“FARHA” sur Netflix et le droit des palestiniens de traiter la douleur par l’art

Les représentants officiels d’Israël ont dénoncé la description de la Nakba de 1948 ou le nettoyage ethnique des Palestiniens. Leurs campagnes ont échoué.

Le film jordanien “Farha”, qui sort cette semaine, raconte l’histoire d’une tragédie individuelle qui a eu lieu pendant la guerre de 1948 pour la création de l’État d’Israël, où les Palestiniens, qui se rappellent cet événement comme la Nakba, ou catastrophe, ont été chassés de leurs maisons par des centaines de milliers.

Une jeune Palestinienne de 14 ans, qui entretient le rêve de s’affranchir des attentes traditionnelles liées au genre dans son village pour aller à l’école dans une ville proche, est forcée par son père de se cacher après l’attaque de leur localité par des soldats des Forces de Défense Israéliennes nouvellement créées. Cachée dans un cellier en attendant le retour de son père, elle observe par une petite ouverture dans le mur l’exécution par les soldats d’une famille palestinienne comprenant deux jeunes enfants et un bébé.

« Farha », le premier film du réalisateur Darin Sallam, est aussi la sélection jordanienne pour les Academy Awards. Sallam a dit que ce film était basé sur la véritable histoire d’une amie de sa mère qui, réfugiée des années plus tard en Syrie, s’est rappelée son expérience de jeune fille durant la Nakba. Sallam évoque le film comme un moyen d’aider le processus mémoriel douloureux de cette époque.

« Je ne crains pas de dire la vérité. Nous avons besoin de le faire parce que les films vivent et que nous mourons », a dit Sallam dans une interview l’hiver dernier à la suite de la première du film au Festival International de Cinéma de la Mer Rouge. « C’est pourquoi j’ai décidé de faire ce film. Non pas que je sois politique, mais parce que je suis fidèle à l’histoire que j’ai entendue ».

Des campagnes pour l’annulation

Comme on pouvait s’y attendre, le film – et l’attention qu’il reçoit maintenant en étant sur une plateforme aussi importante que Netflix – a provoqué la colère de représentants officiels d’Israël qui ont dénoncé « Farha » et l’ont même menacé de conséquences sur sa diffusion.

« C’est fou que Netflix ait décidé de diffuser un film dont tout l’objectif est de créer un faux prétexte et de faire de la provocation contre les soldats israéliens » a dit le ministre sortant des finances, Avigdor Liberman, dans une récente déclaration. Liberman a aussi pris des mesures pour révoquer le financement d’État à un cinéma de Jaffa, en banlieue de Tel Aviv, qui a projeté le film, dans le but d’empêcher la projection de ce film choquant ou d’autres du même genre à l’avenir.

Divers autres représentants officiels d’Israël ont remis en cause la production de“Farha” dans des déclarations publiques. En réponse à sa diffusion sur Netflix, il y a eu des dégradations coordonnées de sa notation en ligne ainsi qu’une campagne sur les réseaux sociaux appelant les gens à annuler leurs abonnements à Netflix .

Beaucoup de gens veulent que “Farha” ne soit vu en aucun cas. Pourtant, cette tentative de supprimer les projections du film semble refléter un refus injuste d’encore un droit humain fondamental aux Palestiniens, la possibilité de surmonter leur traumatisme par l’art. Plutôt que d’attaquer gratuitement les Israéliens, le créateur de « Farha » a dit que son élan personnel était au cœur de la motivation à faire ce film.

« L’histoire a circulé au long des années jusqu’à moi. Elle est restée avec moi. Quand j’étais enfant, j’avais cette peur des endroits fermés, sombres et je ne cessais de penser à cette fille et à ce qui lui était arrivé » a dit Sallam à la sortie du film. « Aussi, quand j’ai grandi et suis devenu réalisateur, j’ai décidé que ce serait mon premier film ».

Le désir d’utiliser l’art comme moyen de traiter la douleur – y compris les traumatismes historiques transmis de génération en génération – devrait être familier aux Israéliens, dont nombre d’entre eux descendent de survivants du génocide venus d’Europe, génocide sur lequel existe une histoire abondante de production culturelle qui se poursuit de nos jours.

En dépit de la documentation sur l’exode des réfugiés palestiniens, les témoignages personnels de ceux qui ont souffert de ces événements ont souvent été supprimés, pour ne recevoir que récemment une timide reconnaissance du public plus large, des décennies après les faits. L’industrie palestinienne du cinéma, qui a obtenu un succès populaire ces derniers temps, a émergé comme outil vital pour saisir la mémoire historique, non seulement de la Nakba mais des traumatismes suivants dont ont souffert des millions de Palestiniens vivant comme sujets sous occupation de l’armée israélienne.

Reconnaître l’autre côté

L’armée israélienne en temps de guerre ne sort pas grandie de la scène pivot de « Farha » qui montre le meurtre d’une famille palestinienne. Mais loin d’être impensables, de tels faits ont été documentés par des historiens israéliens comme fréquents pendant la Nakba.

« Les soldats juifs qui ont pris part au massacre ont aussi rapporté des scènes d’horreur : des bébés dont les crânes ont été ouverts, des femmes violées ou brûlées vives dans les maisons, et des hommes poignardés à mort » a écrit l’historien Ilan Pappé dans son livre, « Le Nettoyage Ethnique de la Palestine » où il rend compte d’un massacre qui a pris place dans le village palestinien de Dawaymeh.

Le massacre de Dawaymeh n’a été qu’un des innombrables faits de nettoyage ethnique de cette période, dont beaucoup ont survécu dans la mémoire des Palestiniens mais ne sont que maintenant reconnus par d’autres.

Le droit de ceux qui ont souffert de la Nakba et de leurs enfants à mémoriser leur expérience par l’art ne devrait pas être dénié même si, comme c’est probable, les histoires qu’ils racontent mettent certaines personnes mal à l’aise aujourd’hui.

« Farha » est désormais disponible pour des millions de gens sur Netflix. En dépit des tentatives d’arrêter sa diffusion, il y a de bonnes raisons pour que « Farha » soit vu – mais pas pour attiser la haine sur les terribles événements qui ne peuvent pas être annulés. Le film devrait plutôt servir à la reconnaissance de l’autre côté d’un récit historique sur la création de l’État d’Israël qui a été trop longtemps ignoré ou nié : l’histoire de ses victimes.