L’équipe juridique d’Afrique du Sud dit que « l’intention est claire » dans le génocide par Israël à Gaza

Les avocats présentent des centaines de pages de preuves, respectant la date limite donnée par la CIJ pour prouver, sur le papier, qu’Israël est coupable de génocide à Gaza.

Johannesburg, Afrique du Sud – Alors que les experts juridiques sud-africains étaient la semaine dernière dans un lieu gardé secret, dans une course contre la montre pour finaliser des centaines de pages de preuves prouvant l’intention d’Israël de commettre un génocide à Gaza, en Israël, des dirigeants rassemblés près de la frontière de Gaza appelaient à ce que la Bande assiégée et bombardée soit vidée des Palestiniens.

Pendant le colloque « préparant à s’installer à Gaza », qui se tenait dans une zone militaire à accès restreint à Be’eri lundi dernier [le 21 octobre], le ministre israélien de la Sécurité Itamar Ben-Gvir a été enregistré en train d’appeler à une « migration » des habitants actuels de Gaza et à la possibilité d’une future expansion coloniale israélienne là-bas — ce qui est considéré comme illégal selon le droit international.

« [Nous leur] dirons : ‘nous vous donnons une chance, partez d’ici vers d’autres pays’ », a déclaré Ben-Gvir, tandis que les forces israéliennes continuaient leur bombardement de plus d’une année sur Gaza. « La Terre d’Israël est à nous. »

Les diplomates sud-africains affirment que des déclarations comme celles-ci offrent une preuve indéniable de l’intention génocidaire d’Israël — ce. qu’ils doivent prouver devant la Cour internationale de justice (CIJ) dans une affaire en cours.

Le lundi 28 octobre était la date limite pour que l’Afrique du Sud soumette un mémorandum détaillé contre Israël à la CIJ, ont dit des avocats et des diplomates à Al Jazeera. Son argumentaire juridique vise à établir de manière définitive que les actions militaires d’Israël à Gaza équivalent à un génocide.

Malgré de nouvelles preuves qui émergent quotidiennement, les hauts fonctionnaires sud-africains ont demandé à l’équipe juridique de s’en tenir à ce qu’ils avaient déjà rassemblé pour respecter la date limite proche.

L’équipe juridique est cependant convaincue que les centaines de pages de preuves sont plus que suffisantes pour étayer leur dossier.

« Le problème que nous avons est que nous avons trop de preuves », a expliqué à Al Jazeera l’ambassadeur Vusimuzi Madonsela, représentant de l’Afrique du Sud à La Haye.

Zane Dangor, directeur-général du ministère des Relations internationales et de la Coopération d’Afrique du Sud, a déclaré : « L’équipe juridique dira toujours que nous avons besoin de plus de temps, que de nouveaux faits arrivent. Mais nous devons dire ‘vous devez arrêter maintenant. Vous [devez] vous concentrer sur ce que vous avez. »

L’argumentaire juridique sud-africain de plus de 500 pages vise à exposer un schéma de pertes massives de vies humaines à Gaza, où près de 43000 Palestiniens ont été tués depuis octobre 2023, ce qui, arguent les responsables sud-africains, excède toute réponse militaire proportionnée aux attaques du Hamas du 7 octobre de l’an dernier.

L’Afrique du Sud a maintenu, depuis sa demande provisoire en décembre de l’an dernier, que l’intention d’Israël va au-delà d’objectifs militaires et qu’elle vise au contraire une dépopulation globale de Gaza par une violence extrême et des déplacements forcés.

Dans sa demande initiale, l’Afrique du Sud a présenté 84 pages plaidant auprès de la Cour pour que celle-ci décide qu’Israël était coupable d’une présomption de génocide et lui ordonne, entre autres choses, d’arrêter son invasion de Gaza.

Lors des débats oraux à La Haye, l’équipe juridique sud-africaine s’est appuyée sur des déclarations faites par les politiciens israéliens à l’époque, des vidéos de la destruction de Gaza et des cartes qui montraient comment les terres palestiniennes avaient été envahies.

« Impossible à prouver » ?

La CIJ a fixé à l’Afrique du Sud la date limite ferme du lundi 28 octobre pour prouver, sur papier, qu’Israël est coupable de génocide.

C’est cependant un tour de force, décrit par les experts juridiques internationaux comme « presque impossible à prouver ».

Cathleen Powell, professeure de droit international à l’université de Cape Town, a dit que le défi de l’Afrique du Sud est de prouver l’intention génocidaire de la part de l’État d’Israël et de démontrer le lien entre les commentaires faits par de hauts-responsables et le caractère programmatique de la destruction de Gaza.

