Déclaration sur les récentes menaces sur l’UNRWA et sur le passage d’une possible complicité à un engagement direct dans le crime de génocide contre les Palestiniens de la part de plusieurs pays.

Déclaration sur les récentes menaces sur l’UNRWA et sur le passage d’une possible complicité à un engagement direct dans le crime de génocide contre les Palestiniens de la part de plusieurs pays.

L’Institut Lemkin pour la prévention du génocide est profondément préoccupé par la décision d’une coalition de plusieurs nations – les États-Unis et l’Allemagne, de concert avec l’Australie, l’Autriche, le Canada, l’Estonie, la France, l’Irlande, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, la Roumanie, la Suisse et le Royaume Uni – de suspendre le financement de l’Agence des Nations Unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens de 1948 et leurs descendants (UNRWA). Cette grave escalade dans la crise à Gaza intervient à la suite du premier jugement de la Cour Internationale de Justice en application de la Convention sur la Prévention et la Punition du Crime de Génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud vs Israël), dont nombreux sont ceux qui en espéraient un ralentissement du génocide. De plus, ce jugement représente un changement de la part de plusieurs pays d’une possible complicité dans le génocide à une implication directe dans la construction de la famine. C’est une attaque sur ce qui reste de sécurité personnelle, de liberté, de santé et de dignité en Palestine. 

L’Institut Lemkin pour la Prévention du Génocide (LIGP) reconnaît que cette décision peut avoir été prise à la hâte ou sans que les dirigeants nationaux n’aient été correctement conseillés et, si c’est le cas, nous incitons à une inversion. Si aucune inversion ne s’annonce, nous condamnons la décision de priver l’UNRWA de financement et, ce faisant, nous nous joignons à un consensus croissant de professionnels du droit international et de spécialistes du génocide qui mettent en avant que cette action équivaut à une participation accrue au génocide en cours des Palestiniens à Gaza et constitue à la fois une violation du récent jugement de la CIJ et des responsabilités des nations participantes sous l’égide de la Convention pour la Prévention et la Punition du Crime de Génocide (« la Convention sur le Génocide »). Nous avertissons en outre que le retrait du financement octroyé à l’UNRWA agit comme un point d’appui pour la diffusion d’actes génocidaires contre les Palestiniens de Gaza à d’autres zones critiques, où la vie des Palestiniens est mise en danger. En période de famine, procéder à une annulation permanente ou à une pause dans le financement place potentiellement en violation de la Convention sur le Génocide, des États qui ont précédemment versé des fonds.

Le 26 janvier 2024, l’UNRWA a annoncé avoir reçu et accepté des affirmations sérieuses de la part d’Israël à propos de 12 membres de son personnel. Ces allégations, basées sur diverses formes de renseignement, dont des interrogatoires, avançaient que ces membres du personnel avaient des liens avec le Hamas et d’autres organisations islamistes et avaient été impliqués dans les attaques du 7 octobre. La direction de l’UNRWA a immédiatement licencié 9 de ces membres du personnel. L’un d’eux est décédé. L’identité de deux autres est en attente de clarification. L’UNRWA a instamment demandé des comptes, envisagé des poursuites et engagé une enquête officielle. Plusieurs nations ont répondu aux affirmations d’Israël en retirant leur financement promis à l’ensemble de l’organisation – soit un retrait immédiat de centaines de millions de dollars pouvant aller jusqu’aux deux-tiers du budget total de l’UNRWA. L’UNRWA emploie environ 30 000 personnes en Palestine, dont approximativement 13 000 à Gaza. Actuellement, 10 000 membres gazaouis du personnel de l’UNRWA sont dans l’impossibilité de travailler pour cause d’invalidité ou de déplacement dû aux bombardements d’Israël sur Gaza ; le retrait de ce financement aux 3 000 travailleurs clé restants va conduire à un effondrement opérationnel

