À Gaza, les guet-apens de la farine : le chaos et la famine, armes utilisées par l’occupation contre les civils dans la Bande de Gaza

Fiche d’information conjointe du Centre Bisan pour la Recherche et le Développement et de la Coalition AMAN : À Gaza, les guet-apens de la farine

Introduction

La guerre génocidaire d’Israël contre la Bande de Gaza dure depuis presque six mois, et le spectre de la mort est toujours une menace suspendue au-dessus des hommes, des femmes, des enfants. L’occupation a fait s’effondrer des immeubles entiers sur leurs habitants, a séparé le nord et le sud de la Bande de Gaza, a effacé des familles entières des registres palestiniens d’état-civil et détruit des quartiers entiers, a contraint au déplacement des centaines de milliers de citoyens, et pendant tout ce temps, elle a utilisé l’arme de la famine d’une manière sans précédent dans l’histoire moderne.  Les bombes israéliennes ont affecté tous les aspects de la vie dans la Bande. L’armée d’occupation a pris pour cibles les sièges des institutions gouvernementales et du secteur privé, les universités, les écoles, les municipalités, les services et installations commerciales, les hôpitaux, l’approvisionnement en eau, les boulangeries, les magasins et entrepôts abritant des fournitures essentielles. Elle a complètement isolé le nord de la Bande de Gaza, rendant cette région impropre à la vie humaine. Comme le nord était à court de blé et de farine, les familles ont commencé à moudre et à consommer de l’orge et du maïs. Elles ont fouillé les élevages de volailles et de bovins, et aussi, dans les fermes, les lieux où étaient stockés les aliments pour animaux, foin, maïs, orge, elles ont nettoyé et moulu ces aliments pour remplacer la farine de froment et faire du pain.

Un rapport publié par 15 agences de l’ONU et par le Programme alimentaire mondial (PAM) met en garde contre le risque d’un niveau de faim très élevé dans le nord de Gaza au moment où cette région s’enfonce rapidement dans la famine et la maladie. La nourriture et l’eau potable sont devenues incroyablement rares et les maladies se sont propagées, mettant en danger la nutrition et l’immunité des femmes et des enfants, et entraînant un accroissement sans précédent des cas de malnutrition aigüe. Selon un autre rapport établi par l’UNICEF sur des tests effectués dans le nord dans des lieux d’accueil et des centres de santé, 15,6 pour cent, soit 1 enfant de moins de deux ans sur 6, souffre de malnutrition aigüe[1].

La situation actuelle – extermination, siège et famine – représente le point culminant des mesures et politiques de l’occupation israélienne, qui ont connu une escalade progressive depuis le début du blocus de la Bande de Gaza, à l’automne 2007, c’est-à-dire pendant deux décennies de tortures continues. Un rapport établi par le Famine Review Committee (Commission d’examen de la famine) et l’équipe de l’Integrated Food Security Classifications (IPC, Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire) le 18 mars 2024 au sujet de la situation de sécurité alimentaire actuelle et attendue dans la Bande de Gaza, conclut que l’insécurité alimentaire s’accroît de jour en jour en raison des hostilités et de l’accès restreint à l’aide et aux secours humanitaires. Le rapport conclut que la famine dans la Bande de Gaza est fortement probable et imminente, surtout dans le nord de la Bande de Gaza, et qu’on s’attend à ce qu’elle se propage plus loin au fil du temps dès lors que l’insécurité alimentaire augmente de façon significative dans l’ensemble de la Bande. Ces conclusions s’appuient sur des données d’accélération substantielle des morts par malnutrition sévère. Le rapport conclut de plus que cette mortalité ne va pas décroître sauf en cas de cessation immédiate des hostilités et de la mise en place d’une protection vitale des civils[2].

