La guerre contre Gaza est l’adhésif qui lie les camps opposés d’Israël

La droite et le centre-gauche israéliens ont appris à maintes reprises que la meilleure façon de paralyser l’opposition consiste à lancer une offensive contre ce petit territoire soumis au blocus.

Il n’a fallu qu’un bref délai pour que les juifs israéliens — dans une situation de désintégration sociale, de division politique, de déroute économique et d’enlisement diplomatique — se rassemblent de nouveau autour du dénominateur commun qui leur permet de grandes embrassades : le massacre des Palestiniens de Gaza.

De nouveau, Israël a entrepris d’“éliminer les chefs djihadistes”. De nouveau, l’armée a tué des femmes et des enfants sous des bombardements aériens aveugles. Et, de nouveau, l’opposition politique israélienne applaudit dans les tribunes.

Le caractère circulaire de tous ces évènements prouve à l’évidence que les dirigeants politiques israéliens n’aspirent pas à la sécurité. Après tout, même le plus stupide de ces marchands de mort, qu’il soit de droite ou de gauche, doit comprendre maintenant que ces frappes sont incapables d’éliminer la résistance palestinienne, tant que l’oppression elle-même continue. En fait, ces dirigeants veulent du sang, veulent se venger des Palestiniens qui insistent pour exister, pour vivre, qui exigent la liberté.

La droite israélienne a acclamé l’épisode actuel de carnage à Gaza avec une joie terrifiante. “Un bon début”, a commenté Itamar Ben Gvir, notre ministre pyromane de la Sécurité nationale, comme s’il s’agissait de la chute d’une blague moyennement drôle.

Le membre de la Knesset Almog Cohen, chargé de transporter le bidon d’essence du ministre, a utilisé cette occasion pour se donner l’apparence d’un homme d’État circonspect, annonçant qu’il fermerait ses bureaux de la ville méridionale de Sderot pour se conformer aux consignes du Commandement du front intérieur des Forces de défense israéliennes (FDI). “C’était une excellente réponse”, s’est rengorgé Cohen dans une interview évoquant le massacre qui a causé la mort de 13 habitants de Gaza [au moment de la rédaction de cet article]. “Je ne crois pas que ce soit le moment de parler politique. Nous devrions tous soutenir l’armée, et féliciter le Premier ministre et le ministre de la Défense.”

“Un problème de hasbara”

Comme de coutume en Israël, le refrain “Ce n’est pas le moment de parler politique” a été immédiatement repris par l’opposition. La réaction positive de Yair Lapid sur Twitter donne presque l’impression d’une parodie, comme si cet homme n’avait pas pris la peine de rédiger lui-même sa déclaration mais en avait confié le soin à ChatGPT :

Je soutiens les forces de sécurité pour l’opération contre [le Djihad islamique] à Gaza. Les organisations terroristes de Gaza ont appris ce matin que la communauté du renseignement et les forces de sécurité suivent chacun de leurs faits et gestes et qu’elles seront punies. Une réponse israélienne énergique à l’endroit et au moment que nous jugeons bons, c’est la méthode d’action face au terrorisme venu de Gaza. Nous soutiendrons toute activité opérationnelle visant à la protection des habitants du Sud.

Chaque phrase de ce tweet est un chef-d’œuvre d’imposture et de paresse mentale. Les “organisations terroristes” ont-elles enfin découvert ce matin que l’armée israélienne suit chacun de leurs faits et gestes— alors que les enfants palestiniens de Hébron sont au courant de cette réalité ? Lapid croit-il vraiment que c’est seulement ce matin, en raison de cette attaque, qu’elles ont subitement pris conscience de la technologie de reconnaissance faciale de haut niveau utilisée par Israël pour espionner ses sujets palestiniens ? Et qu’en est-il exactement de “l’endroit” et du “moment que nous jugeons bons” ? Face aux forces de résistance palestiniennes, comment les forces israéliennes feront-elles mieux que lors des innombrables épisodes précédents ? Comment cette opération protège-t-elle les habitants israéliens du Sud, qui sont de nouveau contraints de se réfugier dans des abris anti-bombes ?

