Radhika Sainath écrit que la ré écriture de la politique visant à empêcher les manifestations sur Gaza aura de graves conséquences quant à l’expression sur les campus
En juillet, les Étudiants pour la Justice en Palestine de l’Université du Maryland ont déposé une demande pour tenir une veillée le 7 octobre. L’université a accueilli la demande, mais à la suite de nombreuses plaintes, elle a fait une évaluation des menaces, n’a trouvé « aucune menace immédiate ou active » puis a tout de même annulé l’événement – et dans un geste extraordinaire et illégal , elle a interdit tous événements permettant une expression sur le campus qui ne soit pas sous la tutelle de l’université à cette date.
C’est peut-être l’exemple le plus flagrant des universités qui essaient de tranquilliser les forces pro-israéliennes en empêchant les protestations contre la guerre brutale d’Israël à Gaza, mais tandis que les étudiants reviennent sur les campus, l’administration universitaire ré écrit la politique dans un sens qui aura de graves conséquences sur la vie universitaire pour les années à venir.
En une première historique, l’Université de New York a changé la politique sur le code de conduite de ses étudiants le mois dernier, faisant du sionisme – une idéologie nationaliste religieuse – une identité protégée, comme être noir.e ou femme. La nouvelle politique – dont NYU prétend qu’elle n’est pas du tout nouvelle — détaille largement qu’il est désormais interdit et passible de punition de refuser de travailler avec un sioniste, d’ostraciser des sionistes ou de répandre des tropes sur les sionistes. Ces règles s’appliquent aussi hors campus.
À l’Université Columbia l’administration a récemment sorti des recommandations émanant d’un groupe de travail sur l’antisémitisme qui a établi que les groupes étudiants « devraient passer par un processus de consultation solide avant de publier des déclarations ou de rejoindre des coalitions » et qui a décrété que ces groupes « ne devraient pas publier des déclarations sans lien avec leurs missions ». (c’était en réponse à un certain nombre de groupes mobilisés sur la justice sociale, des groupes à base identitaire et d’autres qui avaient émis des déclarations critiques d’Israël et rejoint Columbia University Apartheid Divest, une coalition de groupes militants du campus.) Le groupe de travail a aussi recommandé à Columbia d’avoir recours à une définition hautement problématique de l’antisémitisme qui inclut « certains double standards appliqués à Israël » pour « des objectifs pédagogiques et de formation », y incluant des obligations de formations contre les préjugés pour les assistants d’enseignement.
Les universités, privées et publiques, bombardent les étudiants de rappels sur les restrictions concernant les heures, les lieux et les comportements – un mode d’expression du Premier Amendement typiquement employé pour assurer que l’État ne restreigne la parole que d’une manière neutre sur les points de vue, mais cela a au contraire été brandi comme des mesures draconiennes pour limiter les actions de protestation et punir la déviance après que les administrations universitaires ont supposément amendé leurs politiques de façon neutre pour limiter exactement le type d’activité discursive des militants propalestiniens.
Dans la même ligne, l’administration universitaire prétend rester engagée à la liberté académique, au droit de protester et à la liberté d’expression. Un autre exemple extrême est celui de l’Université du Wisconsin à Madison (UWM) qui a mis à jour sa politique concernant ceux qui s’expriment , d’une façon qui semble sortie tout droit de 1984, interdisant toute expression publique en dehors de celle “d’individus s’adressant directement l’un à l’autre » à 7,6 mètres d’un bâtiment, une politique que le professeur de droit constitutionnel de l’UWM, Howard Schweber a appelée « clairement inconstitutionnelle » parce qu’elle couvre « une quantité énorme et presque incalculable d’expressions protégées par le Premier Amendement, de façons qui n’ont rien à voir avec la garantie d’accès aux bâtiments universitaires ».
En fait, mon bureau, Palestine Legal, reçoit un afflux de rapports d’étudiants censurés et punis à leur retour à l’université, souvent avec le prétexte que le soutien aux droits des Palestiniens (ou le port de keffiehs ou d’écharpes palestiniens) viole le Titre IV de la loi de 1964 relative aux droits civils, en créant un environnement hostile aux Juifs, alors même que des étudiants juifs sont au centre de nombre de manifestations et portent des écharpes palestiniennes. Souvent, aucune raison n’est donnée.