Pendant ce temps les appareils administratifs policiers et civils dans la Bande de Gaza s’efforcent de faire face au spectre de la famine, dans le nord en particulier, et de préserver autant que possible le respect de la loi et de l’ordre. L’armée d’occupation israélienne a ciblé systématiquement et délibérément les membres de la police et des services civils ainsi que des groupes d’aide d’urgence. L’objectif de l’occupation militaire israélienne est d’assujettir et même d’anéantir les gens en causant leur mort par la faim, en les empêchant d’avoir en toute sécurité un accès à la nourriture et à des soins médicaux corrects pour les malades et les blessés. Ces crimes impitoyables de l’occupation ont entraîné la mort par la faim de milliers de personnes innocentes, en leur faisant payer de leur vie leur fermeté et leur ténacité.

Au moyen de cette politique, l’occupation israélienne cherche aussi à créer une réalité sociale chaotique qui lui permette d’accomplir ses projets politiques. À cette fin, elle cible les organes officiels et civils qui jouent des rôles importants dans la distribution de secours aux citoyens, tels la gestion et l’organisation de la distribution de l’aide, et la mise en œuvre de l’intégrité, de la justice et de l’efficacité dans la gestion de ces domaines. Leur travail aide les gens à tenir bon sur le terrain et entrave les efforts de l’occupation pour contraindre les citoyens à payer un prix très lourd pour leur force et leur patience. En ciblant de façon répétée et systématique ces travailleurs de l’aide et de la sûreté, l’occupation cherche à faire en sorte que les gens doutent des capacités de ces commissions, organes ou agences à contrôler et à gérer l’aide et à fournir une réponse humanitaire aux besoins du peuple, tout particulièrement dans le nord de la Bande de Gaza, suscitant ainsi un chaos impossible à endiguer.

Cette fiche d’information contient des éléments factuels relatifs aux crimes commis par l’occupation israélienne en ciblant des convois d’aide, des centres de distribution, des organisations acheminant de la farine et autres aliments, et d’autres organismes formés pour faciliter l’accès à ces secours et leur gestion. Elle décrit également les effets catastrophiques du ciblage des agences administratives policières et civiles travaillant sur le terrain, ce ciblage étant en lui-même un grave crime de guerre.

Réalité des attaques contre des convois, des centres et points de distribution vitaux, et contre l’obtention d’une aide et de secours humanitaires depuis le 7 octobre

Outre le crime de génocide et la privation de nourriture de la population, l’occupation israélienne viole le droit international humanitaire, qui considère comme une question fondamentale la protection des agents de l’administration et de la police civile chargés de maintenir l’ordre et la sécurité et de distribuer des fournitures essentielles. Israël viole ces principes qui prévoient le respect et la protection des agents civils et des personnes dispensant des secours humanitaires, y compris la police, qui ne participent pas aux hostilités et effectuent des tâches civiles et liées aux secours. De ce fait, l’occupation viole les quatre Conventions de Genève de 1949, ainsi que les Protocoles complémentaires de 1977, qui exposent clairement les droits des civils dans les conflits armés, et notamment les droits du personnel de l’administration et des forces de police officielles ; ces textes assurent leur protection, en appliquant le principe du ciblage distinctif  (qui consiste à éviter de cibler des personnes assurant une aide humanitaire ou civile) lors d’attaques directes ou indirectes, et en leur permettant de mener à bien leurs tâches de façon sûre, sans que cela les mette en danger.

L’occupation a violé l’article 51 (2) du Protocole additionnel I à la Convention de Genève en commettant des “actes ou menaces de violence dont le but principal [était] de répandre la terreur parmi la population civile”, puisque l’occupation a répandu la terreur parmi des civils innocents par des bombardements incessants, par la destruction d’installations et de bâtiments d’habitation, et en prenant pour cible les responsables du maintien de la loi et de l’ordre. Ces actes ont causé l’effondrement de l’ordre civil et la propagation de la terreur et du chaos parmi la population[3].

