Les prisonniers palestiniens décrivent une maltraitance systémique dans les prisons israéliennes

Les interviews du Guardian confirment le rapport de l’association de défense des droits B’Tselem, qui dit qu’on devrait maintenant qualifier les prisons de ‘camps de torture’.

Violence, faim intense, humiliation et autres mauvais traitements des prisonniers palestiniens sont devenus la norme dans tout le système carcéral d’Israël, d’après les interviews par le Guardian de prisonniers libérés, la maltraitance étant maintenant tellement systémique que l’association de défense des droits B’Tselem dit qu’il faut la considérer comme une politique de « mauvais traitements institutionnalisés ».

D’anciens détenus décrivent des abus allant de sévères passages à tabac et de violence sexuelle à des rations de famine, refus de soins médicaux et privation de besoins élémentaires tels que l’eau, la lumière du jour, l’électricité et l’hygiène, y compris le savon et les serviettes hygiéniques pour les femmes.

Dans une enquête de plusieurs mois, B’Tselem a interviewé 55 anciens prisonniers détenus dans 16 prisons de l’administration pénitentiaire et centres de détention régis par les Forces de Défense Israéliennes (FDI), cartographiant l’ampleur et la nature de la maltraitance. Cette association hautement respectée située à Jérusalem a conclu qu’on devrait maintenant qualifier les prisons d’Israël de « camps de torture ».

« Lorsque nous avons démarré le projet, nous pensions que nous trouverions des preuves sporadiques et ça et là des preuves extrêmes, mais le tableau qui a émergé est complètement différent », a dit Yuli Novak, directrice générale de l’organisation.

« Nous avons été choqué-e-s par l’ampleur de ce que nous avons entendu. En tant qu’organisation israélo-palestinienne, c’est inconfortable de dire qu’Israël gère des camps de torture. Mais nous avons réalisé que c’est ce à quoi nous assistons. »

Le Service Carcéral Israélien (SCI) a dit qu’il travaillait conformément à la loi et sous la surveillance du contrôleur de l’État. « Nous n’avons pas connaissance des réclamations que vous avez décrites et, à notre connaissance, aucun événement de ce genre n’a eu lieu sous la responsabilité du SCI », a-t-il dit dans une déclaration. Les conditions des détenus s’étaient singulièrement améliorées tout au long de la guerre, a-t-il ajouté.

Il y a eu quantité de rapports sur des traitements arbitraires, cruels et dégradants de détenus palestiniens depuis l’attaque du 7 octobre par le Hamas – le monde extérieur n’a qu’un aperçu des conditions à l’intérieur des prisons étant donné qu’Israël en refuse l’accès aux avocats, membres de la famille et inspecteurs de la Croix Rouge.

En juillet dernier, de nombreux membres du parlement, soutenus par une foule d’extrême droite, se sont introduits dans deux bases militaires pour protester contre l’arrestation de neuf hommes après le viol brutal d’un détenu dans le centre de détention de Sde Teiman. Le député Tally Gotliv a dit à la foule que les troupes israéliennes méritaient une totale impunité, quelles que soient leurs actions.

Anciens baraquements devenus un centre de traitement des personnes arrêtées à Gaza, on a suggéré que souffrir à SdeTeiman était une exception horrible et temporaire créée par la guerre à Gaza.

Le témoignage de détenus et le rapport de B’Tselem suggèrent cependant qu’il s’agit simplement d’une composante particulièrement violente d’un système abusif, et les cas de maltraitance ne sont pas des actes de violence non sanctionnés.

Au contraire, on suggère que, sous la direction du ministre d’extrême droite de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, la maltraitance est devenue une composante intégrale du régime pénitentiaire d’Israël.

Au moins 60 personnes sont mortes en détention israélienne depuis le début de la guerre à Gaza, en comparaison des un ou deux morts par an auparavant.

Le Guardian a mené des interviews séparées de huit détenus, majoritairement arrêtés sans charges et libérés sans procès, qui ont décrit des schémas de maltraitance correspondant à ceux documentés par B’Tselem.

Des chercheurs de terrain en Israël et à Jérusalem Est occupée, en Cisjordanie et à Gaza ont récolté des dizaines de témoignages, de rapports médicaux, d’autopsies et autres preuves.

