Les soldats israéliens ont arrêté début décembre Fahamiya Khalidi dans une école de Gaza après qu’elle se soit enfuie de chez elle à cause d’un bombardement des FDI. Elle a été emmenée à la prison de Damon, où on lui a refusé la rencontre avec un avocat, et n’a été libérée qu’après un appel.
Les Forces de Défense Israéliennes et l’Autorité Carcérale d’Israël ont arrêté et emprisonné pendant presque deux mois une femme de Gaza de 82 ans qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Elle a été enfermée selon la Loi sur l’Incarcération des Combattants Illégaux. Parce qu’elle était considérée comme une combattante illégale, la Prison de Damon au nord d’Israël a également refusé la requête d’un avocat de l’organisation israélienne de Médecins pour les Droits de l’Homme pour la rencontrer. Elle a été libérée il y a deux semaines après qu’un recours ait été déposé contre le refus de l’autoriser à rencontrer l’avocat.
Fahamiya Khalidi, qui est née en 1942, a été arrêtée dans la Bande de Gaza début décembre par des soldats israéliens. A l’époque, elle s’abritait dans une école du quartier de Zeitoun de la ville de Gaza après avoir quitté sa maison à cause des bombardements israéliens.
Étant donné son état de santé et le fait que ses enfants vivent à l‘étranger, elle avait auprès d’elle une aidante à plein temps. L’aidante a elle aussi été arrêtée, mais n’a pas été relâchée quand Khalidi l’a été et, pour d’après ce que nous savons, elle est toujours en détention. Une grande partie des détails concernant l’incarcération de Khalidi demeurent inconnus parce que, depuis sa relaxe, elle n’a pas été capable de reconstituer ce qui lui est arrivé.
Le fille et les fils de Khalidi ont été informés de l’arrestation de leur mère par des voisins, mais ils ont été incapables de découvrir où elle était. Depuis le début de la guerre à Gaza le 7 octobre, Israël a refusé de fournir aux familles et aux organisations des droits de l’Homme quelque information que ce soit sur les tenants et aboutissants des détenus de Gaza.
Médecins pour les Droits de l’Homme a appris par hasard que Khalidi était détenue à la Prison de Damon. Un avocat d’une autre organisation de droits de l’homme a rendu visite à des prisonnières de Cisjordanie qui lui ont parlé d’une prisonnière âgée de Gaza qui ne parlait pas et fonctionnait difficilement. L’avocat a averti la famille et a transmis des données personnelles sur Khalidi à Médecins pour les Droits de l’Homme (MDH).
Le 27 décembre, Muna Abou al-Younes Khatib, avocat pour MDH, a rempli une demande de rencontre avec la vieille femme de Gaza. Le 31 décembre, une réponse est arrivée de la Prison de Damon déclarant ce qui suit : « [Les femmes] incarcérées n’ont pas le droit de rencontrer un avocat jusqu’au 21 février 2024 selon une décision de l’officier responsable en vertu de la Section 6A de la loi de 2022 sur l’incarcération des combattants illégaux.
D’après les données du Service Carcéral d’Israël, depuis fin décembre, 661 individus déclarés combattants illégaux ont été emprisonnés dans ses locaux. On y trouvait 10 jeunes garçons de 16 ou 17 ans, une jeune fille et 42 femmes adultes. Cela signifierait que l’une de ces femmes était Khalidi. Ces chiffres ne comprennent pas les Gazaouis qui sont encore détenus dans les locaux des FDI.
La loi de 2002 définit un combattant illégal comme quelqu’un qui a directement ou indirectement participé à des actes hostiles contre l’État d’Israël et qui n’a pas droit au statut de prisonnier de guerre d’après la Convention de Genève. En se fondant sur un amendement de 2023, la loi n’autorise ces prisonniers à rencontrer un avocat que 30 jours après leur incarcération, et l’officier qui est responsable dans la prison de l’application de la loi est autorisé à étendre la période sans accès à un avocat jusqu’à 75 jours – comme ce fut fait dans le cas de Khalidi.
Le 10 janvier, le refus de la prison d’organiser une rencontre a fait l’objet d’un appel par un autre avocat, Tamir Blank, qui a également fourni un rapport médical datant de juin de l’année dernière, déclarant que Khalidi souffrait d’une série de problèmes médicaux et avait des difficultés à marcher, en plus d’être une malade d’Alzheimer. Blank a également fait remarquer qu’il n’avait pas de pouvoir signé par le procureur parce qu’on avait refusé à Khalidi une rencontre avec l’avocat de Médecins pour les Droits de l’Homme. Le lendemain, le juge du Tribunal du District de Haïfa, Ron Shapiro, a donné au bureau du procureur de l’État de Haïfa jusqu’au 14 janvier pour répondre.
Einat Shterman Cohen du bureau du procureur de Haïfa a répondu au dernier moment que la rencontre serait autorisée « au-delà de la lettre de la loi … [puisque les avocats qui font appel au nom de Khalidi] ne devraient pas être considérés comme représentant la demanderesse » en l’absence d’une procuration signée. Les responsables de l’administration pénitentiaire ont prévu une rencontre de Khalidi avec l’avocat de Médecins pour les Droits de l’Homme pour le dimanche 21 janvier.
