L’argent européen de la guerre à Gaza : comment les subventions de recherche de l’UE soutiennent l’industrie israélienne de l’armement

Des technologies développées avec le soutien financier de l’Europe sont utilisées dans la guerre en cours à Gaza, comme elles l’ont été auparavant dans l’occupation du territoire palestinien et la marginalisation du peuple palestinien.

Cet article est publié en partenariat avec Informationsstelle Militarisierung (IMI) et est associé à un communiqué de presse : EU-funded drone technology being used in war on Gaza.

La politique de recherche de l’UE

L’objectif déclaré de la politique de recherche de l’Union européenne est de créer « une zone de recherche européenne » et d’encourager l’industrie pertinente à « devenir plus compétitive » [1]. Cela est actuellement mis en œuvre grâce au programme Horizon Europe, qui a un budget total de 95,5 milliards d’euros pour la période 2021-2027 [2]. En plus des organisations et des entreprises des États membres, il a été accordé à la Turquie et à Israël un accès privilégié aux financements associés, alors que les entreprises et les institutions des États-Unis ou d’autres régions en sont largement exclues.

Comme le financement par la Commission européenne de « dépenses générées par des opérations ayant des implications militaires ou de défense »  est effectivement exclu sur la base du Traité de l’UE [3], aucun projet d’armement ne peut être financé dans ce cadre, du moins pas officiellement. Néanmoins, depuis au moins 2007, les subventions de recherche de l’Union européenne ont été soupçonnées, de manière étayée, de parrainer aussi l’industrie européenne de l’armement.

Le 7ème Programme-cadre pour la recherche (7th Framework Program for research, FP7, 2007-13) incluait pour la première fois une ligne de financement pour « la recherche en sécurité ». Dans son étude de 2006, Arming Big Brother [« Armer Big Brother »], Ben Hayes a attribué cela en partie au lobbying de l’industrie européenne de l’armement, qui s’était auparavant regroupé comme « complexe industriel de la sécurité », à cause de la dissolution des frontières traditionnelles entre sécurité interne et externe [4].

La recherche en sécurité

Depuis lors, de nombreux projets ont aussi été subventionnés pour la recherche en sécurité: en ont bénéficié des entreprises d’armement pour des thèmes prétendument « civils » comme la protection des frontières, le contrôle des désastres et la surveillance maritime. Dans beaucoup de cas, il n’est en rien surprenant que des technologies développées dans ce cadre soient maintenant utilisées aussi dans des conflits armés. Dans le cas de l’action militaire d’Israël contre Gaza, cela est aussi clairement démontrable — et particulièrement problématique à cause du nombre exceptionnellement grand de victimes civiles et de la décision de la Cour internationale de justice sur l’accusation de génocide.

Pendant la guerre en cours d’Israël contre Gaza, Statewatch a publié une lettre ouverte de 300 universitaires appelant l’UE à cesser de financer des projets de recherche qui pourraient contribuer à une violation du droit international ou des droits humains. La critique met l’accent sur le financement de la recherche à double usage en Israël — c’est-à-dire des technologies qui peuvent aussi être utilisées à des fins militaires. La lettre mentionne explicitement les deux grandes entreprises d’armement israéliennes Elbit et Israel Aerospace Industries (IAI), qui ont reçu des subventions de l’UE pour plusieurs projets [5].

En 2015, déjà, un réseau européen de groupes pro-palestiniens, la Coordination européenne des Comités et Associations pour la Palestine (European Coordination of Committees and Associations for Palestine, ECCP), critiquait le fait que des entreprises israéliennes d’armement bénéficiaient de subventions de recherche de l’UE, sur fond d’occupation et de violence de la part de l’armée, de la police et des colons [6]. Elbit et IAI, ainsi que les importants projets de recherche OPARUS, IDETECT4ALL et FLYSEC, étaient aussi spécifiquement désignés à l’époque.

