir réussi à quitter Gaza en avril. « Ils font tout ce qu’ils ont envie de faire. Parfois, avec les drones, les quadricoptères, ils tirent au hasard ».
Les gens restaient près du poste de contrôle après le passage des camions, espérant que d’autres étaient en route. C’est alors que les troupes ouvraient souvent le feu, se souvient Kouta, qui ajoute : « Ils leur tiraient dessus ou leur lançaient une grenade, et les gens comprenaient alors que les camions n’arrivaient pas.
« Imaginez que vous couriez pour trouver de la nourriture, pour essayer d’attraper un sac de farine, et que tout ce que vous trouvez, c’est une balle dans la poitrine », a ajouté M. Kouta. « C’est dire à quel point les gens voulaient désespérément aller chercher de la nourriture et des produits pour leur famille. C’est une question de vie ou de mort. »
Un plan prend forme
Vers la fin de l’une des rares missions d’aide au nord qui ait été approuvée et qui ait effectivement eu lieu au cours de cette période, un petit convoi de véhicules de l’ONU s’est frayé un chemin à travers des rues jonchées de décombres et bordées de bâtiments effondrés ou évidés par les frappes aériennes israéliennes.
Lorsque le convoi s’est arrêté au point de contrôle israélien, en attendant d’être autorisé à retourner dans le sud, des centaines de personnes affamées ont encerclé les véhicules.
Cela se produisait souvent, mais comme ce convoi revenait d’une mission et n’avait pas de nourriture à offrir, les travailleurs humanitaires ont pu sortir et avoir une vraie conversation avec les gens qui s’étaient rassemblés. L’un des hommes qui s’est avancé s’est présenté comme le représentant d’une famille importante du nord. Alors qu’il parlait avec M. Petropoulos de l’insécurité et du chaos qui entouraient les livraisons d’aide, une idée a commencé à germer. « Nous avons réalisé que nous devions nous adresser directement aux communautés », se souvient M. Petropoulos.
Les familles et les tribus importantes de Gaza détiennent un pouvoir politique et social considérable. Au début de la guerre, nombre d’entre elles s’étaient déjà organisées en comités pour assurer une sécurité de base dans leurs quartiers, les attaques israéliennes ayant contraint la police et les autres autorités gouvernementales à se réfugier dans la clandestinité. Ces comités étaient l’une des rares institutions sociales de Gaza à disposer de l’autorité et de la main-d’œuvre nécessaires pour assurer l’acheminement de l’aide.
« Ces personnes à la tête des communautés ont la confiance de la population », a déclaré Touma, de l’UNRWA.
En travaillant avec eux, les Nations unies espéraient pouvoir acheminer sans trop de chaos le peu d’aide autorisée et s’assurer qu’elle était distribuée équitablement, afin de contribuer à stabiliser l’escalade rapide de la famine. À partir de là, si tout se passait bien, les agences de l’ONU espéraient être en mesure d’intensifier la réponse pour traiter un plus large éventail de besoins, selon M. Petropoulos et d’autres fonctionnaires de l’ONU qui dirigent les efforts.
En l’absence de tout signe sur le terrain montrant qu’Israël souhaitait faciliter une réponse humanitaire significative, ce plan n’était pas gagné d’avance. Mais face à la famine et au chaos croissants, les agences ont estimé qu’elles n’avaient pas d’autre choix.
« Nous avons envisagé tous les moyens possibles d’apporter de l’aide à la population », a déclaré Touma. « Et c’était l’un d’entre eux. »
Mais pour que ce plan de la dernière chance fonctionne, les Nations unies auraient à se frayer un chemin dans un nid de frelons politique.
Le labyrinthe politique de l’aide humanitaire à Gaza
Au début de l’année, de hauts responsables israéliens avaient agité l’idée de créer des structures locales de gouvernement pour remplacer les autorités de Gaza, affiliées au Hamas. Ces structures étant théoriquement composées de certaines des familles et tribus avec lesquelles l’ONU souhaitait maintenant travailler, la première étape de cette initiative devait censément être qu’Israël les armerait en vue d’assurer la sécurité des livraisons d’aide.
