The New York Times a interviewé deux personnes qui ont décrit leur arrestation par des soldats israéliens et comment ils les ont observés ouvrant le feu sur des ambulances et un camion de pompier, tuant 15 personnes.
Il faisait encore nuit quand un groupe d’ambulances et un camion de pompiers envoyés par les services de réponse d’urgence palestiniens ont ralenti pour s’arrêter à Rafah, la ville de Gaza la plus au sud, tôt le 23 mars. Ils avaient été envoyés à la recherche de collègues auxiliaires médicaux qui étaient partis dans une ambulance en mission de sauvetage plus tôt ce matin-là avant de disparaître.
Le convoi s’est arrêté près de l’ambulance disparue qui se trouvait sur le côté de la route, près de quelques entrepôts des Nations Unies. Quand les auxiliaires médicaux sont sortis pour regarder, des soldats israéliens à environ 50 mètres de distance ont ouvert le feu contre eux, selon deux hommes qui ont dit avoir été témoins des tirs.
Les deux hommes ont vu que ce qui se passait, ont-ils dit, parce qu’ils étaient détenus par les mêmes troupes israéliennes.
Un des deux, Munther Abed, 27 ans, auxiliaire bénévole, a dit qu’il a été arrêté après avoir survécu à l’attaque antérieure contre l’ambulance recherchée, attaque qui a tué deux autres membres de son équipe. L’autre homme, Dr. Saeed al-Bardawil, 55 ans, un médecin, a dit qu’il avait été détenu avec M. Abed quand lui et son fils ont été arrêtés par les troupes israéliennes alors qu’ils allaient pêcher à environ 4h45 du matin.
Le New York Times a interviewé les deux hommes séparément à Gaza quelques jours après que les Nations Unies ont rapporté avoir découvert les corps de 15 sauveteurs — huit de la Société du Croissant-Rouge de Palestine, six de la Défense civile de Gaza et un des Nations Unies — dans une fosse commune. Leurs ambulances, leur camion de pompier et un véhicule des Nations Unies, qui avaient été broyés, étaient à demi-enterrés à côté. Les Nations Unies ont accusé Israël d’avoir tué les 15 travailleurs, de s’être débarrassé de leurs corps et d’avoir détruit les véhicules.
Les rapports des deux hommes semblent soutenir ces accusations. Bien que leurs récits n’aient pas pu être confirmés indépendamment, les détails qu’ils ont donné correspondaient aussi à la suite des événements dans une vidéo obtenue et vérifiée par le New York Times, découverte sur le téléphone portable d’un des auxiliaires morts. Cette vidéo montre un barrage intense de tirs frappant le convoi juste au lever du jour.
« Je n’avais pas les yeux bandés — j’ai tout vu clairement », a dit Dr al-Bardawil. « Les auxiliaires sont sortis pour inspecter l’ambulance endommagée. C’est à ce moment-là que les soldats ont ouvert un feu nourri. »
La vidéo et les rapports des témoins contredisent l’explication initiale de l’armée israélienne sur l’attaque, qui était que ses forces avaient ouvert le feu sur des véhicules d’urgence parce qu’ils « avançaient de manière suspecte », sans phares ni signalisation d’urgence. La vidéo montre que les ambulances et le camion de pompier étaient clairement marqués et que leurs gyrophares étaient allumés. M. Abed et Dr. al-Bardawil ont aussi dit que les phares et les signalisations d’urgence étaient allumés et qu’ils ne s’étaient arrêtés que quand la fusillade a commencé.
Les assassinats ont suscité une condamnation et un examen internationaux. Samedi, un responsable de l’armée israélienne a dit aux journalistes que la version initiale des événements donnée par l’armée avait été partiellement « erronée ». L’armée a déclaré dimanche que l’épisode subissait « un examen approfondi ».
Parlant de manière anonyme selon les règles militaires israéliennes, le responsable de l’armée a dit que les responsables israéliens croyaient qu’au moins six des 15 morts avaient été des agents du Hamas, mais ils n’ont fourni aucune preuve. Le responsable a refusé de dire si un seul de de ceux qui ont été tués était armé.
M. Abed, l’auxiliaire médical qui a décrit l’attaque, a dit qu’il était bénévole pour le Croissant-Rouge à Gaza depuis 2015, travaillant dans sa ville de Rafah. Il possède aussi une librairie, a-t-il dit. Les jobs avec le Croissant-Rouge sont presque une tradition familiale : son père est un responsable du Croissant-Rouge ; son frère Mohammed, 25 ans, a aussi travaillé pour l’agence humanitaire jusqu’à ce qu’il ait été tué dans une frappe de drone en mai 2024.
Dans les heures avant l’aube le jour de l’attaque, se souvient M. Abed, l’équipe de son ambulance a été envoyée pour aider à évacuer des civils après une attaque israélienne à Rafah.
Alors qu’ils s’approchaient, M. Abed a brusquement entendu un barrage de tirs frappant l’ambulance, a-t-il dit. Tout est mort instantanément : les lumières à l’intérieur, la sirène, le moteur. Ensuite il a entendu un son qu’il connaissait par expérience — il l’a appelé un râle de mort — venant de ses deux collègues à l’avant. L’un d’eux était un collègue auxiliaire médical, Ezzedine Shaath, et l’autre était le conducteur, Mostafa Khafaja.
À l’extérieur de l’ambulance, il pouvait entendre des gens parlant hébreu, a-t-il dit. Certain qu’il allait mourir, M. Abed a commencé à réciter la chahada, une profession de foi musulmane.
