En quoi les universités israéliennes sont une branche du colonialisme de peuplement

Le nouveau livre de Maya Wind démontre méticuleusement comment les institutions universitaires israéliennes ont été créées pour servir la colonisation sioniste de la Palestine. Ils continuent de le faire jusqu’à ce jour, tout en alimentant le complexe universitaire, militaro-industriel israélien.

TOWERS OF IVORY AND STEEL (DES TOURS D’IVOIRE ET D’ACIER)

Le rejet de la liberté des Palestiniens par les universités israéliennes
de Maya Wind
288 pp. Verso Press, $29.95

Peu à peu, les assemblées législatives des États-Unis interviennent sur les pratiques universitaires telles que le système de titularisation et les programmes dits DEI pour encourager la Diversité, l’Égalité et l’Inclusion. Récemment, Ia Chambre des Représentants de l’Indiana a essayé de légiférer sur « la diversité intellectuelle »  en imposant que les intellectuels partagent une diversité de points de vue pouvant être évaluée lorsqu’ils sont évalués. Au niveau national, des institutions d’élite ont été ciblées dans les cas où leur administration n’est pas suffisamment sioniste .

L’empiètement du gouvernement sur la vache sacrée de la liberté académique est précisément la façon dont le gouvernement israélien intervient dans la vie des professeurs et étudiants. La différence est qu’en Israël, ce type d’interférence est intégré au système. C’est pourquoi le livre de Maya Wind Des Tours d’Ivoire et d’Acier : comment les universités israéliennes refusent la liberté aux Palestiniens est un outil crucial pour toute personne impliquée dans la vie universitaire – étudiants, professeurs ou employés. C’est aussi un texte que les personnes engagées dans le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions trouveront essentiel : le caractère systématique de l’analyse, de l’histoire et les données robustes sont les munitions dont nous avons besoin pour combattre ceux qui assument de façon erronée que le boycott d’institutions académiques israéliennes mine la liberté académique. 

Le livre de Wind est structuré en deux parties – complicité et répression. Il s’ouvre et se conclut avec deux essais brillants de Nadai Abu El-Hadj et de Robin D.G.Kelley. La première section de Wind expose comment la création des institutions académiques israéliennes a jeté les bases de l’État colonial de peuplement militarisé, tandis que la seconde moitié aborde la façon dont ces institutions mettent en œuvre l’apartheid et répriment les étudiants et enseignants. D’emblée, Wind est sans équivoque et c’est revigorant : « Les universités israéliennes ne sont pas indépendantes de l’État sécuritaire israélien, elles sont plutôt une extension de sa violence » (p.13). À travers tout son livre, les lecteurs ont des aperçus sur comment les universités israéliennes créent le savoir nécessaire à rationaliser et légaliser le régime d’apartheid israélien.

L’évidence accumulée dans le livre puissant de Wind comporte une diversité de matériaux accessibles à une Israélienne eshkénaze comme Wind, quoiqu’il s’agisse de quelqu’un dont la lutte contre le sionisme a commencé dans l’adolescence , notamment par  son refus de servir dans l’armée d’Israël. S’appuyant sur des recherches de spécialistes et de militants israéliens doublées de documents de l’État d’Israël et d’archives de l’armée, Wind montre avec précision comment les universités israéliennes sont complices de la violation des droits des Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur de l’université.

L’université et la colonie

Enracinant le rôle des universités israéliennes dans le colonialisme de peuplement, Wind explique que « dès avant la fondation d’Israël, le mouvement sioniste avait créé trois universités qui devaient explicitement servir les objectifs territoriaux du mouvement en Palestine » (p.23).

L’Université Hébraïque (1918) a été conçue comme « avant-poste stratégique du mouvement sioniste et pour miser sur une revendication politique symbolique sur Jérusalem » tandis que le Technion (1925) et l’Institut Weizmann (1934) ont été établis pour faire avancer le développement scientifique et technologique d’Israël (p. 23).

Chaque institution a participé à la Nakba en accueillant le « Corps Scientifique de la Haganah qui a ouvert des bases sur les trois campus dans un but de recherche et d’ajustement des capacités militaires » (p.23). Enseignants et étudiants ont participé à la production d’armes et d’armes biologiques sur leurs campus, servant ainsi les milices sionistes qui ont expulsé et massacré les Palestiniens. Le Corps Scientifique fut par la suite incorporé au ministère de la défense et a conduit à la création des principaux fabricants d’armes d’Israël, tels Rafaël et Israeli Aerospace Industries – une conséquence du mélange entre l’université et l’État. Comme l’explique Wind, “l’industrie d’armement israélienne et ses universités ont toujours été co-constituées. Les universités ont donné naissance, financé et fait avancer leur recherche scientifique au sein de l’État sécuritaire israélien et des entreprises d’armement israéliennes. » (p.105)