Israël a encore essayé fin février de recruter certaines familles en vue de ce dispositif, a dit à The New Humanitarian un membre d’une de ces familles, mais des représentants de ces familles ont rejeté publiquement ces avances. Le Hamas a aussi prévenu que, si les tribus et les familles travaillaient avec Israël, ce serait « une trahison de la nation que [le Hamas] ne tolèrer[ait] pas”.
Repoussé par les tribus et les grandes familles, Israël a commencé à travailler avec des entrepreneurs privés, tentant de créer un système d’aide parallèle sous son contrôle qui contournerait l’ONU et les intermédiaires influents présents dans le Nord. Pendant ce temps, il circulait des rumeurs et des informations selon lesquelles l’Autorité palestinienne basée à Ramallah, contrôlée par le Fatah, groupe politique rival du Hamas, essayait elle aussi de travailler avec de grandes familles à Gaza pour construire dans l’enclave sa propre force de sécurité.
Dans ce contexte, les tribus et familles hésitaient à travailler avec l’ONU parce qu’elles ne voulaient pas donner l’impression de forcer la main à l’autorité du gouvernement affilié au Hamas. Mais elles étaient aussi de plus en plus préoccupées en voyant les efforts d’Israël pour éliminer ce gouvernement créer à Gaza une situation d’anarchie, et elles craignaient que les familles ne se lancent rapidement dans un combat pour le contrôle des ressources sous forme d’une bagarre générale et violente.
Il a fallu du temps et l’usage d’un capital politique pour surmonter les hésitations initiales des familles, selon Petropoulos, mais les responsables de l’aide humanitaire sont arrivés à organiser une série de rencontres en février et mars dans le nord de Gaza avec des chefs communautaires.
Ces réunions se sont déroulées dans des domiciles privés et une fois au moins à l’hôpital al-Shifa, selon de nombreuses personnes qui y assistaient.
Les autorités israéliennes ont été informées que les réunions avaient lieu dans le cadre du processus de déconfliction et savaient que l’ONU travaillait avec les communautés pour sécuriser les distributions d’aide, selon les travailleurs humanitaires de l’ONU.
Le résultat de ces réunions a été la formation d’une entité semi-officielle dénommée Comités populaires et tribaux de sécurisation de l’aide dans le gouvernorat de Gaza et le Nord de Gaza.
Les comités devaient recevoir au minimum l’approbation tacite du Hamas, pour ne pas risquer de donner l’impression qu’il y avait une cooptation de l’ONU et des comités en faveur des buts de guerre d’Israël ou qu’ils pesaient dangereusement sur les plateaux de la balance du pouvoir politique à Gaza.
Se référant au plan conçu par l’ONU et les comités, Ismail al-Thawabta, directeur du bureau gouvernemental des médias à Gaza, a décrit “une vision unifiée aux niveaux international et local pour que les Nations unies et les tribus participent à la distribution de l’aide sous la supervision générale des agences gouvernementales à Gaza”.
Le ministère du Développement social, qui supervise les programmes de protection sociale en Palestine, a aussi participé à la coordination de ce projet, assurant la transmission de messages de l’ONU aux comités tribaux. Le ministère a des employés à Gaza mais il est en grande partie dirigé par l’Autorité palestinienne basée à Ramallah, qui n’est pas associée au Hamas.
Les personnes participant directement à la sécurisation des livraisons ont elles aussi précisé que le Hamas n’était pas impliqué dans la mise en œuvre sur le terrain du plan qui a été élaboré.
“En ce qui concerne l’implication du Hamas, il n’y a pas parmi nous d’éléments affiliés officiellement au gouvernement de Gaza. Mais nous avons dit, et nous disons, que nous ne serons pas une alternative au gouvernement de Gaza”, a souligné al-Kafarna, le responsable tribal.
Au cours de conversations avec The New Humanitarian, huit Palestiniens ayant participé à ce projet – y compris un membre de la force de police civile – ont indiqué qu’ils agissaient à titre individuel, eux et d’autres personnes, et non sous les instructions d’autorités affiliées au Hamas.