OPARUS en particulier s’était déjà trouvé sous le feu des critiques de l’époque pour des raisons autres que l’implication d’IAI, car il aidait de grandes entreprises européennes de défense (Airbus, Dassault, Thales et BAE) à concevoir des drones pour supprimer la migration, en coopération avec l’agence de « protection des frontières » Frontex, parmi d’autres [7]. IDETECT4ALL visait à développer de nouveaux systèmes de capteurs pour détecter les « intrus » à proximité d’infrastructures cruciales [8]. Les autorités aériennes étaient impliquées en tant qu’utilisateurs potentiels et le consortium de recherche était mené par l’entreprise britannique Instro Precision, qui se spécialise principalement dans la technologique de capteurs militaires. La plus grande subvention pour le projet, environ 333 000 €, avait été accordée à Motorola Solutions Israel qui, selon l’ECCP et d’autres organisations, fournissait déjà des technologies pour surveiller les barrières, les checkpoints et les colonies en Cisjordanie, une région occupée en violation du droit international.

Le rapport de 2015 de l’ ECCP a identifié un total de 205 projets impliquant des entreprises ou des institutions israéliennes et qui avaient globalement reçu 452 millions d’euros en subventions de recherche de l’UE, dont 32 au moins pour cinq « entreprises et institutions militaires ». Cependant, ce chiffre devrait être traité avec prudence, car il inclut l’Université hébraïque de Jérusalem dans son. intégralité. D’un autre côté, la liste n’inclut pas de nombreuses entreprises plus petites qui, au moins, comptent l’armée et la police parmi leurs clients.

S’il est plus difficile de prouver l’application concrète de technologies subventionnées par l’UE dans la guerre actuelle dans le cas de grandes compagnies comme Elbit et IAI, il est plus facile d’identifier les relations correspondantes dans le cas de plus petites entreprises avec un portfolio plus transparent. Cela sera illustré ci-dessous à partir de plusieurs projets dans le domaine des systèmes sans pilote humain.

ResponDrone : des flottes de drones

Le projet ResponDrone a duré trois ans à partir de mai 2019 et a reçu 8 millions d’euros de subventions de recherche de la part de l’UE (sur un total de presque 8, 26 millions d’euros). L’objectif déclaré était de développer « une plateforme multi-UAS [Unmanned Aircraft System, Système aérien sans humain à bord] pour les premiers intervenants, afin d’améliorer leur connaissance de la situation », ce qui pourrait aider les services d’urgence avec « des capacités améliorées pour soutenir les missions d’évaluation, les opérations de recherche et de sauvetage, ainsi que la lutte contre les feux de forêt » [9].

Le projet était coordonné par le Centre allemand pour les voyages aériens et spatiaux (Deutsches Zentrum r Luft- und Raumfahrt, DLR), qui a reçu 1,3 millions d’euros de l’UE. Le fabriquant espagnol Alpha Unmanned Systems, dont les drones hélicoptères Alpha 800 et Alpha 900 ont été utilisés avec des systèmes variés de capteurs dans les tests sur le terrain, a reçu la plus grande somme accordée à un unique bénéficiaire, un peu plus de 1,4 millions d’euros. La deuxième somme la plus grande a été accordée à IAI, avec 1,4 million d’euros — bien plus que la compagnie française de défense Thales. D’Israël, la petite entreprise de consultants Agora (300000 €) et le ministère de la Défense (100000 €) étaient aussi impliqués. Bien que les 100000 euros pour le ministère de la Défense aient été une somme assez symbolique, il est discutable que ce ministère ait reçu une subvention quelconque pour son implication dans un projet de recherche prétendu civil de l’UE— à qui il est de fait interdit de dépenser de l’argent sur les projets militaires ou liés à la défense.

