La détention de Mahmoud Khalil n’est pas seulement le résultat du programme de l’administration de Trump, mais aussi de plus d’une année de panique morale autour des manifestations pro-Palestine.

Mahmoud Khalil a été un visage public du mouvement étudiant pro-Palestine à l’université Columbia et à Barnard College depuis le printemps dernier. Je le connais depuis plus d’un an. Pendant le campement sur le campus, il a été le négociateur principal avec l’administration de Columbia : être humain mûr et paisible, penseur politique subtil, il a œuvré pour désamorcer la situation et l’amener à une résolution pacifique.
La semaine dernière, Mahmoud a rejoint un sit-in étudiant au Centre Milstein de Barnard. La plupart des participants portaient des masques pour cacher leur identité, par précaution, inquiets face à l’administration de Barnard, espérant éviter les campagnes virulentes perpétrées en ligne par quelques-uns de leurs camarades étudiants et amplifiées par des groupes extérieurs — parmi lesquels Mission Canary, une entreprise de longue date qui produit des listes noires, et une organisation plus récemment formée qui s’appelle « Documenter la haine des juifs sur les campus ». Mahmoud n’était pas masqué. Des images de sa présence ont été diffusées sur les réseaux sociaux, à la fois par un étudiant de licence de Columbia et par le professeur de l’école de commerce et enfant terrible Shai Davidai, qui les a adressées spécifiquement à Marco Rubio et l’a exhorté à expulser Mahmoud du pays : « S’emparer illégalement d’un établissement universitaire dans lequel vous n’êtes même pas inscrit et distribuer de la propagande terroriste devrait être une infraction conduisant à une expulsion, non ? ». L’association « Documenter la haine des juifs sur les campus » a fait écho à Davidai, appelant explicitement Rubio à révoquer le visa de Mahmoud. Et maintenant nous y sommes.
Réfugié palestinien, Mahmoud a grandi dans un camp près de Damas. Il a fui vers Beyrouth quand c’est devenu trop dangereux en Syrie et finalement il a réussi à se rendre aux États-Unis pour s’inscrire dans un programme de Master à l’École des Affaires étrangères et internationales de Columbia. Maintenant, une semaine après l’arrivée à son appartement de l’université, dans le quartier de Morningside Heights, des agents de l’immigration qui l’ont emmené, il est incarcéré à un centre de détention de l’immigration en Louisiane, sa carte verte a été révoquée et il court un risque sérieux d’être expulsé. Il pourrait bien être déplacé encore une fois.
Soyons clair : Mahmoud a été enlevé et emprisonné à cause de son discours politique. C’est son discours politique que quelques-uns de nos collègues et étudiants — ainsi que des organisations sionistes comme la Ligue anti-diffamation, les Fédérations juives d’Amérique du Nord et la Mission Canary — n’aiment pas. C’est son discours politique qui les rend non seulement mal à l’aise, mais enragés. Encore et encore, ils ont exploité cette rage pour peindre les politiques pro-palestiniennes comme antisémites, et même comme fournissant un soutien matériel au terrorisme, sans aucun élément de preuve pour justifier leurs allégations.
Nous en savons maintenant beaucoup plus sur la campagne contre Mahmoud et ses pairs. Le 29 janvier — le jour où Trump a signé un décret préparant le travail de terrain pour déporter les étudiants de nationalité étrangère pour leur discours pro-Palestine — le groupe de jeunes sionistes d’extrême-droite Betar a posté qu’il avait envoyé de l’information sur Mahmoud au gouvernement. « Il est sur notre liste d’expulsion », s’est vanté le groupe. Le mois dernier, The Intercept a rapporté que d’anciens élèves de Columbia et des parents pro-Israël ont entretenu un groupe WhatsApp dans lequel ils discutaient, entre autres choses, de dénoncer les manifestants étudiants aux forces de l’ordre, dont le NYPD (police de New York), le FBI (Bureau fédéral d’investigations) et l’ICE (services de contrôle de l’immigration et des douanes). (Il n’est pas clair que Mahmoud faisait partie de leurs cibles). Le militant sioniste Ross Glick a dit à The Forward que le jour du sit-in de Milstein, il avait « discuté de Khalid avec des assistants des sénateurs Ted Cruz et John Fetterman qui avaient promis de ‘faire remonter’ le problème ». (Aucun des deux sénateurs n’a répondu à la demande de commentaires de The Forward). Glick a aussi allégué, sans développer, « que plusieurs membres du Conseil de Columbia avaient aussi dénoncé Khalil à des responsables ». Le jour suivant l’arrestation de Mahmoud, un autre groupe récemment formé, appelé « Association des anciens élèves juifs de Columbia » s’est réjoui de sa détention sur les réseaux sociaux. « La carte verte de Khalil aurait été révoquée. Bien. Une carte verte est un privilège que des millions attendent pendant des années. De même pour avoir le droit d’étudier à Columbia. Khalil les a rejetés… Personne ne devrait se sentir désolé pour lui ».
Ce comportement — nommer des individus spécifiques, les désignant pour qu’ils soient arrêtés et expulsés— revient à une chasse aux sorcières dont nous n’avions pas vu l’équivalent dans ce pays depuis la « Peur des rouges » et le maccarthysme. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment en sommes-nous arrivés au point qu’un militant politique palestinien gentil et réfléchi —un résident permanent légal qui n’a été accusé d’aucun crime — puisse être ramassé par des agents de l’ICE et expédié à un centre de détention à plus de mille miles [1600 km] de là ?