“Je n’étais pas officiellement dirigé par le gouvernement, et l’initiative venait de moi et des jeunes de ma famille”, a affirmé Thaer, habitant de Jabalia, qui était également policier mais n’avait pas travaillé depuis le début de la guerre.
“Nous sommes passés”
Le plan qui a pris forme était le suivant : quand un convoi se mettait en route, l’ONU alertait les comités tribaux, qui répartissaient des gens le long du trajet pour protéger le convoi du pillage et veiller à ce que son chargement soit livré de façon sûre aux entrepôts.
“Notre mission était uniquement de sécuriser les camions et de faire en sorte qu’ils arrivent aux entrepôts des organisations internationales dans de bonnes conditions”, a expliqué al-Kafarna, indiquant que le projet de mise en sécurité procédait en relais, un comité local sécurisant un secteur particulier le long du trajet puis transmettant la tâche à effectuer à un autre comité à mesure que les camions se déplaçaient vers le nord en s’éloignant des checkpoints israéliens.
L’opération d’aide a utilisé avec les autorités israéliennes le même système de déconfliction auquel l’ONU a recours pour communiquer et solliciter un accord pour chaque déplacement de convoi, selon Jamie McGoldrick, qui était alors le coordinateur humanitaire de l’ONU.
“Nous expliquions les détails des plans et des opérations et ce qu’il nous fallait en termes d’accès lors de discussions avec le COGAT, comme nous le faisons avec tous les autres convois”, a précisé McGoldrick à The New Humanitarian. Une fois que l’aide atteignait les installations de stockage, elle était distribuée conformément à un système administratif standard qui alloue des aliments aux Palestiniens enregistrés en fonction de la taille et des besoins de leur famille, a-t-il ajouté.
Pour éviter d’attirer des attaques israéliennes, les comités tribaux défendaient à leurs membres de porter des armes à feu, mais certains de leurs agents portaient quand même des bâtons ou des barres de fer au cas où ils en auraient eu besoin pour repousser des pillards. “Nous rejetons absolument l’idée d’armer nos membres parce que cela les expose au danger et aux attaques de l’armée israélienne”, a affirmé al-Kafarna.
Des tracts, signés par les “Forces de Sécurité Palestiniennes”, ont été distribués dans le nord de Gaza au cours des jours qui ont précédé la première livraison d’aide à la mi-mars, demandant aux gens de ne pas attendre l’aide sur le trajet du convoi et les prévenant que l’aide serait confisquée à toute personne qui essaierait de s’en emparer.
« Nous avons demandé aux citoyens… de ne pas aller attendre les camions, pour que nous puissions travailler et distribuer l’aide tranquillement aux habitations”, a raconté Hamed*, un autre membre du comité d’aide.
Juste avant minuit le 16 mars, un convoi de l’ONU de neuf camions chargés de nourriture a atteint le nord de Gaza, suivi le 17 mars par un autre de 18 camions transportant de la farine, des rations prêtes à manger et des colis d’aliments. Certains des camions ont fait tout le trajet jusqu’au camp de réfugiés de Jabalia.
Le moment était crucial. Le 18 mars, le groupe de travail de l’IPC a lancé un terrible avertissement : la famine était imminente dans le nord de Gaza ; sans un accroissement impressionnant de l’accès de l’aide humanitaire, plus de 200 000 personnes couraient un risque immédiat.
Un reportage d’Al Jazeera montrait des camions émergeant de Jabalia plongée dans l’obscurité et ravagée par les bombes, et s’alignant devant un entrepôt. D’autres vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent des jeunes gens à l’intérieur de l’entrepôt – beaucoup d’entre eux semblent de jeunes adolescents – qui déchargent des palettes, empilent des sacs de 25 kg de farine à la lumière de lampes torches, et se réjouissent ; leurs vêtements sont couverts de farine et l’air est chargé de poussière de farine.