La mise en œuvre du projet ResponDrone est relativement bien documentée sur le portail correspondant de la Commission européenne [10]. Un rapport sur les tests de terrain (en Arménie, Bulgarie, France, Grèce, Israël, Lettonie et Pays-Bas) montre, par exemple, que des incidents (civils) typiques, les responsabilités respectives et l’utilisation préalable de drones et de régulations pour leur utilisation ont été évalués. En Israël aussi, l’accent a été apparemment mis sur les incidents civils, comme les tremblements de terre et les principales villes israéliennes. Le rôle de l’armée comme « premier intervenant » est mentionné dans le rapport mais sans questionnement supplémentaire. Il n’y a pas non plus d’efforts visibles pour discuter les problèmes de droit international dans les territoires occupés.

Bien que le projet ait donc apparemment visé les applications civiles, le double usage potentiel des applications était évident. Par exemple, sous le scénario des opérations de sauvetage, des systèmes de capteurs pour localiser et suivre des personnes (de manière autonome aussi) ont été testés ; et sous le scénario des feux de forêt, des modèles ont été développés pour calculer le meilleur emplacement afin de verser de l’eau sur un feu [11]. La pertinence militaire de la technologie utilisée devrait avoir été bien connue à ceux qui étaient impliqués, en partie à cause d’un scandale mineur rapporté par les médias israéliens et espagnols dès 2016. À l’époque, le ministre israélien de l’Agriculture Uri Ariel (nationaliste-orthodoxe) avait présenté au Premier Ministre russe Dmitry Medvedev, lors d’une visite, un drone de Alpha Unmanned Systems—ce qui, sur fond de l’annexion de la Crimée et de la « technologie sensible » contenue dans le drone, a provoqué ensuite des critiques tant intérieurement en Israël que de la part du gouvernement espagnol [12].

Dans une des premières phases du projet de recherche ResponDrone, deux des participants, IAI et Alpha, ont publié un communiqué de presse commun dans lequel ils présentaient un nouveau produit commun, Multiflyer : «  un escadron de petits hélicoptères sans humain à bord qui peut remplir une large gamme de tâches non-militaires et de sécurité intérieure » [13]. La prétendue exclusion explicite des tâches militaires est discutable, étant donné la référence à la « sécurité intérieure », dans la mesure où celle-ci inclut le déploiement de l’armée dans des situations de terrorisme, en Israël en particulier, et même au-delà du territoire d’Israël reconnu selon le droit international.

En résumé, on peut dire que le fabriquant de drones espagnol Alpha avait déjà exporté sa technologie en Israël avant le projet de recherches ResponDrone. En collaboration avec IAI, les deux ont placé un produit commun, Multiflyer, sur le marché. Tant le projet de recherche ResponDrone que le produit Multiflyer concerne des « flottes » de drones. Cependant, le projet de recherche était principalement centré sur les applications civiles comme le sauvetage et le traitement des désastres (naturels), alors que Multiflyer est centré sur « les capacités avancées de surveillance de vastes zones » dans le contexte de la « sécurité intérieure » [14].

Le rôle d’IAI reste relativement cryptique dans les rapports sur Multiflyer. Dans ses communiqués de presse, la compagnie israélienne de défense se réfère principalement à son histoire de 50 ans dans le domaine des systèmes sans personnel de bord, tout en « cherchant constamment des domaines supplémentaires dans lesquels nous pouvons investir nos capacités de R&D » et elle décrit Multiflyer comme « une étape importante », un développement dans lequel des progrès nouveaux peuvent être attendus. Alors qu’IAI apparaît ici plutôt comme investisseur et sponsor, les rôles sont à part cela clairement définis : les drones utilisés, disponibles commercialement, viennent d’Alpha, la technologie de capteurs pour surveiller les zones de Sightec. L’entreprise Simplex est aussi mentionnée explicitement, ainsi que l’implication de « plusieurs startups israéliennes » [15].