La menace sur l’aide humanitaire de l’UNRWA est sans précédent et donc choquante. Comme le remarque le Commissaire Général de l’UNRWA, son agence a pris rapidement des mesures pour écarter les employés accusés et a commencé une enquête minutieuse par le canal approprié : le Bureau de Contrôle des Services Internes de l’ONU (OIOS en anglais, BCSI en français). Aussitôt, une coalition d’organisations d’aide humanitaire essentielles et respectées – dont Sauvez les Enfants, AFSC, Oxfam et des sections importantes de Médecins du Monde de France, de Suisse, du Canada et d’Allemagne (chacune incitant son gouvernement à revenir sur sa décision) – ont exprimé leur colère aux États donateurs et averti que le retrait de ces fonds menace l’alimentation et la mise à l’abri de plus d’un million de personnes. Les dommages d’une pause dans le financement seront irréparables. Il est en outre choquant que les médias internationaux n’aient pas réagi à ces menaces en lançant une alerte. L’Institut Lemkin exhorte les journalistes et les rédacteurs à rendre des comptes robustes des dimensions humanitaires et juridiques d’un retrait de l’aide humanitaire aux Palestiniens. 

Ce n’est pas la première fois que le financement de l’UNRWA est suspendu, mais le retrait actuel est constitutivement différent des suspensions précédentes, non seulement par ses conséquences mais aussi par son caractère. Au titre des suspensions temporaires précédentes du financement de l’UNRWA figure la décision abrupte de l’administration Trump de retirer son aide en 2018, largement considérée comme une tactique de négociation grossière et ratée pour faire pression sur les négociateurs palestiniens afin qu’ils renoncent au Droit au Retour, un droit garanti à tous par nombre d’éléments fondateurs du droit international humanitaire (DIH en français, IHL en anglais), la Quatrième Convention de Genève, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le Pacte relatif aux Droits Civils et Politiques et la Convention Internationale pour l’Élimination de Toutes les Formes de Discrimination Raciale, qu’Israël a signées et ratifiées. Cette suspension de l’État donateur a été annulée par le Secrétaire d’État des États-Unis, Anthony Blinken qui, à l’époque, a reconnu la nécessité de financer l’UNRWA pour « l’espoir et la stabilité » de « 500 000 garçons et filles palestiniens ». Les Pays-Bas, la Suisse et la Nouvelle Zélande ont aussi suspendu temporairement leur financement en 2019 – ces suspensions sont apparues comme faisant partie d’une enquête sur la corruption correctement menée, déclenchée par un rapport interne sur l’éthique de l’UNRWA et liée à la mise en œuvre de recommandations du BCSI de l’ONU. Ces circonstances sont certes tellement clairement différentes que la Nouvelle Zélande elle-même reconnaît la différence et que, malgré un compte rendu initial incorrect, elle va poursuivre son accord de financement actuel de trois ans jusqu’en juin pendant l’enquête du BCSI. L’ancien première ministre néo-zélandaise, Helen Clark a directement répondu aux rapports sur la décision de ses collègues australiens de suspendre leur aide en répétant : « Ce n’est pas le moment de suspendre le financement », et en qualifiant cette décision de tentative inappropriée de mutiler financièrement l’UNRWA, par des « impacts dévastateurs pour les familles vivant à Gaza ». 

Comme le note Francesca Albanese, Rapporteure Spéciale de l’ONU sur les territoires palestiniens occupés, si ces actions sont effectivement menées, elles « seront ouvertement un défi aux mesures préventives ordonnées dans la procédure Afrique du Sud contre Israël – et entraîneront soit « des obligations juridiques, soit la disparition du système juridique international ». L’avocat international Francis Boyle, conseil dans la procédure 91 à la CIJ (Bosnie et Herzégovine contre Serbie et Monténégro), qui a assuré la mise en œuvre des mesures destinées à empêcher un génocide contre les Musulmans de Bosnie, a immédiatement publié une déclaration dont voici un extrait

(si ces actions sont menées à bien), le cas n’est plus celui d’États qui aident et encouragent le génocide israélien contre les Palestiniens en violation de l’article 3 (e) de la Convention sur le Génocide qui incrimine la « complicité » de génocide. Ces États violent également directement l’article 2 (c) de la Convention sur le Génocide : « infligeant délibérément au groupe concerné des conditions de vie calculées pour conduire à sa destruction physique totale ou partielle… »

