Le retour au pouvoir en Israël du Premier ministre Benjamin Netanyahou avec une coalition étriquée d’extrême droite a fracassé l’illusion même d’une solution à deux États. Les membres de ce….
Le retour au pouvoir en Israël du Premier ministre Benjamin Netanyahou avec une coalition étriquée d’extrême droite a fracassé l’illusion même d’une solution à deux États. Les membres de ce nouveau gouvernement n’ont pas eu peur de faire connaître leur point de vue sur ce qu’est Israël et ce qu’il devrait être dans tous les territoires qu’il contrôle : un Grand Israël défini non seulement comme un État juif, mais un État dans lequel la loi consacre la suprématie des Juifs sur tous les Palestiniens qui y restent encore. Résultat, il n’est plus possible d’éviter de devoir affronter une réalité à un-État.
Le nouveau gouvernement radical d’Israël n’a pas créé cette réalité, mais a plutôt fait qu’il est impossible de la nier. Le statut temporaire d’« occupation » des territoires palestiniens est maintenant une condition permanente dans laquelle un État dirigé par un seul groupe de personnes domine un autre groupe de personnes. La promesse d’une solution à deux États faisait sens en tant qu’avenir alternatif dans les années autour des Accords d’Oslo de 1993, lorsqu’il y avait des groupes favorables à un compromis à la fois chez les Israéliens et chez les Palestiniens et quand des progrès tangibles, même si éphémères, ont été faits en vue de la construction d’institutions d’un hypothétique État palestinien. Mais cette période a pris fin depuis longtemps. Aujourd’hui, cela n’a plus vraiment de sens de laisser des visions fantaisistes de l’avenir occulter des dispositions existantes profondément ancrées.
Il n’est plus temps de se débattre avec ce que la réalité à un État signifie pour la ligne de conduite, la politique et l’analyse. La Palestine n’est pas un État en attente, et Israël n’est pas un État démocratique qui occuperait incidemment le territoire palestinien. Tout le territoire à l’ouest du Jourdain constitue depuis longtemps un seul État sous l’autorité israélienne, où la terre et le peuple sont soumis à des régimes juridiques radicalement différents et où les Palestiniens sont traités en permanence comme une caste inférieure. Les responsables politiques et les analystes qui ignorent cette réalité à un État seront condamnés à l’échec et à l’inutilité, ne faisant guère plus que fournir un écran de fumée pour le maintien du statu quo.
Certaines implications de cette réalité à un État sont claires. Le monde ne cessera pas de se soucier des droits des Palestiniens, quelle que soit l’ardeur avec laquelle de nombreux supporters d’Israël (et des dirigeants arabes) en souhaitent la fin. La violence, la dépossession et les violations des droits de l’homme se sont aggravées au cours de l’année dernière, et le risque d’un confrontation violente de grande ampleur augmente tous les jours avec le bouclage des Palestiniens dans ce système en expansion constante d’oppression légalisée et d’invasion israélienne. Mais ce qui est beaucoup moins clair, c’est comment les acteurs importants s’adapteront – si jamais ils y arrivent – alors que la réalité d’un État unique passe de secret de Polichinelle à une indéniable vérité.
Le président américain Joe Biden semble pleinement attaché au statu quo, et il n’y a aucune preuve que cette administration ait réfléchi à la question ou vraiment fait autre chose que la gestion de la crise et l’expression d’un mécontentement. Un fort sentiment d’optimisme imprègne Washington, de nombreux responsables américains essayant toujours de se convaincre qu’il existe une chance de revenir à une négociation à deux États quand l’aberrant gouvernement de Netanyahou aura quitté ses fonctions. Mais ignorer la nouvelle réalité ne sera plus très longtemps une option. Une tempête se prépare en Israël et Palestine qui exige une réponse urgente du pays qui a le plus favorisé l’émergence d’un État unique qui maintiendrait la suprématie juive. Si les États-Unis veulent éviter une profonde instabilité au Moyen Orient et une remise en cause plus largement de leur programme mondial, ils doivent cesser d’exempter Israël des normes et structures de l’ordre libéral international que Washington souhaite conduire.
DE L’INDICIBLE A L’INDÉNIABLE
Un accord sur un État unique n’est pas une éventualité future ; il existe déjà, peu importe ce qu’on en pense. Entre la Méditerranée et le Jourdain, un seul État contrôle l’entrée et la sortie des gens et des marchandises, supervise la sécurité, et a la capacité d’imposer ses décisions, ses lois et sa politique à des millions de personnes sans leur consentement.
Une réalité à un État pourrait, en principe, être fondée sur la démocratie et l’égalité entre les citoyens. Mais ce genre d’arrangement n’est pas sur la table actuellement. Forcé de choisir entre l’identité juive d’Israël et la démocratie libérale, Israël a choisi la première. Il s’est enfermé dans un système de suprématie juive, dans laquelle les non-juifs sont structurellement discriminés ou exclus dans un schéma à plusieurs niveaux : certains non-juifs ont la plupart, mais pas la totalité, des droits qu’ont les Juifs, tandis que la plupart des non-juifs vivent sous une sévère ségrégation, séparation et domination.