Sightec : vol et orientation autonomes

L’entreprise israélienne Sightec, qui est impliquée dans Multiflyer, a aussi reçu des subventions de près de 2, 5 millions d’euros de l’UE entre avril 2022 et décembre 2023, dans le cadre du projet AUTOFLY. Le titre complet du projet est « Drones de livraison avec des capacités de connaissance de la situation ». Dans la description, le projet se présente comme tout à fait civil, parlant dans l’introduction de la réduction possible des gaz à effet de serre grâce à l’utilisation à large échelle de drones en logistique, particulièrement pour le « dernier kilomètre » et dans le contexte de l’augmentation du commerce en ligne. [16]

Mais dans son essence, le projet visait à utiliser l’intelligence artificielle pour réaliser le degré le plus élevé possible d’autonomie, permettant aux drones de se déplacer indépendamment du GPS et même sans communication radio. C’est une tentative visible de cacher des exigences militaires sous un décor civil : le commerce en ligne avec « service le jour même (en quelques heures, voire minutes) par des véhicules aériens sans pilote humain, ce qui en soi mériterait d’ailleurs des critiques, et présente d’autres problèmes que le brouillage ou le spoofing [usurpation d’identité par informatique] que le projet AUTOFLY cherche explicitement à surmonter en subventionnant Sightec. Même si les technologies correspondantes pour le brouillage et la dé-localisation sont devenues plus facilement disponibles ces dernières années et sont donc potentiellement à la disposition de groupes non-étatiques et terroristes, la navigation indépendante des GPS et autonome dans des conditions de brouillage ciblé est principalement une question militaire.

En février 2021 — avant que l’UE n’ait fourni aucune subvention — l’entreprise a affirmé avoir réalisé une « première mondiale «  en volant anonymement vers des cibles lors d’un test de terrain [17]. Le test a pris place dans le cadre d’un projet lancé par les institutions civiles israéliennes telles que le ministère des Transports et l’Administration des autoroutes : le scénario était apparemment la fourniture de biens (non précisés). À cette époque, il y avait déjà des références éparses et faiblement documentées au fait que les systèmes de Sightec étaient utilisés par la police israélienne et même, dans un article de juillet 2021 « dans le récent conflit à Gaza contre le Hamas » [18]. Un rapport dans le Times of Israel, largement fondé sur les déclarations mêmes de Sightec, parle plus généralement des « premiers intervenants » comme étant les clients de l’entreprise et de la « sécurité intérieure » comme faisant partie des applications de ses produits [19].

Tout cela se passait avant que le projet subventionné par l’UE ne commence, projet qui, tout en arguant que les drones de livraison pourraient réduire les gaz à effet de serre, a financé le développement de capacités de vol autonome, ce qui était apparemment déjà bien avancé à ce moment. Un coup d’œil au site web de l’entreprise laisse peu de place aux doutes sur le fait que les deux produits qui y sont proposés sont principalement destinés aux autorités de l’armée et de la sécurité [20]. Pour le produit « NavSight », on met en valeur de manière centrale qu’il permet la navigation même là où le signal GPS est interrompu et lorsque des tentatives de brouillage ont lieu. « SafeSight », d’un autre côté, est proposé explicitement aux autorités de sécurité pour la détection automatisée d’objets, la surveillance de zones et l’analyse de foules de personnes. Des applications à la logistique civile ne sont que marginalement mentionnées sur le site web de l’entreprise et ne semblent pas jouer un rôle important dans le marketing de ses produits.

Xtend: 100% pour la guerre à Gaza

Le financement de recherche de l’UE pour la start-up israélienne Xtend et l’application de ses technologies à des objectifs militaires est même plus direct. Dans la première moitié de 2020, elle a reçu 50000 euros pour une étude de faisabilité sur le système de drone Skylord Xtender, qui examinait aussi son potentiel commercial et de clientèle. Le « rapport final » résumé du projet affirme, entre autres choses, que l’entreprise a analysé le marché pour des systèmes sans pilote humain, a identifié des étapes supplémentaires pour optimiser le prototype existant et a découvert «  des partenaires stratégiques clés pour la production et la commercialisation » dans le cadre du projet [21].