« S’ils peuvent trouver des déclarations génocidaires de la part de hauts responsables d’État et démontrer que cela a directement conduit à un programme particulier qui a mené à la destruction sur le terrain, alors c’est probablement un cas très solide, mais ce lien est très difficile à prouver. »

Elle a dit qu’il n’y avait aucun doute que des crimes de guerre étaient commis à Gaza, mais qu’invoquer la convention de génocide signifiait que l’Afrique du Sud devait prouver que l’État était responsable.

« Il est difficile d’attribuer l’intention de hauts responsables à l’État même. Vous devez trouver quelque chose de différent de la part de l’État [d’Israël] pour montrer l’intention génocidaire », a expliqué Powell.

 Des experts en droit ont dit que si l’Afrique du Sud échoue à prouver le dolus specialis – l’intention spécifique de détruire un groupe, soit en totalement, soit en partie — son dossier tomberait à l’eau.pasted-image.png

Un Palestinien marche devant les décombres, après des frappes israéliennes à Jabalia, dans le nord de la Bande de Gaza [Dossier : Stringer/Reuters]

Dangor, d’Afrique du Sud, a dit que le dossier de son pays était solide comme du roc. « C’est un cas d’école de génocide », a déclaré Dangor, ajoutant que l’ « intention est claire ».

« Des actions génocidaires sans intention peuvent être des crimes contre l’humanité. Mais ici, l’intention est tout simplement étalée sur le devant de la scène. Vous voyez des déclarations de dirigeants, mais aussi d’Israéliens ordinaires, disant : ‘Tuons tous les Gazaouis, même les bébés’ », a-t-il dit.

«En travaillant d’arrache-pied »

Travaillant avec des délais serrés, l’Afrique du Sud a rassemblé une équipe d’élite de cerveaux juridiques, dont trois avocats-conseils sud-africains de haut niveau, un professeur de droit international, un avocat britannique et de nombreux avocats-conseils et chercheurs juniors.

Près de 100 personnes ont travaillé sur les différentes parties du dossier pendant les neuf derniers mois, ont expliqué des personnes informées.

Alors que de hauts responsables du gouvernement ont assuré la supervision, les équipes ont travaillé séparément au premier jet du document, qui a été marqué « Top secret » jusqu’à ce qu’il soit enregistré devant la Cour.

« Nous avons travaillé d’arrache-pied pour mettre au point l’argumentaire », a remarqué l’ambassadeur Madonsela.

Chargé de la gestion du projet, un cabinet juridique respecté de Johannesburg a traité les éléments logistiques complexes, chapitre après chapitre, y compris des traductions et des vérifications de citations.

Les conseillers juniors se sont consacrés à tracer un lien clair entre la rhétorique des responsables israéliens et les actions militaires à Gaza, tandis que les avocats seniors ont élaboré les arguments juridiques du dossier pour montrer qu’il y avait une campagne systématique.

 Ils ont eu à condenser des milliers de pages de preuve d’une « brutalité impensable » en arguments juridiques organisés thématiquement, a expliqué Dangor.

Depuis neuf mois, les experts en droit ont reçu comme instructions non seulement de lister des exemples des terribles assassinats d’Israël et de la destruction à Gaza mais aussi de se concentrer sur les preuves de ce qui peindrait clairement que « l’objectif ultime d’Israël » est d’oblitérer Gaza et d’expulser les Palestiniens qui y vivent, comme le maintient l’Afrique du Sud.

Dans les centaines de pages déposées, l’Afrique du Sud a listé une litanie d’exemples où des politiciens et des hauts responsables du gouvernement israélien parlaient d’« effacer Gaza » et d’ « expulser les Palestiniens ».

L’Afrique du Sud interprète ces déclarations comme exprimant clairement l’intention génocidaire.

Par exemple, des remarques du ministre israélien de la Défense d’alors, Yoav Gallant, en novembre 2023, dans lesquelles il a fait référence à des plans pour Gaza tout en faisant des allusions à des actions possibles contre le Liban, sont présentées comme preuves d’un plus large programme israélien.

« Je dis ici aux citoyens du Liban, je vois déjà des citoyens de Gaza marchant le long de la côte avec des drapeaux blancs … Si le Hezbollah fait des erreurs de cette sorte, ceux qui vont en payer le prix sont, en premier lieu, les citoyens du Liban. Ce que nous sommes en train de faire à Gaza, nous savons comment le faire à Beyrouth », a dit Gallant à l’époque.