Dans les dernières années du vingtième siècle, un processus de paix a offert la possibilité alléchante de quelque chose de différent. Mais depuis le sommet de Camp David en 2000, où les négociations menées par les États-Unis n’ont pas réussi à parvenir à un accord sur deux États, l’expression « processus de paix » a principalement servi à faire abstraction des réalités sur le terrain et à offrir une excuse pour ne pas en tenir compte. La deuxième Intifada, qui a éclaté peu après la déception de Camp David, et les intrusions israéliennes qui ont suivi en Cisjordanie, ont transformé l’Autorité Palestinienne en guère plus qu’un sous-traitant de la sécurité d’Israël. Elles ont par ailleurs accéléré la dérive droitière de la politique israélienne, les déplacements de population provoqués par l’arrivée de citoyens israéliens en Cisjordanie, et la fragmentation géographique de la société palestinienne. L’effet cumulatif de ces changements est devenu évident pendant la crise de 2021 due à l’appropriation des maisons palestiniennes à Jérusalem Est, qui a provoqué l’affrontement, non seulement des colons israéliens et des Palestiniens, mais aussi des citoyens juifs et palestiniens d’Israël dans un conflit qui fait s’affronter villes et quartiers.
Le nouveau gouvernement de Netanyahou, composé d’extrémistes religieux et nationalistes de droite, incarne ces tendances. Ses membres se vantent de leur mission qui consiste à créer un nouvel Israël à leur image : moins libéral, plus religieux, et plus disposé à admettre sa discrimination envers les non-juifs. Netanyahou a écrit qu’« Israël n’est pas un État de tous ses citoyens », mais plutôt « du peuple juif – et seulement lui ». L’homme qu’il a nommé ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a déclaré que Gaza devrait être « à nous » et que « les Palestiniens peuvent aller … en Arabie Saoudite ou dans d’autres endroits comme l’Irak ou l’Iran ». Cette vision extrémiste est depuis longtemps partagée par au moins une minorité d’Israéliens et est solidement ancrée dans la pensée et la pratique sionistes. Elle a commencé à gagner des adhérents, peu après l’occupation des territoires palestiniens par Israël, avec la guerre de 1967. Et bien que ce ne soit pas encore une vision hégémonique, elle peut vraisemblablement prétendre à une majorité de la société israélienne et ne peut plus être traitée de position marginale.
Le fait d’une réalité à un État a longtemps été évidente pour ceux qui vivent en Israël et dans les territoires qu’il contrôle et pour quiconque a fait attention aux inexorables glissements sur le terrain. Mais ces toutes dernières années, quelque chose a changé. Jusqu’à récemment, la réalité à un État a rarement été reconnue par les acteurs importants, et ceux qui disaient à haute voix la vérité étaient ignorés ou punis pour ce faire. A une vitesse remarquable cependant, l’indicible est devenu proche de la sagesse populaire.
LA DÉMOCRATIE POUR CERTAINS
Pour voir la réalité d’un État unique, beaucoup d’observateurs auront besoin de nouvelles lunettes. Il s’agit de gens qui ont l’habitude de voir une différence entre les territoires occupés et Israël proprement dit – c’est-à-dire l’État tel qu’il existait avant 1967, lorsqu’Israël a conquis la Cisjordanie et Gaza – et qui pensent que la souveraineté d’Israël se limite au territoire qu’il contrôlait avant 1967. Mais l’État et la souveraineté sont deux choses différentes. L’État est défini par ce qu’il contrôle, alors que la souveraineté dépend de la reconnaissance par d’autres États de la légalité de ce contrôle.
Ces nouvelles lunettes désagrégeraient les concepts d’État, de souveraineté, de nation et de citoyenneté, rendant plus facile de voir une réalité à un État qui est inéluctablement fondée sur des relations de supériorité et d’infériorité entre les Juifs et les non-juifs à travers tous les territoires sous contrôle différencié mais incontesté d’Israël. Considérez Israël à travers les lentilles d’un État. Il a le contrôle sur un territoire qui s’étend du fleuve à la mer, a pour ainsi dire le monopole de l’usage de la force, et utilise ce pouvoir pour soutenir un blocus draconien sur Gaza et pour contrôler la Cisjordanie avec un système de checkpoints, de maintien de l’ordre et d’expansion incessante des colonies. Même après avoir retiré ses forces de Gaza en 2005, le gouvernement israélien a gardé le contrôle sur les points d’entrée et de sortie du territoire. Comme certaines parties de Cisjordanie, Gaza jouit d’un certain degré d’autonomie et, depuis la rapide guerre civile de 2007, ce territoire a été administré intérieurement par l’organisation islamiste Hamas, qui ne tolère que peu de contestation. Mais le Hamas ne contrôle ni le littoral, ni l’espace aérien, ni les frontières du territoire. En d’autres termes, selon n’importe quelle définition raisonnable, l’État d’Israël comprend toutes les terres de sa frontière avec la Jordanie jusqu’à la Mer Méditerranée.