Les forces armées de l’occupation israélienne ont ciblé de façon délibérée tous les lieux et emplacements de distribution et de stockage des secours aux citoyens. Elles ont lancé des raids répétés sur des centres commerciaux partenaires du Programme alimentaire mondial (PAM) où des citoyens faisaient la queue pour recevoir des coupons, et elles ont également ciblé des points de distribution de l’aide situés au siège d’associations ou d’institutions. Elles ont bombardé délibérément des boulangeries pendant que des citoyens attendaient pour acheter du pain, détruit des entrepôts d’aide de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA, United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees) ainsi que des véhicules de distribution d’eau. Elles ont largué des bombes sur des civils, sur des équipes hospitalières ou scolaires venues secourir des citoyens, attaquant également des patrouilles et voitures d’équipes de police et d’urgence qui tentaient d’assurer la sécurité de convois d’assistance. La plus récente de ces attaques a été la frappe contre trois véhicules clairement identifiés transportant des travailleurs humanitaires de l’ONG World Central Kitchen (WCK), qui les a tués tous les 7.

Dans un entretien spécial, un responsable de la police palestinienne dans la Bande de Gaza a indiqué que la police civile avait recensé environ 45 attaques israéliennes contre des convois d’aide humanitaire entre le 7 octobre 2023 et la mi-mars 2024. Ces convois ont été pris pour cibles au moins 22 fois après avoir franchi des checkpoints sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville, près du rond-point Al-Nabulsi ; des convois d’aide humanitaire ont été ciblés 8 fois sur la route Salah Al-Din, en particulier près du rond-point Kuwait ; environ 15 attaques contre des convois d’aide et des points de distribution ont été recensés dans le camp de Deir Al-Balah et le camp de Nuseirat, au milieu de la Bande de Gaza, le camp d’Al-Shati, le camp de Jabalia, aux environs d’Al-Daraj, aux environs d’Al-Sabra, aux environs d’Al-Shujaiya dans le nord de la Bande de Gaza, et près du passage de Rafah dans le sud de la Bande de Gaza. Ces attaques se poursuivent, les derniers chiffres apparaissant à la fin de cet article [4].

Victimes d’attaques israéliennes contre des travailleurs qui distribuent, organisent et protègent l’aide humanitaire

Dans un entretien attesté, mené avec un responsable de la Société du Croissant Rouge, il indique que 55 martyrs et plus de 312 blessés ont été recensés parmi des hommes et des femmes travaillant pour la Défense civile, le Croissant Rouge et des services policiers pendant qu’ils distribuaient, organisaient et protégeaient l’aide humanitaire. Cependant, il n’est pas possible de déterminer le chiffre exact de victimes d’attaques visant des travailleurs blessés ou tués, parce que beaucoup d’entre eux étaient des bénévoles venus contribuer à ces tâches, de nombreuses institutions internationales ayant renoncé à leur devoir humanitaire d’assurer l’entrée et la distribution de l’aide en raison de graves menaces de l’armée d’occupation israélienne envers leur sécurité [5].

Attaques israéliennes directes contre les centres, les lieux et les convois d’aide

Dans un entretien mené par nos chercheurs avec un responsable de l’Association médicale de la Bande de Gaza[6], il indique qu’il a recensé comme suit les lieux et centres de distribution et les emplacements sécurisés pour les secours et l’aide humanitaire qui ont été ciblés par l’occupation israélienne :

