Des Palestiniens ont été réveillés par les bulldozers. Leur village était détruit à midi.

En quelques heures, les forces israéliennes ont démoli les maisons, les puits et même des grottes du hameau cisjordanien de Khilet al-Dabe’, ne laissant aux familles aucun endroit où s’abriter.

Aux petites heures de lundi matin, deux énormes excavatrices Hyundai et deux bulldozers Caterpillar ont surgi en vrombissant des portes de la colonie Ma’on dans les collines du sud d’Hébron — colonie construite illégalement sur des terres palestiniennes appartenant au village d’At-Tuwani. Pour les résidents vivant dans la zone, la vue de ces « monstres jaunes », comme ils les appellent, est un présage : le jour sera rempli de destruction et des familles perdront les maisons où elles se sont réveillées quelques heures auparavant.

Environ 90 minutes plus tard, la pleine force de l’opération était devenue claire. Des jeeps militaires, des soldats de l’armée israélienne, des unités de la patrouille des frontières, des responsables de l’administration civile et un groupe d’ouvriers se sont rassemblés et se sont ensuite déplacés en bloc vers Khirbet Khilet al-Dabe’, un village, petit mais résistant, niché entre les hautes terres de Shafa Yatta et les basses collines de Masafer Yatta. Je m’y suis précipité avec d’autres militants locaux pour documenter ce que nous craignions de voir arriver.

Nous avons été arrêtés par un groupe de soldats masqués à environ 80 m des maisons du village. « Vous n’avez pas le droit d’avancer plus loin », a aboyé un soldat, lâchant un vieux seau rouillé sur le sol et déclarant : « Ceci est la limite d’une zone militaire fermée : quiconque la traverse sera arrêté ».

Nous avons demandé s’il y avait un arrêté militaire officiel établissant que la zone était restreinte. Un soldat a répondu : « Il arrivera dans quelques minutes ». Mais la démolition a traîné pendant des heures, et aucun arrêté de la sorte n’est jamais apparu. Ce n’était pas l’application d’une décision juridique, mais plutôt un exercice de pur pouvoir militaire. En vérité, les soldats n’ont même pas prétendu faire respecter les propres lois discriminatoires d’Israël. Ils nous ont simplement menacés avec des armes et des arrestations.

Pendant que les soldats nous retenaient, une excavatrice a démoli deux puits d’eau, tandis que d’autres envahissaient la communauté elle-même. Des familles ont été expulsées de force de leurs maisons. Parmi elles se trouvaient Amna Dababseh, 80 ans, et son mari Ali, 87 ans.

Ali Dababseh se tient près des soldats alors que les forces israéliennes démolissent des bâtiments dans le village cisjordanien de Khilet al-Dabe’, 5 mai 2025. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

« Ma fille nous a apporté le petit déjeuner et nous nous apprêtions tout juste à manger, quand elle a dit que l’armée était entrée dans le village », a raconté Amna. « Soudainement, les soldats étaient à notre porte. L’un d’eux a désigné notre maison et a dit : ‘Sortez. Nous allons démolir cette maison’. Je lui ai dit : ‘Mon mari a eu un AVC et peut à peine marcher. J’ai du diabète. Où voulez-vous que nous allions ? ». Il a juste dit : ‘Allez dans la montagne. Dégagez !’ ».

La voix d’Amna s’est fissurée quand elle a décrit le chaos. La police des frontières a marché autour des maisons, évacuant famille après famille. Hommes, femmes et enfants ont été poussés sur une colline surplombant la destruction de leur communauté. « Ce village a souffert de démolitions pendant 20 ans », a dit Amna, « mais jamais comme cela ».

Elle se tenait, en pleurs, au milieu de dizaines d’autres, regardant le travail d’une vie réduit à des décombres. Malgré le traumatisme et le choc, elle continuait à répéter : « Je ne quitterai jamais ce village — pas jusqu’à mon dernier jour ». Son mari et d’autres ont fait écho au même sentiment, déterminés à défier un système conçu pour les effacer et à y résister.

Une Palestinienne avance tandis que les forces israéliennes démolissent des bâtiments dans le village cisjordanien de Khilet al-Dabe’, 5 mai 2025. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

«  Ils veulent nous effacer »

Ce qui a eu lieu à Khilet al-Dabe’ n’était pas une simple démolition — c’était un effacement radical. Au total, neuf maisons ont été détruites, ainsi que six grottes, sept puits, quatre abris pour le bétail, dix citernes d’eau, le seul système d’énergie solaire du village et la seule infrastructure pour internet.