Captures d’écran d’une vidéo montrant des civils qui déchargent des sacs de farine et se réjouissent dans un entrepôt de l’UNRWA à Jabalia après la première livraison d’aide réussie depuis des mois, le 16 mars.
En direct du nord de Gaza lors de l’arrivée des premiers camions, Ismail al-Ghoul, journaliste d’Al Jazeera, expliquait que c’était une “phase test” pour les distributions d’aide au nord assiégé. “S’il n’y a pas de massacres commis par les forces d’occupation, les organisations internationales seront encouragées à envoyer plus de camions dans le nord”, disait al-Ghoul.
« Les camions d’aide humanitaire est arrivée au camp de Jabalia et a été stockée dans des entrepôts de l’UNRWA, et le matin elle a été distribuée de manière organisée et équitable aux habitants », a dit Bilal.
“Les gens avaient terriblement besoin de nourriture. Au début, ils se sont attroupés pour l’obtenir”, s’est rappelé Thaer. “Mais après que nous leur avons parlé correctement, leurs peurs se sont calmées. Nous leur avons promis de leur fournir tout ce qui pourrait leur être fourni, et nous leur avons demandé de se mettre en files régulières pour obtenir leur ration alimentaire.”
Pour la première fois depuis des mois, les livraisons et la distribution se sont déroulées “sans qu’aucun incident soit signalé”, a noté l’OCHA. Et pour la première fois depuis le début de mars, aucun homicide n’a été signalé aucun des deux jours aux ronds-points Koweït et Nabulsi.
« Nous sommes passés ; nous avons fait entrer de la nourriture. Nous avons une démonstration de faisabilité”, a déclaré Petropoulos.
Une série de frappes
Moins de 48 heures plus tard, l’entrepôt de Jabalia – où les jeunes hommes avaient fait la fête au milieu de sacs de farine – a été le premier touché.
La nuit suivante, des forces armées israéliennes ont tiré sur des membres du comité d’aide et d’autres se sont rassemblées près du rond-point Koweït dans la ville de Gaza, tuant au moins 30 personnes , dont Amjad Hathat, un directeur du comité. Mahdi Abdel a aussi été tué, c’était un professeur de maths qui s’était porté volontaire pour aider à sécuriser les convois.
Ces frappes se sont déroulées juste après que Gallant, alors secrétaire à la Défense d’Israël, a signé une lettre au gouvernement des États-Unis avec la promesse que les autorités israéliennes ne feraient pas obstruction à l’aide humanitaire et utiliseraient les armes fournies par les Américains conformément au droit international.
D’autres attaques ont suivi, se succédant rapidement. Elles ont comporté des frappes qui ont tué des individus chez eux aussi bien que des membres de comités tribaux rassemblés dans des localisations-clef pour assurer la sécurité de l’aide arrivant par le nord – en particulier au rond-point Koweït.
Parmi les morts on comptait des membres dirigeants des comités tribaux, des chefs de famille impliqués dans l’aide, des membres de leurs familles, et d’autres civils, selon les informations données par les médias et l’ONU.
Tandis que les efforts pour commencer la livraison de l’aide en sécurité commençaient à se désagréger sous les bombes et les balles, les gens sont retournés aux ronds-points Nabulsi et Koweït et les attaques israéliennes quotidiennes sur les personnes attendant de l’aide dans ces lieux ont repris.
Des employés de l’aide de l’ONU ont dit qu’ils ne pouvaient pas affirmer qu’Israël ciblait délibérément des membres des comités tribaux pour leur rôle dans la sécurisation de la livraison de l’aide. « Ce que je peux dire est que nous savons que dans une situation semblable… la police a été ciblée », a dit Touma, de l’UNRWA, se référant aux attaques sur la police civile qui ont provoqué la formation des comités tribaux.
McGoldrick a ajouté que beaucoup de gens impliqués dans les comités tribaux étaient des notables de Gaza, susceptibles d’être déjà sur des listes de cibles.