Lapid n’est même pas le pire des membres de l’opposition qui ont applaudi à l’épisode actuel de violence ; ce titre revient probablement à la députée travailliste Efrat Rayten. “Les FDI mènent une opération réussie pour éliminer les chefs djihadistes”, a-t-elle écrit sur Twitter. “Dieu merci, nos soldats sont revenus sans dommage. Je souhaite des jours paisibles aux habitants d’Israël et surtout aux habitants de la zone environnante [près de Gaza]. Un travail complexe pour Israël dans un contexte où nos troupes tuent des enfants, dont un enfant de 5 ans, et des femmes. Images difficiles [à expliquer] pour la hasbara.”

On est presque émerveillé par la capacité de Rayten à entasser de telles quantités d’infamie en quelques dizaines de mots. Opération réussie ? Selon quel paramètre ? Les habitants du sud d’Israël sont dans des abris, et le danger pour leur sécurité s’est accru à la suite de l’offensive militaire. En quoi cette opération est-elle réussie, si ce n’est par le sang palestinien versé en vain ? Et de quel lieu, exactement, nos soldats sont-ils revenus sans dommage ? Les pilotes de l’armée de l’air ont-ils affronté face à face des combattants palestiniens dans les ruelles de Gaza ? Ces soldats qui bombardent une population civile au moyen des armes les plus avancées et qui sont protégés de pied en cap, d’où sont-ils censés revenir sans dommage ?

Il n’est pas moins abominable et nauséabond de voir que le meurtre de femmes et d’enfants est abordé en tant que “problème de hasbara”. Heureusement, Israël a maintenant, comme les meilleures dictatures du monde, un ministre de la Propagande — notre ministre de l’Information, Galit Distel Atbaryan — qui se charge de ces “problèmes de hasbara”, ces familles broyées qui seront bientôt enfouies dans le sol.

Récolter les fruits

La désintégration complète de l’opposition israélienne face à une opération militaire n’est pas seulement une abomination morale, mais une folie politique de premier ordre. Le centre-gauche sioniste a appris à la droite, à maintes reprises, que le meilleur moyen de paralyser complètement le camp opposé est de déclencher une guerre, parce que, dans ce cas, “il n’y a ni coalition ni opposition.”

De fait, moins de 24 heures avant que les portes de l’enfer ne s’ouvrent de nouveau au-dessus de Gaza, Nétanyahou commence déjà à récolter les fruits. Après avoir menacé de mettre fin à sa coopération avec la coalition, Otzma Yehudit, le parti de Ben Gvir, a annoncé qu’il reviendrait soutenir le gouvernement à la Knesset. Les manifestants anti-gouvernementaux, eux aussi, ont annoncé qu’ils annulaient une manifestation prévue pour mardi devant la Conférence de Jérusalem sur la Sécurité en raison de l’opération.

La tragédie du camp de centre-gauche juif en Israël n’est donc pas seulement qu’il ne sait pas comment prendre un rôle dirigeant, mais aussi qu’il ne sait pas comment remplir le rôle d’une opposition. Sur ce plan, il a d’utiles leçons à recevoir de la droite.

Il y a un an, sous la coalition Bennett-Lapid, au moment où “le règlement d’urgence pour les implantations” — la législation qui applique institutionnellement l’apartheid en Cisjordanie — était sur le point d’arriver à échéance, la droite conduite par Benjamin Nétanyahou a voté contre son renouvellement sans sourciller. Les électeurs de droite n’ont pas accusé leurs dirigeants de délaisser les colons, ou de nuire à des intérêts nationaux vitaux, ou même de rejeter les lois d’apartheid. Mais les politiciens savaient très bien que, s’ils jouaient à celui qui se met le plus en danger, la coalition flancherait la première. Ils avaient raison, bien sûr : le “gouvernement du changement” s’est sacrifié sur l’autel de la préservation de l’apartheid dans les territoires occupés.

Aujourd’hui, il n’y a pas de véritable opposition politique en Israël, à l’exception des partis politiques arabes. Et tant que le sang palestinien continuera à être l’adhésif qui unifie la politique juive israélienne, aucune opposition sérieuse ne pourra jamais s’établir ici. Jusqu’à ce que cela change, les partis juifs de l’opposition seront réduits à l’humiliation par leurs mauvaises fréquentations et leur exil politique.