Des Républicains anti-woke ont attaqué l’université Columbia. Elle a capitulé.

Lors d’une audition au Congrès, des Républicains se sont servis d’accusations spécieuses d’antisémitisme endémique pour promouvoir un agenda d’intolérance sur les campus

En tant qu’enseignantes juives de l’université Columbia, nous avons regardé avec inquiétude notre présidente Minouche Shafik, apparaître devant le Comité pour l’éducation et la main d’oeuvre du Congrès ce mercredi afin de répondre à des questions sur l’antisémitisme sur nos campus. Même si nous sommes profondément préoccupées par l’antisémitisme, nous sommes aussi troublées par la manière dont l’audition — comme celles de décembre et certainement celles qui vont suivre — s’est servie d’accusations spécieuses d’antisémitisme endémique pour promouvoir un agenda d’intolérance.

Nous avons été choquées de constater que la présidente Shafik capitulait devant ses prémisses mensongères et échouait à défendre les principes académiques fondamentaux que sont une recherche intellectuelle honnête et la libre expression. Plus irritante encore était l’absence de toute reconnaissance de la dévastation implacable de Gaza : c’était pourtant le motif impérieux des manifestations d’étudiants que le Comité caricature et condamne comme étant antisémites.

Il est difficile de croire que les auditions cherchent véritablement à protéger les étudiants juifs quand ses grandiloquents inquisiteurs incluent la députée Elise Stefanik, une Républicaine de New York qui s’est adonnée aux théories complotistes du nationalisme blanc ou le député Rick Allen, un Républicain de Géorgie qui a cité des versets de la Bible comme une source devant dicter la politique de l’université, une université qui est diverse sur le plan religieux et laïque. L’objectif de l’audition était plutôt d’attaquer les universités en tant que lieux du savoir et de la pensée critique.

Des tentatives analogues pour étouffer une éducation plus large ont déchiré l’enseignement primaire et secondaire dans tout le pays avec le bannissement de livres d’auteurs noirs, queers ou juifs, et elles ont fait des percées dévastatrices dans les universités publiques de plusieurs États, où il n’est plus permis d’enseigner dans l’honnêteté intellectuelle des sujets comme l’histoire de l’esclavage ou les complexités du genre. Le Comité du Congrès attaque maintenant aussi les universités privées. Tout en traitant à la légère les faits concernant le curriculum de Columbia, le Comité a rudoyé notre présidente jusqu’à ce qu’elle bafoue les règles de gouvernance de l’université, l’évaluation par les pairs et les procédures académiques. Nous avons été consternées de la voir menacer sur-le-champ des professeurs spécifiques et promettre de changer à elle seule les politiques de l’université.

La campagne contre l’indépendance de l’enseignement supérieur a maintenant trouvé un combustible incendiaire venant d’un. nouvel allié : un mouvement de longue date, bien organisé pour étouffer tout discours en faveur des Palestiniens dans les théâtres, les espaces artistiques, les lieux de diffusion littéraire et les écoles des États-Unis. Pendant des décennies, cet effort a reposé sur la fausse prémisse que toute expression d’un point de vue palestinien est une attaque contre l’existence même d’Israël et que tout soutien à la Palestine est pro-Hamas.

Aujourd’hui, alors que les manifestations des étudiants contre les actions d’Israël ont grandi en taille et en ferveur, les défenseurs bellicistes d’Israël ont intensifié leurs efforts pour les écraser, affirmant souvent, fallacieusement, que la rhétorique de la protestation — la simple vue d’un keffiyeh même — met en danger les étudiants juifs. Ils vont ensuite plus loin en affirmant que, donc, les juifs sont ciblés et menacés.

En plus d’ignorer le fait que beaucoup des manifestants sont eux-mêmes juifs, ces conclusions reposent sur deux tours de passe-passe logiques. D’abord, décrire ces discours politiques comme discriminatoires exige d’assimiler la judéité au sionisme — une identité avec une idéologie politique. Ressentir une connexion à Israël, comme la plupart des juifs américains disent le faire aux instituts de sondages, ne constitue pas une identité. Ensuite, c’est un raisonnement fallacieux que d’égaler un inconfort avec le fait d’être effectivement en danger. Nous ne disons pas qu’il n’y a eu aucun incident anti-juif sur le campus. Malheureusement, il y en a eu, comme il y a eu des incidents anti-palestiniens et anti-musulmans : il faut les traiter tous, clairement et fermement. Mais protester contre l’attaque brutale de Gaza par Israël — qui utilise un arsenal fourni par les États-Unis — n’est pas plus dirigé par un biais contre les juifs qu’objecter à l’invasion de l’Ukraine par Poutine n’est dirigé par un biais contre les Russes.

Pourtant, c’est l’impulsion fallacieuse qui anime les auditions du Comité du Congrès. Ensemble, ces défenseurs d’Israël qui insistent sur un récit unique, à décharge, sur le sionisme, et les Républicains « anti-woke » du Comité, menacent non seulement d’éroder les valeurs fondamentales de l’université, mais aussi celles de la démocratie elle-même. Pourtant, la présidente Shafik a fait peu d’effort pour les défendre.

Le rôle d’une université est d’enseigner aux étudiants à penser de manière critique et courageuse. Cela signifie que les étudiants peuvent se sentir déstabilisés quand leurs visions du monde diffèrent de celles de leurs pairs ou quand ce dont ils discutent en classe — ou entendent sur le campus — met au défi leurs croyances. L’enseignement supérieur implique d’apprendre à s’engager dans le désaccord et même dans la confrontation, et à contester des idées plutôt que de chercher à les supprimer.

Même s’il est probablement impossible de sortir entièrement indemne d’auditions qui sont en grande partie conçues pour produire sur les médiaux sociaux des moments du type « ah, je t’ai eu » pour la base MAGA [Make America Great Again, « Rendre sa grandeur à l’Amérique », un slogan utilisé en particulier par Donald Trump], la présidente n’avait pas à s’aligner sur le sectarisme anti-intellectuel et anti-démocratique des interrogateurs ou à adhérer à leur cynique transformation de l’antisémitisme en une arme, un geste qui fait des juifs le visage de la répression et les met en danger.

Ayant vu d’autres dirigeants d’université chassés de leurs positions après les auditions de décembre, la présidente Shafik semble avoir développé la tactique de punir durement les étudiants manifestant contre la guerre à Gaza (les plus frappés étant les étudiants racisés), afin de pouvoir justement signaler ces mesures lors de la confrontation avec ses interrogateurs en avril. Quand les membres du Comité ne sont pas montrés satisfaits, elle a promis d’intensifier la répression draconienne.

Tôt hier matin, des militants étudiants, s’inspirant des manifestations à Columbia contre la guerre au Vietnam et contre l’apartheid en Afrique du Sud, ont dressé des tentes sur le campus pour créer un « Camp de solidarité avec Gaza ». Au moment où nous écrivons, les gyrophares des voitures de police traversent le campus. La présidente Shafik met déjà à exécution sa promesse au comité, menaçant les fondations mêmes de notre université.

  • Alisa Solomon est écrivaine, professeure de journalisme et directrice de la filière « arts et culture » à l’école de journalisme de Columbia. Marianne Hirsch est professeure William Peterfield Trent d’anglais et de littérature comparée à l’université Columbia et professeure à l’Institut de recherche sur les femmes, le genre et la sexualité. Sarah Haley est maîtresse de conférences en histoire à l’université Columbia. Helen Benedict est romancière et professeure à l’école de journalisme de Columbia.