Il a été possible d’ignorer cette réalité parce qu’Israël n’a pas revendiqué officiellement sa souveraineté sur toutes ces zones. Il a annexé certains territoires occupés, dont Jérusalem Est et les Hauteurs du Golan. Mais il n’a pas encore déclaré sa souveraineté sur le reste de la terre qu’il contrôle, et une poignée seulement d’États seraient susceptibles de reconnaître ces revendications si Israël en venait à les formuler.
Contrôler le territoire et consolider sa domination institutionnelle sans officialiser sa souveraineté permet à Israël de maintenir la réalité d’un État unique selon ses conditions. Il peut refuser sa responsabilité (et leurs droits) à la plupart des Palestiniens parce qu’ils sont résidents de son territoire, mais pas citoyens de l’État, justifiant cyniquement cette discrimination sous prétexte qu’il maintient en vie la possibilité d’une solution à deux États. En n’officialisant pas sa souveraineté, Israël peut être démocrate pour ses citoyens, mais sans comptes à rendre aux millions de ses résidents. Cet arrangement a permis à de nombreux supporters d’Israël à l’étranger de continuer de prétendre que tout cela est temporaire – qu’Israël demeure une démocratie libérale et que, un jour, les Palestiniens exerceront leur droit à l’autodétermination.
Mais, même à l’intérieur de ses frontières d’avant 1967, la démocratie d’Israël a ses limites, qui deviennent visibles quand on les regarde à travers les lentilles de la citoyenneté. L’identité juive d’Israël et sa réalité à un État ont produit une série complexe de catégories juridiques qui répartissent des droits, des responsabilités et des protections différenciées. Sa loi de 2018 sur « l’État-nation » définit Israël comme « l’État-nation du Peuple Juif » et déclare que « l’exercice du droit à l‘autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservé au seul Peuple Juif » ; elle ne fait aucune mention de démocratie ou d’égalité pour les citoyens non-juifs.
Selon cette hiérarchie d’appartenance, l’appartenance la plus complète à la citoyenneté est réservée aux Juifs israéliens (au moins ceux dont la judaïté est conforme aux normes rabbiniques) : ils sont citoyens sans conditions. Les Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne et résident dans l’Israël d’avant 1967 ont les droits politiques et civiques, mais font face à d’autres restrictions – à la fois juridiques et extrajudiciaires – sur leurs droits, leurs responsabilités et leurs protections. Les résidents palestiniens de Jérusalem ont théoriquement la possibilité de devenir des citoyens israéliens, mais la plupart la rejettent parce que le faire serait un acte de déloyauté. Les Palestiniens qui résident dans les territoires constituent la classe la plus basse de toutes. Leurs droits et leurs responsabilités dépendent d’où ils vivent, ceux de Gaza étant au plus bas de la hiérarchie – position qui n’a fait que se détériorer depuis que le Hamas en a pris le contrôle. Demander à un·e Palestinien·ne de décrire son statut juridique peut provoquer une réponse qui durera plusieurs minutes – et sera quand même pleine d’ambiguïtés.
Tant qu’il y avait l’espoir d’une solution à deux États qui permettrait la reconnaissance de leurs droits, il était possible d’envisager la situation à l’intérieur des frontières d’Israël de 1967 comme l’une des égalités de jure combinée à une discrimination de facto envers certains citoyens – réalité, malheureuse mais courante, dans une grande partie du monde. Mais quand on admet la réalité à un État, on découvre quelque chose de plus pernicieux. Dans cet État unique, certains se retrouvent avec la liberté de circuler, de voyager, l’état civil, les activités économiques, les droits de propriété et l’accès aux services publics sévèrement restreints. Une part substantielle des résidents à vie avec des racines profondes et continues dans le territoire de cet État sont transformés en apatrides. Et toutes ces catégories et degrés de marginalisation sont renforcés par des mesures juridiques, politiques et sécuritaires imposées par des acteurs de l’État qui n’ont de comptes à rendre qu’à une partie de la population.
Nommer cette réalité est politiquement litigieux, même alors qu’un consensus s’est dégagé sur les inégalités graves et persistantes qui la caractérisent. Une rafale de rapports d’organisations non gouvernementales israéliennes et internationales documentant ces inégalités ont conduit le terme « apartheid » des marges du débat israélo-palestinien à son centre. L’apartheid fait référence à un système de ségrégation raciale utilisé par le gouvernement de la minorité blanche d’Afrique du Sud pour consacrer la suprématie blanche de 1948 au début des années 1990. Il a depuis été défini selon le droit international et la Cour Pénale Internationale comme un système légalisé de ségrégation et de discrimination raciale et considéré comme un crime contre l’humanité. Les principales organisations de défense des droits de l’homme, dont Human Rights Watch et Amnesty International, ont appliqué ce terme à Israël. De nombreux universitaires ont fait de même : d’après un sondage de mars 2022 de chercheurs spécialisés dans les questions du Moyen-Orient, qui sont membres de trois grandes associations académiques, 60 % des personnes interrogées ont décrit la situation en Israël et dans les territoires palestiniens comme une « réalité d’État unique avec une inégalité semblable à de l’apartheid ».
