Nous écrivons au nom du Comité pour la liberté académique de la Société britannique des études sur le Moyen Orient (BRISMES) et de la Société des études sur le Moyen Orient (SeSaMO) afin d’exprimer notre grave préoccupation quant au traitement du professeur Joseph Daher.
Au Recteur de l’Université de Lausanne, le Professeur Frédéric Herman
Envoyé par email à : recteur@unil.ch
13 mars 2025
Cher Professeur Frédéric Herman,
Nous écrivons au nom du Comité pour la liberté académique de la Société britannique des études sur le Moyen Orient (BRISMES) et de la Société des études sur le Moyen Orient (SeSaMO) afin d’exprimer notre grave préoccupation quant au traitement du professeur Joseph Daher. Nous comprenons que le professeur Daher a fait l’objet d’une procédure arbitraire de la part du rectorat de l’Université de Lausanne (UNIL), qui a conduit au non-renouvellement de son contrat (signé en mai 2024) de professeur invité pour le semestre de printemps 2025. Cette prise de position soudaine, injustifiée et infondée prive ses étudiants de son enseignement à l’UNIL, en dépit du fait que son séminaire intitulé « Histoire des relations internationales post-1945 » figure sur le programme depuis des mois. Les étudiants qui travaillent sur leur mémoire de Master sous sa supervision en ont aussi été privés du jour au lendemain. Ces procédures arbitraires et injustifiées s’inscrivent dans le contexte du soutien non dissimulé du professeur Daher aux étudiants qui manifestent en soutien aux droits des Palestiniens et de la répression généralisée contre cette mobilisation dans les universités sur tout le continent.
Fondée en 1973, BRISMES est la plus grande association académique nationale d’Europe, centrée sur les études sur le Moyen Orient et l’Afrique du Nord. SEMOMM, fondée en 2024, développe des programmes d’études moyen orientales et nord-africaines en France et dans des pays francophones. SeSaMO, créée en 1995 est l’association italienne pilote spécialisée dans les études sur le Moyen Orient et l’Afrique du Nord. Nos organisations sont engagées dans le soutien à la liberté académique, tant au sein de la région qu’en lien avec l’étude de la région, en Europe et dans le monde.
Nous comprenons que le contrat du professeur Daher n’a pas été renouvelé, au motif qu’il avait prêté sa carte d’accès à l’université à une personne qu’il connaissait bien pour qu’elle puisse se rendre à son bureau se reposer et ranger ses affaires. Cette pratique étant apparemment commune sur le campus et parce que nous comprenons que rien de fâcheux n’est arrivé lorsque la personne en question a utilisé sa carte d’accès, la punition infligée au professeur Daher paraît hautement discriminante et disproportionnée ; mais aussi, elle a été prise via une procédure arbitraire qui ne lui laisse aucune opportunité de contester formellement les motifs du non-renouvellement, étant donné qu’aucune condamnation disciplinaire n’a été formulée. Le non-renouvellement de son contrat le prive des ressources financières qui y sont associées. Nous notons que ses collègues du Conseil des enseignants de sciences sociales et politiques ont voté à l’unanimité (30 voix pour et 4 abstentions) le soutien au professeur Daher et une protestation contre le traitement qui lui est réservé.
Le non-renouvellement du contrat du professeur Daher se produit après des mois de pressions inacceptables des gestionnaires de l’UNIL au sujet d’un soi-disant manque de qualification lui permettant de parler de la Palestine, alors que ses qualifications académiques démontrent clairement qu’il les possède ; c’est aussi à cause d’un post sur Facebook dont certains ont prétendu qu’il était antisémite, bien que cette accusation ait été abandonnée par la suite. En outre, nous sommes profondément inquiets de ce que la direction de l’UNIL n’ait fourni aucune protection au professeur Daher contre la campagne de dénigrement dont il est l’objet depuis plusieurs mois dans la presse germanophone et francophone de Suisse en lien avec sa défense des droits fondamentaux et son engagement à soutenir les revendications d’étudiants de l’UNIL mobilisés en soutien à la cause palestinienne.
Le professeur Daher est un spécialiste internationalement reconnu d’histoire politique du Moyen Orient. Auteur de plusieurs livres sur les sociétés du Moyen Orient, il est titulaire de deux doctorats (l’un de l’UNIL en sciences politiques, l’autre de la célèbre université SOAS de Londres, en sciences du développement). Il a enseigné dans plusieurs universités européennes (Gand et Paris-Dauphine) et, depuis plusieurs années, il était professeur invité au prestigieux Institut de l’Université Européenne de Florence. Il est aussi impliqué dans de nombreuses recherches et missions de consultation pour des organisations internationales, des ONG et des instituts de recherche. Son expertise est régulièrement recherchée par les médias internationaux.
La mise à l’écart du professeur Daher s’inscrit dans un contexte de répression accrue contre les intellectuels et les étudiants qui défendent les droits des Palestiniens. Nous faisons face actuellement à de graves violations des principes fondamentaux de la liberté académique et de la liberté d’expression dans de nombreux contextes, ainsi que l’a mis en évidence la rapporteure spéciale de l’ONU sur le droit à l’éducation, Farida Shaheen, dans son rapport « Les principes de la mise en œuvre du droit à la liberté académique, ainsi que par la rapporteure spéciale de l’ONU sur la liberté d’expression, Gina Romero, comme le montrent ses recommandations aux universités dans le contexte de la mobilisation croissante de la solidarité avec les Palestiniens. Nous notons que le professeur Daher a soutenu des revendications d’étudiants pour la transparence des partenariats avec des universités en Israël et pour la suspension de ces accords au nom du principe de précaution et qu’il a le droit à la liberté d’expression sur ces questions. Nous comprenons le traitement réservé au professeur Daher dans le contexte de ces éléments plus larges et profondément préoccupants.
Comme vous le savez sans aucun doute, la liberté d’expression, qui inclut la liberté académique, est protégée par de nombreux instruments concernant les droits humains et par des organisations internationales dont la Suisse est membre ou signataire. La Cour Européenne des Droits de l’Homme traite la liberté académique comme un aspect particulier de l’article 10 de la Convention Internationale sur les Droits Économiques, Sociaux et Culturels et la liberté d’expression est protégée par l’article 19 de la Convention Internationale sur les Droits Civils et Politiques.
Donc nous écrivons pour exprimer notre profonde inquiétude sur cette situation. Les mesures prises par la direction de l’UNIL semblent être en ligne avec la longue série d’attaques nationales et internationales contre la liberté de penser, d’enseigner, de faire de la recherche et d’apprendre qui ont affecté et continuent d’affecter des enseignants, des chercheurs et des étudiants. Elles menacent les droits démocratiques fondamentaux de tous.
Aussi exigeons nous la réintégration immédiate de notre collègue, le professeur Daher, dans son enseignement et ses tâches au sein de la Faculté de sciences sociales et politiques de l’UNIL.
Dans l’attente de votre réponse
Sincèrement,
Nicola Pratt, professeur
Président de BRISMES
Dr Lewis Turner
Président du Comité pour la Liberté Académique de BRISMES
Rosita Di Peri, professeure
Présidente de SeSaMO
Dr Maria Chiara Rioli
Présidente du Comité pour la Liberté Académique de SeSaMO
Éric Verdeil, professeur
Président de SEMOMM