Comme un élément chimique invisible, la cruauté d’Israël s’est répandue dans le temps et dans l’espace, restant cachée parce que ses complices sont innombrables et pour la plupart anonymes.
Dans la compétition sur la cruauté, le prix revient à celui qui a le mieux réussi à cacher les siens. Ceci fait d’Israël le plus grand gagnant et du Hamas et des Palestiniens les perdants. La cruauté d’Israël a plusieurs caractéristiques qui la dissimulent à tous sauf à ses victimes. Ceci fait qu’il est facile pour ses alliés comme les États-Unis et l’Allemagne de traiter Israël en victime du peuple qu’il assujettit et de continuer à lui vendre des armes.
La cruauté cachée d’Israël fonctionne comme une chaîne de montage en usine. Son produit final – l’appauvrissement, l’expropriation et l’expulsion des Palestiniens comme une affaire routinière en des temps ordinaires, et la destruction, le massacre, l’expropriation et l’appauvrissement en temps de guerre – n’a pas de producteur responsable. Il y a quantité de complices dans la création du produit final, tous tirant leur autorité d’un droit parlementaire ou divin, ou des décisions de la Cour Suprême. La responsabilité est dispersée et distribuée entre tous les partenaires derrière cette chaîne de montage. A cause de leur multitude, ils échappent tous à la caractérisation de « cruel ».
Chaque Israélien qui se tient le long de cette chaîne de montage et qui ajoute un nouveau composant au produit qui passe devant lui est quelqu’un d’ordinaire, souvent quelqu’un de tout à fait plaisant – peut-être quelqu’un qui a le sens de l’humour, qui respecte son ou ses parents et qui est accro aux films de science fiction. Les ingénieurs et les administrateurs qui y sont impliqués ont eux aussi des caractéristiques positives.
Prenez l’exemple des citernes de stockage de l’eau qu’utilisent les communautés palestiniennes (parce qu’Israël refuse de les connecter au réseau de distribution d’eau) et que l’Administration Civile, l’organisme dirigeant d’Israël en Cisjordanie, a ordonné de détruire, ou les citernes d’eau qu’elle a confisquées. Une longue chaîne d’inconnus a créé le produit final : du sable et du gravier étant versés pour remplir la citerne et qui absorbent l’eau précieuse. Ou l’espace vide sur lequel se trouvait un réservoir d’eau.
Le conducteur du bulldozer qui a démoli ou déplacé la citerne d’eau incriminée doit nourrir ses enfants, après tout. Les membres de la Police des Frontières qui se sont assurés que personne ne se mettait en travers du bulldozer obéissaient aux ordres. Ils n’ont pas fabriqué la bombe lacrymogène ou la grenade assourdissante qu’ils ont jetée sur les enfants et les femmes qui perturbaient le maintien de l’ordre public. Ceux qui les ont fabriquées étaient des ouvriers latino-américains ou afro-américains qui eux aussi devaient nourrir leurs enfants.
Le soldat / greffier n’a fait que coordonner le déploiement à l’aube des diverses unités. Le superviseur a signé le formulaire standard pour ordonner la démolition de structures construites sans permis ou dans des zones déclarées zones de tir de l’armée, comme si cette question était ordonnée par Dieu. Le juriste qui a approuvé ou même rédigé l’ordre de démolition ou de confiscation est mort depuis longtemps, et ses petits-enfants vivent très bien aux États Unis ou dans l’unité d’élite du renseignement des FDI.
Le chef de l’Administration Civile en Cisjordanie est à la fois un soldat et un citoyen respectueux des lois. Comme ses prédécesseurs, il ne fermera pas les yeux sur le crime d’avoir soif commis par un Palestinien et son troupeau de moutons qui déambulent effrontément dans la sacrée Zone C, que les Accords d’Oslo ont placée sous contrôle total israélien qui devait prendre fin en 1999. Après tout, ni lui ni ses prédécesseurs ne sont responsables de la chaleur intense dans la Vallée du Jourdain.
La cruauté d’Israël n’est pas cachée seulement parce que ses complices et ses auteurs sont trop nombreux pour être comptés, l’État maintenant l’anonymat de la plupart d’entre eux. La cruauté demeure occultée parce qu’elle est décentralisée à la fois dans l’espace et dans le temps, comme un élément chimique invisible. Des dizaines de kilomètres séparent Sakhnin, Arabeh et Deir Hanna – villes palestiniennes de Galilée dont les terres ont été expropriées en 1976 – et le quartier de Silwan à Jérusalem et ses démolitions de maisons toujours plus nombreuses.
Quantité d’années séparent la personne qui a signé dans les années 1970 l’ordre désignant la terre palestinienne de la Vallée du Jourdain comme zones de tir et les soldats qui ont tabassé en 2022 Basel Adra d’al-Tuwani, reporter de 972 Magazine et l’un des créateurs du film primé « No Other Land » [Pas d’autre terre]. En dehors de leurs documents d’identité, rien ne les relie aux juges de la Cour Suprême qui, en 2022, ont autorisé l’armée à s’entraîner à balles réelles au milieu des villages palestiniens dans la zone de Masafer Yatta et les soldats à Gaza à tirer littéralement sur les Palestiniens affamés à la recherche de pain. Aucune de ces personnes ne se voit comme un technicien de la chaîne de montage qui conduit à l’expulsion des Palestiniens. Mais tous sont horrifiés par la cruauté des Palestiniens.
Depuis le massacre du 7 octobre, les médias n’ont cessé de parler de la cruauté du Hamas et de ses associés. Cette cruauté était transparente, documentée par la caméra, concentrée et dense. Ce n’était pas quelque chose d’abstrait, diffusé entre des centaines de milliers de personnes depuis des décennies ni quelque chose qui se cache dans les cabines de pilotage. Les forces de sécurité israéliennes se sont immédiatement appliquées à identifier les auteurs et quiconque aurait pu y être impliqué. Ils ont été ou seront punis, tués par un missile guidé ou une bombe ou détenus dans des conditions humiliantes jusqu’à un procès dans lequel leur culpabilité est prédéterminée.
La cruauté institutionnelle d’Israël, décentralisée dans les années et la localisation, permet à des centaines de milliers de Juifs israéliens respectueux de la loi et fidèles aux ordres d’être cruels sans une once d’introspection ni sans même réaliser à quel point ils en profitent. La distance spatiale et temporelle par rapport à leurs partenaires anonymes permet aux Juifs israéliens d’attribuer la cruauté des Palestiniens à leur culture, leur sang ou leur religion, mais pas à la cruauté cachée, décentralisée d’Israël.
Cependant, certains Juifs israéliens sont conscients de cette chaîne de montage et comprennent que nous, les privilégiés, ajoutons involontairement une vis au produit cruel final. Par conséquent, des militants comme Dafna Banai de Machsom Watch et des journalistes comme Yuval Abraham (ami et partenaire du site 972 et du film d’Adra) essaient à l’occasion d’enlever des vis pour perturber la production. Mais la chaîne d’assemblage se poursuit, avançant doucement, comme elle le fait depuis si longtemps.