Dans la région de Rafah, des factions armées bloquent les camions entrant dans Gaza depuis Israël, conduisant plusieurs organisations à ne plus envoyer une aide humanitaire pourtant désespérément nécessaire. Ces incidents se produisent dans une région complètement contrôlée par les Forces de défense israéliennes (FDI), mais l’armée se garde d’intervenir car elle craint que les préjudices causés aux travailleurs humanitaires ne suscitent des critiques au niveau international.
Les Forces de défense israéliennes (FDI) autorisent des Palestiniens armés à piller les convois d’aide humanitaire entrant dans Gaza et à leur extorquer de l’argent en échange d’une protection, disent des sources appartenant aux organisations d’aide humanitaire travaillant dans l’enclave.
Ces sources ont dit à Haaretz que des hommes armés appartenant à deux factions dans le district de Rafah ont bloqué une vaste portion des cargaisons d’aide entrant dans Gaza par le passage de Kerem Shalom en Israël. Le pillage est systématique, ont-elles dit, et pourtant les FDI ont détourné les yeux. Et puisque quelques-uns des groupes d’aide humanitaire refusent ce racket, l’aide finit souvent dans des entrepôts qui sont sous le contrôle de l’armée israélienne.
L’aide transportée par ces convois contient la vaste majorité de la nourriture et de l’équipement dont les Gazaouis ont désespérément besoin, puisque les importations commerciales se sont presque complètement arrêtées.
Les sources disent que le pillage des convois reflète l’anarchie complète qui règne à Gaza à cause de l’absence de tout gouvernement civil fonctionnel. Dans plusieurs cas, ajoutent-elles, les derniers restes des forces locales de police ont essayé d’agir contre les pilleurs, mais ils ont été attaqués par les troupes israéliennes, qui les voient comme appartenant au Hamas.
Les groupes d’aide humanitaire disent qu’il n’y a pas de solution qui permettrait à l’aide d’atteindre les résidents sans qu’il y ait des forces de police, qu’elles soient palestiniennes ou internationales, stationnées à Gaza. Mais tant le gouvernement israélien que les FDI objectent à cela. Le gouvernement israélien veut que l’armée prenne la responsabilité de la distribution d’aide, mais l’establishment de la défense s’oppose aussi à cette idée.
Le problème des gangs armés est devenu pire depuis que les FDI ont pris le contrôle de la frontière entre Gaza et l’Égypte à Rafah en mai et que l’Égypte a fermé ce passage en réponse. Jusqu’alors, Rafah était le principal canal pour acheminer des biens dans Gaza. Depuis, la plupart de l’aide humanitaire est entrée par Kerem Shalom, mais des gangs armés contrôlent cette zone du côté gazaoui.
Dans les dernières semaines, les vols ont augmenté tellement que les cartes distribuées par les Nations Unies indiquent ce morceau de route comme à haut risque, avec une note attribuant ce risque principalement à l’écroulement de l’ordre civil.
Les camions entrant par Kerem Shalom traversent la zone le long de la frontière égyptienne, que les FDI contrôlent, et ensuite tournent au nord vers Rafah, où les gangs les attaquent. Des sources informées de la procédure de distribution de l’aide humanitaire disent que les gangs arrêtent les camions grâce à des barricades improvisées ou en tirant sur leurs pneus. Ils exigent ensuite une « redevance de transit » de 15000 shekels (4000 dollars, c. 3800 euros). Tout chauffeur qui refuse risque d’être enlevé ou de voir les contenus de son camion volés.
Des sources travaillant dans Gaza disent que les attaques armées ont lieu seulement à quelques centaines de mètres des troupes israéliennes. Quelques groupes d’aide humanitaire disent que les chauffeurs de camions attaqués ont même cherché de l’aide auprès des FDI, mais que l’armée a refusé d’intervenir. De plus, disent-elles, l’armée les empêche de prendre des routes alternatives qui sont considérées comme plus sûres.
« J’ai vu un tank israélien et un Palestinien armé d’une Kalashnikov à seulement 100 mètres de lui », dit à Haaretz un responsable d’une des organisations travaillant à Gaza. « Les hommes armés frappent les chauffeurs et prennent toute la nourriture s’ils ne reçoivent pas l’argent du racket ».
Pour empêcher cela, quelques groupes acceptent effectivement de payer. Les paiements sont généralement faits via une compagnie palestinienne qui sert d’intermédiaire. Plusieurs sources disent que les agents de la Coordination des activités du gouvernement dans les Territoires (GOGAT), l’unité de l’armée responsable de l’aide vers Gaza, a même recommandé qu’ils travaillent via cette compagnie particulière.
