Le Secrétaire général de l’ONU exhorte les donateurs à revenir sur leur suspension du financement de l’UNRWA

Selon António Guterres, en raison de l’arrêt du financement par les États-Unis et d’autres États, il n’est pas possible dès la fin de ce mois de garantir l’arrivée de l’aide à Gaza

António Guterres, Secrétaire général des Nations unies, a demandé instamment aux 10 pays donateurs qui ont suspendu leur financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) de reconsidérer cette mesure, affirmant que l’agence et les Palestiniens en proie à des privations extrêmes ne devraient pas être pénalisés en raison des actes imputés à une douzaine de membres du personnel.

Selon Guterres, neuf membres avaient déjà été licenciés pour cause d’implication supposée dans l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, et tout employé de l’ONU impliqué dans des actes terroristes en serait tenu pour redevable, y compris dans le cadre de poursuites judiciaires.

Il a précisé que le Bureau des services de contrôle interne (BSCI), le plus haut des organes d’investigation au sein du système onusien, avait été chargé de lancer une enquête.

Le ministère israélien des Affaires étrangères a proclamé que l’UNRWA ne jouerait aucun rôle à Gaza quand le conflit prendrait fin. L’UNRWA emploie 13 000 personnes à Gaza et assure l’éducation de 30 000 enfants.

Dimanche dernier [21 janvier] Israël a remis officiellement au commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, des informations selon lesquelles au moins 12 employés de l’UNRWA auraient été impliqués dans l’attaque du 7 octobre.

Lazzarini a immédiatement pris l’avion pour New York pour s’entretenir de ces allégations  avec Guterres avant d’informer les principaux bailleurs dans le courant de la semaine et de rendre l’affaire publique vendredi, au moment même où la Cour internationale de justice, suite à sa saisine par l’Afrique du Sud, rendait une ordonnance demandant à Israël de permettre une aide humanitaire efficace pour les habitants de la Bande de Gaza.

Les hauts fonctionnaires de l’ONU avaient espéré empêcher un effondrement des versements des bailleurs en montrant qu’ils agissaient de façon anticipée et rapide. Mais les États-Unis ont réagi à ces révélations en suspendant leurs versements à l’UNRWA, et depuis lors neuf pays leur ont emboîté le pas, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne. Les États-Unis étaient en 2022 le plus grand donateur bilatéral de l’agence, avec une contribution supérieure à 340 millions de dollars.

Dimanche [28 janvier], la France a rejoint la liste des pays qui affirment leur désapprobation, indiquant qu’elle déciderait d’effectuer ou pas un nouveau versement à la date de la prochaine échéance, en été 2024.

L’UNRWA est une agence inhabituelle, car elle n’a pas d’actifs importants et gère ses activités au jour le jour, alors même qu’elle couvre cinq pays et emploie 40 000 personnes, dont 13 000 à Gaza.

Lazzarini s’est exprimé en ces termes : “Notre opération humanitaire, dont dépendent 2 millions de personnes comme bouée de sauvetage à Gaza, s’effondre. Je suis choqué que de telles décisions soient prises sur la base du comportement présumé de quelques individus, d’autant plus que, à mesure que la guerre se poursuit, les besoins s’aggravent et la famine menace. Les Palestiniens de Gaza n’avaient pas besoin de cette punition collective supplémentaire. C’est une tache qui nous souille tous. »

Selon Guterres, du fait de la perte de financements, l’ONU ne peut pas garantir la fourniture d’aide à Gaza jusqu’à la fin du mois courant. “Deux millions de civils à Gaza dépendent de l’assistance dispensée par l’UNRWA, qui tient une place critique jour après jour, mais le financement actuel de l’UNRWA ne lui permettra pas de répondre à tous les besoins en février”, a-t-il dit.

La crise de l’aide a été aggravée par les familles d’otages israéliens qui bloquent depuis cinq jours, et tant que les otages n’auront pas été libérés, le point de passage de Kerem Shalom par lequel transite l’aide. Benjamin Netanyahou, Premier ministre israélien, a dit samedi dernier que la décision de la CIJ lui imposait la réouverture du point de passage. Il a ajouté : “Sans un minimum d’aide à Gaza, nous ne pouvons pas achever notre travail et terminer la guerre.”

Des dirigeants de l’ONU ont souligné que l’UNRWA avait annoncé le 17 janvier qu’elle lançait un examen indépendant effectué par des experts externes qui “aidera[it] l’UNRWA à renforcer son schéma d’adhésion stricte de tout le personnel aux principes humanitaires”. Cet examen aurait à aborder toute une gamme récurrente d’imputations comme, par exemple, la mise en œuvre par le personnel de l’UNRWA d’un cursus scolaire antisémite.