Quelques mois plus tard, en mai 2021, il a été rapporté que l’entreprise avait conclu un contrat de fourniture de drones de ce type précis avec le Département de la Défense des États-Unis et que le ministère israélien de la Défense était aussi impliqué dans cette transaction [22]. L’article correspondant affirmait aussi que les systèmes Xtend étaient déjà utilisés par les forces spéciales israéliennes. Il est maintenant relativement clair que les clients de l’entreprise sont principalement des forces armées occidentales et la page d’accueil actuelle liste aussi des compagnies de premier plan comme Shell et Heineken parmi les « partenaires ». De plus, la page d’accueil est dominée par les rapports de médias internationaux comme le Wall Street Journal et The Economist sur le rôle que Xtend en général et Skylord Xtender en particulier jouent dans la guerre à Gaza [23]. La publicité sur cela est assez agressive. Même avant cela, beaucoup de vidéos promotionnelles, parfois martiales, pour le Skylord pouvaient être trouvées sur internet, soulignant son utilisation par les forces spéciales israéliennes.

Dans le rapport final du projet Xtend, la navigation indépendante du GPS dans des espaces clos était déjà identifiée comme une capacité extraordinaire que peu de produits concurrents pouvaient égaler. The Economist a ensuite rapporté en décembre 2023 que les drones Xtend n’étaient pas seulement particulièrement « bien adaptés aux bâtiments et aux tunnels dans des endroits comme la ville de Gaza », mais y étaient effectivement utilisés. L’article affirme aussi que les drones pourraient être équipés avec des charges explosives pour démolir des portes, par exemple [24]. Quelques jours plus tard, le journal commercial israélien CTECH a dressé un portrait du co-fondateur et PDG de la start-up, Aviv Shapira, et a écrit : «  Quatre jours après le 7 octobre », les FDI [Forces de défense d’Israël] ont choisi Xtend comme l’un de leurs partenaires clés dans la guerre contre le Hamas. Depuis, leur équipe a suspendu ses précédentes activités et redirigé toutes ses énergies pour soutenir les FDI à 100% ». «  Avec sa technologie de drones », déclare le journal, « la start-up Xtend joue un rôle crucial dans la guerre en cours » à Gaza [25]. Il est douteux que les 50000 euros de l’UE en subventions de recherche ait constitué ici une contribution importante — mais que le financement d’une start-up évidemment reliée à l’armée et aux armements ait pu avoir eu un objectif en dehors de cela semble tout aussi discutable.

 UnderSec : drones sous-marins

Le projet UnderSec a commencé officiellement le 1er octobre 2023 et il est totalement subventionné par l’UE avec près de 6 millions d’euros sur une période de 3 ans. Contrairement aux projets AUTOFLY et Xtend, où une unique entreprise israélienne seulement a bénéficié de subventions de l’UE dans les deux cas, des entreprises et institutions variées sont impliquées ici. UnderSec est plus similaire dans sa structure au projet ResponDrone : il est coordonné par l’institut allemand de recherche Fraunhofer-Gesellschaft, qui reçoit presque 600 000 € pour le projet. Rafael Advanced Defense Systems, une entreprise israélienne de défense, est aussi impliquée et recevra près de 450000 €, le ministère israélien de la Défense 100 000€.

ResponDrone devait tester en vue d’applications civiles une technologie avec de claires applications militaires. Les recherches pour UnderSec portent sur une question qui est même plus clairement orientée vers l’interface entre les institutions militaires et civiles. Leur objectif est de « développer le prototype d’un système modulaire et holistique intégrant des capteurs multimodaux et des ressources robotiques » afin de créer une plus grande connaissance des situations et d’améliorer « les capacités de réponse pour les bateaux, les ports et les infrastructures maritimes ». Des tests dans des environnements contrôlés et « des démonstrations en conditions réelles » sont planifiés [26]. La description courte du projet ne fait aucune référence au blocus de la Bande de Gaza qui viole le droit international et a une forte composante maritime.