  • 19/10/2023 Un rassemblement de citoyens dans un centre commercial près de l’hôpital Al-Quds à Gaza Ville a été ciblé pendant que ces personnes essayaient d’obtenir des coupons du Programme alimentaire mondial (PAM).
  • 20/10/2023 Un centre local affilié à la Société du Croissant Rouge de Palestine qui apportait une assistance aux personnes déplacées à l’intérieur de l’hôpital a été ciblé.
  • 22/10/2023 9 boulangeries ont été ciblées dans le gouvernorat de Gaza et dans le Nord pendant que des citoyens faisaient la queue pour recevoir du pain.
  • 25/10/2023 Les entrepôts d’aide de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine à Gaza Ville ont été ciblés.
  • 26/10/2023 L’association de bienfaisance Al-Weaam a été ciblée pendant qu’elle dispensait de l’aide dans le secteur de Sheikh Zayed.
  • 2/11/2023 Des véhicules de distribution d’eau ont été ciblés dans les quartiers suivants : Al-Sabra, Al-Daraj, Al-Shujaiya.
  • 4/11/2023 La zone entourant le portail de l’hôpital Al-Shifa a été ciblée pendant qu’une aide aux déplacés y était fournie.
  • 11/11/2023 Des files d’attente de citoyens ont été ciblées à Deir al-Balah pendant qu’ils essayaient de recevoir des coupons du Programme alimentaire mondial (PAM).
  • 15/11/2023 Un lieu de distribution d’aide a été ciblé à proximité du portail de l’hôpital Abdul Aziz Al-Rantisi à Gaza Ville.
  • 18/11/2023 Des entrepôts d’aide de l’UNRWA dans le camp d’Al-Shati ont été ciblés.

Nord de la Bande.

  • 18/11/2023 Des entrepôts d’aide appartenant à l’UNRWA dans le camp de réfugiés de Jabalia ont été ciblés.
  • 23/11/2023 Un lieu de distribution d’aide appartenant à l’association de bienfaisance Al-Falah a été ciblé dans le camp de Jabalia.
  • 3/12/2023 Des individus et des voitures de police qui essayaient de se procurer une assistance fournie par la Société palestinienne du Croissant Rouge ont été ciblés.

Dans le secteur d’Al-Tufah dans le nord de la Bande de Gaza.

  • 17/12/2023 Des membres de la police ont été ciblés pendant qu’ils essayaient de protéger un convoi d’aide qui avait franchi le passage frontalier de Rafah.
  • 22/12/2023 Des membres de la police ont été ciblés pendant qu’ils essayaient de protéger un convoi d’aide qui avait franchi le passage frontalier de Rafah.
  • 26/12/2023 Des bénévoles de la Défense civile et du ministère de la Santé ont été ciblés pendant qu’ils essayaient d’organiser et de protéger un convoi d’aide qui avait franchi le passage frontalier de Rafah.
  • 2/1/2024 Des membres de la police ont été ciblés pendant qu’ils essayaient de protéger un convoi d’aide au 17e rond-point.
  • 7/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville.
  • 9/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville.
  • 12/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville.
  • 15/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé sur la route Al-Bahr en face du camp de Nuseirat dans le centre de la Bande de Gaza.
  • 16/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, sur la mer de Gaza.
  • 22/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir franchi le passage frontalier de Rafah.
  • 26/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville.
  • 28/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Kuwait sur la route Salah Al-Din.
  • 29/1/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Kuwait sur la route Salah Al-Din.
  • 4/2/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville.
  • 5/2/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville.
  • 2/2/2024 Un convoi d’aide a été ciblé sur la route Al-Bahr en face de Deir Al-Balah.
  • 8/2/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville.
  • 12/2/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Kuwait sur la route Salah Al-Din.
  • 19/2/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Kuwait sur la route Salah Al-Din.
  • 24/2/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Kuwait sur la route Salah Al-Din.
  • 3/3/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Kuwait sur la route Salah Al-Din.
  • 5/3/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Al-Nabulsi sur la route Al-Rasheed, à l’ouest de Gaza Ville.
  • 8/3/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Kuwait sur la route Salah Al-Din.
  • 10/3/2024 Un convoi d’aide a été ciblé après avoir accédé au rond-point Kuwait sur la route Salah Al-Din.

Comment les employés sont-ils ciblés ?