Mais pour les membres des comités tribaux, il n’y avait pas de doute. Al-Kafarna a dit qu’il pensait que les dirigeants et membres du comité étaient « spécialement et délibérément visés parce qu’Israël veut imposer le chaos dans la bande de Gaza ».
« Il semble qu’Israël veuille faire croître le chaos et affamer la population jusqu’à ce que nous soyons expulsés vers le sud de Gaza », a ajouté Mamoun*, un autre membre du comité.
The New Humanitarian a demandé à l’armée israélienne de s’exprimer sur la raison et les détails de sept frappes et attaques spécifiques au cours de cette période, en envoyant les coordonnées des lieux où elles ont pris place lorsque c’était possible. « Les FDI ne sont pas au courant des supposées frappes en question » a écrit un porte-parole.
Les frappes sur les comités tribaux ont coïncidé avec des attaques contre des officiers et agents de police au nord de Gaza. Parmi les tués figure Raed al-Banna, un haut fonctionnaire de police de Jabalia, qui était responsable de la facilitation et de la sécurisation de l’arrivée de l’aide au nord de Gaza. Il a été tué avec sa femme et ses enfants lorsqu’une frappe aérienne a écrasé leur maison le 18 mars.
Le 18 mars également, les forces israéliennes ont lancé une attaque de deux semaines sur l’hôpital al-Shifa, où elles ont tué l’officier de police supérieur Faiq al-Mabhouh. Al-Thawabta, porte-parole du gouvernement, a dit qu’al-Mabhouh était chargé de coordonner les livraisons de l’aide au nord de Gaza. Les autorités israéliennes ont insisté sur le fait qu’al-Mabhouh était un combattant de haut rang du Hamas.
On ne sait pas clairement si al-Banna ou al-Mabhouh étaient impliqués dans la coordination avec les comités tribaux, bien que tous les deux fussent des personnalités importantes de l’ensemble de l’action d’aide à Gaza.
Le 22 mars, le HCDH a écrit que l’agence chargée des droits était « alarmée par la récente série d’attaques des entrepôts d’aide, contre les officiers de police et d’autres personnes réputées assurer la sécurité pour la livraison de l’aide humanitaire ».
Nombre de membres des familles et de dirigeants tribaux tués dans la frénésie d’attaques étaient les mêmes que les autorités israéliennes avaient tenté de recruter à peine quelques semaines auparavant.
Tandis que l’intention est difficile à établir, les frappes israéliennes sur les membres des comités tribaux, les officiers de police et d’autres dirigeants locaux pendant cette période ont eu pour effet de tuer un nombre significatif d’individus qui avaient acquis suffisamment d’autorité pour mobiliser un effort civil pour assurer la sécurité des livraisons de l’aide et empêcher que le nord de Gaza ne s’enfonce dans l’anarchie.
« À partir de ce moment-là, nous avons été sur une mauvaise pente » a dit Touma.
Petropoulos, de l’OCHA, a été régulièrement au téléphone avec des dirigeants des comités tribaux tout au long de cette période. « Je vous jure, ce fut le pire jour de ma vie » a-t-il dit, rappelant un appel angoissant après qu’une frappe israélienne a tué des dizaines de civils, dont des membres du comité chargé de sécuriser l’aide.
« Je suis vraiment désolé de ces pertes » s’est-il rappelé avoir dit. « J’ai besoin que vous soyez de retour sur place demain… Je ne sais pas quoi vous dire. Il y a des martyrs et ils meurent pour que leurs familles puissent manger ».
Bilal, le volontaire de Jabalia, n’a cessé de revenir. Il a dit qu’il savait que des personnes comme lui avaient été ciblées et tuées. « Je n’avais pas le choix » a-t-il dit. « Nous allions mourir de faim ou sous les balles ».
Finalement, le 30 mars, une frappe israélienne a tué au moins 19 Palestiniens assurant la sécurité de l’aide, dont plusieurs membres des comités, de même que des civils des environs, au rond-point Koweït, d’après une déclaration des comités tribaux. Le lendemain, les comités ont dit que c’était fini. Au bout de deux semaines meurtrières, ils mettaient fin officiellement à leur engagement dans les efforts conjoints avec l’ONU pour sécuriser l’aide.
