Les autorités israéliennes ont arrêté au moins 64 étudiants palestiniens depuis le début de 2019. Ce nombre ne fait que croître.
Ce mois-ci, Mais Abu Ghosh, une étudiante de l’université Birzeit en Cisjordanie, a envoyé une lettre à sa famille depuis la prison Damon au nord d’Israël.
« Je vous aime tellement », a écrit Abu Ghosh. « Je vais bien tant que vous et ceux que j’aime allez bien […] Vous êtes dans ma pensée et dans mon esprit ». Elle a demandé à sa famille d’envoyer ses salutations à ses amis de l’université et à ses professeurs, « sans exception ». Elle a ajouté : « Je suis avec une autre famille maintenant. Toutes les difficultés passeront. »
Les forces israéliennes ont arrêté Abu Ghosh fin août. Elle fait partie des dizaines d’étudiants palestiniens qui ont été emprisonnés au cours des trois derniers mois, dans une répression accrue contre les étudiants dans toute la Cisjordanie occupée.
Selon les données rassemblées par Right to Education (Droit à l’éducation), une campagne d’initative locale visant à défendre l’éducation en Palestine, les forces israéliennes ont emprisonné au moins 64 étudiants depuis le début de cette année. Dix-huit des détenus sont étudiants à Birzeit — la deuxième plus grande université de Cisjordanie occupée.
Les autorités israéliennes arrêtent régulièrement les étudiants palestiniens politiquement actifs, mais les groupes de droits humains disent que ce nombre s’est accru avec la répression actuelle.
Escalade d’arrestations
Un porte-parole d’Addameer, une organisation défendant les droits des prisonniers palestiniens, a dit à +972 qu’Israël avait ciblé un nombre croissant d’étudiants palestiniens depuis le début de 2019. Il y a actuellement 260 lycéens et étudiants palestiniens dans les prisons israéliennes.
Des 18 étudiants de Birzeit qui ont été arrêtés en août, Israël en a seulement relâché trois. Tous ont été capturés dans leurs maisons pendant des raids militaires de nuit, les soldats israéliens usant de « force excessive » au cours des arrestations, selon Addameer.
La plupart des étudiants de Birzeit détenus subissent toujours des interrogatoires qui peuvent durer jusqu’à 75 jours ou être encore étendus pour 90 jours supplémentaires. Trois des étudiants ont été placés sous détention administrative – une politique héritée du mandat britannique, par laquelle Israël retient des détenus indéfiniment, sans inculpation. Ceci est utilisé presque exclusivement contre les Palestiniens.
Addameer a exprimé « de sérieuses inquiétudes pour le bien être et la santé » des étudiants détenus, remarquant que beaucoup ont été privés de visites d’avocats et ont été soumis à la « torture et à des mauvais traitements ».
Selon Right to Education, 80 étudiants de Birzeit sont actuellement emprisonnés par Israël, parmi lesquels 17 sont sous détention administrative.
Le mois dernier, un tribunal militaire israélien a imposé une obligation de silence sur les cas de plusieurs étudiants palestiniens détenus qui subissent des interrogatoires. L’ordre doit être levé le 10 novembre.
Addameer a dit que l’obligation de silence était une violation des « droits fondamentaux du prisonnier, de sa famille et de son avocat » et une tentative pour « couvrir de graves violations des droits humains », infligées aux prisonniers palestiniens pendant les interrogatoires.
Un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré à +972 que les étudiants récemment arrêtés à Birzeit sont « soupçonnés d’implication dans des attaques terroristes qui se sont produites pendant les derniers mois et au cours desquelles des citoyens israéliens ont été assassinés ». Le porte-parole a ajouté qu’ils ne pouvaient pas fournir d’information supplémentaire tant que les cas étaient examinés par le Shin Bet — l’agence de sécurité intérieure d’Israël.
Le porte-parole de l’armée se refère probablement à une attaque qui s’est produite en août, quand une Israélienne de 17 ans, Rina Shnerb, a été tuée par un explosif improvisé près de Dolev, une colonie située au nord-est de Ramallah.
Samer Arbeed, 44 ans, a été accusé de diriger une cellule du Front populaire pour la libération de la Palestine (PFLP) qui aurait mené l’attaque. Il a été hospitalisé dans un état critique le mois dernier, avec des côtes cassées et une défaillance rénale après des tortures et de sévères passages à tabac avant et pendant les interrogatoires menés par le Shin Bet dans le Complexe russe, à Jérusalem.
A l’hôpital Hadassah, Arbeed a sombré dans le coma et a été mis sous assistance respiratoire. Les médias israéliens ont rapporté que le Shin Bet avait reçu la permission légale d’utiliser « des mesures extraordinaires » pendant l’interrogatoire d’ Arbeed.
Dans un rapport publié l’an dernier, Addameer a documenté l’usage systématique de la torture par les autorités israéliennes au Complexe russe, que les Palestiniens désigne sous le nom d’al-Mascobiyya. Parmi les types de torture : placer le détenu à l’isolement tout en l’exposant au bruit de tortures dans les cellules voisines. Les cellules, selon le rapport, « ne sont pas conformes aux standards minima pour une vie humaine adéquate ».
« Des attaques continuelles et systématiques »
« Les étudiants palestiniens ont été confrontés à des attaques continuelles et systématiques » de l’armée israélienne — particulièrement à Birzeit, a déclaré Yara Hawari, membre du think tank palestinien Al-Shabaka. Un étudiant qui est actif politiquement, a-t-elle dit, « rencontrera inévitablement d’une façon ou d’une autre les forces d’occupation israéliennes ».
