Michael Lynk, professeur de droit canadien et expert pour les droits humains auprès des Nations-Unies, a déjà suscité l’attention des médias. En tant que Rapporteur spécial sur les territoires palestiniens,….
Michael Lynk, professeur de droit canadien et expert pour les droits humains auprès des Nations-Unies, a déjà suscité l’attention des médias.
En tant que Rapporteur spécial sur les territoires palestiniens, Lynk a depuis des années signalé les violations par Israël des droits humains dans les territoires, s’attirant des critiques de la part d’Israël et de ses alliés, et un large soutien de la part des défenseurs des droits humains en Palestine et dans le monde entier.
Sa dernière ronde d’intérêt médiatique a eu lieu la semaine dernière, lorsqu’il a publié son plus récent rapport sur la situation des droits humains en Palestine, et a appelé à une interdiction internationale des produits des colonies israéliennes.
Le rapport, qui soulignait les violations israéliennes du droit international à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, s’est attiré une vive réaction du lobby international pro-Israël, car il appelait l’occupation de 52 ans de la Palestine par Israël « la plus longue occupation belliqueuse dans le monde moderne ».
Lynk a notamment demandé aussi aux Nations Unies de compléter et de publier une base de données « sur les entreprises impliquées dans des activités liées aux colonies illégales », une « liste noire » que le Conseil pour les droits humains des Nations Unies était supposé rendre publique en 2017, ce qu’il a retardé à plusieurs reprises sous des pressions américaine et israélienne.
Ci-dessous le lien à une version préliminaire non révisée du rapport de Lynk :
Mondoweiss a parlé à Lynk de son dernier rapport, de ses résultats, de son conseil à la communauté internationale et lui a demandé quelle partie de ses recherches l’avait le plus choqué.
Mondoweiss : Votre rapport récent sur la situation des droits humains dans les TPO a provoqué pas mal d’émoi dans les médias, particulièrement vos appels à un boycott des produits des colonies. Vous attendiez-vous à ce contrecoup ? Comment ressentez-vous la réception du rapport ?
Lynk : J’obtiens généralement toujours une réponse très positive de la société civile, israélienne, palestinienne et internationale, et des réponses négatives tant du gouvernement israélien que de ses soutiens.
Quand je réfléchissais à quoi écrire cette année, je pensais, nous avons des tas de lois, mais ce dont nous manquons c’est de leur application et de la reddition de comptes. Cela devrait se retrouver au sommet de l’agenda international quand il s’agit de mettre fin à l’occupation. Donc je m’attendais à recevoir un soutien de la société civile parce qu’ils ont écrit beaucoup là-dessus et je m’attendais à des réponses très critiques des supporters de l’occupation et des Israéliens. Je n’étais pas certain de ce à quoi m’attendre de la part de la communauté internationale, à part un haussement d’épaules.
J’ai appelé spécifiquement à une interdiction de tous les produits et services issus des colonies parce que cela me frappe comme un impératif moral — une mesure politique minimale pour la reddition de comptes, et une exigence et une obligation juridiques qui dépendent de la communauté internationale dans une situation de sérieuse violation des droits humains. Il était clair pour moi que si les colonies sont illégales et qu’elles sont un crime de guerre selon le Statut de Rome, la communauté internationale a la responsabilité juridique de ne pas aider ni assister de telles violations.
Mondoweiss : Quelle a été la réponse des diplomates et des responsables internationaux, étant donné votre critique sévère de la communauté internationale pour son manque d’action par rapport à l’occupation ?
Lynk : J’ai parlé avec plusieurs ambassadeurs à New York après la publication de mon rapport. Les diplomates les plus honnêtes ont admis, ou dit directement, qu’il n’y a plus de solution à deux états. Mais quand j’ai demandé ce qu’il en était de rendre des comptes, ils ont commencé à parler de difficultés internes, de la politique de leurs propres pays et du fait qu’ils n’étaient pas sûrs d’avoir le capital politique pour contester la position du gouvernement américain là-dessus.
J’espère que ce que j’ai fait a été de planter une graine pour les amener à commencer à réfléchir à une reddition de comptes formelle. Mais je n’ai vu aucun d’entre eux dire « oui, vous m’avez convaincu et ceci est tout en haut de mon agenda ».
Mondoweiss : Vous avez mentionné la reddition de comptes formelle et la manière dont les dirigeants internationaux doivent commencer à mettre cela tout en haut de leurs agendas. A part interdire les produits des colonies, à quoi ressemblerait une reddition de comptes formelle en pratique ?
Lynk : Alors, ce que je vois comme mesures minimales serait une interdiction des produits et services des colonies et la publication de la base de données sur les activités commerciales dans les colonies. Il existe un certain nombre de mesures additionnelles à l’intérieur de la tradition internationale et des précédents : un menu international de ce qu’il y a à faire.