« J’ai tout essayé », dit le responsable de l’aide humanitaire. « Nous voulions voyager par d’autres routes, mais les FDI l’ont interdit. Nous avons essayé de venir à 5h du matin dans l’espoir que les voleurs ne seraient pas là, mais cela n’a pas aidé. Nous avons même essayé de négocier avec les hommes armés en expliquant que c’était de la nourriture pour la population, mais cela n’a pas servi non plus. »
Des responsables de la défense ont confirmé que les FDI étaient conscientes du problème. Ils ont dit qu’à un moment, le gouvernement avait même considéré de rendre les factions auxquelles ces hommes armés appartiennent responsables de la distribution d’aide aux résidents de Gaza, alors même que certains membres de ces factions sont impliqués dans des actions terroristes et que certains sont même affiliés avec des organisations extrémistes comme l’État islamique.
Des sources de l’armée ont dit que dans le passé, il y avait eu des cas où les soldats avaient attaqué effectivement les hommes armés qui pillaient les camions d’aide, mais que des employés des organisations d’aide avaient été blessés au cours de ces actions. Ces incidents ont suscité de vives critiques dans les médias internationaux, et donc maintenant l’armée préfère ne pas risquer d’attaquer quiconque au voisinage des camions. La seule exception est lorsque les hommes armés attaquant les camions sont des membres du Hamas.
La zone de pillage
À environ un kilomètre de Kerem Shalom, peu avant les quartiers est de Rafah, il y a une région que l’armée appelle « la zone de pillage ». C’est là où la plupart des pillages de camions d’aide humanitaire ont lieu. Pourtant la zone est sous contrôle total des FDI, avec des troupes stationnées seulement à quelques centaines de mètres, et parfois moins, des barrages que les hommes armés dressent sur la route.
L’armée de l’air israélienne surveille la zone à l’aide de drones tandis que les vigiles des FDI surveillent ce qui se passe au sol. Des soldats opérant à Gaza disent qu’ils connaissent bien ce pillage, dont ils disent que c’est devenu une routine.
Pendant une visite pour les journalistes avec les FDI dans le nord de Gaza, des reporters ont vu un convoi d’aide se dirigeant vers le sud. Un officier leur a dit : « Dans 500 mètres, ils seront pillés ». Aucun des soldats n’avait l’air surpris.
Les vigiles des FDI, à la fois au sol et en l’air, opèrent 24 heures par jour le long des routes logistiques que l’armée a pavées dans tout Gaza. Ce sont les routes que les convois d’aide utilisent. Les chauffeurs des camions et les responsables d’organisations internationales d’aide humanitaire accusent les soldats de voir les attaques sur les convois et pourtant de ne rien faire.
Les FDI disent qu’une autre route a été récemment ouverte dans le sud de Gaza qui permettra aux chauffeurs de camions de contourner la zone de pillage. Pourtant plusieurs incidents se sont déjà produits aussi sur cette route. Des Palestiniens disent que les gangs collectent déjà de l’argent du racket pour laisser les convois d’aide passer à la fois dans les « zones sûres » et dans les zones de combat.
Des hauts responsables de la défense ont récemment dit que les chefs de l’establishment de la défense sont conscients du problème des gangs armés pillant les camions d’aide humanitaire et en ont aussi parlé avec le gouvernement. Le chef du personnel des FDI, Herzl Halevi, a récemment rendu visite au Commandement du Sud et a discuté avec des officiers les problèmes entourant l’aide humanitaire là-bas, dont le fait que certains soldats ont refusé d’être impliqués dans quoi que ce soit qui concernerait la distribution de l’aide.
Un autre problème qui entrave gravement l’entrée de l’aide humanitaire dans l’enclave est la contrebande de cigarettes. Depuis que le siège a été imposé sur Gaza après le déclenchement de la guerre il y a un peu plus d’un an, le gouvernement a déterminé quels produits sont autorisés à entrer dans la Bande de Gaza en tant qu’aide humanitaire et une chose qui a été bloquée, ce sont les cigarettes. Mais des criminels et des marchands gazaouis ont créé un réseau de contrebande pour les cigarettes en utilisant les camions d’aide humanitaire. Les cigarettes de contrebande sont vendues dans l’enclave à des prix exorbitants qui peuvent atteindre 200 dollars (c. 190 euros) par paquet.
Dans quelques cas, les cigarettes sont passées en fraude dans les colis d’aide et ensuite collectées par les pilleurs sur les morceaux de routes qu’ils contrôlent. À d’autres moments, les cigarettes arrivent dans les entrepôts des organisations d’aide et les gangs les saisissent quand l’aide est déchargée. La contrebande de cigarettes encourage le pillage et accroit les dangers auxquels sont confrontés les humanitaires quand ils essaient de distribuer l’aide.