Birzeit a servi de centre à la vie politique, culturelle et universitaire palestinienne en Cisjordanie depuis des décennies. Ses anciens élèves incluent des figures palestiniennes de premier plan, comme Marwan Barghouti, qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité dans une prison israélienne.
Depuis les années 1970, l’université a été soumise à de nombreuses fermetures par l’armée israélienne, la plus longue ayant duré près de cinq ans, entre 1988 et 1992, pendant la première intifada palestinienne. Etudiants et enseignants ont résisté aux fermetures, organisant des cours dans leurs maisons ou hors de grilles fermées de l’université.
« Cet héritage signifie que Birzeit est demeuré un espace très actif politiquement », a dit Hawari. « C’est une plaque tournante de l’organisation étudiante ».
Selon Tahseen Elayyan, qui dirige le département de surveillance et de documentation à l’ONG palestinienne pour les droits humains al-Haq, les étudiants de Birzeit représentent le spectre politique palestinien tout entier — à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
L’Autorité palestinienne n’a pas organisé d’élection générale depuis 2005, ce qui veut dire que les résidents de Cisjordanie et de Gaza ont été privés d’exprimer leurs opinions politiques dans une procédure démocratique. Les élections étudiantes à Birzeit ont servi d’important baromètre pour capter l’air du temps politique.
« Birzeit représente un espace politique palestinien vibrant qui représente la société », a dit Elayyan. « C’est une des raisons qui fait de l’université le sujet de fréquentes attaques israéliennes ».
Selon Right to Education, les forces israéliennes ont tué 26 étudiants de l’université de Birzeit depuis 1984, et environ 1000 étudiants de Birzeit ont été arrêtés depuis 2004. Presque invariablement, le chef d’accusation est l’implication dans des activités terrroristes.
Les forces israéliennes ont aussi envoyé des mista’revim – des forces spéciales sous couverture — sur le campus de Birzeit pour arrêter des étudiants individuellement.
En mars 2018 Omar Kiswani, le président du conseil étudiant de Birzeit, membre du Bloc islamique sur le campus, a été arrêté par des mista’revim qui avaient obtenu l’accès au campus de l’université en se faisant passer pour des journalistes. L’arrestation a fait l’actualité internationale parce que des étudiants avaient enregistré des vidéos du violent incident sur leurs téléphones, et que celles-ci ont été diffusées par divers médias. Deux étudiants et un employé de l’université avaient été blessés par les forces d’arrestation.
Les autorités israéliennes ont dit plus tard que Kiswani avait été arrêté pour « soupçon d’implication dans une activité terroriste », probablement à cause de l’association du Bloc islamique avec le Hamas, qu’Israël considère comme une organisation terroriste.
Yara Hawari d’Al-Shabaka a expliqué qu’Israël cible les étudiants politiquement actifs indépendamment d’une affiliation spécifique. Les campagnes d’arrestation viennent d’ordinaire par vagues, a-t-elle dit. L’arrestation d’un étudiant est suivie par l’arrestation de tous les étudiants dans son réseau et dans son cercle politique. La vague récente semble viser des étudiants soupçonnés d’affiliation avec le PFLP, situé à gauche. Des campagnes d’arrestation sont une technique efficace pour briser la jeunesse palestinienne, a-t-elle ajouté.
Cibler les agents du changement
Les forces d’occupation israéliennes ciblent les étudiants palestiniens parce qu’ils sont la voix du changement dans la société palestinienne, a déclaré Hawari. A Birzeit, les étudiants sont actifs à la fois pour les droits politiques et civiques, que l’occupation cherche à criminaliser. L’objectif des campagnes d’arrestation, a expliqué Hawari, est d’affaiblir la vie universitaire des étudiants palestiniens. Le Shin Bet et l’armée savent qu’en ciblant les institutions éducatives palestiniennes ils sapent la société palestinienne toute entière, a-t-elle ajouté.
Le monde académique souffre beaucoup de l’occupation, a dit Hawari. Israël a mis fin ou a refusé les visas d’universitaires étrangers et palestiniens qui enseignent dans les universités. Aucun des enseignants de l’université internationale de Birzeit n’ont obtenu un visa pour l’année universitaire 2018-2019 ; les seules exceptions sont ceux ou celles qui enseignent ou font des recherches sous les auspices de programmes subventionnés par des gouvernements étrangers.
Israël refuse fréquemment des visas aux étudiants qui souhaitent étudier à l’étranger ou assister à des conférences universitaires. Le résultat désiré par ces politiques est d’isoler les universitaires palestiniens du monde extérieur.
Et les prisonniers palestiniens ne peuvent pas non plus compléter leur éducation à l’intérieur des prisons israéliennes. Les étudiants arrêtés par les forces israéliennes manquent typiquement au minimum un semestre universitaire, d’autres peuvent attendre des années en détention. Après leur libération, essayer de reprendre là où ils ont arrêté peut présenter d’immenses difficultés. Leurs pairs ont avancé, ou sont diplômés, tandis qu’ils sont contraints à re-suivre des cours avec des étudiants qui sont bien plus jeunes et qui n’ont pas eu les mêmes expériences de vie.
L’Autorité palestinienne utilise la même tactique qu’Israël, arrêtant des étudiants politiquement engagés pour réprimer la dissidence — particulièrement dans des cas où elle conteste la domination du Fatah sur le paysage politique en Palestine. Depuis le début de l’année universitaire, l’Autorité palestinienne a arrêté 12 étudiants ; tous ont depuis été relâchés. La Voix des étudiants palestiniens, un groupe Facebook géré par des étudiants, a documenté cinq arrestations additionnelles par des forces de l’Autorité palestinienne en octobre.
Le Fatah, a dit Elayyan d’al-Haq, veut « créer une atmosphère dans laquelle le Fatah gagne toujours les élections ».