Échange entre l’AURDIP et France Universités concernant la guerre à Gaza

France Universités (ex Conférence des présidents d’université) a répondu à la lettre de l’AURDIP concernant la guerre à Gaza. Ivar Ekeland, président de l’AURDIP, leur répond sur le traitement discriminatoire que France Universités accorde aux universités palestiniennes.

M. Guillaume Gellé, président de France Universités
Président de l’Université de Reims-Champagne Ardenne

Monsieur le Président,

J’accuse réception de votre lettre du 15 novembre, répondant à notre demande du 13.

Nous vous remercions d’avoir soulevé la question du traitement discriminatoire que France Universités accorderait aux universités palestiniennes plutôt qu’aux universités ukrainiennes, russes ou israéliennes.

Nous vous remercions tout particulièrement de nous en avoir fourni un exemple d’école : dans votre réponse, les universités palestiniennes ne sont même pas mentionnées ! Les universités ukrainiennes, russes et israéliennes, oui, les universités palestiniennes, non. Elles existent pourtant, et ce sont elles qui sont sous les bombes à Gaza. Les collègues y meurent tous les jours, comme l’ancien président de l’Université Islamique, le professeur Muhammad Shabir, tué chez lui avec sa famille, sans parler des étudiants et du personnel administratif. Je vous signale par ailleurs, au cas où vous vous y intéresseriez, que les universités palestiniennes de Cisjordanie occupée sont également dans une situation très difficile, contraintes de faire les cours à distance, professeurs, étudiants et administratifs restant terrés chez eux, victimes des exactions des colons et de l’armée, que la France a qualifié hier de « politique de terreur ».

La Russie a envahi l’Ukraine le 24 février 2022. Le jour même, sans doute après une large consultation de vos membres, France Universités se déclarait solidaire des universités ukrainiennes. L’attaque terroriste du Hamas contre Israël a eu lieu le 7 octobre 2023. Dès le 11 octobre, quatre jours après, vous la condamniez « avec la plus grande fermeté ». Les bombardements de Gaza durent depuis cinq semaines maintenant, ils ont fait au moins 11500 morts, dont plus de 4700 enfants. France Universités se tait. Réaction immédiate pour les ukrainiens, quatre jours pour les israéliens, cinq semaines et toujours rien pour les palestiniens. Qu’attendez-vous ? Qu’il y ait « assez » de morts ? On en est à un mort pour 150 habitants…

Vous nous dites que « vous n’avez pas eu connaissance de prises de positions des universités israéliennes qui, de près ou de loin, s’apparenteraient à celle de la Conférence des recteurs russes ». Vous faites allusion à votre déclaration du 10 mars 2022, où vous aviez exprimé votre stupéfaction que ceux-ci soutiennent un conflit armé et appellent à la « dénazification de l’Ukraine, relayant ainsi les fausses informations du pouvoir russe ». Permettez-nous donc de porter à votre connaissance une lettre des présidents d’universités israéliennes, datée du 1 Novembre 2023, adressée à tous leurs collègues internationaux. Vous y apprendrez que le Hamas « utilise ses citoyens comme boucliers pour ses armes, qu’il cache dans les hôpitaux, les écoles et les mosquées », accusation éculée, dont la seule source est l’armée israélienne et que rien ne permet encore de confirmer. Vous y apprendrez aussi qu’Israël « livre une guerre sur deux fronts : l’un contre les atrocités du Hamas, l’autre dans l’arène globale de l’opinion publique », au sein de laquelle ils ont décelé « une tendance alarmante à présenter Israël comme un oppresseur ». Les présidents israéliens vous invitent à prendre part à la guerre sur ce deuxième front, en « dénonçant et en condamnant les déclarations peu sincères, et en rejetant les voix hypocrites qui justifient le meurtre, le viol et la destruction au nom de la ‘résistance’ » . Vous hésiteriez peut-être à instaurer une censure dans vos universités, mais ils vous rassurent : « la liberté d’expression est un des piliers des libertés académiques, mais elle ne doit pas être manipulée pour légitimer un discours de haine ou pour justifier la violence ».

Quant au premier front de la guerre, celui qui se déroule à Gaza, les universités israéliennes s’en chargent. L’université de Tel Aviv, par exemple, annonce que 5 239 de ses étudiants sont actuellement sous les armes, que chacun d’eux va recevoir immédiatement une gratification de 1 000 NIS, et que ceux qui servent dans des unités combattantes recevront substantiellement davantage. Elle appelle même les textes sacrés à la rescousse : dans un discours prononcé le 7 novembre, son président, le professeur Ariel Porat, compare le Hamas à Amalek, et rappelle les malédictions divines que le Deutéronome accumule sur ce peuple ancien, allant de l’extermination physique, y compris des femmes et des enfants, à la damnatio memoriae. Ce faisant, il ne fait qu’emboîter le pas à son premier ministre, Binyamin Netanyahu, qui a utilisé la même référence à plusieurs reprises. La « déamalekisation » de Gaza est-elle préférable à la « dénazification » de l’Ukraine ?

Monsieur le Président, la réponse à la question que vous avez soulevée est sans ambiguïté : oui, France Universités a traité de manière discriminatoire les universités palestiniennes, alors même que celles-ci ont de nombreux accords avec les universités françaises et qu’un grand nombre de collègues français s’honorent d’y avoir enseigné et fait de la recherche. Les universités palestiniennes existent, tout autant que les universités ukrainiennes, russes et israéliennes, et elles doivent être traitées sur un pied d’égalité, avec celles-ci. Nos collègues palestiniens n’oublieront pas de sitôt que France Universités les a abandonnés aux bombardements incessants et meurtriers pendant cinq semaines sans protester ni réagir. Il est encore temps de réparer ce qui peut l’être, d’abord en portant sur ces bombardements et ces morts une condamnation qui aurait dû intervenir beaucoup plus tôt, et en sanctionnant les universités israéliennes qui les soutiennent. Il est surtout temps de préserver l’avenir, en évitant à France Universités de s’être tue alors que se déroule une entreprise militaire qui fait planer l’ombre du génocide.

Ivar Ekeland, président de l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) et président honoraire de l’Université Paris-Dauphine