Un responsable de la police palestinienne dans la Bande de Gaza a expliqué le processus du ciblage des travailleurs pendant qu’ils distribuent et protègent l’aide humanitaire. Voici ce qu’il décrit : quand les convois d’aide entrent dans la Bande, ces travailleurs reçoivent des informations sur le nombre de camions et le trajet suivi pour le passage, mais il n’y a pas de coordination avec la police pour protéger ces convois. Pire encore, à toutes les occasions où la police et les bénévoles des associations et institutions de la société civile ont essayé de protéger cette aide, ils ont été ciblés directement par les forces d’occupation de manière à créer une situation de chaos, à détruire la confiance et à nourrir la tension et la frustration au sein de la société, d’autant plus étant donné le grave état de famine et la détérioration des conditions de vie. Il devient ainsi facile pour l’occupation d’imposer sa volonté aux Palestiniens. Il s’agit d’une politique systématique visant à oblitérer et à dégrader toutes les ressources des Palestiniens, qui ont un rôle déterminant pour les aider à tenir bon face à l’offensive brutale des Israéliens. En fait, l’occupation a cherché à communiquer avec quelques notables de certaines familles pour les inciter à recevoir et à coordonner les convois d’aide, ce qui constitue évidemment une tentative de créer un groupe se substituant aux employés officiels chargés de l’aide, mais cette offre a été rejetée sabs ménagements par toutes les familles de Gaza[7].

Dans un entretien avec un autre responsable de la police civile du gouvernorat central, celui-ci a indiqué que l’occupation israélienne avait endommagé délibérément les entrepôts dans lesquels la farine et autres produits alimentaires étaient stockés, en les prenant pour cibles de bombardements aériens, les détruisant ainsi complètement, les rendant tout à fait inutilisables. Ce responsable a ajouté que l’occupation avait détruit délibérément un lieu de distribution d’aide alimentaire proche d’une école de l’UNRWA à l’est du camp de Nuseirat dans le centre de la Bande de Gaza, en tuant 5 personnes et en blessant 4 membres de la police civile. Cela s’ajoute à la mort en martyrs de 18 de ses membres qui travaillaient à protéger des camions d’aide et à superviser la distribution de cette aide. Ces personnes étaient déclarées officiellement auprès de la police civile du gouvernorat central, et pourtant elles ont toutes été directement ciblées aux lieux de distribution de cette aide. La police civile a également recueilli des éléments sur le meurtre délibéré par l’armée israélienne du directeur du Comité d’urgence une frappe aérienne l’ayant ciblé directement pendant qu’il travaillait aux côtés des équipes administratives pour organiser et protéger le département logistique pour l’acheminement de l’aide dans la ville de Rafah[8].

Un coordinateur de terrain assurant le passage des camions d’aide vers les gouvernorats de Gaza et du Nord témoigne en ces termes : “Après que l’occupation a fouillé les camions, elle nous ordonne de passer par la route Al-Rashid ou par la route Salah Al-Din sans avertissement préalable, et comme l’occupation détruit ces routes tous les jours, au moyen de bulldozers ou en édifiant des monticules de sable ou en lançant des missiles et de grosses bombes au milieu de ces routes, nous pouvons seulement franchir quelques mètres au rond-point Nabulsi ou au rond-point Kuwait. Ils ciblent aussi tous ceux qui essaient de réparer ces routes. Je m’arrête soit au rond-point Nabulsi, soit au 17e rond-point, soit au rond-point Kuwait, mais il n’y a pas de lieu de coordination pour réceptionner cette aide. L’aspect dangereux de cette affaire, c’est que les drones (quadcopters) et les chars de l’occupation avancent pendant que nous traversons ces zones et tirent sur les gens qui se sont rassemblés pour recevoir de l’aide, les tuant parfois par dizaines et en blessant aussi des dizaines.”

Environ deux semaines plus tôt (au moment de son témoignage), a ajouté le coordinateur de terrain, l’occupation a intercepté trois conducteurs de camions d’aide humanitaire, leur a ordonné de ne pas s’arrêter et les a forcés à traverser la route Al-Rashid Street à grande vitesse, sans quoi ils seraient bombardés, eux et leurs camions, contraignant ainsi les chauffeurs à obéir et à rouler sans le vouloir sur des personnes qui ne sont pas arrivées à s’écarter. Il a aussi souligné qu’ils ne peuvent se tourner vers aucun interlocuteur pour obtenir une aide dans l’acheminement des approvisionnements constituant l’aide ; en fait, toutes les parties qui ont essayé de se coordonner avec eux pour réceptionner l’aide, que ce soit la police, les bénévoles du Croissant Rouge, ou les organismes civils, ont été délibérément ciblés [9].