Tandis qu’une branche du monde académique israélien a certainement été orientée vers la construction de son arsenal, son autre branche s’est centrée sur l’avancement du projet d’expansion démographique et territoriale : « Leurs campus, la recherche et l’expertise en architecture et urbanisme ont été affectés au projet territorial et démographique (p.60) En d’autres termes, les universités israéliennes sont partie intégrante du processus de judaïsation. Si l’occupation de terres à Sheikh Badr ou à Issawiyeh a permis la création des campus de Jérusalem Ouest et Est de l’Université Hébraïque, toutes les universités en Israël ont annexé de la terre palestinienne. Des avant-postes de police se coordonnent dans les quartiers universitaires avec la sécurité des campus, « formée d’anciens soldats israéliens, dont beaucoup servent encore dans des unités de réservistes » et de Palestiniens de la police sur les campus et en dehors. (p.148). Il n’est pas exagéré de voir un parallèle avec les universités urbaines américaines et leur rôle dans la gentrification et la surveillance policière de communautés de centres-villes . 

Mais les universités israéliennes n’ont pas été limitées à l’annexion d’espaces proches de la Ligne Verte. L’Université de Haïfa « a été conçue pour pousser plus loin le projet démographique régional d’Israël » (p. 71) sur les terres d’Al-Kureiba. Ses « Départements d’urbanisme et de géographie ont mis leur expertise à profit pour évaluer, améliorer et concevoir une politique de judaïsation » (p.72). L’apport intellectuel de ses enseignants a contribué à des politiques de soutien du ministère de la défense qui « ont construit des justifications savantes pour l’expulsion, le confinement et la discrimination envers les citoyens palestiniens, dans le cadre d’un investissement exclusif et accru dans les colonies juives en Galilée » (p.73).

De la même façon, « l’Université Ben Gourion a été établie en 1969 dans le but explicite de « développer le Néguev » et, comme le dit l’adage sioniste, « de faire fleurir le désert » (p.76). Comme en Galilée, Israël a travaillé à enfermer la population des Bédouins palestiniens en réduisant leur accès à leur terre et en les relocalisant à côté de Juifs moins désirables – arabes et indiens au départ – dans le désert du Naqab.

L’université la plus récente d’Israël est née exactement de la même manière que les précédentes – sur des terres volées à des villages palestiniens tels Kifl Hares et Marda. Comme le souligne Wind, la fondation de l’Université Ariel suit exactement l’agenda de ses homologues. Ariel est vue, bien sûr, comme la génitrice de la consolidation de l’annexion de la plus grande partie de la Cisjordanie. Elle a « modifié la perception par le public israélien d’une colonie illégale et lourdement militarisée en une banlieue de Tel Aviv » (p.81). L’université et la colonie se renforcent mutuellement : « L’institution attribue des diplômes comme moyen d’étendre la souveraineté d’Israël et de faire progresser l’annexion des TPO » (p.84).

Le complexe universitaire-militaro-industriel

Wind excelle à démontrer comment les institutions ont été créées pour servir les objectifs sionistes, mais il est particulièrement fascinant de lire ce qu’elle écrit sur la façon dont une grande diversité de disciplines académiques ont participé à la création de faits accomplis pour l’État israélien : archéologie, droit, philosophie, études sur le Moyen-Orient, histoire, sociologie, architecture, anthropologie, sciences politiques et de gouvernement, études culturelles et programmes spéciaux qui fusionnent le militaire et l’académique avec le secteur high-tech. À partir de preuves dans chaque discipline, Wind illustre l’usage historique et actuel de travaux universitaires pour déplacer et désorganiser la vie des Palestiniens. 

Dans certains domaines, comme les études sur le Moyen-Orient, la porte tournante agissant pour les employés entre l’État, les grandes entreprises et l’université, permet le développement de son complexe universitaire-militaro industriel : « Cet enchevêtrement de l’expertise de l’université, de l’armée et de l’État a donné forme à une discipline dans ses premières années. Nombre de spécialistes fondateurs des études sur le Moyen-Orient se sont déplacés ou ont tenu des rôles parallèles dans le domaine académique et dans les forces de sécurité ou, d’une autre manière, ont été liés par la loyauté et la confidentialité à l’appareil d’État » (p.49). Parmi les diverses contributions, qu’un tel brassage a facilité, on trouve le corps enseignant de l’Université de Tel Aviv qui a empêché le retour des réfugiés palestiniens après le vote de la résolution 194 de l’ONU. 