Les soldats israéliens ont ouvert la porte, et quelqu’un lui a ordonné de se déshabiller entièrement et de s’agenouiller, a dit M. Abed. Les soldats ont commencé à le frapper sur le dos avec les crosses de leurs fusils, a-t-il dit. Ils ont craché sur lui, l’ont maudit et interrogé, a-t-il dit, lui demandant où il était le 7 octobre 2023, la date de l’attaque menée par le Hamas qui a déclenché la guerre.
« Tu es un terroriste — pourquoi es-tu ici ? » a hurlé un soldat, se souvient M. Abed.
M. Abed a dit qu’ils le poussaient en arrière et enfonçaient un fusil dans son cou si fort qu’il a pensé qu’il pourrait suffoquer. Un soldat tenait un couteau près de son poignet, a-t-il dit.
Le responsable de l’armée israélienne a dit que les soldats ont tué deux agents du Hamas et en ont détenu un troisième, dans cette première ambulance. Il n’a pas expliqué pourquoi, si M. Abed était un agent, il a plus tard été relâché.
Peu après l’arrestation de M. Abed, deux nouvelles personnes l’ont rejoint, menottées : Dr. al-Bardawil, un médecin généraliste, et son fils de 12 ans, Mohammed, qui ont été arrêtés par les soldats alors qu’ils se dirigeaient vers la plage pour pêcher, ce que Dr. al-Bardawil aime faire.
À chaque fois qu’une voiture approchait, se souvient Dr. al-Bardawil, les soldats israéliens s’aplatissaient sur le sol et ordonnaient aux détenus de faire de même. Les soldats n’ont fait feu sur aucun de ces véhicules, a -t-il dit.
Peu après l’arrestation des al-Bardawils, ont dit Dr. al-Bardawil et M. Abed, les hommes ont vu des véhicules de secours approcher. M. Abed a reconnu un camion de pompiers et une ambulance de la Défense civile de Gaza.
Un officier israélien a parlé en hébreu aux soldats à proximité, a dit M. Abed, et dès qu’il a eu fini de parler, les soldats ont ouvert le feu sur les véhicules. La fusillade a duré plusieurs minutes, a-t-il dit.
Comme d’autres gyrophares rouges approchaient, on a dit à M. Abed de se déplacer à un endroit où sa vue était bloquée — et alors il a entendu d’autres coups de feu, a-t-il dit. Dr. al-Bardawil, qui a décrit avoir encore une ligne de vue directe, a dit que les Israéliens avaient tiré sur les ambulances qui arrivaient.
Alors que le soleil se levait, environ 20 tanks israéliens et 100 soldats israéliens sont arrivés sur la scène, a dit M. Abed, et ont creusé quatre grands trous dans le sol. Des images satellite de ce moment obtenues par le Times montraient les quatre ambulances et le camion de la Défense civile amassés sur le côté de la route, près de l’endroit où ils ont été enterrés plus tard. Trois bulldozers, une excavatrice et des tanks israéliens étaient à proximité.
Quand il a fait complètement jour, a-t-il dit, il a vu un bulldozer israélien qu’il a identifié comme un Caterpillar D9, broyant cinq ambulances et le camion de pompier et les poussant dans un des trous. Il a aussi vu un véhicule des Nations Unis à la tôle froissée, a-t-il dit. Dr. al-Bardawil a dit qu’il avait vu le bulldozer poussant les corps dans le sol avec les véhicules.
L’officier de l’armée israélienne a dit que les soldats avaient enterré les corps pour les protéger des animaux sauvages et qu’ils avaient utilisé un équipement lourd pour pousser les véhicules afin de dégager la route.
M. Abed a dit qu’il a été soulagé quand les Israéliens ont amené un autre auxiliaire médical du Croissant-Rouge, Asaad al-Nasasra, encore en vie, vers le groupe des détenus. Menotté et les yeux bandés, M. al-Nasasra lui a chuchoté ce qu’il savait sur ses collègues, se souvient M. Abed.
Deux avaient l’air blessés, l’un d’eux sérieusement, lui a expliqué M. al-Nasasra, a-t-il dit. Et la dernière fois qu’il les avait vus, se souvenait M. al-Nasasra, deux autres récitaient la chahada.
Un soldat israélien a eu l’air triomphant quand M. Abed l’a interrogé sur les autres travailleurs de l’ambulance, se souvient-il. « Tes collègues — tous partis ! » lui-a-t-il dit, d’un air moqueur, en mauvais arabe, a dit l’auxiliaire médical.
« Que Dieu ait pitié de leurs âmes », a répondu M. Abed.
Un autre soldat lui a dit, aussi en mauvais arabe, que Dieu avait emmené « ces terroristes » en enfer.
Finalement, les soldats ont emmené M. al-Nasasra, l’autre auxiliaire médical. Il est toujours porté disparu, selon le Croissant-Rouge.
Le même après-midi, Dr. al-Bardawil et M. Abed ont déclaré qu’on leur a demandé d’aider les soldats en disant à un grand groupe de civils qui s’étaient rassemblés dans la zone de l’évacuer. Et après l’avoir fait, ils ont été relâchés, ont-ils dit.
En s’éloignant le plus vite possible, M. Abed a laissé sa veste, sa carte d’identité et sa carte bancaire derrière lui.
Ses parents étaient paniqués quand ils ont entendu parler des attaques.
« Rassure-moi, tu es OK, mon cher fils », a écrit sa mère, Somaya Abed, 49 ans, à 7h52 du matin ce même jour, selon un message qu’elle a montré au journaliste du New York Times.
Il n’y a eu aucune réponse jusqu’à ce que M. Abed soit relâché, à environ 16h. Il a immédiatement appelé son père.
« Je suis enfin sorti de là et en sécurité », a dit le jeune M. Abed.
Mais après des heures de tabassage répété, il pouvait à peine marcher, a-t-il dit. Un véhicule du Croissant-Rouge a dû le ramener chez lui.