« Plus rien ne subsiste à Jabaliya » : catastrophes sans fin dans un camp de réfugiés assiégé

Après avoir déjà tout détruit, l’armée israélienne est revenue envahir Jabaliya pour la quatrième fois depuis le début de la guerre.

La guerre d’extermination d’Israël à Gaza approche de son apogée. Au cours des quelques jours passés, l’armée israélienne a lancé une offensive massive, avec des frappes aériennes dans toute l’enclave, une invasion terrestre et un blocus total sur la nourriture, le combustible et les médicaments qui a amené des centaines de milliers de Palestiniens au bord de la famine.

C’est « l’Opération des chariots de Gédéon » que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a décrite comme « la dernière action » à Gaza. La solution finale.

L’ampleur de l’attaque est presque impossible à retracer. Rien que cette nuit et aujourd’hui, les frappes au nord de l’école Musa Bin Nusair de la ville de Gaza, ont tué au moins 13 personnes, dont des enfants qui ont été brûlés à mort. À Beit Lahia, les troupes israéliennes assiègent l’Hôpital indonésien, ouvrant le feu, avec des tanks et des snipers, sur les médecins et les patients à l’intérieur. Une frappe sur une maison dans la ville centrale de Deir al-Balah a tué au moins 12 personnes. Au moins 15 autres ont été tuées dans le bombardement d’une station-service dans le camp de réfugiés de Nuseirat au centre de Gaza. D’autres frappes à Khan Younis au sud ont tué au moins 10 personnes. C’est un compte rendu incomplet d’à peine une demi-journée d’horreurs.

La tuerie est si incessante que le ministère de la Santé, dans son bulletin de l’après-midi publiant le nombre des morts et des blessés confirmés des dernières 24 heures, a aussi commencé à inclure le nombre de tués depuis l’aube du même jour pour essayer de suivre le décompte des corps.

Au milieu de l’après-midi aujourd’hui, 53 Palestiniens avaient déjà été tués. Plus de 100 ont été tués chaque jour au cours des derniers jours — les chiffres officiels sont reconnus comme une sous-estimation.

L’armée continue à donner des ordres de déplacements massifs, dont un couvrant une importante partie de Khan Younis, La deuxième plus grande ville de Gaza. Près de 100 000 Palestiniens ont été déplacés rien que dans les quatre derniers jours.

L’attaque génocidaire est arrivée à un tel degré qu’elle a même poussé les dirigeants du Royaume-Uni, de France et du Canada à publier une déclaration commune appelant « le niveau de la souffrance humaine à Gaza … intolérable » et menaçant de prendre « des actions concrètes » si Israël ne limite pas son attaque et ne lève pas ses restrictions sur l’aide humanitaire. Parallèlement, Adam Boehler, l’envoyé spécial de Trump pour les questions relatives aux otages, a réitéré son soutien à l’attaque militaire renouvelée d’Israël.

Hamza Salha est un journaliste basé dans le camp de réfugiés de Jabaliya, qui a déjà été décimé pendant la guerre et subit de nouveaux ordres militaires de déplacement. Il a écrit ce compte-rendu personnel déchirant pour Drop Site News alors que les troupes terrestres israéliennes avancent rapidement vers le camp.

—Sharif Abdel Kouddous, Chef du Bureau du Moyen-Orient

Un récit de Hamza Salha

CAMP DE RÉFUGIÉS DE JABALIYA, BANDE DE GAZA—Pour la quatrième fois, la machine de guerre israélienne revient détruire ce qui a déjà été détruit dans le camp de réfugiés de Jabaliya. Il y.a eu trois attaques terrestres israéliennes depuis 2023 : de décembre 2023 à la fin de janvier 2024 ; puis une campagne d’un mois à partir du 11 mai ; et une autre qui a commencé le 6 octobre 2024 et s’est achevée avec le « cessez-le-feu » temporaire en janvier 2025. À chaque fois, l’armée israélienne s’est efforcée de raser Jabaliya et d’en faire un désert stérile.