Le terme n’est peut-être pas parfaitement adapté. Le système israélien de discrimination structurelle est plus grave que ceux d’États plus illibéraux. Mais il se fonde non pas sur la race, comme l’apartheid était défini en Afrique du Sud et comme il est défini selon le droit international, mais sur l’ethnicité, la nationalité et la religion. Peut-être cette distinction importe-t-elle pour ceux qui souhaitent engager une action juridique contre Israël. Cependant, elle est moins importante politiquement, et elle pratiquement dénuée de sens quand il s’agit de l’analyser. Ce qui importe politiquement, c’est qu’un terme autrefois tabou est devenu une compréhension de plus en plus populaire et de bon sens de la réalité. Analytiquement, ce qui importe c’est que la qualification d’apartheid décrit précisément les faits sur le terrain et offre les prémices d’une feuille de route pour les faire changer. Apartheid n’est pas un mot magique qui modifie la réalité quand on l’invoque. Mais son entrée dans le langage politique populaire révèle une large reconnaissance du fait que le régime israélien est destiné à maintenir la suprématie juive sur tout le territoire que contrôle l’État. Le régime d’Israël n’est peut-être pas techniquement de l’apartheid, mais cela y ressemble.
RÉVEIL DIFFICILE
C’est avant tout les Israéliens et les Palestiniens qui doivent se débattre avec la réalité de l’État unique. Mais cette réalité va aussi compliquer la relation d’Israël avec le reste du monde. Depuis un demi-siècle, le processus de paix a permis aux démocraties occidentales de négliger l’occupation israélienne au profit d’un avenir prometteur dans lequel l’occupation aboutirait à une fin mutuellement négociée. La démocratie israélienne (bien que défectueuse) et la distinction symbolique entre Israël et les territoires palestiniens occupés a également aidé les personnes extérieures à détourner le regard. Toutes ces diversions ont disparu. La réalité à un État est intégrée depuis longtemps dans le droit, la politique et la société israéliennes, même si ce n’est que maintenant qu’elle est largement reconnue. Aucune alternative n’est prête et cela fait des décennies qu’il n’existe aucun véritable processus politique pour en créer une.
La reconnaissance de ces faits ne changera peut-être pas grand-chose. Beaucoup de problèmes mondiaux persistants ne sont jamais résolus. Nous vivons dans un monde populiste, où la démocratie et les droits de l’homme sont menacés. Les dirigeants israéliens se réfèrent aux Accords d’Abraham, qui ont établi les relations d’Israël avec Bahreïn, le Maroc, le Soudan et les Émirats Arabes Unis (EAU), pour prétendre que la normalisation avec les États arabes n’a jamais nécessité de résoudre la question palestinienne. De leur côté, les dirigeants occidentaux peuvent simplement continuer à prétendre qu’Israël partage leurs valeurs démocratiques libérales tandis que de nombreuses associations pro-israéliennes des États-Unis redoublent leur soutien. Les Juifs américains libéraux peuvent se battre pour défendre un Israël qui a de nombreuses caractéristiques d’apartheid, mais leurs protestations n’auront que peu d’effet concret.
Il y a cependant des raisons de penser que la transition entre un monde qui aspire à deux États et un monde réel à un État pourrait être ardue. La généralisation de l’analogie de l’apartheid avec la montée du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions – et l’intense réaction contre les deux – suggère que le terrain politique a changé. Israël jouit peut-être d’une sécurité physique et d’une reconnaissance diplomatique régionale plus grandes que jamais auparavant, avec peu de contraintes internationales ou locales sur ses activités en Cisjordanie. Mais le contrôle exige plus de force brute. Il exige aussi un peu de semblant de légitimité, avec le statu quo soutenu par sa nature de considéré comme acquis, sa naturalisation au titre du bon sens, et l’impossibilité même d’envisager une résistance justifiable. Israël a toujours la puissance matérielle pour gagner les combats qu’il engage. Mais comme ces combats prolifèrent, chaque victoire érode un peu plus sa position de combat. Ceux qui veulent défendre la réalité de l’État unique défendent des principes colonialistes dans un monde postcolonial.
La lutte pour définir et mettre en forme les termes de cette réalité de l’État unique peut prendre plusieurs formes. Dans le passé, des guerres dramatiques entre États ont créé des ouvertures pour des négociations et une diplomatie de haut niveau. Mais à l’avenir, les décideurs politiques ne sont pas susceptibles d’être confrontés à des conflits conventionnels tels que ceux qui ont éclaté entre Israël et les États arabes en 1967 et 1973. A la place, ils feront face à quelque chose de plus proche de la première et de la seconde Intifada – de soudaines explosions de violence et une contestation populaire massive telle celles qui ont eu lieu en mai 2021. A l’époque, des affrontements à Jérusalem ont déclenché une plus grande conflagration impliquant des tirs de roquettes entre Israël et le Hamas, des manifestations et de la violence en Cisjordanie, et d’affreux incidents où des Israéliens d’ascendance juive et palestinienne (et la police israélienne) se sont comportés comme si l’origine ethnique l’emportait sur la citoyenneté. Des actes quotidiens de violence et des poussées sporadiques de soulèvement populaire – peut-être même une véritable troisième Intifada – semblent inévitables.