Pour sa part, le conducteur et coordinateur du transit des camions d’aide humanitaire allant du passage de Rafah jusqu’à Gaza et aux gouvernorats du Nord a parlé du ciblage systématique et délibéré des convois d’aide, confirmant que sur 10 convois d’aide, au moins 7 sont ciblés : “Nous travaillons dans des conditions très dangereuses, beaucoup de nos collègues sont morts en martyrs ou ont été blessés pendant  qu’ils faisaient passer les convois, dans des lieux où des drones (quadcopters) sont lancés près de nous, et quelquefois des chars ou des avions de combat bombardent les camions directement, comme cela s’est passé à Deir al-Balah dans le centre de la Bande de Gaza le 2/2/2024, ou alors ils bombardent des  rassemblements de personnes près des camions. Nous aussi, nous sommes blessés ou tués, cela s’est produit souvent, après avoir attendu pendant des heures au checkpoint d’Al-Baidar sur la route Al-Rashid ou quand nous franchissons le checkpoint. L’armée israélienne tire sur les gens qui attendent de recevoir de l’aide car nous sommes tous dans a ligne de mire.[10]”

Voici ce que dit un autre chauffeur : “Les camions qui transportent de l’aide font l’objet d’inspections méticuleuses, d’obstacles, de restrictions et de contrôles imposés par l’armée israélienne avant et pendant leur trajet sur la route qui leur est assignée. De plis, l’armée les cible délibérément.” Ce chauffeur a ajouté : “J’ai souffert d’accès sévères de panique et d’anxiété pendant des jours à la suite des évènements effrayants de la nuit du 17/1/2024. Nous avons été pris pour cibles à l’occasion du transport et du déchargement d’aliments et de farine destinés au nord de la Bande de Gaza, car l’armée d’occupation nous a forcés à dessiner des cercles en bordure du centre de la Bande de Gaza près de Juhr al-Deek, soit une distance de 32 kilomètres, pour atteindre le rond-point Kuwait près de Gaza Ville, ce qui a retardé la livraison de cette aide, surtout parce que nous étions à court de carburant, et pour cette raison les camions ont été exposés au pillage par des groupes armés locaux.[11]“

Un fonctionnaire du gouvernorat de Rafah a souligné que dès le premier jour de la guerre, le gouvernorat de Gaza a fait des efforts importants et continus pour dégager des perspectives de coordination avec les frères égyptiens afin de garantir l’arrivée des convois d’aide jusqu’à notre peuple, mais l’occupation a perturbé ces efforts en prenant pour cible toute présence de la police civile aux lieux de distribution de l’aide humanitaire. Il a ajouté ceci : “Nous sommes maintenant pleinement convaincus que l’occupation perturbe délibérément l’arrivée de l’aide afin de propager des sentiments de frustration, de confusion, d’impuissance ainsi qu’une impression de trahison et d’insécurité qui pourrait pousser la population à se déplacer vers le sud.[12]”

Risques sociétaux résultant de la suppression de la capacité des organismes civils et des services policiers à remplir leur rôle

L’occupation israélienne crée délibérément une situation de désordre, paralysant la capacité des agences administratives et policières à fournir des services élémentaires, et utilisant systématiquement l’arme de la faim afin d’enfoncer les gens dans le chaos et d’intensifier la tension et les conflits sociétaux en entravant les efforts de maintien de l’ordre d’organismes divers, en particulier l’appareil policier, dont le devoir est de protéger les citoyens. Les forces de l’occupation mettent à mal délibérément toute tentative pour redonner vie au rôle des agences administratives dans l’organisation de la distribution équitable de l’aide à ceux qui en ont besoin, ce qui exacerbe les crises humanitaires qui ont atteint le degré de la famine parmi les habitants de Gaza. Selon un médecin employé au département de la Santé mentale et de la Santé communautaire de l’hôpital psychiatrique, un des risques sociétaux majeurs concernant la Bande de Gaza résulte des tentatives israéliennes pour détruire les compétences conscientes des gens, et pour attiser la violence sociétale dans cette situation de famine, de chaos, de destruction de la confiance et d’absence de fourniture d’aide et de secours [13].

