En Cisjordanie, le chômage palestinien est maintenant une politique israélienne

Après le 7 octobre, Israël a révoqué les permis de travail de plus de 150 000 Palestiniens. En plus de la montée en flèche des attaques de colons, mon village est confronté à la ruine financière.

Depuis le début de l’attaque d’Israël contre Gaza en octobre 2023, les Palestiniens de Cisjordanie occupée ont souffert d’une crise aiguë de chômage. Dans les six premiers mois de la guerre, le taux de chômage a presque triplé, plus de 300000 travailleurs perdant leur principale source de revenus.

Plus de la moitié de ces personnes travaillaient à l’intérieur d’Israël jusqu’à ce que les autorités révoquent leurs permis de travail après l’attaque du Hamas du 7 octobre. Les travailleurs palestiniens ont à de nombreuses reprises demandé que leurs permis pour entrer en Israël soient restitués pour qu’ils puissent subvenir aux besoins de leurs enfants et vivre une vie décente, mais leurs requêtes ont été refusées jusqu’à présent.

Dans mon village d’Umm Al-Khair, dans les collines du sud d‘Hébron, la plupart des familles n’ont plus aucune source de revenus. En plus d’une hausse effrayante des attaques des colons et des démolitions de maisons dans notre communauté, la plupart des résidents se trouvent maintenant ruinés financièrement. Alors que nous sommes déjà dans la deuxième année de cette réalité, nous sommes toujours sans solution, ni assistance financière adéquate.

Historiquement, notre communauté a subsisté grâce à l’élevage et aux activités agricoles. Mais au cours des années, l’extension de la colonie juive de Carmel — qui s’est emparée de la moitié des terres du village quand elle a été établie en 1980 — et la violence des colons et des soldats israéliens ont rendu inaccessible la vaste majorité de nos terres. Contraints de trouver des sources alternatives de revenus, beaucoup d’hommes jeunes ont commencé à travailler comme ouvriers à l’intérieur d’Israël — jusqu’à ce que la guerre y mette un terme.

Des travailleurs palestiniens font la queue pour traverser le checkpoint Eyal dans les petites heures du matin afin d’atteindre leurs lieux de travail en Israël, près de Qalqilya, en Cisjordanie occupée, 10 janvier 2021. (Keren Manor/Activestills)

Ahmed Hathaleen, un ouvrier de 29 ans qui a travaillé sur des sites de construction israéliens avant la guerre, est maintenant au chômage depuis plus de 16 mois. Il a souffert d’un sévère accident de travail en août 2023, qui a requis qu’il subisse une opération dans un hôpital israélien pour l’amputation d’un de ses doigts. Au moment où ses blessures ont guéri, la guerre avait commencé et Israël avait révoqué son permis de travail.

Sans autre revenu pour aider sa famille, Ahmed a été forcé de demander de l’argent à des amis, ce qui lui cause de l’embarras et de la honte. Mais, dit-il, il n’a pas de choix : « Je suis père de deux enfants : Khaled qui a deux ans et demi, et Majed qui a dix mois. J’ai eu le bonheur d’avoir Majed dans les premiers mois de la guerre. À leur âge, mes enfants ont besoin de beaucoup de soins et mon incapacité à travailler rend extrêmement difficile de leur donner des nécessités de base. »

Pour aggraver les choses, Ahmed reçoit des messages et des appels quotidiens de l’hôpital israélien où il a subi l’opération, lui rappelant de payer la dette qui lui incombe après les rendez-vous de suivi nécessaires dans les mois qui ont suivi son opération. L’hôpital lui a donné un ultimatum : payer le solde dû ou ils transféreront son dossier aux tribunaux israéliens, ce qui lui causera des coûts additionnels sous la forme de frais d’avocats et d’amendes pour retard de paiement.

 « Actuellement je n’ai rien », se désole Ahmed. « Je dois à beaucoup d’amis de l’argent que j’ai emprunté pour entretenir ma famille et mes enfants, et je dois à l’hôpital une somme d’argent que je suis incapable de payer. Plus le temps passe, et pire la situation devient. Personne ne se soucie de nous. L’Autorité palestinienne n’a trouvé aucune solution pour nous après une année complète sans travail. »

Beaucoup d’autres familles à Umm Al-Khair sont dans une situation similaire. Quelques-uns ont même été contraints de vendre des biens de base, comme des meubles de leur maison, pour subvenir aux besoin de leurs enfants.

Ammar Hathaleen, un ouvrier agricole de 32 ans, a perdu son travail à l’intérieur d’Israël quand la guerre a commencé. « J’ai six enfants — nous avons beaucoup de dépenses », a-t-il expliqué. « Depuis que j’ai perdu mon revenu, je n’ai aucun moyen de les entretenir ».