Les responsables politiques des États-Unis et d’ailleurs qui parlent depuis longtemps de la nécessité de préserver une solution à deux États sont de plus en plus obligés de réagir à des crises auxquelles ils ne sont pas préparés. Les problèmes engendrés par la réalité à un État ont déclenché de nouveaux mouvements de solidarité, des boycotts et des conflits sociétaux. Des organisations non gouvernementales, des mouvements politiques qui soutiennent diverses causes israéliennes et palestiniennes, et des groupes de pression transnationaux cherchent à modifier les normes internationales et à faire basculer les individus, les sociétés et les gouvernements avec des campagnes médiatiques nouvelles et anciennes. De plus en plus, ils cherchent à étiqueter ou à boycotter les biens produits dans les endroits contrôlés par le gouvernement israélien (ou à interdire ces boycotts) et invoquent la législation sur les droits civiques pour mobiliser leurs supporters et trouver des alternatives aux efforts diplomatiques sans scrupule des dirigeants du gouvernement.
Mais tous ces mouvements et ces campagnes cherchent à mobiliser des circonscriptions qui sont profondément divisées. Les Palestiniens sont divisés entre ceux qui ont la citoyenneté israélienne et ceux qui ont d’autres formes de résidence, ainsi que parmi ceux qui vivent à Jérusalem Est, en Cisjordanie, et à Gaza. Ils sont divisés entre ceux qui vivent dans la réalité de l’État unique et ceux qui vivent dans la diaspora. Ils sont divisés entre la faction politique du Fatah qui règne en Cisjordanie et l’organisation du Hamas qui contrôle Gaza. Ils sont également de plus en plus divisés en fonction des générations. Les jeunes Palestiniens se sentent moins attachés aux mouvements qui ont canalisé les engagements et les énergies politiques de leurs parents et grands-parents et sont plus susceptibles de se tourner vers de nouveaux groupes et d’adopter de nouvelles tactiques de résistance.
Les Israéliens sont eux aussi divisés sur la nature de l’État, le rôle de la religion en politique, et une foule d’autres sujets, dont les droits des gays, des lesbiennes et autres minorités sexuelles. Les juifs israéliens libéraux ont organisé d’énormes manifestations pour dénoncer l’attaque contre la démocratie et le système judiciaire par le gouvernement de Netanyahou, mais ils ont beaucoup moins mobilisé autour de la question palestinienne, montrant combien les désaccords internes ont mis de côté les questions sur le processus de paix qui n’existe plus.
Le résultat, c’est que les dirigeants des deux côtés ne dirigent pas. Il y a dans les deux camps des politiciens qui veulent garder le conflit sous silence, généralement pas au service d’une stratégie de résolution, mais à cause d’une impression d’inefficacité et d’inertie. D’autres politiciens veulent le contraire : bousculer les choses et s’engager dans une direction radicalement différente, comme l’a fait le Président américain Donald Trump avec son « deal du siècle », promettant la fin du conflit d’une façon qui effaçait pratiquement les droits et les aspirations nationales des Palestiniens. Les Juifs poussant l’annexion formelle des territoires occupés et les Palestiniens préconisant de nouveaux modes de résistance au régime israélien espèrent aussi bousculer le statu quo. Mais tous ces efforts s’appuient sur des structures solidement établies et les intérêts du pouvoir.
Dans ces conditions, toute diplomatie entreprise au nom de la résolution équitable du conflit échouera vraisemblablement parce qu’elle interprète mal à la fois les alternatives possibles à l’impasse actuelle et la volonté de toutes les parties de les faire aboutir. Les dirigeants politiques qui souhaitent faire de meilleurs choix devront faire attention aux modes de fonctionnement et d’évolution dans lesquels fonctionne le système à un État. Ils auront besoin de comprendre comment ses divers habitants imaginent leur patrie, comment les droits sont appliqués ou violés, et comment la démographie évolue lentement mais sûrement.
LES FANTÔMES DU PRINTEMPS ARABE
La reconnaissance de la réalité de l’État unique a des implications importantes – et contradictoires – pour le monde arabe. L’argument en faveur des deux États admet depuis longtemps l’importance de la cause palestinienne pour les publics arabes, sinon pour leurs gouvernements. L’initiative de paix saoudienne de 2002, qui offrait une normalisation des relations entre Israël et les États arabes en échange d’un retrait total d’Israël des territoires occupés, a établi une base de référence : la paix avec le monde arabe exigerait une résolution de la question palestinienne.