La collusion entre l’État et l’académie joue un rôle aujourd’hui dans la création de programmes tel que le programme de renseignement Havatzalot de l’Université Hébraïque. Des concessions ont été demandées à l’Université pour héberger le programme, comme l’intervention d’une grande portée de l’armée israélienne dans le contenu et la structure du programme ainsi qu’auprès de ses employés et de l’infrastructure du campus » (p.53). Les étudiants palestiniens ont protesté contre ce programme, en projetant notamment un film montrant ce qu’ils pouvaient ressentir face à des étudiants Havatzalot dans leurs salles de cours ; leurs actions ont essuyé des rebuffades – incluant des appels à des enquêtes pénales de la part de la Knesset. Ces actions sonnent juste alors que nous voyons le Congrès outrepasser ses droits en enquêtant sur les réponses des campus à la guerre génocidaire d’Israël à Gaza.

Répression contre les étudiants  palestiniens

Le traitement des étudiants palestiniens, c’est important, occupe une part cruciale du livre de Wind, en particulier sur le secteur de l’éducation plus largement, dans ce qu’il affecte les citoyens palestiniens d’Israël et leurs professeurs, tous ayant subi des décennies de contrôle et de discrimination. Même l’enseignement secondaire en Israël a été le domaine de l’État sécuritaire. Wind met en avant que « aussi récemment qu’en 2020, le directeur général du ministère de l’éducation a rencontré le Shin Bet pour discuter du contrôle d’enseignants palestiniens israéliens pour « radicalisme » (p.137).

Être accepté dans des universités israéliennes exige de surmonter divers obstacles, dont le fait d’avoir été inscrit dans des écoles sous-financées, de réussir des examens, en plus des quotas dans des programmes comme médecine et le racisme enraciné envers les citoyens non-juifs. Pour ceux qui réussissent à surmonter ces embûches et à s’inscrire dans une université israélienne, il y a des barrières quotidiennes avec lesquelles ils doivent composer : cela va de l’acceptation dans des logements étudiants au harcèlement sur le campus. Lorsqu’ils essaient de critiquer cette politique, les universités israéliennes ne se mettent jamais du côté de leurs étudiants palestiniens : « Ce qui reste non traité et indicible pour l’administration universitaire c’est leur alignement et leur collaboration avec le régime israélien de politiques discriminatoires ». En fait, sur un campus israélien, nous dit Wind, « l’identité palestinienne elle-même a toujours été considérée comme une ‘menace sécuritaire » (p. 146). 

Im Tirtzu facilite l’interdiction de l’expression des étudiants palestiniens, en particulier de ceux qui s’engagent dans le militantisme étudiant ; c’est une organisation affiliée au Likoud qui cherche à « surveiller des enseignants juifs ‘de gauche’ et à intimider les groupes d’étudiants palestiniens », en étant présent sur tous les campus universitaires israéliens (p.117). Les enseignants ne sont pas à l’abri de cette surveillance si leurs recherches et leur enseignement menacent l’État ; les informations transmises par Im Tirtzu ont conduit à l’expulsion des scientifiques politiques Haïm Yacobi et Neve Gordon de l’Université Ben Gourion. Il faut bien sûr citer le travail d’Ilan Pappé et de son étudiant Théodore Katz à l’Université de Haïfa et deux autres exemples cités par Wind. 

Wind couver aussi plus largement l’enseignement de l’université palestinienne, dont l’interférence israélienne manifestée par la création et la gestion d’universités en Cisjordanie et à Gaza. La surveillance de l’activisme d’étudiants sur les campus de Cisjordanie a souvent conduit à une répression militaire violente – une surveillance rendue possible par le savoir et les armes produits par le complexe universitaire-militaro-industriel. Cette oppression est directement liée au pipeline qui mène de l’université à la prison, infligé à de nombreux Palestiniens aux mains du régime d’apartheid israélien. 

D’après la recherche de Wind, « aucun président d’université israélienne ou administrateur important n’a offert d’intervenir » pour des enseignants ou étudiants palestiniens confrontés à des invasions militaires israéliennes sur leurs campus. En effet, « le président de l’Université de Tel Aviv a même appelé en 1986 à la fermeture de (l’Université) Bir Zeit par le gouvernement militaire israélien » (p.166). Comme l’établit la chronique minutieuse de Wind, il y a un silence assourdissant dans les allées du monde académique israélien sur toute violation d’un droit des Palestiniens à l’éducation. Cela seul devrait être un appel aux armes pour se joindre au boycott académique. 

Ces exemples et récits, qui font aussi largement partie de la réalité présente du monde académique israélien devraient être une raison suffisante pour que les universitaires se joignent au mouvement de boycott comme individus et comme membres d’organisations professionnelles. Le livre de Wind est on ne peut plus clair : « Les universités israéliennes continuent non seulement à participer activement à la violence de l’État israélien contre les Palestiniens, mais aussi à contribuer à ses ressources, recherches et au système de bourses pour maintenir, défendre et justifier cette oppression (p.178).