Nous devons penser aux mesures prises dans d’autres contextes d’annexion et d’occupation, par exemple en Crimée et en Ukraine orientale. L’Union européenne en particulier a imposé des contre-mesures commerciales, politiques et diplomatiques en réponse. C’est ce qui devrait arriver dans le cas de l’occupation des territoires palestiniens.
Dans mon rapport, j’ai renvoyé à un rapport du Comité international de la Croix-Rouge qui exposé une série de contre-mesures possibles. J’inclurais de reviser des choses comme les transferts d’armes, la vente d’armement militaire, cela pourrait impliquer des restrictions commerciales et financières, cela pourrait impliquer d’imposer des visas aux résidents du pays [Israël] pour aller en Europe ou en Amérique du Nord, cela pourrait impliquer de chercher un avis consultatif de la Cour internationale de justice pour déterminer si l’occupation est encore légale et quelles sont les responsabilités de la communauté internationale pour y mettre fin.
Comme je l’ai dit dans le rapport, Israël est un petit pays avec une forte dépendance de la communauté internationale, particulièrement de l’Europe et de l’Amérique du Nord pour le commerce et les relations diplomatiques. Il ne serait pas difficile si la communauté internationale s’y attelait de prendre des mesures qui demanderaient un changement significatif de la part des dirigeants en Israël.
Israël prête de fait attention à l’opinion internationale. L’exemple le plus récent est le rôle de la plupart des pays européens dans le soutien au village bédouin de Khan al-Ahmar. Benjamin Netanyahu a tenu un morceau de papier dans sa main pendant les dix derniers mois, qui lui permettrait de poursuivre la démolition du village. Les deux raisons pour lesquelles il ne l’a pas encore fait sont la limite tracée par l’Union européenne et une déclaration de la procureure générale de la Cour pénale internationale avertissant que le transfert forcé de population pendant une coccupation peut représenter un crime de guerre.
Mondoweiss : Vous dites si la communauté internationale « s’y attelle », ils peuvent provoquer un changement. Alors, selon vous, que faut-il qu’il arrive pour qu’ils se réveillent vraiment et agissent ?
Lynk : Il est difficile pour moi de réconcilier le soutien continu à la solution à deux états et l’affirmation répétée de son importance, alors même que la communauté internationale a vu la possibilité d’une authentique solution à deux états s’évaporer devant ses yeux sans prendre des mesures significatives pour la sauvegarder.
La communauté internationale dirait « nous avons dit clairement que nous n’accepterions pas une annexion », mais il n’y a pas de différence juridique entre une annexion et une annexion de fait à un stade avancé. Si vous placez plus de 600000 colons, plus de 200 colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, avec un énorme réseaux de routes, de sécurité, d’usines et de contrôle total, cela, de fait, viole la règle du droit international sur l’annexion.
Une annexion de fait est une annexion. La communauté internationale a probablement perdu sa chance de mettre des limites. Elle doit maintenant réfléchir à ce qu’est l’avenir par rapport à cela.
Je ne sais pas ce qu’il faudrait, parce qu’il n’y a pas d’occupation dans le monde qui ait été menée en face de la communauté internationale, alors que cette dernière était bien renseignée de ce que les intentions évidentes des occupants étaient l’annexion et aussi bien informée de la souffrance et de la dépossession, et pourtant si peu encline à agir sur les preuves en face d’elle. Si tout ce qui est arrivé jusqu’à présent n’a pas incité la communauté internationale à prendre des mesures décisives, il est difficile d’imaginer ce qui le ferait.
Mondoweiss : Votre rapport discute de nombreuses questions, depuis les démolitions de maisons et les campagnes d’arrestation jusqu’au blocus sur Gaza. De tous les sujets que vous mettez en lumière, quel est celui qui se distinguait pour vous quand vous rédigiez votre rapport ?
Lynk : Je dois dire que si j’avais à en choisir un en premier parmi des sujets d’égale importance ce serait probablement Gaza.
Gaza a une situation unique dans le monde en ce que c’est une catastrophe faite par l’homme et une crise en cours, que le monde le sait, que les bureaux des Nations Unies sur le terrain ont été zélés à écrire des rapports dessus, et pourtant l’attitude du monde envers le siège permanent de Gaza par Israël reste inchangée.
Nous sommes passés dans la dernière décennie par trois guerres dévastatrices qui ont provoqué d’immenses souffrances humaines et de dommages physiques, Gaza reste en grande partie coupé du reste du monde, son économie continue à se flétrir et à se scléroser, pourtant rien ne se conclut par un changement. L’eau n’est pas potable, le système de santé s’effondre, Gaza a le plus haut taux de chômage du monde, et parmi les personnes de moins de 30 ans, il avoisine les 70%. Quatre habitants de Gaza sur cinq travaillent en-dessous du salaire minimal déjà anémique.