Khirbet Khilet al-Dabe’ est l’une des principales communautés figurant dans notre documentaire «  No Other Land » [Pas d’autre terre]. Le village est connu pour sa nature verdoyante et sa vie agricole ; contrairement à beaucoup d’autres à Masafer Yatta, ses résidents se concentrent moins sur le bétail que sur la culture des amandes, du raisin et des oliviers. Ils maintiennent des terrasses de pierre traditionnelles et labourent la terre toute l’année. La position élevée et la végétation luxuriante du village en font l’un des plus magnifiques, visuellement, de la région.

Légende : En ce moment, les soldats de l’occupation israélienne sont en train d’évacuer de force des familles de leurs maisons à Khalet al-Dab’a / Masafer Yatta en préparation pour leur démolition. Quatre gros bulldozers détruisent les maisons — cela se produit dans le cadre d’une campagne de nettoyage ethnique.

Mais la géographie n’est pas une protection. Dans les 18 derniers mois, quatre nouveaux avant-postes de colons se sont établis à l’est et à l’ouest de Khilet al-Dabe’. Il y a moins de trois mois, le 10 février, les forces israéliennes sont entrées dans Khilet al-Dabe’ et ont détruit sept maisons et deux grottes. Amer Dababseh, le fils d’Amna et d’Ali, a vu sa maison et sa grotte démolies ce jour-là. Depuis 2018, sa propriété a été détruite au moins sept fois. Après l’attaque de février, lui et sa famille ont cherché refuge chez ses parents âgés ; maintenant cette maison-là a aussi été détruite.

Cette fois-ci, les forces israéliennes n’ont littéralement rien laissé à Amer et à beaucoup d’autres. Même les grottes — historiquement utilisées comme abris d’urgence pour les familles déplacées — ont été démolies. Maintenant, beaucoup de villageois, y compris des enfants, n’ont aucun choix que de dormir en plein air.

Après les démolitions du village cisjordanien de Khirbet Khilet al-Dabe’, 5 mai 2025. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

Une fois l’armée partie, les villageois sont retournés sur le site, fouillant les décombres pour sauver ce qu’ils pouvaient : des vêtements, des ustensiles de cuisines, quelques biens personnels. La scène ressemblait à un désastre naturel, comme si un tremblement de terre avait écrasé leurs maisons, leurs puits et leurs vies.

L’objectif de la démolition de lundi, pensent les locaux, s’inscrit dans le cadre d’une tentative plus large : pousser les résidents palestiniens hors de leurs terres et ouvrir la voie à une nouvelle expansion illégale des colonies. « Ils veulent nous effacer — pas seulement nos maisons, mais notre présence, notre histoire et notre avenir », a dit Amer. Pour les familles de Khilet al-Dabe’, les décombres ne sont pas seulement un tas de débris — c’est le rappel qu’ils sont en travers du chemin d’une occupation grandissante. Et malgré tout cela, ils refusent de partir.

En réponse à l’enquête de +972, le Coordinateur israélien des activités du gouvernement dans les Territoires (COGAT) a affirmé que son personnel « menait une activité d’application de la loi contre plusieurs structures illégales construites sans permis dans la zone de tir 918, en violation à la fois des règlements de planification et des restrictions d’accès militaires » et que « l’opération était exécutée en respect total des procédures légales et des priorités approuvées d’application de la loi ».

Un porte-parole de l’armée israélienne a dit que « les actions d’application de la loi ont été exécutées après achèvement de toutes les procédures administratives requises et en accord avec le cadre de priorité de l’application des lois présenté auparavant à la Cour suprême ». Il a de plus affirmé qu’« un ordre de fermeture a été émis pour la zone adjacente et l’arrêté général qui s’appliquait au lieu en question était aussi connu des résidents. L’arrêté temporaire émis a été présenté sur demande ».

Basel Adra est militant journaliste et photographe du village de al-Tuwani dans les Collines du sud d’Hébron.

  • Photo : Les forces israéliennes démolissent des bâtiments à Khirbet Khilet al-Dabe, Masafer Yatta, Cisjordanie, 5 mai 2025. (Wisam Hashlamoun/Flash90)