Les Accords d’Abraham, négociés par l’administration Trump et soutenus avec enthousiasme par l’administration Biden, visaient explicitement cette présomption en accélérant la normalisation politique et la coopération sécuritaire entre Israël et plusieurs États arabes, sans exiger de progrès sur la question palestinienne. Cette dissociation entre la normalisation arabe et la question palestinienne a largement contribué à l’enracinement de la réalité de l’État unique.
Jusqu’ici, les Accords d’Abraham se sont avérés durables, survivant à la formation du gouvernement de Netanyahou avec ses ministres extrémistes. La normalisation des relations entre Israël et les EAU, au moins, survivra vraisemblablement au prochain cycle de violence israélo-palestinienne et même aux mouvements israéliens manifestes en direction de l’annexion. Mais depuis la signature des accords, aucun autre pays arabe n’a cherché à normaliser ses relations avec Israël, et l’Arabie Saoudite a continué à se prémunir contre les risques en se retenant de tisser des liens officiels avec Israël.
La normalisation arabe restera probablement indéfiniment attachée à la question palestinienne en dehors des pays du Golfe. Il est bien trop facile d’imaginer un scénario selon lequel Israël se mettrait à confisquer davantage de propriétés à Jérusalem, provoquerait des manifestations palestiniennes de grande ampleur, puis répondrait à cette agitation avec encore plus de violence et une dépossession plus rapide – déclenchant finalement l’effondrement définitif de l’Autorité Palestinienne. Une telle escalade pourrait facilement déclencher des manifestations de grande ampleur à travers le monde arabe, où les difficultés économiques persistantes et la répression politique ont créé une poudrière. Il y a aussi la menace encore plus grave qu’Israël expulse les Palestiniens de Cisjordanie ou même de Jérusalem – possibilité, parfois euphémiquement appelée « transfert », dont des sondages laissent entendre que de nombreux Juifs israéliens la soutiendraient. Et ceci sans parler de la façon dont le Hamas ou l’Iran pourraient exploiter ces conditions.
Les dirigeants arabes pourraient ne pas se soucier des Palestiniens, mais leur population si – et ces dirigeants ne tiennent à rien de plus que de conserver leur trône. Complètement abandonner les Palestiniens après plus d’un demi-siècle de soutien, au moins rhétorique, serait risqué. Les dirigeants arabes ne craignent pas de perdre les élections, mais ils se souviennent trop bien des soulèvements arabes de 2011, et ils s’inquiètent de tout ce qui susciterait des mobilisations populaires massives qui pourraient rapidement se transformer en manifestations contre leurs régimes.
DÉFECTION, PRISE DE PAROLE OU LOYAUTÉ ?
Reconnaître la réalité, c’est-à-dire un État unique, pourrait par ailleurs polariser le débat américain sur Israël et les Palestiniens. Les chrétiens évangéliques et nombre d’autres composantes de la droite politique pourraient se réjouir de cette réalité en y voyant la réalisation de ce que ces groupes considèrent comme des aspirations israéliennes légitimes. Peut-être de nombreux Américains de centre-gauche reconnaîtront-ils enfin qu’Israël ne compte plus parmi les démocraties libérales et abandonneront-ils la promesse extravagante de deux États en optant pour l’objectif d’un État unique accordant des droits égaux à tous ses résidents.
Les États-Unis sont grandement responsables de la consolidation de la réalité de l’État unique et continuent à jouer un rôle capital dans la définition de la question israélo-palestinienne et dans son orientation. La construction de colonies israéliennes en Cisjordanie ne se serait pas poursuivie et accélérée, et l’occupation n’aurait pas duré, sans les efforts étatsuniens pour protéger Israël de toute répercussion aux Nations unies et autres organisations internationales. Sans la technologie et les armes américaines, Israël n’aurait probablement pas été capable de conserver sa supériorité militaire dans la région, laquelle lui a aussi permis de consolider sa position dans les territoires occupés. Et sans les considérables efforts et ressources diplomatiques des États-Unis, Israël n’aurait pas pu conclure d’accords de paix avec les États arabes, de Camp David aux Accords d’Abraham.
Pourtant le débat américain sur Israël et les Palestiniens s’est délibérément écarté des modes de soutien à l’occupation employés par Washington. Le soutien étatsunien au processus de paix a été élaboré par rapport, d’une part à la sécurité d’Israël, d’autre part à l’idée que seule une solution à deux États pourrait préserver Israël en tant qu’État à la fois juif et démocratique. Ces deux objectifs ont toujours été en tension, mais la réalité de l’État unique les rend irréconciliables.