J’ai été témoin de toutes ces opérations. Je vois les bombes tomber encore une fois sur Jabaliya de ma fenêtre, et j’ai survécu jusqu’à présent. J’ai eu faim, j’ai tremblé de peur, et j’ai été déplacé d’innombrables fois. Je suis devenu expert en gestion de crises : comment échapper aux drones, qu’emporter dans un sac d’évacuation, quelles routes prendre, comment suivre les avances de l’armée et comment extraire des survivants et m’extraire moi-même de dessous les décombres. J’ai porté les os et les restes de martyrs dans mes mains. Je ne vis plus une vie normale, remplie de paix et de confort. J’ai maintenant de simples rêves : dormir une nuit entière, m’éveiller pour prendre une douche sous l’eau chaude.

Hamza Salha tenant des restes humains, dans le camp de réfugiés de Jabaliya. Mai 2025. (Photo de Hamza Salha)

Cela a lieu à chaque invasion sur le terrain. Mais cela ne leur suffit pas. Maintenant, l’armée renouvelle son agression contre Jabaliya, menant sa guerre contre la chair des enfants. Ils ont choisi le 15 mai —l’anniversaire de la Nakba— pas seulement pour nous rappeler la catastrophe, mais pour nous la faire revivre. Le cauchemar de tout que j’ai subi pendant les invasions précédentes repasse dans mon esprit comme un enregistrement en boucle à la radio, paralysant ma capacité à penser.

Une question me hante. « Qu’est-ce qu’il y a entre eux et Jabaliya ? Qu’est-ce que Jabaliya leur a fait ? » Rien ne subsiste à Jabaliya, rien que des décombres et des tentes.

Ils reviennent. Les soldats sont presque dans le camp. C’est comme si l’idée même de rétablissement, ou un souffle d’air, nous sont interdits. Depuis que la guerre a recommencé en mars et que toute l’aide a été stoppée, j’ai été dans un état de profonde dépression et de stress sévère. J’ai été blessé au genou il y a quelque temps et la douleur me ronge. Ma tête et mes dents souffrent de la malnutrition. J’ai une infection aux yeux et j’ai l’impression qu’ils vont éclater.

Tout ceci pâlit en comparaison de la vue du dos vouté et du corps fragile de mon père. Mon père, à un moment de sa vie, pouvait battre tous ses collègues au bras de fer. Je l’ai défié cette semaine et j’ai gagné. C’était la première fois de ma vie que mon coeur se brisait à cause d’une victoire. Je ne pouvais pas le croire tout d’abord, et je lui ai donc demandé : « Tu n’utilises pas entièrement ta force et tu essaies juste de me rendre heureux en me laissant gagner, n’est-ce pas ? ». Il n’a pas répondu.

Quand un cessez-le-feu temporaire a été annoncé le 19 janvier, marquant la fin de la troisième invasion terrestre qui avait duré près de quatre mois, les gens sont revenus vers Jababliya, de leur déplacement à l’ouest de la ville de la Gaza et dans le sud, pour vivre dans des maisons à moitié détruites, sous des toits à demi effondrés et dans des tentes qui ne les protègent ni du froid de l’hiver ni de la chaleur de l’été. Ils ont lutté pour trouver assez de nourriture à manger, pour obtenir un unique gallon d’eau ou pour repérer une lumière en fonctionnement afin d’éclairer leurs nuits.

Quand je suis revenu avec ma famille dans notre maison à l’ouest du camp de Jabaliya en janvier, nous l’avons découverte sur le point de s’effondrer. Six des quatorze colonnes de soutien étaient détruites et l’escalier avait été bombardé. Nous n’avons pas pu atteindre les étages supérieurs avant d’avoir remplacé l’escalier de béton par un autre en bois. Depuis l’escalade de l’attaque le 15 mai, ma plus grande peur a été que la maison ne s’écroule sur nous sous la puissance d’une frappe à proximité. J’observe les coins et les piliers et je leur dis : « Que Dieu vous renforce — ne nous trahissez pas, ne nous tuez pas ».