Le Dr Alonso Gurmendi Dunkelberg, expert international de l’Université d’Oxford, a fait remarquer que dans la décision récente de la CIJ, la majorité a estimé que des mesures préventives étaient justifiées et que des actes génocidaires doivent être traduits en justice « précisément (parce que) Israël sait que ses restrictions d’aide humanitaire infligent des conditions de vie qui conduiront à la destruction physique d’innombrables Palestiniens ». Il établit en outre que ces menaces sur le financement – ce qu’il appelle le désastre de l’UNRWA – sont désormais partie intégrante du débat crucial sur « l’intention » au sujet de l’application de la Convention sur le Génocide à la politique d’Israël à Gaza. Au-delà du transfert d’armes et de fonds, ces nations se rejoignent maintenant dans l’imposition de ces conditions de vie qui conduiront à la destruction physique des Palestiniens. 

Outre les morts par bombardements, tirs de snipers, guerre chimique et armes autonomes, la faim domine la Bande de Gaza. Cela n’a rien d’exceptionnel : dans la Convention sur le génocide, la famine est mentionnée spécifiquement comme méthode et indicateur du crime de génocide. Raphael Lemkin, le “père de la Convention sur le génocide”, était très préoccupé par l’utilisation délibérée de la famine lorsqu’il a créé le terme de génocide et fait campagne en faveur d’une codification du génocide dans le droit international. Dans son livre Axis Rule in Occupied Europe, il cite le Generalfeldmarschall von Rundsted, haut personnage nazi, qui fait l’éloge des politiques de “sous-alimentation organisée”, et il note les observations de von Rundsted à l’École militaire de la Wehrmacht, selon lesquelles la création de situations de famine serait “préférable aux mitrailleuses » comme technique d’anéantissement. De fait, la soumission délibérée de populations à la famine est une tactique que les armées les plus brutales de l’histoire ont utilisée pour atteindre des objectifs stratégiques, et son incrimination constitue une pierre angulaire du droit international humanitaire. Ces décisions récentes de suspension du financement de l’UNRWA représentent une attaque concertée de cette norme. 

Tandis que la situation se détériorait à Gaza, plusieurs parties concernées ont activé les protocoles de la Integrated Food Security Phase Classification (IPC, Classification intégrée des phases de la sécurité alimentaire), dont le Famine Review Committee (comité d’examen de la famine) a constaté en janvier 2024 que 500 000 Gazaouis avaient été conduits aux niveaux “catastrophiques” de faim définis par la Phase 5 – risque imminent de famine massive et de mort. Cela correspond largement à 80% des personnes dans le monde entier qui risquent actuellement de mourir de faim. Chaque enfant dénutri, chaque famille affamée, chaque camp de réfugiés privé d’accès à la nourriture sont des tragédies – au niveau collectif, c’est un crime, dont sont responsables ceux qui empêchent l’accès activement et en connaissance de cause. Arif Husain, économiste en chef du PAM, le Programme alimentaire mondial, a lancé au début de 2024 une mise en garde sans précédent : “De ma vie, je n’ai jamais rien vu de pareil en termes de gravité, d’ampleur, et à une telle vitesse.” 

La radio Voice of America a confirmé qu’il y a aux portes de Gaza pour un mois d’approvisionnement alimentaire, qui ne peut pas y entrer. L’aide humanitaire qui parvient à franchir le siège israélien a besoin du système logistique de l’UNRWA pour atteindre ceux dont les besoins sont les plus grands. L’UNRWA fournit également des services d’une importance essentielle et de l’alimentation dans d’autres régions de Palestine et pour la diaspora, notamment Jérusalem-Est, la Jordanie, le Liban, la Syrie et la Cisjordanie. Les nations auxquelles nous nous adressons représentent plus de 60% du budget de l’UNRWA pour l’alimentation, l’éducation et le logement. La perturbation de l’aide inflige des souffrances à tous les Palestiniens, et elle est assimilable à un châtiment collectif motivé par des allégations portées contre 12 employés de l’ONU