Bien que la question israélo-palestinienne n’ait jamais figuré en bonne place sur la liste de priorités de l’opinion publique américaine, les attitudes étatsuniennes ont clairement évolué : le soutien à la solution à deux États a diminué, le soutien à un État unique assurant une égalité de citoyenneté a augmenté au cours des années récentes. Des enquêtes d’opinion montrent que la plupart des électeurs américains seraient plus favorables à un Israël démocratique qu’à un Israël juif, si on les forçait à choisir. Par ailleurs, les positions sur Israël sont devenues partisanes, car les Républicains, surtout les évangéliques, accordent un soutien de plus en plus fort aux politiques israéliennes et une majorité écrasante de Démocrates préfèrent une politique étatsunienne impartiale. Aujourd’hui, les jeunes Démocrates expriment un soutien plus grand pour les Palestiniens que pour Israël. Une des raisons de ce changement, en particulier chez les jeunes Démocrates, est que la question israélo-palestinienne est considérée de plus en plus sous l’angle de la justice sociale plutôt que du point de vue de son intérêt stratégique ou des prophéties bibliques. Cela s’est particulièrement fait sentir lors du mouvement Black Lives Matter.
La réalité de l’État unique a troublé en particulier les choix politiques des Juifs américains. Dès les premières années du sionisme, la plupart des Juifs américains qui soutenaient Israël tenaient pour sacrosainte leur aspiration à ce qu’Israël soit simultanément juif et libéral. Le récent gouvernement de Nétanyahou pourrait être un point de rupture pour ce groupe. Il est difficile d’associer un engagement en faveur du libéralisme au soutien à un État unique qui offre les avantages de la démocratie aux Juifs (et semble maintenant en piétiner certains) mais les refuse explicitement à la majorité de ses habitants non juifs.
La plupart des Juifs américains considèrent les principes libéraux fondamentaux tels que la liberté d’opinion et d’expression, la primauté de la loi et la démocratie non seulement comme des valeurs juives mais aussi comme des remparts contre la discrimination qui garantissent leur acceptation et même leur survie aux États-Unis. Cependant l’engagement d’Israël en faveur du libéralisme a toujours été incertain. En tant qu’État juif, il promeut une forme de nationalisme ethnique plutôt que civique, et ses citoyens juifs orthodoxes jouent un rôle démesuré dans la détermination de la manière dont le judaïsme donne forme à la vie israélienne.
En 1970, l’économiste Albert Hirschman écrivait que les membres d’organisations en crise ou en déclin avaient trois options : “ Défection, prise de parole ou loyauté”. Les Juifs américains se trouvent aujourd’hui placés devant les mêmes options. Un des camps, dont on peut affirmer qu’il domine les grandes institutions juives aux États-Unis, fait preuve d’une loyauté rendue possible par la dénégation de la réalité, à savoir l’État unique. La prise de parole est de plus en plus le choix dominant chez les Juifs américains qui appartenaient antérieurement au camp de la paix. Naguère centrés sur la réalisation d’une solution à deux États, ces Américains axent aujourd’hui leur militantisme sur la défense des droits des Palestiniens, la sauvegarde de l’espace de plus en plus réduit dévolu à la société civile israélienne, et la résistance aux dangers posés par le gouvernement droitier de Nétanyahou. En dernier lieu, on trouve les Juifs américains qui ont choisi la défection, ou l’indifférence. Ils n’ont simplement pas grand-chose à dire sur Israël. La raison peut en être qu’ils n’ont pas une forte identité juive, ou alors ils estiment qu’Israël n’est pas en accord avec leurs valeurs, ou leur est même opposé. Certains éléments indiquent que, plus Israël bascule vers la droite, plus ce groupe s’accroît, surtout parmi les jeunes Juifs américains.
UNE LEÇON DE RÉALISME
Jusqu’à présent, l’administration Biden a cherché à maintenir le statu quo tout en demandant avec insistance à Israël d’éviter les provocations les plus graves. En réaction à la poursuite de la construction de colonies en Cisjordanie et à d’autres violations israéliennes du droit international, les États-Unis ont publié des déclarations creuses exhortant Israël à éviter les actions qui pourraient compromettre la solution à deux États. Mais cette démarche repose sur un diagnostic erroné et ne fait qu’aggraver le problème : le gouvernement d’extrême-droite de Nétanyahou est un symptôme, non une cause, de la réalité de l’État unique, et le choyer en espérant le conduire à davantage de modération ne fera qu’enhardir ses leaders extrémistes en montrant qu’ils peuvent poursuivre leurs actions sans devoir en payer le prix.
Au lieu de cela, les États-Unis pourraient opposer à une réalité radicalisée une réponse radicale. Pour commencer, Washington devrait éliminer de son vocabulaire les termes “solution à deux États” et “processus de paix”. Les exhortations étatsuniennes aux Israéliens et aux Palestiniens pour qu’ils reviennent à la table des négociations relèvent de la pensée magique. Changer la façon dont les États-Unis parlent de la question israélo-palestinienne ne changerait rien sur le terrain, mais enlèverait une façade qui a permis aux responsables politiques américains d’éviter d’affronter la réalité. Washington doit regarder Israël tel qu’il est et non tel qu’il était censé être—et agir en conséquence. Israël ne fait même plus semblant de conserver des aspirations libérales. Les États-Unis n’ont pas de “valeurs partagées” et ne devraient pas avoir de “liens indestructibles” avec un État qui commet des discriminations ou des violations envers des millions de ses résidents sur la base de leur origine ethnique et de leur religion.