Comme le projet est à un stage précoce, aucun rapport officiel n’est encore disponible. Cependant, on peut déduire de la description du projet et des entreprises impliquées que des véhicules sous-marins sans pilote humain et des bouées avec différents systèmes de capteurs doivent être mis en réseau et testés. Dans le cadre du projet, le fournisseur portugais des drones de détection sous-marins Oceanscan est subventionné à hauteur de 350000 € et l’entreprise de défense espagnole SAES qui développe des bouées de détection, à hauteur de 361000€. De plus, des instituts de recherche civils et des autorités civiles (principalement de Grèce), ainsi que le ministère portugais de la Défense, sont aussi associés. L’entreprise Rafael d’Israël, qui fournit déjà des systèmes complets pour la défense maritime, drones et anti-mines, pourrait agir comme un intégrateur de systèmes, d’une manière similaire à IAI dans le projet ResponDrone. Il reste à voir si, comme avec Autoflyer, un produit commun aux entreprises impliquées sera lancé sur le marché en parallèle avec le projet de recherche. Si oui, il ne serait pas surprenant que cela en soit un avec des applications militaires.

Expliquer le financement de l’UE pour les entreprises et les institutions militaires israéliennes

Le financement relativement étendu des entreprises d’armement israéliennes dans le cadre de la politique de recherche de l’UE soulève des questions, et pas seulement dans le contexte d’une politique d’occupation en violation du droit international et de l’accusation actuelle de génocide. En même temps, il y a plusieurs explications possibles.

On pourrait certainement arguer sur le plan normatif que les États européens ont une responsabilité spéciale dans la capacité d’Israël à se défendre dans un environnement généralement hostile, étant donné leur rôle dans la fondation de l’État d’Israël, et particulièrement l’Allemagne à cause de la Shoah. Cependant, il semble discutable que cette hypothèse assez subtile, normative et controversée, forme effectivement et puisse former la pratique ordinaire du financement de recherche de l’UE.

Une justification structurelle paraît plus viable : le secteur israélien de la technologie et de la défense a des caractéristiques qui le rend particulièrement approprié pour une inclusion dans les programmes de recherche de l’UE. D’un côté, Israël est considéré comme un leader mondial dans divers secteurs technologiques, ce qui est souvent attribué au concept de la « nation start-up ». Cela inclut, entre autres choses, un financement d’État étendu et une mise en réseau étroite entre l’industrie et l’État, en particulier l’armée, les agences de renseignement et les start-ups. Cela conduit aussi à une grand nombre d’acteurs de petite et de moyenne taille impliqués, acteurs à qui la politique de recherche de l’UE cherche explicitement à créer un accès privilégié. Dans d’autres pays bénéficiaires, les structures ont émergé d’associations industrielles et professionnelles et d’autorités étatiques qui soutiennent des entreprises grandes et petites et les organisations participant au programme de recherche de l’UE et qui sont en retour subventionnées par l’UE dans cet objectif.

En se basant sur l’expérience de la « nation start-up », il est concevable qu’Israël soit capable d’établir les structures correspondantes plus rapidement et plus efficacement ou de s’appuyer sur des structures existantes. La petite entreprise de consulting Agora, qui a déjà été brièvement mentionné ici et qui est impliquée dans des projets variés de l’UE, avec des liens militaires ou sans, est un exemple d’une initiative qui est purement dans le secteur privé et orientée vers le profit. Finalement, par rapport à la recherche dans le domaine de la sécurité en particulier, il devrait être noté que le politique de recherche de l’UE se concentre particulièrement sur les interfaces entre sécurité interne et externe, une interface qui est déjà très nette dans les politiques et l’industrie israéliennes, dans le contexte de l’occupation et de la menace du terrorisme.

