L’un avait vécu 101 ans, l’autre, juste deux heures : L’histoire de la victime la plus âgée de Gaza et celle de la plus jeune

Le Guardian recherche les familles de l’arrière-arrière-grand père et de la petite nouvelle-née.

Le ministère de la Santé de Gaza a identifié 34.344 Palestiniens tués par les attaques israéliennes dans le territoire, publiant une liste des noms, âge, sexe et numéro d’identité qui recouvre plus de 80 % des Palestiniens tués jusqu’ici dans la guerre.

Ahmed al Tahrawi

Le premier travail de Tahrawi a été cuisinier dans un camp de l’armée britannique près de son village, quand sa maison faisait partie de la Palestine mandataire et gouvernée depuis Londres.

Il est né en 1922 à al-Masmiyya, qui n’existe aujourd’hui que sous forme d’un tas de ruines, d’un souvenir qui s’estompe et d’un carrefour de routes israéliennes à environ une demie heure de voiture de la frontière nord de Gaza.

Ses habitants ont fui pendant la Nakba, ou catastrophe, de 1948, au cours de laquelle environ 700.000 Palestiniens ont été expulsés de leur terre natale après la création d’Israël.

Tahrawi avait 26 ans cette année là et était père de deux jeunes garçons. La famille a quitté son ancienne vie à pied, ne transportant guère plus que la clef de leur maison dans le village qu’ils ne reverraient jamais plus, a dit son petit-fils Abd al-Rahman al-Tahrawi.

Les garçons n’ont pas survécu à la fuite en exil et alors, à Bureij, camp de réfugiés à Gaza, Ahmed al-Tahrawi et sa femme ont pris un nouveau départ, reconstruisant leur famille, leur foyer et leur vie à partir de zéro. La clef de leur maison de Masmiyya est toujours restée accrochée sur leur mur, où qu’ils aient vécu, souvenir de tout ce qu’ils avaient perdu.

Tahrawi a travaillé comme tailleur, puis a dirigé une petite boutique, et a élevé des générations d’une grande et aimante famille. Il a vécu assez longtemps pour connaître ses arrière-arrière-petits enfants et a été mentalement et physiquement alerte jusqu’à la fin.

Dans une vidéo familiale filmée quelques mois avant la guerre, alors qu’il avait déjà 100 ans, il essaie d’apprendre comment dire « I love you » en anglais à sa femme. Alors qu’il imite ces mots inhabituels dans un sourire, la pièce se remplit de rires. La clef de la vieille maison pend sur le mur derrière lui.

« Il allait nous quitter bientôt, mais il n’est pas parti normalement », a dit son petit-fils.

La maison d‘un seul niveau de Tahrawi à Bureij avait un toit en amiante ondulée, il a donc déménagé au début de la guerre chez une de ses filles avec l’espoir que le toit en ciment offrirait une meilleure protection contre les frappes aériennes israéliennes, mais le 23 octobre, la maison de sa fille a été bombardée.

Douze personnes ont été tuées sur le coup et huit ont été blessées, dont Tahrawi. Il a été emmené à l’hôpital souffrant de saignements internes, mais à cause de l’encombrement des salles et de la pénurie d’équipement médical, les médecins ont donné la priorité aux jeunes.

Il est mort une semaine plus tard, laissant sa famille dans le chagrin. « Mon grand-père n’appartenait à aucune organisation militaire et il n’était coupable d’aucun crime », a dit son petit-fils. « Ce n’était qu’un vieil homme qui ne pouvait faire de mal à personne. »

Au début de la guerre à Gaza, Tahrawi avait 126 descendants vivants, et cependant seuls 90 ont survécu cette année. Quand il est mort, le plus âgé de ses petits enfants avait 53 ans et le plus âgé de ses arrière-arrière-petit-enfants avait cinq ans.