La mise en garde et la condamnation exprimées par le Lemkin Institute sont à l’unisson des paroles d’intellectuels, de militants, d’humanitaires et de nations préoccupées dans le monde entier. Contournant la censure par l’armée israélienne de la presse de ce pays, Aeyal Gross, expert en droit international à l’université de Tel Aviv, a dit explicitement que l’UNRWA devrait être “soutenue”, et non privée de financements, soulignant que l’UNRWA joue “un rôle humanitaire important dont les gens dépendent, répondant à des besoins qui continueront à exister.” Ayman Safadi, ministre jordanien des Affaires étrangères, a décrit ces actes comme un châtiment collectif, et a demandé avec insistance aux pays qui ont suspendu leurs versements de revenir sur leur décision. La Norvège a réprimandé ses alliés de l’OTAN et sa voisine la Finlande, déclarant qu’elle continuerait ses versements afin de “sauver des vies et de sauvegarder des besoins et des droits fondamentaux”. Espen Barth Eide, ministre norvégien des Affaires étrangères, a fait appel à la conscience de ses collègues, leur demandant de “réfléchir aux conséquences plus vastes d’une suppression du financement de l’UNRWA en cette période de détresse humanitaire extrême”, qualifiant la décision de la Norvège de choix, par principe, de ne pas participer à une coalition qui cherche à “punir collectivement des millions de personnes”. L’Irlande, elle aussi, a formulé une déclaration ferme d’opposition, exprimant “une pleine confiance” en la direction de l’UNRWA. De façon réconfortante, l’Union européenne tient bon face aux abandons coordonnés, annonçant qu’elle suivra les protocoles d’enquête en vigueur, que “les engagements de financement de l’UE ont été honorés et que les versements n’ont pas été suspendus”, et, avec le Haut représentant Josep Borrell, notant spécifiquement que la réponse appropriée à la révélation d’agissements illicites consisterait à renforcer les contrôles internes. Nous espérons que davantage de pays, d’organisations, de personnalités uniront leurs voix à celles-ci pour protéger la vie de Palestiniens vulnérables. 

Le Lemkin Institute constate avec inquiétude que le moment où survient cette action peut faire penser à des représailles contre l’ordonnance de la CIJ relative à des mesures de prévention dans la procédure Afrique du Sud contre Israël. Assurément, elle contribue à réaliser un objectif de longue date des éléments israéliens qui espèrent priver de leur statut de réfugiés les populations auxquelles s’adresse l’UNRWA. Tania Hary, directrice générale de Gisha, une organisation de défense des droits humains basée à Tel Aviv, a dénoncé sans tarder la coalition internationale, avertissant la communauté internationale que cet acte représentait une partie du plan d’un gouvernement israélien extrémiste, auteur de destructions et de souffrances sans limites, et résolu à éliminer les aspirations palestiniennes à l’autodétermination, ou même à la survie. Cela n’a rien à voir avec telle ou telle allégation. 

Pour aller dans ce sens, le Lemkin Institute rappelle aux lecteurs que Noga Arbell, ancienne haute fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères et actuellement à la tête de la fondation de droite Kohelet, a demandé instamment au gouvernement de crise israélien, au début de janvier, d’agir rapidement pour affaiblir l’UNRWA, affirmant : “Il sera impossible de gagner la guerre si nous ne détruisons pas l’UNRWA, et cette destruction doit commencer immédiatement. » 