Un escalier de bois construit par Hamza Salha et sa famille pour accéder aux étages supérieurs de leur maison endommagée dans le camp de réfugiés de Jabliya. Mai 2025. (Photo de Hamza Salha)

Ma survie jusqu’à présent dans cette guerre n’a été qu’une fausse échappée ; ou peut-être une mort lente. Cette guerre sans fin effrite mon corps, mon âme et ma santé mentale, jour après jour. Avec chaque frappe aérienne qu’Israël lance sur Gaza, mon cœur tremble et s’arrache presque de ma poitrine. Avec chaque missile, tissus et cellules de mon corps meurent, raccourcissant ma vie. Mon esprit est consumé par la recherche d’un refuge sûr — quelque chose qui n’existe pas à Gaza. C’est comme si un brouillard avait encerclé mon cerveau, m’empêchant de fonctionner normalement, de parler avec les gens, d’exécuter des tâches simples.

La nuit de la Nakba, une nuit sans sommeil, les forces aériennes ont bombardé la zone toutes les quatre minutes. J’ai vécu au milieu des frappes aériennes pendant toute la guerre ; mais les bombes enterrent maintenant tant de maisons et leurs résidents dans de profonds et vastes cratères. Le ciel pleut des missiles et des éclairs d’explosion. Je suis devenu hypersensible à l’odeur de la poudre et des bombes, une odeur qui reste collée à mon esprit depuis le jour où j’ai survécu à la mort et été blessé. La nuit a été une descente dans le puits de l’enfer.

J’ai saisi mon téléphone et j’ai commencé à naviguer sur internet. Le président des États-Unis était au Qatar et j’étais terrifié, cherchant une information quelconque sur un cessez-le-feu, un accord, ou de l’aide humanitaire entrant dans Gaza. J’ai parcouru Instagram et vu des gens riant pendant leurs vacances quelque part. Cela m’a mis en colère — même si je savais que ce n’était pas de leur faute— parce que la joie et le rire sont devenus des luxes pour moi, particulièrement quand un post de gens qui rient est suivi d’informations sur l’extermination d’une famille entière. Je ne peux même pas me souvenir de la dernière fois où j’ai ri de tout mon cœur.

 D’une façon ou d’une autre, avec beaucoup de prières, ma famille et moi avons survécu à cette nuit-là. Mais le matin suivant, j’ai été dévasté par les nouvelles du martyre de ma cousine Huda. Elle n’avait que trente et quelques années. La douleur a rempli la maison et le chagrin s’est gravé sur le visage de mon père. Ses joues familières se sont affaissées. Huda avait été déplacée vers la maison du frère de son mari à Beit Lahia après la destruction de son appartement de la tour Al-Razan dans le camp de Jabaliya. Selon des témoins oculaires, quand le bombardement s’est intensifié, Huda, son mari et leurs trois enfants se sont dépêchés d’évacuer la maison. Son mari et les enfants sont partis devant et juste au moment où elle les suivait, un obus d’artillerie l’a frappée et tuée instantanément.

Le corps de Huda a été enterré au-dessus de la dépouille de sa tante Zainab qui est morte il y a des années. Il n’y avait plus d’espace dans le cimetière pour creuser une nouvelle tombe. Même enterrer les morts est devenu difficile. Huda n’était pas un simple nombre. Ma tante a travaillé dur pour l’élever honorablement et l’éduquer jusqu’à ce qu’elle excelle en tout. Elle était gentille, intelligente et elle est finalement devenue une enseignante d’école primaire dans les écoles de l’UNRWA.

Huda était comme une sœur plus âgée pour moi. Je me souviens encore comment, quand j’étais enfant, elle jouait au volley-ball avec moi, me faisait des sucreries et me posait des questions ingénieuses en arabe.

Que la miséricorde soit sur toi, ma cousine. Je jure que chacun de tes ongles vaut plus que ce monde répugnant, mille fois plus. Je porte témoignage que tu es maintenant dans un lieu meilleur — loin de ce monde cruel, là où il n’y a pas de guerre, ni de meurtres, ni d’injustice.

Un article de Hamza M. Salha, écrivain, fan de pigeons, luttant pour sourire, en vie par erreur et miracle

  • Photo : La vue du camp de réfugiés de Jabaliya depuis la chambre du journaliste Hamza Salha. Mai 2025. (Photo de Hamza Salha)