Au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève, le médecin urgentiste Tarek Loubani s’est adressé aujourd’hui aux États assemblés, afin de partager son témoignage de blessé aux jambes alors qu’il prodiguait des soins à des manifestants blessés qui participaient aux manifestations de la « Grande Marche du Retour ». Son témoignage est intervenu alors que les États discutaient du rapport intégral de 252 pages de la commission d’enquête de l’ONU formée en mai 2018 pour enquêter sur les violations du droit international dans le contexte de ces manifestations.
Le cas du Dr Loubani est souligné dans le rapport comme attaque contre du personnel médical, la commission ayant trouvé qu’il y avait « de bonnes raisons de croire que les snipers israéliens avaient intentionnellement tiré sur des soignants, bien qu’ils pussent voir qu’ils étaient clairement identifiables comme tels ».
Voici le témoignage du Dr Loubani et la vidéo peut être regardée ici.
Merci Madame la Vice-Présidente,
Je suis ici avec le Dr Mahmoud Matar, au nom de nos collègues des hôpitaux de Gaza. Je suis médecin urgentiste au Canada et à Gaza et professeur agrégé de médecine à l’Université du Western au Canada.
Le 14 mai 2018, j’étais dans les manifestations et je soignais des traumatismes sur le terrain. Je n’ai vu que des manifestants pacifiques et aucun ne présentait de menace pour les soldats. Lorsque des manifestants étaient atteints par des balles, mon équipe de soignants et moi-même les soignions et les évacuions. À cause du blocus, je n’avais pas le matériel ni les secouristes pour soigner mes patients.
Je fus un des 19 soignants atteints par des coups de feu ce jour-là. J’aimerais pouvoir vous dire que j’étais au milieu d’une sorte de chaos quand cela s’est produit. Mais ce n’était pas le cas. Les cieux étaient clairs, sans gaz ni pneus en flammes. J’étais au milieu d’un groupe de professionnels de santé à l’écart de la principale zone de manifestation, en uniforme hospitalier vert.
Nous n’étions pas à proximité des manifestants et les Israéliens ne tiraient pas à ce moment-là. J’ai entendu une forte détonation, j’ai ressenti une douleur incroyable et je me suis retrouvé au sol.
J’ai été soigné, stabilisé et évacué dans l’heure qui a suivi. J’ai recousu moi-même mes (blessures aux) jambes à cause du grand nombre de blessés. Comme des centaines d’autres ce jour-là, je n’ai pas reçu les soins nécessaires. Pourtant, j’ai eu de la chance.
Quand j’ai été atteint par un tir, l’ambulancier Mousa Abouhassanin m’a soigné. C’est lui qui m’a sauvé. Une heure plus tard environ, il a été touché à la poitrine lors d’une opération de sauvetage.
Mousa est mort. Les équipes médicales ne sont pas des acteurs politiques mais humanitaires. Nous voulons simplement garantir que si des gens ont des problèmes, nous sommes là pour leur venir en aide.
Quelque 600 travailleurs de la santé ont à ce jour été blessés dans les manifestations et trois ont été tués. Trente neuf ont été tués entre 2008 et 2014. Nous sommes encore sous les tirs. Quatre ambulanciers ont été blessés la semaine dernière. Le droit international est clair en ce qui concerne le devoir de protéger le personnel soignant et de faciliter notre action permettant de sauver des vies.
Quand je retournerai travailler à Gaza, je ne devrais pas avoir à me soucier d’avoir à m’adresser à vous de nouveau l’an prochain sur ce que j’aurai vu. Je ne devrais pas m’inquiéter à l’idée que mon nom soit ajouté à la liste des morts parmi le personnel soignant en train de faire son travail. Quand vous, ici, n’agissez pas de façon significative, il est plus probable que des blessures et des morts surviennent dans le personnel soignant – plus probable que je sois blessé ou tué. Madame la Vice-Présidente, je vous demande à vous et aux membres du Conseil, de faire tout ce que vous pouvez pour assurer notre protection dans le sens du droit international.