C’est à la suite des remarques d’Arbell que l’Agence de sécurité d’Israël (ISA, connue sous le nom de Shin Bet) a fait connaître ses allégations contre le personnel de l’UNRWA. Selon des médias israéliens, les dires de l’ISA étaient fondés en grande partie sur des aveux extraits d’interrogatoires de combattants capturés le 7 octobre. Qu’il soit vrai ou faux que les allégations étaient fondées sur des “aveux”, il est important de noter qu’Israël torture régulièrement ses captifs palestiniens, une méthode dont on a pu constater qu’elle produit des renseignements inexacts et non fiables. Après les attaques du 7 octobre, le gouvernement de crise israélien a pris et renouvelé plusieurs mesures pour légaliser une politique d’internement massif et de torture institutionnalisée des détenus. La Commission des affaires des prisonniers et ex-prisonniers palestiniens a fait une comparaison directe entre la prison de Ktzi’ot et Abu Graib. Euro-Med Monitor a comparé à Guantanamo Bay le site de Sdeh Teiman, où des prisonniers palestiniens auraient été tués en masse, et qui pourrait être défini comme un centre potentiel d’exécution en raison d’allégations d’exécutions sommaires non déclarées et de la confirmation par Israël de morts des suites de torture. Selon certaines informations, le camp d’Antot et la prison de Damon sont placés sous un régime de violences et des sévices sexuels y seraient pratiqués en représailles contre des Palestiniennes. Tous ces établissements se voient imputer spécifiquement des violations de l’Article (7)(1)(I) du Statut de Rome, définissant le crime de disparition forcée, par l’ONG palestinienne Addameer Prisoner Support and Human Rights Association (association pour le soutien aux prisonniers et les droits humains). Avant ces mesures, on savait même en Israël que le Shin Bet avait recours à la torture pour obtenir de faux aveux. Israël a systématiquement refusé au Comité international de la Croix-Rouge d’avoir accès aux détenus. Euro-Med Monitor a demandé au Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et au Groupe de travail sur la détention arbitraire d’enquêter sur le traitement des détenus par Israël, Israël ayant potentiellement entrepris, selon la requête formulée, d’effectuer leur “liquidation.” 

Les États qui ont choisi de suspendre leurs versements à l’UNRWA doivent comprendre les conditions d’interrogation en Israël. Aux termes du droit international, les aveux extorqués sous la torture ne peuvent pas être retenus comme preuves, Amnesty International soulignant que cette interdiction est absolument “intangible” – “c’est-à-dire qu’elle ne peut souffrir aucune dérogation, même dans des circonstances exceptionnelles”. Le Lemkin Institute for Genocide Prevention demande donc instamment aux pays suivants : Allemagne, Australie, Autriche, Canada, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Islande, Italie, Japon, Pays-Bas, Roumanie, Royaume-Uni, Suisse, d’examiner leur règlementation nationale d’interdiction de la torture. 

Alors que les éléments publiés initialement par les médias ne mentionnaient que les 12 employés accusés – neuf licenciés, un mort, deux dont les identités n’étaient pas claires – [la journaliste du Times of Israel] Carrie Keller-Lynn a indiqué que l’administration Biden n’avait pas réagi à cette information accessible au grand public, mais à un dossier de renseignement privé fourni par les services israéliens de renseignement. Selon le Wall Street Journal, le dossier du Shin Bet est basé sur des renseignements électromagnétiques, des documents provenant de cadavres et des interrogatoires menés par des agences israéliennes de renseignement, et contient l’affirmation suivante : certes, 6 employés pouvaient être rattachés à un soutien logistique ou direct des attaques du 7 octobre, mais potentiellement 10% des salariés de l’UNRWA pourraient avoir des liens à plusieurs éléments de la résistance palestinienne. Selon toute apparence, l’existence de ces liens est démontrée par des moyens extrêmement tendancieux, notamment en invoquant les relations familiales. On considère la légalisation de la punition familiale (kin punishment) comme une étape importante dans la construction du régime d’apartheid d’Israël : c’est un présupposé de culpabilité collective qui est condamné en vertu du droit international humanitaire (DIH). Selon l’Observation générale 29 sur l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il est clair que même un état d’urgence ne peut pas justifier les violations du DIH coutumier, entre autres la Règle 103 (interdiction des peines collectives), qui s’applique non seulement aux actions militaires, mais aussi aux sanctions pénales, policières et administratives. Les actions israéliennes, particulièrement dans le passé, ont pris soin de formuler nettement la position selon laquelle cette garantie est applicable à “tous les individus, quel que soit leur statut ou la catégorie de personnes à laquelle ils appartiennent” à l’intérieur ou à l’extérieur des zones de conflit, indépendamment d’un état d’urgence. 