Les cigarettes sont apparemment insérées dans des sacs d’aide en Égypte. Selon les agences d’aide, toutes les personnes impliquées savent ce qui se passe, y compris les FDI, mais personne ne fait quoi que ce soit pour l’empêcher. L’armée, ont-ils remarqué, inspecte chaque article qui entre dans Gaza, donc ils pourraient facilement empêcher la contrebande de cigarettes. Alternativement, Israël pourrait simplement autoriser les cigarettes à entrer légalement.
Et à part les dangers créés par la contrebande, la pénurie de cigarettes crée aussi d’autres dangers. La presse gazaouie est pleine d’histoires sur des matériels empoisonnés, dont des insecticides et des pesticides agricoles, gouttant sur des feuilles séchées qui sont ensuite roulées pour fabriquer des substituts de cigarettes.
La « taxe » ATM
Haaretz a reçu d’autres preuves de l’effondrement social de la Bande de Gaza. Parce que le réseau d’électricité n’a pas été opérationnel depuis un an, il est impossible d’utiliser des cartes de crédit, donc l’économie toute entière fonctionne avec de l’argent liquide. Les billets sont usés et presque inutilisables.
Un seul appareil ATM reste en fonctionnement dans tout Gaza, dans la région de Deir al-Balah, et lui aussi est contrôlé par un groupe armé. Quiconque retire de l’argent de l’ATM doit payer 30% du montant aux hommes armés qui contrôlent la région, disent des sources. Les Gazaouis cherchent donc des façons créatives pour des échanges commerciaux, et une solution populaire est de transférer de l’argent entre parents de résidents en Cisjordanie. Si à la fois l’acheteur et le vendeur ont de la famille en Cisjordanie, ou un autre pays, la famille de l’acheteur transfère l’argent à la famille du vendeur pour compléter la transaction.
À cause du manque d’électricité, il n’y a pas d’éclairage la nuit et la sécurité personnelle — particulièrement pour les femmes et les adolescentes — est un gros problème. De plus, Israël ne permet pas l’entrée dans la Bande de Gaza de produits comme les vêtements et les chaussures. Des récits en provenance de l’enclave disent que beaucoup de personnes portent des vêtements déchirés, quelques-uns sont pieds nus ou avec des chaussures improvisées.
La COGAT s’est enorgueillie la semaine dernière de la campagne réussie de vaccination contre la polio, qui a vu 93% des enfants de la Bande de Gaza vaccinés. Une organisation d’aide humanitaire impliquée dans la campagne a voulu prendre avantage de l’opportunité et donner à chaque enfant qui venait se faire vacciner un sac de farine, un peu de savon ou quelque chose d’autre pour encourager la vaccination et aussi aider leurs familles. Mais parce qu’il n’y a aucun groupe capable d’assurer la garde des centres de vaccination, il y a eu des craintes qu’un rassemblement de nourriture, de savon, ou d’autres articles de valeur attirerait les voleurs armés, qui pourraient perturber la campagne de vaccination. Finalement, il a été décidé de se contenter d’administrer une dose de vitamine A. « La vitamine A n’a pas de valeur marchande », dit une des personnes impliquées, « donc personne ne la vole ».
Les porte-paroles des FDI ont dit que l’armée attache « une importance suprême à la fourniture d’aide humanitaire dans la Bande de Gaza. En conséquence, nous agissons pour permettre et faciliter le transfert de l’aide humanitaire en coordination avec la communauté internationale et sous réserve de contrôles de sécurité rigoureux aux points de passage ».
« À la lumière des tentatives des organisations terroristes pour exploiter systématiquement le transfert de l’aide humanitaire, les FDI mènent des attaques ciblées contre les terroristes armés qui pillent l’aide humanitaire », a ajouté le porte-parole.
Le porte-parole a aussi déclaré que « ces actions sont menées de façon routinière, selon les ordres opérationnels et en prenant des précautions maximales, en mettant l’accent sur l’attaque des terroristes et la prévention des dommages au transfert de l’aide. Les FDI agissent en coordination avec les organisations internationales d’aide humanitaire pour fournir des solutions préventives et des moyens alternatifs dans le cadre de la coordination commune pour transférer l’aide humanitaire dans la Bande de Gaza ».
- Photo : La route de Gaza où les camions sont pillés, cette semaine. Les organisations d’aide humanitaire disent que l’armée israélienne les empêche d’utiliser d’autres routes, qui sont considérées comme plus sûres.