L’Irlande et la Norvège sont deux pays qui ont exprimé leur horreur devant les allégations mais ont refusé de suspendre leurs financements, soulignant que l’UNRWA avait réagi rapidement dès que les employés concernés avaient été identifiés. “Donateurs, n’affamez pas des enfants pour les péchés de quelques travailleurs humanitaires”, a déclaré Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien des réfugiés. L’UE a exprimé sa préoccupation mais n’a pas encore suspendu son aide.

Michael Fakhri, rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, a lancé une mise en garde : la privation de financements signifie que la famine est maintenant inévitable à Gaza.

Les dirigeants arabes ont, eux aussi, exprimé leur alarme, et ils vont faire l’objet de pressions visant à ce qu’ils pallient l’absence de financements. Les pays qui ont suspendu leur aide n’ont pas précisé ce que l’UNRWA devrait faire de plus pour retrouver leur confiance, se contentant d’exiger des clarifications supplémentaires.

Bien que l’aide puisse atteindre Gaza par d’autres agences comme le Comité international de la Croix-Rouge, l’infrastructure déterminante d’apport de l’aide à Gaza est assurée par l’UNRWA.

Le quasi-effondrement du financement de l’UNRWA s’est produit après que la CIJ a statué vendredi en ordonnant à Israël de prendre « des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire ».

L’effet de ces allégations dans les médias étatsuniens a été d’éloigner rapidement le projecteur de la décision de la CIJ sur le contrôle par Israël de l’acheminement de l’aide pour le braquer sur la crédibilité de l’organisation qui apporte l’aide. Cependant, l’UNRWA n’affirme pas qu’Israël aurait dissimulé ses éléments de preuve pour les faire émerger au moment même où la CIJ rendait sa décision.

Israël souhaite depuis longtemps de voir l’UNRWA démantelée, estimant qu’elle est trop proche des groupes radicaux qui administrent Gaza et, plus largement, qu’elle crée une culture de dépendance en attribuant le statut de réfugié aux fils et filles des réfugiés. L’enchaînement d’allégations médiatiques selon lesquelles des employés de l’UNRWA auraient été complices d’actes de terrorisme a abouti à ce que Lazzarini mette sur pied l’examen du 17 janvier.

Selon des sources israéliennes, ces allégations sont provenues de renseignements israéliens basés sur les interrogatoires de certaines personnes capturées au cours de l’opération du 7 octobre. L’UNRWA fournit à Israël les noms de ses 13 000 employés : il aurait donc été possible de recouper les données. Certaines informations affirment même que des véhicules de l’ONU auraient été présents sur les lieux du massacre.

Inévitablement, nombre des 13 000 employés recrutés à Gaza sont hostiles à Israël, et des observateurs non officiels comme UN Watch ont accusé à maintes reprises l’UNRWA de laisser ses écoles dispenser un enseignement de propagande anti-israélienne. L’UNRWA, au cours des trois derniers mois, a donné des cauchemars à Israël en recueillant des données sur les dimensions de la crise humanitaire et les obstacles par lesquels Israël a entravé la distribution de l’aide.

Des ministres israéliens ont déployé une grande activité en fin de semaine pour essayer d’exploiter les allégations relatives à des membres spécifiques du personnel afin d’élaborer un argumentaire permettant le démantèlement définitif de l’UNRWA.

Israël a vivement critiqué Lazzarini. “M. Lazzarini, veuillez démissionner”, a écrit sur X le ministre des Affaires étrangères, Israel Katz, ajoutant que l’UNRWA n’aurait aucun rôle à jouer « dès le lendemain » de la guerre à Gaza.

Eylon Levy, porte-parole du gouvernement israélien, a accusé l’UNRWA d’être un “prête-nom du Hamas”. “C’est littéralement une couverture du Hamas”, a-t-il écrit sur X.

Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense, a twitté ceci : “Il faut des changements majeurs pour que les efforts, les fonds et les initiatives humanitaires internationales ne nourrissent pas le terrorisme du Hamas et l’assassinat d’Israéliens. Le terrorisme camouflé en travail humanitaire déshonore l’ONU et les principes qu’elle prétend représenter.”

Gilad Erdan, ambassadeur d’Israël aux Nations unies, s’est exprimé en ces termes : “Comme il est symbolique que, précisément lors de la Journée internationale de commémoration de l’holocauste, des preuves aient révélé ce que nous affirmions depuis des années : des employés de l’UNRWA sont des collaborateurs de l’organisation terroriste Hamas.”