La révélation que le président Biden et potentiellement d’autres pays de la coalition se sont appuyés sur des briefings des services de renseignement israéliens, qui restent cachés au public, pour prendre une décision aussi importante, souligne la nécessité d’être à la fois transparent et prudent. L’Institut Lemkin rappelle à ses lecteurs le rapport Brom, préparé pour le Centre Jaffee d’études stratégiques de l’Université de Tel Aviv, dans lequel le général de brigade israélien Shlomo Brom mettait en garde contre la probabilité que « des organes gouvernementaux ont manipulé fallacieusement des renseignements afin d’obtenir un soutien » pour une invasion de l’Irak grâce aux « relations entre services de renseignement [israéliens] et décideurs de haut niveau », présentant aux journalistes et aux partenaires de l’État « une évaluation exagérée », qui était basée sur un « tableau des services de renseignements [qui] a été manipulé ». Ce rapport a été publié pour éviter que des erreurs similaires ne se reproduisent. Plusieurs exemples de données des services de renseignements surévaluées ou incorrectes au cours des représailles israéliennes contre Gaza ont conduit certains analystes à avertir publiquement que la « crédibilité d’Israël est mise à mal« . L’Institut Lemkin cherche à souligner que, compte tenu de ces préoccupations concernant la recevabilité, la crédibilité et le calendrier, une précipitation dans le jugement, au lieu d’une confiance dans le protocole d’une enquête méthodique comme le demande instamment l’Union européenne, peut s’avérer être une erreur aux conséquences fatales.

La sécurité et le caractère sacré du statut de réfugié dans la région ont été régulièrement violés par Israël – il ne s’agit plus d’une allégation, mais d’un élément essentiel du plaidoyer sud-africain devant la CIJ. Prendre des mesures contre l’UNRWA dans son ensemble représente une intensification des actes anti-réfugiés, y compris pour les 58 camps de réfugiés qui sont tributaires du financement de l’UNRWA, de ses responsabilités premières et de ses activités courantes. Le Dr Nicola Perugini, spécialiste du droit international et grand expert des boucliers humains dans les conflits et de la destruction intentionnelle des hôpitaux, note que cette « tentative de liquider l’UNRWA est clairement une tentative de détourner l’attention de l’ordonnance de la CIJ sur le  génocide….. Détruire l’UNRWA révèle précisément l’intention génocidaire : Les efforts calculés d’Israël pour intensifier la famine à Gaza ». L’Institut Lemkin est d’accord, avertissant sans équivoque que les menaces sur le financement des opérations de l’UNRWA suggèrent l’intention de détruire, en tout ou en partie, le peuple palestinien, par la destruction de la bouée de sauvetage fournie par l’UNRWA.

Au moment de la rédaction de cette déclaration, la situation est fluide et active – l’un des principes clés de la prévention des génocides est d’anticiper et d’empêcher les actes destructeurs de la vie. Les trois piliers de la Responsabilité de Protéger devraient guider toutes les nations, et GenPrev invite tout le monde à agir. La famille du ministre canadien du Développement International, Ahmed Hussen, après son choix de participer directement à l’aggravation des conditions de famine des Palestiniens, l’a publiquement blâmé dans une lettre émouvante, en utilisant notamment une traduction de la phrase somalienne dhiiga kuma dhaqaaqo : ton sang ne bouge-t-il pas ?

Pour un avenir plein d’espoir, nous rappelons à nos lecteurs la lettre de démission publique de Craig Mokhiber. Il a écrit qu’il avait trouvé une force et une voie à suivre dans la position de principe adoptée dans des villes du monde entier ces derniers jours, alors que des masses de personnes se dressent contre le génocide, même au risque d’être battues et arrêtées. Les Palestiniens et leurs alliés, les défenseurs des droits de l’homme de tous bords, les organisations chrétiennes et musulmanes et les voix juives progressistes qui disent “pas en notre nom”, tous et toutes ouvrent la voie. Il ne nous reste plus qu’à les suivre.