Si les commentaires du ministre ont été cités comme exemple d’une intention génocidaire, l’équipe juridique a choisi de ne pas argumenter que l’actuelle invasion du Liban par Israël était une preuve supplémentaire que « c’était l’intention d’Israël depuis toujours ».

« Cela arrivera dans les auditions orales », a dit Dangor quand il a été interrogé là-dessus.

Une affaire aux enjeux considérables

Dangor a expliqué que l’affaire est devenue un jalon historique dans le droit international pour plusieurs raisons.

Premièrement, il est sans précédent que les allégations de génocide soient présentées devant un tribunal international alors que les atrocités continuent à se dérouler — plutôt que rétrospectivement, comme on l’a connu dans des affaires comme celles des génocides de Srebenica ou du Rwanda.

Deuxièmement, l’affaire bénéficie d’une documentation en temps réel d’actes génocidaires présumés, qui capturent l’intention et l’exécution avec une clarté immédiate.

Dangor a dit que c’est nettement différent des cas historiques où les preuves n’émergeaient que bien plus tard et par fragments.

De plus, il a souligné que cette affaire de l’Afrique du Sud implique de manière unique un État soutenu par l’Occident.

Ce facteur hausse les enjeux considérablement et remet en question des hypothèses de longue date dans les réponses juridiques internationales au génocide.

Selon Dangor, des actions génocidaires sans intention peuvent ne relever que de crimes contre l’humanité, mais dans ce cas, l’intention est visible sans ambiguïté.

Le président d’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa a exprimé sa confiance dans l’argumentaire soumis, affirmant devant le Parlement en août qu’il croyait le cas solide et avait de l’espoir en ce qui concerne son résultat. «  Nous sommes convaincus d’avoir un cas solide pour prouver qu’un génocide a lieu en Palestine », a-t-il dit alors.

Une fois l’argumentaire soumis, Israël a jusqu’en juillet 2025 pour soumettre ses contre-arguments. Après cela, des auditions devant la CIJ sont attendues pour 2026 — ce qui signifie que la procédure juridique peut se prolonger pendant plusieurs années.

S’il est accepté, le cas marquerait une première historique, car aucun État n’a poursuivi avec succès un autre État pour génocide selon la Convention de Genève de 1948.

Le verdict potentiel résonnerait bien au-delà d’Israël et de la Palestine, mettant en place un nouveau standard sur la manière dont le droit international répond à une violence approuvée par l’État, disent les experts.

« Ce que nous avons dit, c’est que le génocide est le crime des crimes », a déclaré Chrispin Phiri, porte-parole du ministre des Relations internationales et de la Coopération Ronald Lamola.

Melani O’Brien, qui est à la tête de l’Association internationale des spécialistes du génocide, a dit que l’argumentaire de l’Afrique du Sud était le début d’une procédure « importante et longue ».

« Elle fait partie du processus de prévention des génocides. Elle a un effet dissuasif », a-t-elle dit de l’affaire, l’une des quatre actuellement portée devant la CIJ qui invoquent la convention sur le génocide.

O’Brien a déclaré que même si un verdict de culpabilité pourrait ne pas arrêter Israël, il exercerait une pression sur d’autres pays pour remettre en question leurs relations avec lui.

Dangor a reconnu qu’un verdict de culpabilité pourrait ne pas modifier les actions d’Israël mais qu’il pourrait contraindre à un embargo des armes.

« Avec ce niveau de dépravation, d’assassinat volontaire et d’immunité, où Israël dit : ‘Nous commettrons un génocide et nous nous en tirerons à bon compte, comment osez-vous appeler cela un génocide’, nous avons l’obligation, le devoir, de l’arrêter », a-t-il dit.

« Nous n’avons pas la capacité de l’arrêter par des moyens militaires ou des sanctions économiques. Nous espérons que les mesures que nous prenons peuvent conduire d’autres à devoir en prendre. Car les conséquences juridiques qui suivraient la conclusion qu’Israël commet un génocide signifient que les États tiers ne pourraient plus trouver d’excuses pour lui fournir des armes. »

Parlant au sommet des BRICS en Russie la semaine dernière, Ramaphosa a dit aux dirigeants du monde que parallèlement à son action juridique devant la CIJ, l’Afrique du Sud restait « inébranlable » dans son soutien à un État palestinien.

« Nous croyons vraiment que le monde ne peut rester en attente et regarder le massacre de personnes innocentes se poursuivre », a dit le président.