Le Rassemblement national des tribus, clans et familles palestiniennes a confirmé que l’occupation israélienne continue à propager le chaos en ciblant la police civile palestinienne et les comités de protection populaire, qui sont un bouclier de protection et de sûreté face à l’occupation et à ceux qui la soutiennent, et sont responsables de la paix sociétale. Le Rassemblement a condamné l’occupation pour ses tentatives continues et répétées d’offensive contre le système policier et les comités de protection populaire, et, dans une déclaration publiée le 19 mars 2024, a exhorté ses membres à soutenir la force de police palestinienne et les comités de protection populaire en dépit de toutes les tentatives de l’occupation pour les détruire.

Alternatives et mécanismes sociétaux utilisés pour surmonter les restrictions et les risques imposés par l’occupation à l’égard de la sécurité des travailleurs

Face à la famine, au chaos et à des conditions de vie qui se détériorent, les équipes officielles responsables de l’organisation et de la protection de l’aide tiennent une place qui fait de leurs membres à la fois des victimes et des héros. Par exemple, des groupes de la défense civile et de la police civile sont parvenus d’une manière ou d’une autre à protéger une partie de l’aide qui avait pu entrer dans le nord de la Bande de Gaza by barrant la route à des voleurs qui essaient de s’emparer d’une grande partie de cette aide. Ils ont aussi confisqué des éléments de l’aide vendus dans des marchés et ont redistribué gratuitement ces denrées. Mentionnons aussi les membres de la police civile qui ont empêché que des citoyens s’attroupent sur la route Al-Rasheed ou la route Salah Al-Din pendant l’arrivée des convois d’aide, et ceux qui ont dirigé des camions vers les établissements scolaires et universitaires où se trouvent des personnes déplacées, pour que les fournitures puissent être distribuées équitablement. De plus, des équipes de la défense civile et des municipalités ont déblayé certaines routes pour que l’aide puisse arriver, aux côtés de groupes de comités d’urgence et de comités populaires, cela s’ajoutant à des membres de familles notables participant bénévolement à la protection et à la distribution de l’aide, et à la collecte de carburant pour les bulldozers qui ont dû dégager des chemins au milieu des gravats pour faciliter l’arrivée de cette aide aux centres de distribution de l’UNRWA dans le nord de la Bande[14].

En ce qui concerne la machine israélienne à tuer et à affamer, et à la lumière du ciblage systématique et continu des organisations officielles et civiles, il est important de souligner la nécessité de chercher sans cesse à innover et à bâtir des modèles qui contribuent aux organes officiels et aux services d’application de la loi, qui sont essentiels au maintien de la loi et de l’ordre dans toutes les composantes de la société civile. Il est également nécessaire de développer des procédures flexibles et efficaces dans ce but, notamment des comités de quartier et des comités d’urgence populaires. La mise sur pied de moyens organisationnels novateurs en vue d’une gestion équitable, légitime et efficace de l’aide est cruciale pour consolider la résilience et la ténacité du peuple de Gaza, tout en renforçant le maintien du front interne face à cette guerre brutale d’anéantissement.