Sur un campus, des étudiants ont été sanctionnés pour des infractions au code de conduite, pour avoir écrit une tribune défendant le côté positif d’un campement solidaire de Gaza. Les repas collectifs pour la Palestine ont été annulés. Les professeurs qui font référence à Gaza ou à la Palestine dans leurs cours se voient informés que ces cours ne sont pas adaptés au cursus ou leurs programmes sont scrutés – ou transférés au Congrès d’une manière qui rappelle l’ère Maccartiste. Des assistants ont été licenciés. Des titularisations d’enseignants suspendues . Des enquêtes menées sur des professeurs titulaires.
Aucune de ces actions maladroites n’est susceptible d’arrêter l’opposition croissante à la guerre d’Israël à Gaza, bien que ce soit ce pourquoi elles sont conçues.
Étudiants et professeurs voient un génocide s’exercer en direct sous leurs yeux. Bien que de nombreux Israéliens évitent le mot, c’est un terme basé sur des faits et sur le droit, et les administrateurs devraient comprendre ce qui pousse étudiants et professeurs à agir. Des spécialistes du génocide et de l’holocauste appellent ce qu’Israël fait à Gaza un génocide. La Cour Internationale de Justice et un tribunal fédéral états-unien ont jugé qu’il pouvait s’agir d’un génocide et la CIJ poursuit son enquête. Les étudiants sont conscients de cela et savent que leurs établissements d’enseignement sont complices de l’oppression des Palestiniens par Israël ; c’est pourquoi ils appellent au désinvestissement, ainsi qu’ils l’ont fait durant l’apartheid sud-africain. La répression n’a pas arrêté les étudiants dans leurs manifestations bruyantes, déroutantes, controversées contre la guerre du Vietnam, et elle n’arrêtera pas les étudiants dans leurs protestations contre la guerre à Gaza appuyée par les États Unis.
L’inquiétude des administrateurs quant aux protestations sur les campus est compréhensible, étant donnée l’opposition de donateurs puissants, or l’obéissance spontanée aux soutiens d’Israël non seulement ne fera pas disparaitre le « problème » des manifestations sur les campus pour les droits humains des Palestiniens, mais elle pourrait avoir d’immenses ramifications pour d’autres groupes privés de leurs droits et souhaitant s’exprimer.
Une telle politique pourrait ouvrir la porte à d’autres idéologies ethno-nationalistes protégées, comme le sionisme à NYU. Par exemple, les nationalistes hindous pourraient déposer des plaintes contre les étudiants Dalit pour leur critique du système des castes, en parlant d’Hindouphobie . Des groupes chrétiens de droite pourraient porter plainte contre des étudiants LGBTQ+ ou féministes parce qu’ils « ostracisent » ceux qui expriment des opinions antitrans ou antichoix.
Déjà, des nationalistes blancs se sentent opprimés et discriminés par le DEI (Diversité Équité Inclusion) – code souvent appliqué aux Noirs pour qu’ils aient leur place dans la société. Les étudiants blancs qui s’opposent à l’intégration ou qui pensent que l’esclavage ce n’était pas si mal, vont-ils pouvoir invoquer des lois s’opposant aux préjugés, contre un étudiant noir voulant ne pas être dans un groupe d’étude avec, disons, un étudiant blanc – ou qui appelle de telles positions racistes sur les réseaux sociaux, ou dans un parc public ?
Et que signifie le fait d’interdire « certains double standards appliqués à Israël » dans le cadre de débats en salles de cours ou de conférences et qui en décide ? Combien d’autres pays doivent être critiqués avant qu’Israël ne soit cité ? Est-ce que des groupes comme Amnesty International qui ont accusé Israël de commettre le crime d’apartheid contre les Palestiniens appliquent un double standard à Israël ? Comment cela fonctionnerait-il même dans un cours sur Israël et la Palestine ? Un étudiant palestinien serait-il sujet à des audiences disciplinaires s’il mentionnait qu’Israël avait tué un de ses cousins à Gaza ?
