Le 3 août est une Journée de solidarité avec Gaza et les prisonniers politiques palestiniens. Neuf soldats israéliens ont été arrêtés pour avoir abusé sexuellement d’un détenu. L’avocate Janan Abdu rapporte à l’Humanité des témoignages terribles.
La mobilisation internationale a permis de briser le mur du silence israélien. Depuis des mois maintenant, des organisations de défense des droits humains dénoncent les conditions de détention des Palestiniens arrêtés dans la bande de Gaza et emprisonnés à Sde Teiman, une base militaire dans le désert du Néguev (Anakab pour les Arabes), près de la ville de Beer-Sheva (Bir al-Saba), officiellement pour y placer les « combattants illégaux », selon une loi israélienne adoptée en décembre 2023.
Une définition assez floue pour enfermer n’importe quel Palestinien. L’association représentant les prisonniers a appelé à une enquête internationale sur les allégations de mauvais traitements.
Près de 10 000 prisonniers palestiniens détenus par Israël
Qadura Fares, chef de la Commission des affaires des détenus et des ex-détenus (qui participera en septembre à un débat à la Fête de l’Humanité sur cette question), a indiqué le 29 juillet qu’il y avait eu plusieurs rapports d’abus à Sde Teiman. « Chaque jour, alors que nous sommes témoins des massacres contre notre peuple à Gaza, nous entendons des témoignages horribles et durs de la part des équipes juridiques et des détenus qui sont libérés », a-t-il expliqué à l’Humanité.
Proche de Marwan Barghouti, il est à l’origine de la « Journée internationale de solidarité avec Gaza et les prisonniers palestiniens », qui se tient le 3 août. Un moment fort d’expression pour rappeler que, depuis le mois d’octobre, le nombre de détenus palestiniens dans les geôles israéliennes est passé de 4 500 à 9 700, selon l’association palestinienne Addameer.
Avocate et militante des droits humains, basée à Haïfa, Janan Abdu raconte à l’Humanité les difficultés rencontrées pour avoir accès aux prisonniers. Alors qu’elle comptait se rendre à Sde Teiman pour s’entretenir avec deux Palestiniens, elle a été avertie, la veille, que ceux-ci avaient été transférés à Ofer, une prison militaire à l’ouest de Ramallah, Sde Teiman devenant de fait une sorte de gare de triage inhumaine.
Elle s’y est rendue avec un confrère. « Ça a été une expérience difficile, confie l’avocate. Un véhicule militaire avec 3 soldats est arrivé et nous a emmenés dans le camp de prisonniers. Il était interdit de prendre autre chose que des documents légaux. La visite était limitée à 45 minutes, les soldats ne nous l’ont dit qu’après 40 minutes, ce qui a rendu notre tâche plus difficile. »
Les détenus étaient méfiants au départ, ne sachant pas qui étaient ces deux personnes, les deux premières qu’ils voyaient depuis leur arrestation et qui n’étaient ni des soldats ni des enquêteurs. Certains d’entre eux étaient déjà détenus depuis quatre à six mois.
Des tortures récurrentes et des punitions collectives
Les récits qu’a alors entendus Janan Abdu sont terribles, faits de tortures, de privations en tout genre et d’un manque d’hygiène provoquant des maladies. Ils avaient les yeux bandés et les membres menottés.
Réveillés à 6 heures du matin et forcés de rester éveillés jusqu’à 23 heures, « on les obligeait à se tenir à genoux, on ne leur permettait pas de bouger ou de parler, et ceux qui ne respectaient pas cet ordre recevaient une punition, celle-ci pouvant être collective. Les soldats israéliens ont aussi utilisé des chiens qui sautaient sur les prisonniers, ils tabassaient régulièrement les détenus et les agressaient sexuellement ».
Autre forme de torture, ce que les soldats appellent le « disco room ». Le prisonnier est enfermé dans une pièce sans fenêtre et est soumis à la diffusion de musique à volume très élevé. Cela peut durer de plusieurs heures à plusieurs jours.
Israël corrobore les témoignages de prisonniers
Des témoignages qui viennent d’être corroborés par Israël même. Les révélations publiées par la presse, les récits des Palestiniens libérés et les dénonciations par les organisations de défense des droits humains ont forcé les autorités israéliennes – qui, jusque-là, démentaient tout abus – à agir en accusant des soldats présentés comme des brebis galeuses.
Neuf d’entre eux ont été arrêtés pour avoir abusé sexuellement d’un détenu, selon les médias israéliens. « Une farce » destinée à tromper l’opinion publique mondiale quant à l’emploi systématique de la torture contre les prisonniers palestiniens, selon Qadura Fares. Deux des neufs militaires ont déjà été libérés.
Muhammad Abu Salmiya, le directeur de l’hôpital al-Shifa à Gaza, lui-même arrêté puis relâché, affirme que plusieurs détenus étaient morts dans des centres d’interrogatoire et qu’ils avaient été battus. L’Association pour les droits civiques en Israël (Acri) ainsi que les Médecins pour les droits de l’homme et d’autres organisations demandent la fermeture de ce centre de détention qu’est Sde Teiman.
Depuis le 7 octobre, Israël a suspendu l’accès du Comité international de la croix-rouge (CICR) à tous les détenus palestiniens, qu’ils soient de Gaza ou de Cisjordanie. Le Comité de l’ONU pour les droits humains a publié un rapport ce 31 juillet dans lequel il est affirmé qu’«au moins 53 détenus palestiniens sont morts dans des installations militaires et des prisons israéliennes depuis le 7 octobre.»
- Photo : 9 geôliers israéliens ont été arrêtés à la prison militaire de Sde Teiman après avoir violé un prisonnier palestinien. © Ali Hamad apaimages/SIPA