Finalement, l’implication étendue de l’industrie israélienne (d’armement) pourrait aussi être justifiée par les intérêts européens. D’un côté, Israël est un grand marché, aussi potentiellement pour les entreprises d’armement européennes, comme l’exemple de l’entreprise espagnole Alpha le montre clairement. De nouveaux produits y sont rapidement appliqués et peuvent être commercialisés avec une référence aux FDI comme clients ou aux « tests sur le champ de bataille ». En même temps, la promotion de la coopération avec la tech et l’industrie d’armement israéliennes pourrait aussi être basée sur l’espoir d’un transfert de technologie et de savoir-faire, parce que — comme cela a déjà été mentionné —Israël est considéré comme le leader du secteur.

Dans ce contexte, l’historien juif allemand conservateur Michael Wolffsohn, qui a enseigné comme professeur à l’université de la Bundeswehr [l’armée allemande] pendant de nombreuses années, a récemment décrit comme « stupide » un appel à un arrêt des transferts d’armements allemands à Israël :

L’Allemagne est plus dépendante des armes d’Israël qu’Israël ne l’est des armes allemandes. les missiles et les drones d’Israël protègent l’Allemagne et l’Europe et sans Israël, la prévention du terrorisme en Allemagne ou les innovations informatiques n’existeraient pratiquement pas. Seuls les veaux les plus bêtes choisissent leurs propres bouchers [27].

En fait, l’industrie d’armement allemande et européenne semble être dépendante de la coopération avec Israël dans des champs variés de la technologie, par exemple dans le domaine de l’intelligence artificielle. Le logiciel pour un système augmenté par l’IA afin de coordonner des essaims de drones et de fantassins, qui a été récemment testé par les forces armées allemandes, venait de l’entreprise israélienne Rafael [28]. Il n’est pas encore clair que les données d’entrainement pour le développement de cette IA viennent aussi des territoires occupés et de conflits antérieurs autour de Gaza, mais ce n’est pas exclu non plus.

Indépendamment, le soutien de l’UE pour l’industrie d’armement israélienne est sans aucun doute discutable d’un point de vue moral et juridique — particulièrement à la lumière de l’acte d’accusation en cours pour génocide présumé à Gaza. Celle-ci est justifiée, entre autres, par des déclarations génocidaires proférées par des responsables et politiciens israéliens de haut-rang, dont le ministre israélien de la Défense [29] — dont le ministère est subventionné pour participer à des projets de recherche de l’UE.

Auteur: Christoph Marischka, chercheur et militant de la paix, membre du bureau de l’IMI

Notes

[1] Version consolidée du Traité de l’Union européenne et du Traité du fonctionnement de l’Union européenne, Article 179, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:12016ME/TXT.

[2] https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/1f107d76-acbe-11eb-9767-01aa75ed71a1

[3] Version consolidée du Traité de l’Union européenne et du Traité du fonctionnement de l’Union européenne, Article 41(2).

[4] Ben Hayes, Arming Big Brother, TNI/Statewatch 2006, https://www.statewatch.org/media/documents/news/2006/apr/bigbrother.pdf

[5] Statewatch: Palestine: 300 universitaires appellent à suspendre le financement de recherche de l’UE qui viole le droit international, 2024-07-02, https://www.statewatch.org/news/2024/february/palestine-300-academics-call-for-halt-to-eu-research-funding-that-violates-international-law/.

[6] ECCP: Financement de l’UE aux entreprises et institutions militaires israéliennes par Horizon2020, 2015-10-13, www.eccpalestine.org.

[7] OPARUS (Open architecture for UAV-based surveillance system [Architecture ouverte pour un système de surveillance basé sur les UAV) – Rapport final, https://cordis.europa.eu/project/id/242491/reporting.

[8] Cordis: Novel Intruder Detection & Authentication Optical Sensing Technology [Nouvelle technologie de détection et d’authentification des intrus par capteurs optiques ] – Fiche d’information https://cordis.europa.eu/project/id/217872.

[9] Cordis: Unmanned aircraft systems platform to support situation assessment for first responders [Plateforme de systèmes aériens sans humain à botd pour faciliter l’évaluation de la situation par les premiers intervenants]– Description du projet, https://cordis.europa.eu/project/id/833717.

[10] Ibid.