 Recommandations finales

Des pays et des peuples du monde libre se tiennent aujourd’hui aux côtés du peuple palestinien dans sa tragédie et sa lutte pour mettre fin à la guerre d’extermination et de famine livrée contre eux. Ils soutiennent avec véhémence le droit des Palestiniens à se défaire de l’occupation israélienne et à contraindre cette occupation brutale à répondre de ses crimes, qui ont eu un impact de grande intensité sur tous ceux dont la conscience est éveillée. Ces gens ne continueront pas à se taire et rejettent totalement tous les faux prétextes et justifications pour ces crimes de génocide et de famine. Nous demandons aujourd’hui à tous et toutes de rejoindre ces hommes et femmes de conscience pour une campagne de pression sur l’occupation israélienne, en présentant les exigences suivantes :

  • Demander avec force la cessation immédiate de la guerre d’extermination et de famine livrée par l’occupation israélienne contre notre peuple palestinien dans la Bande de Gaza, assiégé par la faim, les privations et l’absence de tous les éléments nécessaires à la vie.
  • Unifier tous les efforts internationaux et populaires pour organiser des convois assurant des soins médicaux et une aide alimentaire afin de briser le siège militaire imposé au nord de Gaza et de sauver environ 300 à 500 mille citoyens Palestiniens du fléau de cette guerre d’extermination et de famine.
  • Condamner le ciblage par l’occupation des centres de l’administration et de la police, ainsi que des lieux de distribution et de secours, à titre de moyen militaire pour forcer des personnes désarmées à se soumettre et à se rendre, et exiger que l’occupation israélienne rende des comptes pour les graves violations commises contre les agents de l’administration et de la police dans le domaine de la distribution et de la protection de l’aide.
  • Demander avec force que le gouvernement palestinien déclare un état critique de famine dans les gouvernorats de Gaza et du Nord de Gaza et mobilise tous les efforts et ressources disponibles pour y mettre fin.
  • S’opposer à l’utilisation par Israël en tant que cibles militaires des interventions humanitaires auprès du peuple palestinien dans la Bande de Gaza, demander avec force un changement radical du Conseil de sécurité des Nations unies, dont les lois et règlements bloquent à la base tous les efforts pour mettre fin à la guerre d’extermination et de famine, et pour faire en sorte que l’occupation réponde  de ses crimes, tout particulièrement étant donné les vetos incessants contre les résolutions de cessez-le-feu de l’ONU formulés par les États-Unis, qui sont en fait un complice de cette guerre d’extermination et de famine.

[1] https://www.wfp.org/news/un-food-agency-pauses-deliveries-north-gaza

[2] https://www.ipcinfo.org/fileadmin/user_upload/ipcinfo/docs/IPC_Famine_Committee_Review_Report_Gaza_Strip_Acute_Food_Insecurity_Feb_July2024_Special_Brief.pdf

[3] https://www.icrc.org/ar/resources/documents/treaty/protocol-i-additional-to-the-geneva-conventions

[4] Entretien avec un fonctionnaire de police palestinien dans la Bande de Gaza. Date de l’entretien : 16/3/2024.

[5] Entretien avec un responsable de la Société du Croissant Rouge. Gaza. Date de l’entretien : 16/3/2024.

[6] Entretien avec un responsable de l’Association médicale de la Bande de Gaza. Date de l’entretien : 17/3/2024.

[7] Même source.

[8] Entretien avec un fonctionnaire de police palestinien du gouvernorat du Centre. Date de l’entretien : 18/3/2024.

[9] Entretien avec un coordinateur de terrain assurant le passage des camions d’aide vers les gouvernorats de Gaza et du Nord. Date de l’entretien :  17/3/2024.

[10] Entretien avec un coordinateur de terrain assurant le passage des camions d’aide vers les gouvernorats de Gaza et du Nord. Date de l’entretien : 17/3/2024.

[11] Entretien avec le coordinateur et chauffeur de camions d’aide depuis le passage de Rafah vers les gouvernorats de Gaza et du Nord. Date de l’entretien : 17/3/2024.

[12] Entretien avec un employé responsable du gouvernorat de Rafah. Date de l’entretien : 15/3/2024.

[13] Entretien avec un médecin employé au département de la Santé mentale et de la Santé communautaire de l’hôpital psychiatrique de Gaza. Date de l’entretien : 17/3/2024.

[14] Entretien avec un responsable du Centre de formation communautaire et de gestion des crises. Date de l’entretien : 16/3/2024.