« La vérité est que nous nous attendions à être sécurisés et non exposés aux attaques, parce que nous avions accepté de jouer ce rôle à la demande d’organisations internationales » a dit al-Kafarna. « Pourtant, les comités ont été ciblés ».
Comme on lui demandait si les agences de l’ONU s’attendaient à ce que les comités tribaux soient protégés des attaques israéliennes en assurant la sécurité des livraisons de l’aide, Touma a simplement dit : « C’est précisément pour cette raison qu’on constitue un convoi humanitaire ».
Dans une déclaration répondant aux allégations formulées dans cette enquête, un porte-parole du COGAT a écrit : « Les affirmations suggérant qu’Israël tente d’affamer les civils dans le nord de la bande de Gaza sont incorrectes et sans fondement. Les FDI, via le COGAT, opèrent en plein accord avec le droit international pour permettre et faciliter la fourniture d’aide humanitaire en quantité substantielle via les organisations internationales. »
Les suites
Le 1er avril, une frappe d’un drone israélien a tué sept travailleurs humanitaires de l’ONG World Central Kitchen à Deir-al-Balah, dans la partie centrale de Gaza, au sud du corridor de Netzarim. Six travailleurs tués avaient des passeports occidentaux et un était palestinien. Ces morts entraînèrent un niveau de colère internationale que l’inanition dans le nord et le meurtre de dizaines de Palestiniens impliqués dans l’action d’aide n’avaient pas réussi à créer.
« La raison pour laquelle l’armée israélienne considérait le convoi de World Central Kitchen comme une cible légitime était qu’ils prétendaient avoir vu deux hommes armés en haut des camions, ce qui faisait de ce convoi une cible légitime à leurs yeux, a dit Jeremy Konyndyk, président de l’ONG Refugees International.
« Dans le meurtre de membres du comité tribal il y a la même logique consistant à viser des convois d’aide sur le plus mince des prétextes, sans précautions pour protéger le personnel humanitaire » a ajouté Konyndyk qui a aussi revu l’enquête avant publication.
Après quelques jours, sous pression étatsunienne, Israël a consenti à permettre à des boulangeries du nord de Gaza de reprendre leur activité et a dit qu’il ouvrirait de nouveaux chemins d’accès à l’aide dans l’enclave, dont un allant directement au nord – une chose que les agences d’aide demandaient depuis presque le début de la guerre.
La première livraison faite par le nouveau trajet a eu lieu le 12 avril. Si Israël avait accepté plus tôt d’ouvrir des passages directs vers le nord et avait admis plus d’aide, le recours aux comités tribaux n’auraient simplement pas été nécessaire. « Des gens ont payé de leur vie pour cela » a dit Petropoulos en se référant à la mort des membres des comités.
Tandis que des boulangeries se remettaient sur pied et en fonctionnement et que les autorités israéliennes autorisaient plus d’aide et de camions de marchandises à entrer au nord, des équipes de l’ONU ont vu des enfants et des personnes âgées retourner dans les rues. Mais il n’y avait toujours pas assez à manger. Les autorités israéliennes continuaient à bloquer l’entrée de presque tout à part la farine – notamment les compléments nutritionnels nécessaires au traitement de la malnutrition grave, dont souffrent près des deux-tiers des enfants dans le nord. La nourriture qui commençait à apparaître sur les marchés était vendue à des prix d’un niveau choquant. Les frappes israéliennes ont continué à tuer des civils au quotidien , et les travailleurs de l’aide ont continué à être confrontés au quotidien aux tirs israéliens.
Pour autant, le changement a été notable, Petropoulos l’a rappelé. « Soudain, les gens souriaient aux voitures qui passaient. Nous sortions des voitures ; on se serrait la main » a-t-il dit.
Kouta, l’infirmier, se rappelle avoir vu des tomates, des concombres et des fruits sur les marchés au début d’avril, pour la première fois depuis des mois. « C’est alors que j’ai pensé que la situation s’était un peu améliorée » a-t-il dit.