Ce qui manque souvent dans le débat c’est comment tout cela est aussi raciste et discriminatoire envers les Palestiniens – le seul groupe auquel il est interdit de parler de son oppresseur sans mentionner d’abord un nombre non divulgué d’autres pays engagés dans de semblables mauvaises actions.
De plus, réécrire une politique et conséquemment exclure des étudiants pour de petites déviations n’est pas bon pour l’université. Il suffit de regarder la Floride, qui à la fois a voté une loi interdisant aux universités de dépenser de l’argent pour des activités ou des clubs faisant la promotion du DEI et a aussi tenté de chasser sur le champ les Étudiants pour la Justice en Palestine de tous les campus à l’automne dernier.
Pour les administrateurs qui cherchent à utiliser les restrictions de temps, de lieu et de manière comme une massue contre les étudiants (ou contre leurs professeurs alliés), demandez-vous si la même action avec n’importe quel autre message serait traitée de la même façon. Les étudiants savent comment les manifestants pour la justice climatique qui appellent au désinvestissement – qui ont aussi occupé des bâtiments et ont organisé des sit-in pendant les années passées – ont été écoutés plutôt que menottés. Ils ont entendu parler des traditions notables de justice sociale et ils ont vu les images de manifestants d’un temps révolu en bonne place sur les réseaux sociaux. Ils voient comment les administrateurs sont prompts à prendre des mesures punitives draconiennes sans notification ou audience, mettant l’accent sur des moments, des lieux ou des manières ou autres règles quand il s’agit de manifestations contre le génocide perpétré par Israël – tout en enfreignant leurs propres règles sur les procédures et expressions régulières. Il y a deux mots pour cela, c’est ce qu’on appelle de la discrimination d’opinion – et c’est en violation du Premier Amendement de la Constitution des États-Unis, la plus haute loi du pays.
Et tandis que les universités privées ne sont pas liées au Premier Amendement, elles se sont engagées en grande majorité pour la liberté d’expression et sont tenues d’appliquer leur politique de façon non discriminatoire.
Cette pratique n’est pas obligatoire . Plusieurs administrations universitaires se sont réunies avec leurs étudiants pour parler avec eux , écouter leurs propositions et/ou accepter leurs revendications comme l’amélioration de la transparence des investissements, allant jusqu’à inviter des étudiants à parler du désinvestissement aux administrateurs – ou désinvestissant effectivement de sociétés qui aident les violations d’Israël.
Il va y avoir des pressions pour censurer et punir. Des donateurs ont retiré leur financement . Le Congrès somme les établissements d’envoyer des dossiers sur les discours et activités « anti-Israël ». Les présidents de l’Université de Harvard, de l’Université de Pennsylvanie, de l’Université Columbia ont tous démissionné à cause de leur gestion du soutien à la cause palestinienne sur leurs campus.
Pour couronner le tout, des groupes pro-Israël noient les campus de plaintes techniques, de poursuites en justice et de menaces légales exigeant que les universités punissent et fassent cesser les prises de parole qui mettent mal à l’aise les étudiants juifs qui soutiennent la guerre d’Israël à Gaza et d’autres politiques envers les Palestiniens. Ces actions en justice sont souvent conçues pour que les tribunaux et les universités redéfinissent ce que signifie être juif, en prétendant que le sionisme est au cœur de l’identité juive – alors même que nombre de Juifs sont non sionistes ou antisionistes -rendant ainsi le discours critique du sionisme et des sionistes répréhensible. En fait, beaucoup de personnes visées par les plaintes pour antisémitisme sont elles-mêmes juives.
S’agissant de l’avenir de la liberté d’expression et de la recherche universitaire sur les campus états-uniens, la Palestine est le canari dans la mine de charbon[1]. Cette année, les administrateurs doivent choisir : veulent-ils que leur héritage soit celui de la complaisance envers les donateurs et le Congrès ou celui de la défense de la liberté académique, de la liberté d’expression et du mouvement de contestation contre la guerre que les générations futures considèreront sans aucun doute comme juste ?
Radhika Sainath fait partie de l’équipe d’avocats senior de Palestine Legal.
[1] Allusion à une pratique de mineurs consistant à apporter un canari dans la mine, qui serait le premier à être atteint par des gaz et serait ainsi pour eux un signal du danger