Abd al-Rahman al-Tahrawi a 26 ans, en quelque sorte au milieu de ce nombreux clan, du même âge que son grand-père lorsqu’il a fui vers Gaza. Les horreurs qu’il avait apprises par les vieilles histoires sont maintenant devenues sa propre vie ; la famille a été déplacée six fois à l’intérieur de la Bande et il n’a plus son grand-père pour l’aider et l’inspirer.

« Quand j’ai perdu mon grand-père, je me suis senti très triste, dans un vide extrême », a-t-il dit. « J’étais son préféré. Il va me manquer et les histoires de ses aventures, nos rencontres et le son de son rire. »

Waad Walid Samir al-Sabah

Waad Walid Samira al-Sabah a survécu deux heures à une césarienne en urgence. Photographie : fournie

Waad n’était pas encore née quand une frappe aérienne israélienne a enterré sa mère, Salam al-Sabah, sous une avalanche de décombres. La cible de cette frappe du 15 février était une maison de voisins, mais la bombe était si grosse qu’elle a fait également s’effondrer certaines parties de la maison familiale des Sabah.

Les sauveteurs se sont précipités sur le site, mais ont dû travailler sans équipement lourd et il leur a fallu plus d’une heure pour libérer Sabah, qui était enceinte de neuf mois. Déjà mère de quatre fils, elle avait espèré faire la connaissance de sa première fille dans les jours à venir.

Son oncle par alliance, Eid Sabah, est directeur des soins infirmiers à l’hôpital Kamal Adwan. Il était de service quand les membres de sa famille ont été amenés, tellement recouverts de poussière et de suie à la suite de l’explosion qu’il ne les d’abord pas reconnus.

« Je n’ai réalisé qui ils étaient qu’après que certains d’entre eux aient commencé à crier mon nom. Je me suis brièvement figé sous le choc, mais je me suis alors suffisamment repris pour commencer à les examiner », a-t-il dit.

C’était trop tard pour sa nièce, mais le bébé à naître dans l’utérus luttait encore pour la vie, et le docteur a alors pratiqué une césarienne en urgence et s’est précipité avec Waad vers les soins intensifs. Elle a survécu deux heures.

« Ce qui m’a rendu le plus triste, c’est de remettre en même temps le certificat de naissance et le certificat de décès de Waad », a dit Eid Sabah. Et la mère et la fille auraient pu être sauvées si elles avaient pu être soignées plus vite, a-t-il ajouté.

Elles ont été enveloppées dans un seul linceul, Salam tenant Waad, et enterrées dans une tombe partagée à côté du fils de 11 ans de Salam, Asid.

La famille avait fui sa maison au nord à Talal-Zaatar au début de la guerre, après les avertissements d’Israël disant d’évacuer la zone, et a passé des mois à aller de maisons de parents à des abris pour personnes déplacées.

Cette expérience faisait écho aux histoires que Salam al-Sabah avait entendues de ses grands-parents quand il était enfant. En 1948, ils avaient fui leur maison dans le village de Burayr, environ 15 kilomètres au nord de la frontière de Gaza dans ce qui est maintenant Israël, et se sont installés dans le camp de réfugiés de Jabaliya.

Sabah était enceinte de cinq mois de Waad au début de la guerre Israël-Gaza, et se déplacer devenait de plus en plus difficile. Quand les forces israéliennes se sont retirées de la zone de leur maison, la famille a décidé d’y retourner, même alors que le bâtiment était gravement endommagé à l’intérieur et à l’extérieur.

Au moins, c’était leur maison, ont-ils estimé, et relativement sûre. Et alors, le 15 février, Israël a bombardé une propriété voisine sans avertissement, a dit son oncle.

« La maison qui a été bombardée était vide. Ils auraient pu avertir les propriétaires des maisons du voisinage et leur demander d’évacuer. S’ils l’avaient fait, les membres de ma famille seraient encore en vie et la petite Waad aurait rempli la maison du bruit de ses rires et de ses pleurs. »

  • Photo : Ahmed al-Tahrawi a vécu assez longtemps pour connaître ses arrière-arrière-petits enfants et est resté mentalement et physiquement alerte jusqu’à la fin. Photographie : fournie