Ils ont trouvé des témoignages concordants et généralisés de sévère violence arbitraire, d’agression sexuelle, d’humiliation et dégradation, famine, conditions délibérément malsaines, surpopulation, refus de traitement médical, interdiction de pratiques religieuses et refus de visites de conseil juridique et de famille.

Plusieurs témoins qui ont parlé avec le Guardian ont donné des détails sur trois assassinats : Thaer Abou Asab et Abdoul Rahman al-Maari, qui ont paraît-il été battus à mort par les gardiens, et Mohammad al-Sabbar, qui est mort d’une maladie chronique. Les compagnons de cellule ont dit qu’après le 7 octobre, on ne lui a fourni ni médicaments ni le régime spécial dont il avait besoin.

En plus de l’utilisation de la violence directe et des restrictions de déplacement, les Palestiniens déclarent depuis longtemps que l’emprisonnement est un élément essentiel des 57 ans d’occupation israélienne : diverses estimations suggèrent que jusqu’à 40 % des hommes palestiniens ont été arrêtés au moins une fois dans leur vie.

Avant le 7 octobre, 5.200 Palestiniens étaient détenus dans les prisons israéliennes, dont 1.200 en détention administrative, qui permet une détention à durée indéterminée, sans charges ni procès. Les vagues intensives d’arrestations dans la foulée de l’attaque du Hamas font que le nombre des prisonniers a enflé jusqu’à 9.623 début juillet.

Parmi eux, 1.402 prisonniers de Gaza sont classés comme « combattants illégaux » dans le cadre d’une législation d’urgence, qui permet également la détention sans charges ni procès. Les FDI disent que cette mesure est conforme au droit international.

Firas Hassan, 50 ans, de Bethléem, qui travaille au ministère de la Jeunesse, a été arrêté en 2022 selon un ordre de détention administrative. Les conditions étaient alors acceptables, a-t-il dit au Guardian : il y avait des douches avec de l’eau chaude, une nourriture décente, du temps dehors dans la cour, et environ six prisonniers par cellule, chacun avec sa propre couchette.

Début 2023, Ben Gvir a été nommé ministre en charge des prisons. Il s’est immédiatement arrangé pour se débarrasser de ce qu’il a appelé des « pertes » pour les détenus palestiniens, tels que du pain frais, et il a limité le temps d’une douche à quatre minutes.

Mais ces changements n’étaient rien comparés à ce qui s’est passé après le 7 octobre, a dit Hassan. « Il y avait du respect avant. Mais après le 7 octobre, j’étais sûr que j’allais mourir là. J’ai perdu tout espoir. »

Hassan a décrit des conditions communes à beaucoup des interviews. Il a dit que lui et ses compagnons de cellule – jusqu’à 30 personnes dans la même cellule prévue pour sept – étaient frappés, parfois plusieurs fois par jour. Il a dit qu’un compagnon de cellule blessé lui a déclaré à travers ses larmes, après un incident particulièrement brutal en novembre, que les gardiens l’avaient violé avec un bâton.

Avec peu d’eau et pas d’installation pour la toilette ni vêtements propres, les conditions sont rapidement devenues insalubres. La nourriture pour toute la chambrée consistait en un morceau de viande, un gobelet de fromage, une demie tomate et un demi concombre le matin, et environ cinq cuillerées de riz non cuit par personne pour le dîner. Il y avait une bouteille de 2 litres d’eau à se partager pour la chambrée.

« Les gardiens m’ont dit, nous vous donnons suffisamment pour vous maintenir en vie, mais s’il ne tenait qu’à nous, nous vous laisserions mourir de faim », a-t- dit. A sa libération sans charges en avril, Hassan avait perdu 22 Kg.

Hassan a aussi entendu les cris de Thaer Abou Asab, 38 ans, qui a apparemment été battu à mort dans la cellule voisine de la notre après avoir refusé de s’incliner devant les gardiens.

Un autre témoin, Mousa Aasi, 58 ans, du gouvernorat de Ramallah, a dit au Guardian qu’après avoir été battu, Asab a été traîné dans la cour à la vue de tous les détenus. « Ils ont dit qu’il était mort plus tard à l’hôpital, mais je pense qu’il était déjà mort », a-t-il dit.

  • Photo tirée du rapport de B’Tselem “Welcome to Hell” (Bienvenue en enfer) sur les abus et le traitement inhumain infligés aux Palestiniens détenus par Israël depuis le 7 octobre 2023.