Cela devient déprimant de continuer à répéter les lamentables statistiques de Gaza. Les deux secrétaires généraux des Nations Unies, le précédent et l’actuel, disent que cela revient à une punition collective, ce qui est illégal selon les conventions de Genève. Mais cela continue.
De toutes les questions auxquelles vous pouvez penser et qui doivent être mises en lumière, il y a malheureusement un grand nombre de questions parmi lesquelles choisir, mais Gaza doit être la pire de toutes les tragédies confondantes devant nous.
Mondoweiss : La situation dans les TPO, comme vous l’avez signalé largement, évolue constamment vers le pire. Beaucoup de Palestiniens sont lassés du gouvernement de Trump et de ses plans pour la région. Quelles sont vos prévisions pour le « marché du siècle » ? Pensez-vous que Trump essaiera de le mener à terme ? Et quels effets pourra-t-il avoir sur les TPO et la région autour ?
Lynk : Je n’ai pas un grand espoir que cela apportera en quoi que ce soit le soulagement nécessaire ou un chemin vers l’avant pour les Israéliens et les Palestiniens. Certainement les commentaires faits par les principaux auteurs du plan de paix, dont Friedman, Greenblatt et Kushner, semblent tous indiquer qu’ils se sont largement alignés sur le vision du monde du gouvernement israélien : que les colonies vont rester en place, qu’ils envisagent un petit état palestinien qui sera une définition vraiment nouvelle de ce que signifie un état dans la science politique moderne. Et que l’occupation permanente actuelle aura juste un nouveau titre et une nouvelle image.
Je le vois comme un « solution à un état-et-demi ». Tout plan de paix initié par la communauté internationale qui ne s’ancre pas dans les principes acceptés du droit international — que les colonies sont illégales, que l’annexion de Jérusalem-Est est illégale, qu’un état palestinien devrait être viable, en un seul morceau et souverain, comme n’importe quel pays, qu’il doit y avoir une solution juste pour la question des réfugiés palestiniens — si un plan de paix ne s’ancre pas dans ces principes largement acceptés qui composent le consensus international, alors ce n’est pas un plan de paix qui vaut d’être proposé ou communiqué.
Ce qui est arrivé dans les ving-cinq dernières années depuis Oslo, c’est qu’Israël a réussi à persuader les Etats-Unis d’agir comme médiateur et de jouer les intermédiaires entre les partis sans le cadre du droit international et d’un consensus international. Et c’est pourquoi nous continuons à voir des accords et des initiatives qui échouent.
Mondoweiss : Avec la situation sur le terrain devenant chaque jour pire et un manque d’action internationale pour mettre fin à l’occupation, qu’est-ce vous diriez aux cityens ordinaires du monde qui souhaitent aussi mettre fin à l’occupation et aller de l’avant ?
Lynk : Ce que je vous ai offert, c’est une vision morose, sombre, lugubre et pessimiste de la situation. Mais croyez-le ou non, je reste optimiste, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, malgré toute la persécution et la diffamation que le gouvernement d’Israël dirige contre les défenseurs israéliens et palestiniens des droits humains et malgré l’espace de plus en plus réduit dans lequel ils doivent accomplir leur travail courageux, ils continuent de mener leurs inestimables activités de mobilisation et de recherche de ce qui se passe sur le terrain.
Sans vouloir mettre certains d’entre eux au-dessus des autres, les B’Tselems et les Gishas d’Israël, le Al-Haqs ou Addameers de Palestine, plus Amnesty International et les Human Rights Watches, gardent les bougies allumées pour ce qui est de l’application des règles du droit humanitaire à ce conflit. Ils sont ceux qui mobilisent l’opinion publique internationale.
L’opinion publique internationale reste largement favorable à vouloir que les Palestiniens obtiennent leurs droits. Tant que les sociétés civiles et l’opinion populaire soutiennent la réalisation des droits des Palestiniens, pour qu’Israéliens et Palestiniens puissent avoir un avenir juste et partagé, il y a toutes les raisons d’être optimiste, il y aura un avenir à envisager.
C’est cette opinion publique, certainement en Europe, que je rencontre en Irlande, en Grande-Bretagne, en Belgique et aux Pays-Bas, qui sont ceux continuant à contribuer à alimenter le débat politique et les questions diplomatiques dans des pays comme ceux-là. C’est pourquoi je reste optimiste.
Il y a aussi une ouverture dans l’opinion publique américaine. Trois des quatre candidats majeurs pour l’investiture démocrate, à un degré ou un autre, disent que nous devons repenser notre relation à Israël s’il va continuer cette voie d’une occupation perpétuelle. Cela me dit que l’aiguille se déplace aussi aux Etats-Unis et que l’opinion publique se reflète dans certains des débats en cours. Tout cela me rend fondamentalement optimiste, qu’il y a des voies pour que la vapeur se renverse.