Mais le 19 janvier, Khalidi a été libérée de la Prison de Damon en même temps que cinq autres femmes qui avaient été déclarées « combattantes illégales ». MDH a appris la libération de Khalidi par hasard, encore une fois.
Cette fois encore, un avocat d’une autre organisation qui était en visite dans la prison a entendu dire que six femmes de Gaza, dont Khalidi, étaient libérées. Les efforts de MDH pour obtenir davantage d’informations auprès du bureau du procureur, au moins pour s’organiser pour que quelqu’un l’attende à son retour à Gaza, ont été vains.
Différents rapports des médias ont fourni quelques informations sur sa situation en prison. En se fondant sur ce qu’a dit l’une des autres femmes de Gaza qui a été libérée, on pourrait en conclure qu’elle est allée quelquefois menottée à l’infirmerie de la prison. Comme elle avait des difficultés à marcher, elle était en fauteuil roulant. Khalidi n’était pas la seule femme âgée et malade là-bas, a dit l’autre prisonnière. Les six prisonnières relâchées ont été conduites, avec 18 prisonniers, dans le voisinage du passage de la frontière de Gaza à Kerem Shalom. Ils ne connaissaient pas cette zone et, quand ils ont commencé à s’éloigner, les soldats ont tiré au-dessus de leurs têtes et leur ont dit en hurlant de revenir afin qu’on puisse les envoyer dans la bonne direction, a raconté une autre prisonnière. Les soldats, a-t-elle déclaré, ont continué à tirer après qu’on les ait réorientées.
Du côté palestinien du passage de la frontière, il y a une tente de l’UNRWA où sont reçus les prisonniers libérés. Khalidi a été envoyée de là vers un hôpital de la ville de Rafah au sud de Gaza, où elle se trouve encore. L’hôpital a contacté quelqu’un du même nom de famille – qui avait été déplacé par la guerre du camp de réfugiés de Shati. Il est immédiatement venu la voir, mais il est apparu qu’ils n’étaient pas de la même famille.
Dans une vidéo de leur rencontre postée sur un réseau social, on le voit essayant en vain de lui demander son identité et ce qu’elle avait vécu ces dernières semaines. On le voit aussi lisant la carte d’identité de Khalidi (qui établit qu’elle est née à Lydda, dans ce qui est maintenant le centre d’Israël).
Le reporter de la chaîne de télévision Falastin, qui a interviewé les deux prisonnières libérées, a essayé, sans succès lui aussi, d’avoir une conversation avec Khalidi. Ces femmes ont raconté qu’avant d’être transportées à Damon, elles étaient dans un centre de détention qu’elles ont décrit comme étant dans « les montagnes » – faisant apparemment référence à l’infrastructure militaire d’Anatot à l’extérieur de Jérusalem – où elles ont dit qu’on les avait interrogées 10 minutes par jour pendant plusieurs jours.
Naji Abbas, directeur du département des prisonniers de Médecins pour les Droits de l’Homme, qui était en contact régulier avec la famille de Khalidi et assurait la coordination du traitement de son cas par son organisation, a dit que l’emprisonnement prolongé d’une femme de 82 ans, souffrant en plus de la maladie d’Alzheimer, soulève des questions sur le fondement de l’arrestation et l’identité d’un nombre considérable de Gazaouis détenus par les FDI ou le Service Carcéral israélien. Il a dit aussi à Haaretz que son organisation a reçu des rapports sur d’autres personnes octogénaires ou nonagénaires que les FDI avaient arrêtées et dont les familles n’avaient pas été contactées.
En réponse à cet article, le Service Carcéral d’Israël a dit : « La prisonnière a été reçue au service de la prison le 10 décembre 2023. Elle a été détenue 30 jours jusqu’à sa libération. Pendant cette période, elle a été détenue en accord avec la loi. »
Mais d’après les récits de témoins et contrairement aux déclarations du service carcéral, elle a été libérée le 19 janvier, plus de 30 jours après son arrivée à Damon.
Le service carcéral n’a pas répondu à la question d’Haaretz de savoir si Khalidi avait été examinée par un médecin et si, en se fondant sur cet examen, la prison de Damon avait décidé qu’elle était une combattante illégale qui ne devait pas être autorisée à rencontrer un avocat. Le service carcéral n’a pas répondu non plus à la question de savoir si les autorités carcérales n’avaient pas trouvé étrange de considérer une femme dans son état comme une combattante illégale.
On a demandé au service de sécurité du Shin Bet et au ministère de la Justice si Khalidi avait été interrogée par le service de sécurité du Shin Bet et si les FDI, le service carcéral et/ou le Shin Bet avaient l’autorité pour libérer de prison quelqu’un arrêté selon la loi des combattants illégaux si on découvre que ces personnes ne sont pas des combattantes et sont par ailleurs incapables de fournir des informations. Le ministère de la Justice a dit que ces questions devaient être transmises au Shin Bet, et le Shin Bet n’a pas répondu. La réponse du porte-parole des FDI n’est pas arrivée avant l’heure d’impression.