Bien que tous les auteurs de génocide donnent des justifications à leurs actes, ceux-ci ne sont pas pour autant justes ou légitimes. Lemkin a notamment mis en garde contre le fait que le génocide peut être considéré comme la transformation d’une « barbarie ancienne en principe de gouvernement », composée d’actes empreints d’une « finalité sacrée », qui s’attaquent au fil du temps aux fondements essentiels de la vie des groupes nationaux, de sorte que ces derniers s’étiolent et meurent comme des plantes victimes de dépérissement. Le but peut être atteint par la désagrégation forcée des institutions politiques et sociales, de la culture du peuple, de sa langue, de ses sentiments nationaux et de sa religion. Elle peut se faire en supprimant toute base de sécurité personnelle, de liberté, de santé et de dignité.

Les techniques de génocide mentionnées par Lemkin ci-dessus sont toutes présentes dans les actions d’Israël contre les Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, et sont maintenant appuyées par la coalition visant à défaire l’UNRWA. Célébrant ces actions, Noga Arbell a exhorté les Israéliens à aller plus loin, en condamnant Aharon Barak pour ses votes à la CIJ et en contestant l’autorité même de la CIJ pour faire appliquer la Convention sur le génocide. Selon elle, Israël devrait expulser l’UNRWA des territoires occupés et de Gaza parce qu’il « permet à des terroristes de naître« . Le ministre israélien des affaires étrangères, Israël Katz, a tweeté le 27 janvier non seulement pour féliciter le Canada de s’être joint aux États-Unis pour supprimer le financement de l’UNRWA, mais aussi pour faire pression en faveur de la suppression totale de l’UNRWA, afin de ne pas perpétuer « la question des réfugiés », c’est-à-dire les demandes de réparation formulées par le groupe national palestinien après la Nakba. Il a écrit : « Sous ma direction, le @IsraelMFA vise à promouvoir une politique garantissant que l’@UNRWA ne fera pas partie du jour d’après…. Nous nous efforcerons d’obtenir un soutien bipartisan aux États-Unis, ainsi que des soutiens dans l’Union européenne et d’autres pays du monde, pour cette politique visant à mettre fin aux activités de l’UNRWA à Gaza ».

L’Institut Lemkin exhorte les acteurs internationaux à ne pas oublier les êtres humains qui vont être touchés par le dé-financement punitif de l’UNRWA. Yamen Hamad, père de quatre enfants, a échappé aux bombes israéliennes qui ont détruit sa maison en octobre. Lui et ses enfants ont survécu, et ils dépendent maintenant de l’UNRWA pour la nourriture, ce qui reste de leur famille s’abritant dans un bâtiment scolaire reconverti de l’UNRWA à Deir Al-Balah, le plus petit camp de l’organisation. Pour lui et ses enfants, la situation est claire. « Les pays qui ont suspendu l’aide à l’UNRWA, déclare-t-il, se sont déclarés partenaires [d’] … une guerre de la faim contre nous ».

Il n’existe pas encore de dénomination pour la coalition des nations qui retirent leur financement à l’UNRWA, ce qui entraîne une certaine maladresse dans la désignation de ce groupe d’États ad hoc. Le Dr Ghassan Abu Sitta, de Médecins Sans Frontières, un vétéran de l’humanitaire qui a travaillé au Yémen, en Irak et en Syrie, qui a témoigné sur les crimes de guerre, et qui est un expert de premier plan dans la récupération des blessures subies par les enfants après les massacres, a fait une suggestion brutale à la suite de l’annonce de M. Biden et de ses collègues : « Avec la suppression du financement de l’UNRWA, un clair Axe du Génocide est apparu. Les individus, les institutions et les pays doivent décider : êtes-vous avec l’Axe du Génocide, ou contre lui ? »

Nous demandons instamment aux dirigeants des États qui ont décidé de retirer leur aide à l’UNRWA de faire marche arrière. Nous exhortons également les populations du monde entier à prendre des mesures préventives pour s’assurer que leurs pays agissent conformément aux exigences de la Convention sur le génocide. Enfin, nous demandons instamment aux instances judiciaires internationales de poursuivre tous les dirigeants qui ont choisi de participer au génocide contre les Palestiniens de Gaza, en plus de ceux qui sont responsables de complicité dans ce crime.