[11] ResponDrone: D14.8 ResponDrone Rapport périodique RP2 Mois 22-36 (1/2/2021-30/4/2022), https://ec.europa.eu/research/participants/documents/downloadPublic?

[12] Times of Israel: l’Espagne cherche des réponses pour le don de drones d’Israël à la Russie, 2024-25-11, https://www.timesofisrael.com/spain-seeks-answers-for-israels-drone-gift-to-russia/.

[13] Globes Israel business news: Israel Aerospace dévoile de petits drones hélicoptères, 2020-7-9, https://en.globes.co.il/en/article-israel-aerospace-unveils-small-helicopter-drones-1001341862.

[14] Ibid.

[15] Ibid.

[16] Cordis: GPS-free, beyond the visual line of sight navigation for logistics drones in urban environments [Navigation sans GPS, au-delà de la ligne de visée visuelle, pour les drones logistiques en milieu urbain]– Rapport, https://cordis.europa.eu/project/id/190185259/reporting.

[17] Shoshanna Solomon: « Première », un drone de livraison arrive à destination en Israël sans signal GPS, Times of Israel, 10.2.2020, https://www.timesofisrael.com/in-first-delivery-drone-gets-to-destination-in-israel-without-gps-signal/.

[18] Anastasios Giannakis, Michael Shoesmith, Madison Thomas: Premier essaim de drones à intelligence artificielle récemment utilisés sur le champ de bataille — Implications, The Counterterrorism Group, 2021-19-7, https://www.counterterrorismgroup.com/post/first-artificial-intelligence-swarm-drones-recently-utilized-on-the-battlefield-implications.

[19] Shoshanna Solomon: « Première », un drone de livraison arrive à destination en Israël sans signal GPS, Times of Israel, 10.2.2020, https://www.timesofisrael.com/in-first-delivery-drone-gets-to-destination-in-israel-without-gps-signal/.

[20] https://www.sightec.com

[21] Cordis: Xtend – Extending Reality Skywards [Étendre la réalité vers le ciel]– Rapport, https://cordis.europa.eu/project/id/887959/reporting

[22] Seth J. Frantzman: Le Pentagone commande de petits drones israéliens pour des opérations spéciales intérieures, Defensenews 2021-10-5, https://www.defensenews.com/unmanned/2021/05/10/pentagon-orders-small-israeli-drones-for-indoor-special-operations/.

[23] https://defense.xtend.me/

[24] The Economist: Comment Israël utilise des drones à Gaza, 2023-4-12, https://www.economist.com/the-economist-explains/2023/12/04/how-israel-is-using-drones-in-gaza

[25] Michael Matias, Yaffa Abadi: Avec sa technologie de drones, la startup Xtend joue un rôle crucial dans la guerre en cours, Calcalist, 2023-14-12, https://www.calcalistech.com/ctechnews/article/skrkv9u8t

[26] Cordis : Sensor-based prototype system for underwater security [Système prototype basé sur des capteurs pour la sécurité sous-marine]– Fiche d’information, https://cordis.europa.eu/project/id/101121288

[27] „Eine Gala der Pseudomoralisten“ [Un Gala des psuedo-moralistes ]: Commentaire de l’historien Michael Wolffsohn dans l’émission « Kultur Heute » de la radio allemande du 25.2.2024, https://www.deutschlandfunk.de/geschichtsvergessener-jubel-michael-wolffsohn-zu-israel-bashing-bei-berlinale-dlf-07408870-100.html

[28] Rafael Advanced Defense Systems: Atos et RAFAEL remportent l’appel d’offres de l’armée allemand « Glass Battlefield », 2019-8-12, https://www.rafael.co.il/press/atos-and-rafael-win-the-german-armys-glass-battlefield-study-tender/

[29] Entre autres choses, Yoav Gallant a déclaré : « J’ai ordonné un siège complet de la Bande de Gaza. Il n’y aura ni électricité, ni nourriture, ni combustible, tout est fermé » et « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ».