« Une puissance nucléaire considère un bébé malade comme un problème de sécurité. »

Aujourd’hui, je voudrais parler des enfants, de Gaza et du droit international des droits de l’Homme, et contextualiser ce génocide dans le cadre de la guerre continue contre les enfants palestiniens qui s’est déroulée sur des décennies.
Sur les 2.3 millions de personnes qui vivaient à Gaza il y a 19 mois, la moitié étaient des enfants de moins de 18 ans.
Gaza couvre 365 km². C’est presque sept fois plus petit que la ville du Cap, qui couvre 2.446 km².
Au cours de ces 19 mois, presque 20.000 enfants ont été tués par Israël, auxquels s’ajoutent des milliers de plus enfouis sous les décombres ou disparus.
Ceci représente une moyenne de 30 enfants tués par jour depuis le 7 octobre, ou un enfant toutes les 45 minutes. Au moins 825 de ces enfants n’ont pas fêté leur premier anniversaire, et près de 900 de ces enfants avaient moins de deux ans.
L’espérance de vie à Gaza en 2024, d’après une étude publiée par le Lancet, est de 40 ans et 6 mois, alors qu’en 2023, elle était de 75 ans et 5 mois. Nous ne pouvons qu’imaginer ce que sera la chute de l’espérance de vie une fois que les données de 2025 seront disponibles.
On estime que plus de 10.000 enfants ont perdu un ou deux membres de leur fratrie. 17.000 enfants ont perdu leurs deux parents et 22.000 de plus ont perdu un de leurs parents.
Des dizaines de milliers d’enfants ont perdu leurs bras ou leurs jambes, ou souffrent d’autres blessures physiques. Si un enfant a la chance d’être emmené précipitamment dans un hôpital, il peut être pris en charge par un médecin, mais cela sera vraisemblablement réalisé sans aucun anti-douleurs, ni anesthésie, même lorsqu’on réalise une amputation. Il ne s’agit pas de négligence médicale, mais c’est parce qu’un blocus signifie que les fournitures médicales s’épuisent jusqu’à faire défaut.
Aujourd’hui à Gaza, il y a le plus grand nombre sur terre d’enfants amputés à cause de la guerre israélienne d’annihilation. La polio, maladie qui a été éradiquée dans cette partie du monde, se répand parmi les enfants à Gaza, spécialement parmi les nouveaux nés.
La population souffre de la famine depuis plus d’un an maintenant, les enfants mourant de malnutrition ou déambulant le corps presque privé de muscles.
Il n’y a presque plus de nourriture à Gaza, et les entrepôts de l’Agence de Secours et de Travaux des Nations Unies, de l’Organisation Mondiale de la Santé et de la Cuisine Centrale Mondiale sont vides. C’est le résultat du blocus total qu’Israël a imposé à Gaza depuis le 2 mars quand il a rompu le cessez-le-feu.
Les enfants se réveillent affamés, vont se coucher affamés, développent des problèmes de santé sur la durée à cause de la malnutrition et, finalement, meurent de faim.
Fayez Abu Shra, 15 ans, est l’un de ces enfants. Il a été tué vendredi de la semaine dernière par Israël alors qu’il essayait de trouver de la farine pour ses quatre petites sœurs.
Fayez est allé dans le quartier d’Al-Shuja’iyya de Gaza ville pour récupérer de la farine dans leur maison évacuée. Alors qu’il y était, un drone israélien a bombardé la zone et Fayez a été tué. Ceux qui se sont précipités pour le sauver ont eux aussi été ciblés. Fayez a été tué en essayant de nourrir sa famille.
Affamer une population n’est pas la conséquence involontaire d’une guerre juste ou légale, mais plutôt le résultat d’une politique délibérée pour provoquer la destruction physique de la population. Et cette politique n’est pas nouvelle.
Un rapport du Rapporteur Spécial de l’ONU sur le droit à la nourriture, le Professeur Michale Fakhri, publié l’année dernière, renseigne sur la politique d’Israël, depuis les années 1950, pour détruire le système alimentaire palestinien sur plus de 70 ans.
Ce rapport décrit la façon dont Israël détruit les vergers et les fermes, comment il harcèle et tue pêcheurs et bergers. Le rapport décrit aussi la façon dont cette politique a provoqué malnutrition, famine et maladies qui ont tué plus de gens que les bombes et les balles.
La Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur le Territoire Palestinien Occupé, y compris Jérusalem Est, a souligné, dans son rapport de mars 2025, la dimension sexuelle et fondée sur le genre du génocide, montrant comment les femmes et les filles sont directement ciblées par Israël, y compris avec des attaques délibérées sur les centres de soins de santé sexuelle et reproductive et l’augmentation de la violence familiale.
La violence, la destruction, la famine et la dépossession dont souffrent actuellement les enfants de Gaza sont presque impossibles à concevoir. Cette guerre, comme l’a dit le Secrétaire Général de l’ONU, est « une guerre contre les enfants ».
Il est probable que tous les enfants de Gaza souffrent d’un traumatisme mental. Ce traumatisme fera à jamais partie de leur vie, avec également un impact sur les générations futures, et fera durablement partie de leur histoire traumatisante.
Nous parlons de toute une génération qui a été témoin de la destruction de ses maisons, ses rues, ses écoles, ses terrains de jeu, ses mosquées et de toute l’infrastructure sociale qui soutient les enfants et leurs droits – des boulangeries et des bibliothèques aux centres communautaires – le tout délibérément détruit par une machine de guerre qui a été explicite sur la façon dont elle voit tous les êtres humains de Gaza : « des animaux », a dit Yoav Galant, ancien ministre de la Défense et actuellement fugitif, recherché par la Cour Pénale Internationale pour avoir commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.
Un autre ancien secrétaire à la Défense, Avigdor Liberman, a ajouté « il n’y a personne d’innocent à Gaza ».
Le génocide cible la totalité de Gaza, et il faudrait concevoir la guerre contre les enfants palestiniens dans le plus large contexte de la déshumanisation des enfants palestiniens pendant des décennies au cours desquelles ils ont été dépouillés de leur droit à être considérés comme des bénéficiaires de la catégorie universelle des droits et, comme l’a dit Hannah Arendt dans son analyse, de la catégorie même des humains.
Le système juridique israélien est à la fois un complice et un catalyseur du génocide à Gaza et, pour des générations, il a été un joueur essentiel dans la guerre contre les enfants palestiniens. Il a légalisé et légitimé l’assassinat, et l’incarcération sans jugement, ou après un jugement par un tribunal militaire, de dizaines de milliers d’enfants.
Il leur a refusé leur droit à l’éducation, leur droit à la santé, leur droit à une vie de famille, leur droit à une identité, leur droit à la non discrimination, leur droit à l’autodétermination et leur droit à la vie.
Je veux partager avec vous l’histoire de Rania. Rania est un pseudonyme que j’utilise pour protéger son intimité. Rania est un bébé de 20 mois. Elle a également un cancer qui nécessite une chimiothérapie. Rania vit à Gaza, où elle ne peut avoir aucune chimiothérapie car ce traitement n’y est pas disponible.
La chimiothérapie n’y est pas disponible, non parce qu’il n’y a pas d’oncologues ou d’infirmières à Gaza, mais en fait parce qu’Israël a systématiquement et délibérément détruit la viabilité du système de santé de Gaza et par conséquent, des enfants comme Rania, mais aussi des adultes, sont à la merci d’Israël.
A 50 minutes de voiture d’où vit Rania, il y a un hôpital où elle peut recevoir le traitement salvateur dont elle a besoin. Le problème, c’est que cet hôpital se trouve dans la ville d’Ashkelon, dans le territoire israélien de ‘48. Rania y était soignée, mais son permis d’entrée a été révoqué du jour au lendemain par Israël et on a dit à ses parents que cela était dû à des problèmes de sécurité.
Empêcher Rania d’obtenir sa chimiothérapie signifie une chose et rien qu’une chose – qu’elle mourra très bientôt du cancer.
Les avocats qui ont essayé d’aider Rania ont cherché à trouver des solutions pour surmonter ce ‘problème de sécurité’. Il a été suggéré que Rania puisse aller faire sa chimiothérapie avec quelqu’un qui ne soit pas un membre de sa famille, si Israël s’inquiète de la présence de son père ou d’un de ses frères aînés (en se fondant sur la logique raciste qui veut que tous les adolescents et hommes palestiniens soient des menaces). Israël a cependant maintenu que cela n’annulerait pas ses inquiétudes sécuritaires.
Dans son désespoir, la famille a suggéré que Rania soit emmenée à l’hôpital par la Croix Rouge, sans aucun membre de la famille pour l’accompagner. Tout parent peut imaginer ce que cela signifie pour un bébé de 20 mois d’être envoyée toute seule pour recevoir une chimio, entourée d’étrangers, séparée de ses parents.
Israël a refusé cette solution, prétendant, une fois de plus, que cela ne calmerait pas ses inquiétudes sécuritaires, ajoutant que Rania elle-même était la cause de ses inquiétudes sécuritaires. En d’autres termes, une puissance nucléaire considère un bébé malade comme une inquiétude pour sa sécurité.
Une pétition pour un droit de recours qui a été soumise à la Cour Suprême d’Israël, la plus haute cour du pays, a rapidement été rejetée. La cour a tenu une rapide audience pendant laquelle elle a examiné une « preuve secrète », preuve qui a été présentée au tribunal par les services de sécurité, mais qui n’a pas été partagée avec les avocats de Rania.
Le cas de Rania a été présenté à la Cour Suprême des années avant qu’Israël ne lance sa guerre génocidaire actuelle contre Gaza. Le cas de Rania a été présenté avant que 46 enfants soient tués et que près de 8.800 enfants aient été blessés à balles réelles pendant les marches du retour de 2018 à Gaza.
Le cas de Rania a été présenté avant l’agression de 2014 sur Gaza, où 500 enfants ont été tués, avant l’agression de 2012 et avant l’agression de 2009, où des centaines d’autres enfants sont morts et des milliers d’autres ont été blessés. Le cas de Rania a été présenté en 2007, il y a près de 20 ans.
La sentence de mort de Rania était légale. Elle a été signée par un panel de juges respectés, après que les conseillers juridiques de l’État aient soumis un argument juridique soigneusement élaboré, expliquant pourquoi la décision de refuser le permis d’entrée de Rania était légale.
Ces juristes ont fait leurs études dans les plus grandes écoles de droit d’Israël, où le droit international et le droit des droits de l’Homme leur ont été enseignés par des professeurs qui parcourent le monde universitaire, qui se présentent comme des chercheurs critiques qui mènent un combat difficile contre leur propre gouvernement et son salués pour leur courage. Tout en contribuant à la préservation et au développement du bras juridique de l’État d’apartheid et, pendant ces 19 derniers mois, en aidant et en soutenant le bras juridique du génocide.
Le cas de Rania ne fut pas unique, ni une exception à la règle. J’ai été son avocat et, avec mes collègues, nous nous sommes occupés d’un nombre incalculable de cas similaires, où des décisions arbitraires sur des affaires quotidiennes, telles que des permis d’entrée, étaient en fait des sentences de mort pour des bébés et des enfants.
Cette banalité du mal est un témoignage sur la façon dont les enfants palestiniens sont vus et traités par le système juridique en Israël.
Depuis la fin des années 1990, les Palestiniens se sont vus efficacement dénier leur droit à la liberté de circulation et ne peuvent quitter Gaza.
Tout d’abord, Israël a limité la possibilité de voyager entre Gaza et Israël. Puis il a ajouté des restrictions sur la possibilité de voyager entre Gaza et la Cisjordanie qui, selon le droit international, sont un seul et même territoire.
Enfin, en 2005, Israël a efficacement fermé la porte et jeté la clef de Gaza, bloquant tous les passages terrestres et maintenant un contrôle efficace sur l’espace aérien et la guerre territoriale de Gaza. Ce qui a créé ce qu’on a qualifié ensuite de plus grande prison à ciel ouvert du monde.
Les enfants dans le droit international
La guerre à Gaza viole les dispositions fondamentales du droit international, qui vise à protéger les enfants. Le droit international moderne relatif aux droits des enfants a été créé en 1924, il y a 101 ans. Face aux horreurs de la première guerre mondiale et à l’impact disproportionné qu’elle avait eu sur les enfants, la Société des Nations a adopté la Déclaration des droits de l’enfant.
Eglantyne Jebb, enseignante anglaise et fondatrice de Save the Children, a conçu cette déclaration et plaidé auprès de la Société des Nations en vue de son adoption.
Dans ses mémoires, Jebb décrit les motivations qui l’ont poussée à créer une loi universelle afin de protéger les enfants dans des périodes de conflit et d’hostilité : la famine à laquelle les enfants étaient exposés en Europe, la perte des pères qui n’étaient pas revenus de la guerre ou en étaient revenus blessés physiquement et mentalement, ainsi que les déplacements internes et leurs effets sur les enfants.
La déclaration de 1924, également appelée « déclaration de Genève », comporte 5 articles brefs. L’article 2 est le suivant : “L’enfant qui a faim doit être nourri ; l’enfant malade doit être soigné ; l’enfant arriéré doit être encouragé ; l’enfant dévoyé doit être ramené ; l’enfant orphelin et l’abandonné doivent être recueillis et secourus”. Et l’article 3 poursuit : “L’enfant doit être le premier à recevoir des secours en cas de détresse”.
La 4e Convention de Genève, adoptée en 1949 après les atrocités de la seconde guerre mondiale, et ses protocoles additionnels à partir de 1977, fournissent un niveau supplémentaire de protection pour les enfants, en évitant qu’ils ne fassent l’objet d’attaques directes et en faisant en sorte qu’ils obtiennent les secours qui leur sont nécessaires lors de conflits armés.
Pour ce qui est de la malnutrition et de la distribution de vivres ou produits, la 4e Convention de Genève enjoint aux États de donner priorité “aux personnes qui, tels les enfants, les femmes enceintes ou en couches et les mères qui allaitent, doivent faire l’objet […] d’un traitement de faveur ou d’une protection particulière” (CGIV Arts. 38.5, 50 ; PAI Art. 70.1).
Une obligation en rapport consiste à autoriser « le libre passage de tout envoi de vivres indispensables, de vêtements et de fortifiants réservés aux enfants de moins de quinze ans, aux femmes enceintes ou en couches” (CGIV Art. 23).
Pour citer Save the Children, la situation est simple : “Pour empêcher les enfants de mourir de faim ou de malnutrition, il faut être en mesure d’arriver jusqu’à eux, de les repérer et de les traiter. Nous devons accéder aux communautés. Nous devons procurer une alimentation supplémentaire aux enfants et aux femmes enceintes ou allaitantes pour éviter que les enfants ne souffrent de malnutrition. Et les familles doivent pouvoir exercer leurs droits fondamentaux à l’eau salubre, à l’assainissement et aux services de santé pour éviter l’augmentation et l’aggravation des maladies infantiles.”
Le droit international comporte également un instrument dédié spécifiquement aux enfants : la Convention des Nations-Unies de 1989 sur les droits de l’enfant.
La Convention internationale des droits de l’enfant est le traité le plus ratifié en matière de droits humains, puisque tous les pays du monde à l’exception des États-Unis l’ont signé et ratifié. Ce texte comporte une série de dispositions qui reconnaissent les droits des enfants, à commencer par le droit fondamental à la vie pour continuer par les droits à la survie et au développement, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit de jouir du meilleur état de santé possible. Il prévoit également le droit des enfants à l’éducation, au jeu et aux loisirs.
Presque toutes les écoles de Gaza ont été détruites par Israël et depuis octobre 2023, aucun enfant ne peut fréquenter l’école de manière régulière. Les enfants n’ont pas accès à des équipements d’éducation physique. Les enfants subissent des déplacements, et leurs enseignants ont été tués ou, eux aussi, ont été déplacés.
Le Comité des Nations unies sur les droits de l’enfant, l’organe qui contrôle l’application de la Convention, a prévenu à de nombreuses reprises au cours des 19 derniers mois que le génocide viole les obligations essentielles envers les enfants de Gaza incombant à Israël en vertu de la convention.
Dès le 1er novembre 2023, le comité a constaté avec inquiétude que “de graves violations des droits de l’homme contre les enfants” se multipliaient à chaque instant “dans la Bande de Gaza”, ajoutant qu’il n’y a “pas de gagnants dans une guerre où des milliers d’enfants sont tués ”.
En septembre 2024, le comité a énoncé les obligations juridiques incombant à Israël envers les enfants à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupée.
Rappelant sa propre jurisprudence, et se référant à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de l’occupation israélienne publié en juillet 2024, le Comité a déclaré que la Convention des droits de l’enfant continue à s’appliquer même dans les périodes de conflits armés et d’occupation, et qu’Israël a la responsabilité de protéger les droits de tous les enfants qui sont de fait sous son contrôle.
Sur le terrain, la situation ne pourrait pas être plus éloignée de ces propos. La triste réalité, c’est que les enfants palestiniens, comme je l’ai affirmé plus haut, ont été extraits de la catégorie des enfants et ne sont donc pas considérés comme ayant droit à la protection de leurs droits humains. Le droit international, sur ce plan, ne parvient pas à réaliser ses missions essentielles.
Les enfants ont été victimes de génocides et d’autres crimes de guerre pendant tout le 20e siècle. L’Histoire a montré que les enfants de ce pays, ainsi que ceux du Soudan, du Cambodge, des Balkans, ou de l’Europe pendant la Shoah ne bénéficiaient d’aucune des protections que les adultes leur avaient promises.
La question, donc, c’est de savoir si la guerre menée contre les enfants palestiniens à Gaza a quelque chose de différent ? Les apologistes du génocide soutiennent qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza, pas même les enfants, et qu’il est donc légitime et nécessaire de les tuer afin de créer un état permanent de sécurité (pour paraphraser l’expert en études du génocide Dirk Moses).
Certains Israéliens vont jusqu’à affirmer qu’il est essentiel de tuer les enfants palestiniens car ils constituent la prochaine génération de terroristes.
Le génocide à Gaza est le premier où les victimes filment en direct leur propre mort et la réalité de la destruction. C’est aussi le premier génocide où les criminels célèbrent leurs propres crimes de guerre sur les réseaux sociaux, depuis les soldats sur le terrain jusqu’au chef de l’État.
C’est aussi un génocide où les institutions centrales du droit international ont réagi en temps réel, où la Cour internationale de Justice indique en 2024 un ensemble de mesures conservatoires, où la Cour pénale internationale délivre des mandats d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité au cours de cette même année, après quoi, loin de s’arrêter, le génocide, selon certains, s’est intensifié.
Cela nous révèle, je crois, que malgré l’acceptation universelle des droits de l’enfant, malgré notre connaissance de ce qui se déroule sur le terrain, malgré les actions apparemment audacieuses et même sans précédent menées par les institutions internationales, le racisme est plus fort, nous montrant à quel point le racisme anti-palestinien est profond.
Dans son livre Incarcerated Childhood and the Politics of Unchilding (L’Enfance incarcérée et la politique de privation d’enfance), la chercheuse palestinienne Nadera Shalhub Kevorkian montre qu’Israël cible les enfants palestiniens en Israël, en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza depuis 1948.
Ces attaques historiques et actuelles sont décrites comme un processus de « privation d’enfance », les enfants palestiniens étant, selon cette analyse, délibérément privés de la possibilité d’être des enfants et des possibilités de vivre leur enfance dans un environnement libre de la colonisation, de l’occupation, de la domination, de l’humiliation et de la déshumanisation.
Mais l’enfance n’est pas et ne devrait pas être uniquement vue comme un état de passivité victimaire, même au temps de l’apartheid et du génocide. Des études ethnographiques menées avec des enfants à Gaza et en Cisjordanie ont documenté et théorisé la résistance des enfants face à la guerre menée contre leur vie, leurs parents, leurs familles et tout leur entourage.
À l’instar d’études menées avec des enfants dans d’autres zones de conflit, Nitin Sawhney, par exemple, dans son article Invisible Lives, Visible Determination (Vies invisibles, détermination visible), montre que des activités quotidiennes comme de faire voler des cerfs-volants sur la plage ne sont pas seulement un jeu, une distraction permettant aux enfants d’échapper au bruit des drones et des bombes, mais aussi un acte de résistance – les enfants insistant ainsi pour mettre en jeu leur enfance, pour jouer ensemble sur leur propre terre, alors même qu’ils ont une cible accrochée dans le dos pour la seule raison qu’ils sont des enfants palestiniens.
Sawhney décrit aussi la façon dont les ateliers de contes donnent aux enfants la possibilité de vivre dans un espace commun alternatif, au lieu des écoles ou salles de classe qui ont été bombardées. Ce sont de nouveaux sites sociaux où les enfants peuvent rencontrer de nouveaux camarades de leur âge, partager leurs souvenirs, leurs histoires, leurs peurs, où ils peuvent parler de leur famille ou de leurs amis qui ont été tués par des bombes, ou qui ont été déplacés et qu’ils n’ont pas vus depuis des semaines.
Comme l’ont dit certains enfants à Erika Jimenez*, ces activités sont des sites de résistance, contre ce qu’ils voient comme une tentative permanente d’Israël “pour [les] supprimer”.
En effet, on peut parfois voir des photos ou vidéos de ces espaces sur des réseaux sociaux. Vous verrez sur certaines photos des enfants souriants, joyeux, joueurs, alors que dans d’autres images ou vidéos vous verrez les mêmes enfants couverts de gravats, tachés par leur propre sang, immobiles.
Ahed Tamimi, Jana Jihad Ayad et Lama Yahya écrivent dans l’introduction au livre Lived Resistance Against the War on Palestinian Children (La Résistance vécue contre la guerre faite aux enfants palestiniens) publié il y a quelques mois : “Nous, les enfants de Palestine, nous savons depuis que nous avons des souvenirs que l’occupation, c’est la peur. Nous avons dû conquérir notre peur pour créer une vie.
“Le projet sioniste de colonisation de notre terre s’est édifié sur une fondation de racisme et de prétextes religieux. Pour ce projet nous sommes les « autres », dont les vies ont moins de valeur, qui peuvent être tués, éliminés, humiliés, se voir privés de toute dignité. Notre terre est considérée comme une terre sans peuple, une terre qui peut être volée, utilisée pour consolider le projet colonial.”
La guerre contre les enfants palestiniens n’a commencé ni aujourd’hui, ni il y a 19 mois. Elle dure depuis des générations.
La guerre contre les enfants palestiniens a été légitimée au cours de périodes où le droit international des droits humains était à son point culminant, en ce qui concernait ses capacités institutionnelles et les convictions morales qu’il mettait en avant. Et le génocide se poursuit à l’heure où le droit international est peut-être à l’agonie, ou pour le moins en train de changer définitivement.
Le droit international des droits des enfants est né de l’idée que les enfants devraient être protégés en temps de guerre, alors que personne n’imaginait qu’ils seraient la cible directe de drones et de snipers.
Aujourd’hui, le droit international des droits des enfants est peut-être enterré sous les décombres de Gaza. Peut-être va-t-il y mourir, et son sort dépend de ce que nous faisons, de la façon dont nous agissons, si du moins nous agissons.
Cela fait 45 minutes que le présent évènement a débuté. Statistiquement, cela veut dire qu’un autre enfant de Gaza a été tué par Israël.
La vie et l’engagement de Yoliswa Dwane et le travail de Equal Education comportent pour nous un enseignement important : baisser les bras face à l’injustice n’est pas une solution, pas plus que de céder à la censure et à l’intimidation.
Nous avons le devoir de continuer à nous engager en faveur des enfants, de continuer à nous battre pour les droits de tous les enfants, à Gaza, au Cap et ailleurs.
Nous avons le devoir de nous mobiliser et d’agir jusqu’à ce que le génocide se termine, puis de veiller à ce que ceux qui sont responsables de cette horreur aient à répondre de leurs actes.
Le Dr Noam Peleg est professeur adjoint et directeur chargé de l’équité, de la diversité et de l’inclusion à la Faculté de droit et d’études judiciaires de l’université de New South Wales Sydney. Ses sujets sont le droit international des droits des enfants, le droit des droits humains, les études relatives à l’enfance et le droit de la famille. Avant de gagner le monde académique, Noam a pratiqué le droit dans plusieurs organisations de défense des droits humains.
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*Erika Jimenez, chercheuse à la Queen’s University de Belfast, est l’auteur de Rethinking Human Rights: Critical Insights from Palestinian Youth (London: Hart/Bloomsbury, 2024)
- Photo : Des Palestiniens inspectent les ruines de la Tour Aklouk détruite par des frappes aériennes le 8 octobre 2023 dans la ville de Gaza. Photo via Wikimedia : WAFA (CC BY-SA 3)