Une meilleure politique étatsunienne défendrait l’égalité, la citoyenneté et les droits humains pour tous les Juifs et Palestiniens vivant sur le territoire de l’État unique dominé par Israël. Théoriquement, une telle politique n’empêcherait pas une solution à deux États de connaître une résurrection au cas peu probable où les parties s’orienteraient dans cette direction dans un avenir lointain. Mais le fait de démarrer de la réalité d’un État unique, moralement répréhensible et stratégiquement coûteux, imposerait un centrage immédiat sur l’égalité des droits humains et civils. Un rejet sérieux de la réalité injuste d’aujourd’hui par les États-Unis et le reste de la communauté internationale pourrait aussi inciter les parties elles-mêmes à envisager sérieusement des futurs alternatifs. Les États-Unis devraient exiger l’égalité sans délai, même si, au bout du compte, la détermination des dispositifs politiques incombe aux Palestiniens et aux Israéliens.
À cette fin, Washington doit commencer à faire dépendre l’aide militaire et économique à Israël de conditions relatives à des mesures claires et spécifiques visant à mettre fin à la domination militaire d’Israël sur les Palestiniens. En évitant ce dispositif de conditions, Washington est devenu profondément complice de la réalité de l’État unique. Si Israël persiste à suivre sa trajectoire actuelle, les États-Unis doivent envisager de réduire fortement l’assistance et les autres privilèges, peut-être même en imposant à Israël et aux dirigeants israéliens des sanctions ciblées dites “intelligentes” en réponse à des actions clairement transgressives. Israël peut décider de son propre chef ce qu’il souhaite faire, mais les États-Unis et les autres démocraties peuvent veiller à ce qu’il sache ce qu’il en coûte de maintenir et même d’intensifier un ordre profondément illibéral et discriminatoire.
La vision globale la plus claire développée par l’administration Biden a été sa défense retentissante des normes et du droit internationaux en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Même si on ignore la réalité de l’État unique, ces mêmes normes et valeurs devraient assurément être en jeu en Israël et Palestine, comme on le conçoit amplement dans tout le Sud global. Quand Israël viole le droit international et les normes libérales, les États-Unis devraient dénoncer Israël pour ces violations comme ce serait le cas pour un autre État. Washington doit cesser de protéger Israël dans les organisations internationales lorsque cet État est exposé à des allégations valides de transgressions du droit international. Et il doit cesser d’opposer son veto aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU cherchant à ce qu’Israël réponde de ses actes, cesser de résister aux efforts des Palestiniens pour obtenir réparation dans les tribunaux internationaux, et rejoindre d’autres pays pour exiger la fin du siège de Gaza—une autre mesure prétendument temporaire, devenue une réalité cruelle et institutionnalisée.
Mais la réalité de l’État unique implique d’autres exigences. Examiné à travers ce prisme, Israël ressemble à un État d’apartheid. Au lieu d’exempter Israël de la norme robuste contre l’apartheid inscrite dans le droit international, Washington doit tenir compte de la réalité qu’il a contribué à créer et commencer à regarder en face cette réalité, à en parler, à se montrer honnête dans ses interactions avec cette réalité. Les États-Unis devraient défendre les organisations non gouvernementales internationales, israéliennes et palestiniennes, ainsi que les militants qui ont été diabolisés pour avoir dénoncé courageusement l’injustice structurelle. Washington doit protéger les organisations de la société civile israélienne qui sont le dernier refuge des valeurs libérales dans ce pays et celles, palestiniennes, dont les efforts seront cruciaux pour éviter des conflits sanglants dans les mois à venir. Les États-Unis devraient aussi s’opposer aux arrestations israéliennes de dirigeants palestiniens qui proposent une vision non violente de la résistance populaire. Et ils ne devraient pas chercher à bloquer ou à punir ceux qui choisissent de boycotter pacifiquement Israël en raison de ses politiques abusives.
Même si Washington ne peut pas empêcher la normalisation des relations entre Israël et ses voisins arabes, les États-Unis ne devraient pas prendre la direction de ces démarches. Personne ne devrait être trompé par le mirage des Accords d’Abraham qui prospèreraient pendant que la question palestinienne est en pleine décomposition. En découplant du traitement de Palestiniens par Israël de tels accords de normalisation, on n’a pu que renforcer le pouvoir de l’extrême droite Israélienne et consolider la suprématie juive au sein de l’État.
Ces changements apportés à la politique étatsunienne ne seraient pas immédiatement fructueux. Le choc en retour politique serait terrible, même si les Américains—surtout les Démocrates—sont devenus beaucoup plus critiques envers Israël que les politiciens qu’ils élisent. Mais à long terme, ces changements donnent le meilleur espoir d’avancer vers une issue plus pacifique et plus juste en Israël et Palestine. En regardant enfin en face la réalité de l’État unique et en prenant une position fondée sur les principes, les États-Unis cesseraient d’être une partie du problème et commenceraient à être une partie de la solution.