L’amélioration a été rapportée dans une analyse de l’IPC parue fin juin. La situation de sécurité alimentaire dans Gaza était toujours critique mais les prévisions de l’IPC selon lesquelles la famine se produirait dans le nord de Gaza ne s’étaient pas vérifiées parce que les livraisons alimentaires s’étaient accrues en mars et avril, expliquait cette analyse.
Ces améliorations devaient néanmoins être de courte durée.
Même alors que la crise alimentaire s’est allégée, la violence de la bagarre générale que les dirigeants locaux redoutaient a commencé à s’installer. Comme les quelques Palestiniens capables de sécuriser les livraisons de l’aide et de maintenir un certain niveau d’ordre public en raison de leur sens des responsabilités civiques avaient été tués ou découragés par les frappes israéliennes, les « distributions spontanées » où des gens affamés luttaient pour prendre ce qu’ils pouvaient se sont rapidement transformées en attaques organisées de la part de gangs qui revendaient ensuite les marchandises volées à des prix exorbitants .
Début octobre, Israël a annoncé un siège complet des trois centres de population les plus au nord de l’enclave – Jabalia, Beit Hanoun et Beit Lahia – et il a ordonné aux habitants encore présents de partir. Depuis, il a mené là une offensive militaire brutale en bloquant pratiquement l’entrée de toute aide humanitaire, incitant le HCDH à avertir d’une « potentielle destruction de la population palestinienne » de la zone.
Dans toute l’enclave, tant au nord qu’au sud, une situation de violent chaos règne désormais. « Le tissu social est déjà déchiré” a dit Petropoulos. “La violence a atteint un point extrême ».
En tandem avec les restrictions et le siège israéliens continus, la croissance des gangs menant des attaques de convois a causé l’effondrement complet de la disponibilité de nourriture. En novembre, l’IPC a déterminé que la famine était une fois de plus imminente au nord de Gaza et que l’approvisionnement alimentaire « se détériorait fortement » dans le reste du territoire.
La menace des gangs et le rôle par lequel Israël les met en position d’agir, ont été illustrés de manière dramatique lorsque des voleurs armés ont détourné 98 des 109 camions de l’ONU d’un convoi d’aide entré à Gaza à la mi-novembre.
Sur le trajet menant à la frontière, plusieurs employés humanitaires ont dit à The New Humanitarian que des quadricoptères de l’armée israélienne planaient au-dessus des véhicules transportant des travailleurs de l’aide dans leur rotation d’entrée et de sortie de l’enclave ; ils ont ajouté qu’en plus, ils semblaient être indifférents aux pillards qui attaquaient les convois en plein jour.
« L’idée de nous associer aux dirigeants locaux était de nous aider à ne pas atteindre le point auquel nous sommes arrivés maintenant » a dit Touma, ajoutant que l’ONU n’a plus quiconque sur qui compter pour assurer la sécurité aux convois d’aide. « À chaque entrée de camions, nous prenons un risque » a-t-elle dit.
La série de tueries de mars a été un exemple de premier ordre de la façon dont les actions des Israéliens ont systématiquement empêché le leadership local et les acteurs humanitaires pour aboutir au chaos, selon un travailleur de l’aide de l’ONU impliqué dans cette action, qui a demandé l’anonymat pour pouvoir s’exprimer franchement.
« Les choses vont tellement mal et c’est tellement délibéré et cynique que personne en dehors de Gaza ne peut croire que ce puisse être vrai. Israël a appliqué une stratégie visant à transformer la situation pour produire dans le monde entier une perception de Gaza et des Palestiniens exactement conforme à ses vœux, a dit le travailleur humanitaire : ces actes sont odieux et criminels ».
*Des pseudonymes remplacent les prénoms des sources dont les noms sont protégés pour des raisons de sécurité
Omar Nabil Abdel Hamid depuis Le Caire, Riley Sparks depuis Paris, Hajar Harb depuis Londres, et Eric Reidy depuis Le Caire et Boston. Rédaction Eric Reidy.