Ammar a cherché continûment du travail en Cisjordanie mais n’a rien pu trouver. Il a essayé de cultiver du blé et d’autres produits dans ses champs agricoles près du village pour épargner de l’argent, mais l’armée israélienne et les colons rendent impossible l’accès à ses propres terres privées.

Des colons israéliens harcèlent des résidents palestiniens de Khirbet Zanuta, dans les collines du sud d’Hébron, Cisjordanie occupée. (Oren Ziv)

Coupés de notre propre terre

Le cas d’Ammar illustre les difficultés majeures auxquelles sont confrontés les fermiers palestiniens dans toute la Cisjordanie, alors que les colonies israéliennes subventionnées par le gouvernement les coupent de plus en plus de leurs terres. Historiquement, Hébron et les villages environnants, comme Umm Al-Khair, ont produit la plupart des raisins de Cisjordanie et, avec la vallée du Jourdain, c’est là où se trouve la plus grande partie de l’élevage d’animaux de la région. 

À ce titre, ce n’est pas un hasard si les colons ont stratégiquement concentré leurs attaques sur cette région fertile. Et avec le soutien de l’armée israélienne, les milices des colons ont pris le contrôle de dizaines de milliers de dounams de terres agricoles[1].

Avant le 7 octobre, les fermiers de Umm Al-Khair qui voulaient accéder à leurs terres en périphérie des colonies israéliennes pendant la récolte des olives et les saisons de labours devaient obtenir une autorisation spéciale des autorités israéliennes. L’an passé, cependant, Israël a discontinué ce mécanisme de coordination, empêchant complètement beaucoup de fermiers d’Umm Al-Khair d’accéder à leurs terres. 

En pratique, les Palestiniens des collines du sud d’Hébron ont été restreints à un rayon de 100 mètres autour des centres de leurs communautés pour faire paître leurs troupeaux, alors que les bergers colons amènent leur bétail brouter sur les terres palestiniennes privées plantées de blé et d’orge.

Nous avons aussi souffert d’un nombre sans précédent d’attaques de colons pendant les quinze derniers mois. Des colons entrent régulièrement dans le village pour harceler les résidents avec des bombes lacrymogènes, nous attaquent avec des bâtons et volent notre bois. Plus tôt ce mois-ci, des colons de Carmel ont fait voler d’énormes drones au-dessus de notre village, accentuant leur intimidation et leur surveillance de notre vie quotidienne.

Nous sommes aussi confrontés en même temps à une violence accrue venant d’un avant-poste plus récent — techniquement illégal même selon le droit israélien, bien que l’armée le protège et lui fournisse des services — appelé Havat Shorashim, qui a été établi en 2022. À partir de juillet, un groupe de bergers colons de cet avant-poste a commencé des intrusions sur notre terre agricole pour couper la conduite d’eau du village — la seule source d’eau pour la communauté entière. Chaque fois, nous la réparons, mais il ne faut que quelques jours ou quelques semaines pour qu’un colon vienne la casser une nouvelle fois.

Les attaques d’Israël contre l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) ont encore exacerbé la misère financière de notre communauté. Parce que les résidents de Umm Al-Khair sont des réfugiés d’autres parties de la Palestine historique — nos ancêtres ont été expulsés de la région de Bir As-Saba/Be’er Sheva pendant la Nakba de 1948 —, nous dépendons de l’UNRWA pour l’assistance et les services sociaux, dont des fournitures alimentaires de base et des aides d’urgence en espèces. Aucune aide significative n’a atteint les réfugiés palestiniens de Umm Al-Khair depuis un an maintenant, laissant notre communauté particulièrement vulnérable aux attaques et aux empiètements des colons sur nos terres.

Beaucoup de travailleurs palestiniens ont insisté sur la nécessité que des institutions internationales interviennent et exercent une pression sur le gouvernement israélien, particulièrement en ce qui concerne la situation économique en Cisjordanie — que ce soit en permettant aux Palestiniens de retourner à leur travail en Israël ou en permettant aux organisations d’aide comme l’UNRWA de fournir une assistance d’urgence. Les travailleurs et les fermiers palestiniens de Umm Al-Khair voient ce qui leur arrive comme une conséquence d’une politique israélienne intentionnelle, élaborée par un gouvernement d’extrême-droite qui vise à affaiblir la population palestinienne en nous détruisant économiquement.

Haitham S. est un pseudonyme pour un journaliste palestinien du village de Umm Al-Khair qui a demandé à rester anonyme de peur de représailles de la part des colons ou des soldats israéliens.  


[1] Dans cette région du monde, un dounam représente 1000 m2.

  • Photo : Les forces israéliennes empêchent les résidents du village palestinien d’ Az-Zuweidin de faire paître leurs bêtes sur leurs pâturages privés et arrêtent trois Palestiniens, sud Cisjordanie, 4 mai 2024.