Le péril auquel Mahmoud et d’autres sont confrontés aujourd’hui ne s’est pas matérialisé à partir de rien, il y a deux mois, quand le Président Trump est revenu à la Maison blanche et que le Parti républicain a gagné les trois branches du gouvernement fédéral. La gamme des politiciens démocrates et des citoyens progressistes qui, au cours de la dernière année et demie, ont vilipendé les militants palestiniens et pro-palestiniens méritent de porter leur part de blâme. À la minute où les manifestants ont convergé sur les campus des universités et dans les rues des villes américaines pour s’opposer au massacre à Gaza, ils ont été dépeints comme un danger pour les juifs américains et comme les ennemis des intérêts du pays. Bien avant que les campements aient été installés ou qu’un seul bâtiment ait été occupé, l’administration de Columbia et un bon nombre de ses supporters réprimaient déjà la dissension et mettaient en œuvre des mesures disciplinaires draconiennes ; interdisant Students for Justice in Palestine [Étudiants pour la justice en Palestine] et Jewish Voice for Peace [Voix juive pour la paix] à peine un mois après le début du génocide ; établissant des restrictions déraisonnables en terme de temps, de lieux et de modalités pour les manifestations étudiantes. Quand un campement pacifique a émergé, plutôt que de faire une tentative sérieuse de négociations, l’administration a envoyé la police anti-émeute dès le deuxième jour — tout cela au nom de la sécurité des étudiants, en particulier la sécurité des étudiants juifs.
Le Groupe de travail sur l’antisémitisme de l’université, nommé en novembre 2023, a entre temps publié un long rapport dépeignant l’université comme un endroit décidément dangereux pour les juifs — tous les juifs, n’importe quel juif — et égalant de fait anti-sionisme et antisémitisme, et donc rejetant par là-même les voix des étudiants juifs anti-sionistes.
En septembre dernier, des dizaines d’enseignants juifs ont envoyé à l’administration une lettre de dix pages énumérant un certain nombre de failles profondes dans le document. Il échouait, remarquaient-ils, « à reconnaître (à part une seule phrase en passant) la décimation de Gaza par Israël », effaçant le fait que « les manifestants réagissaient à une catastrophe morale et matérielle » et ne dénigraient pas une identité juive en tant que telle ; il ne corroborait pas de nombreux récits racontés par des étudiants juifs qui affirment se sentir ou être en danger, et ne précisait pas clairement quand certains incidents allégués s’étaient produits hors du campus ; et il ne faisait « aucun effort pour distinguer » entre les incidents de biais, de discrimination, de manque de sécurité ou d’exclusion authentiques et « les discussions ou slogans qui faisaient que certains étudiants juifs se sentaient mal à l’aise ou avec lesquels ils étaient en désaccord ». Comme je l’ai argué dans ces pages, de tels appels à la « sécurité » assimilent régulièrement la sécurité réelle, physique, avec des sentiments d’inconfort des étudiants et reposent sur des définitions trop larges de l’antisémitisme qui englobent presque tout discours politique anti-sioniste et, d’ailleurs, presque tout discours politique palestinien. Le rapport du Groupe de travail n’est pas une exception : la « définition de travail » de l’antisémitisme qu’il propose « dans un objectif de pédagogie et de formation seulement » inclut « certain doubles standards appliqués à Israël », parmi lesquels « des appels au désinvestissement seulement d’Israël » — une définition qui engloberait virtuellement l’intégralité du mouvement étudiant pro-Palestine. Dans sa lettre d’information cette semaine pour the Chronicle of American Higher Education [Chronique de l’enseignement supérieur américain], Len Gutkin a écrit que, dans « les circonstances actuelles » de la campagne de la droite contre les universités d’élite, les rapports du Groupe de travail « ressemblent un peu à une confession que l’accusé aurait glissé au procureur ».
Tous mes collègues qui promeuvent cette rhétorique — chaque membre du Groupe de travail, chaque collègue, chaque étudiant qui a twitté des accusations non étayées contre des étudiants individuellement et contre des groupes d’étudiants : eux aussi ont rendu possible l’arrestation de Mahmoud. Leur discours a produit des conséquences matérielles désastreuses. Mahmoud n’est pas en sécurité. La question n’est pas de savoir comment il se sent. Il est en danger réel, et chaque personne qui a contribué à fabriquer une panique morale autour des étudiants luttant pour arrêter l’annihilation pure et simple des Palestiniens de Gaza — et de plus en plus aussi de Cisjordanie— porte une responsabilité morale pour ce fait. Ils ont aidé à produire et à renforcer un récit qui a, en réalité, fait un crime d’être simplement un Palestinien dans ce pays, et Mahmoud Khalil paie pour cela un prix déraisonnable.
Nadia Abu El-Haj est Professeur Ann Olin Whitney d’anthropologie à Barnard College et Columbia University, et codirectrice du Centre des Études sur la Palestine à Columbia. Elle est autrice de Facts on the Ground: Archaeological Practice and Territorial Self-Fashioning in Israeli Society; The Genealogical Science: The Search for Jewish Origins and the Politics of Epistemology; et
plus récemment de Combat Trauma: Imaginaries of War and Citizenship in post–9/11 America.
- Photo : Robert Nickelsberg/Getty Images. Une pancarte appelant à la libération de Mahmoud Khalil après sa detention par l’ ICE, New York 13 mars