De nombreux travailleurs humanitaires et médecins disent que la famine a pris possession de Gaza. Mais dans le cadre de l’agression militaire israélienne et des contraintes de circulation, l’observatoire mondial de la faim a lutté pour avoir accès aux données permettant de déterminer si ces conditions constituaient une famine. Certains experts se demandent maintenant : est-ce le moment de réfléchir à la façon de redéfinir une famine ?
Cinq fois au cours de l’année dernière, le premier observatoire mondial de la faim a averti que Gaza se trouvait peut-être au bord du précipice de la famine. Chaque fois, l’organisme de surveillance s’est retenu de conclure que c’était le cas.
Gregory Shay, pneumologue pédiatrique de Californie à la retraite, a passé le mois d’octobre à soigner des enfants à Gaza et, pour lui, la famine semblait prendre possession du territoire.
Shay a travaillé à l’Hôpital Nasser à Khan Younis, ville du Sud de Gaza. La plupart des enfants qu’il a soignés vivaient à base de pain et de riz, a rappelé Shay, bénévole de l’organisation à but non lucratif des États Unis, MedGlobal. Sans légumes, ni fruits ni viande, a-t-il dit, les enfants manquaient des vitamines et des minéraux nécessaires pour éviter de tomber malades.
Shay a dit que, la plupart du temps, il s’occupait en moyenne de 40 nouveaux patients admis à l’hôpital. Beaucoup d’entre eux présentaient des cas graves de pneumonie et certains autres souffraient de méningite, maladie qui peut être mortelle en quelques heures. Les nouveaux nés étaient souvent petits pour leur âge, a-t-il dit. Certains souffraient de malformations congénitales ou souffraient de septicémie néonatale, infection du sang qui est une des causes principales de la mortalité infantile.
« Je n’ai jamais vu le genre et le nombre d’infections que j’ai vues à Gaza », a dit Shay, qui a fait 35 voyages d’assistance médicale humanitaire ces dix dernières années. « Il suffit de regarder ces enfants et vous savez qu’il s’agit d’une famine. »
De nombreux experts de la sécurité alimentaire, de travailleurs humanitaires et de médecins disent que la famine a pris possession de Gaza depuis des mois. Mais au milieu des bombardements israéliens incessants et des restrictions de circulation, les analystes du principal contrôleur mondial de la faim, le système Intégré de Classification des Phases de la Sécurité Alimentaire (IPC) s’est battu pour avoir accès aux données essentielles sur les niveaux aigus de malnutrition et de morts sans lien avec la violence. Ces mesures sont essentielles pour que l’IPC puisse déterminer si les privations ont atteint techniquement le niveau d’une famine.
Les rapports de l’IPC utilisent une échelle de un à cinq pour classer les zones d’insécurité alimentaire aiguë. Elle va de minime à grave, à crise, urgence et famine. Gaza a constamment approché, mais jamais techniquement atteint, le niveau de la famine. Tout récemment, le Comité d’Examen de la Famine de l’IPC a averti que la famine était imminente dans les régions du nord de Gaza.
Quelques experts veulent que l’IPC abaisse son seuil de détermination de la famine dans les zones de conflit et élargisse les types de données qu’elle utilise. En Éthiopie, au Yemen et au Soudan, Reuters a découvert que les gouvernements ou les rebelles avaient bloqué ou falsifié l’arrivée de données à l’IPC ou tenté d’étouffer ses conclusions.
La déconnexion apparente entre ce qui se passe sur le terrain et la façon dont l’IPC caractérise les conditions de vie à Gaza a fait surgir quantité de questions : L’observatoire de la faim a-t-il besoin d’une définition plus souple de la famine ? En quoi la découverte d’une famine procurerait-elle une différence pratique ou juridique ? Et comment l’IPC pourrait-il surmonter les restrictions de la collecte et de l’évaluation des données ?
« Si nous ne pouvons accéder à des informations essentielles, confirmer une famine devient impossible – et donc aussi sauver des vies », a dit Dalmar Ainashe, analyste de la sécurité alimentaire à l’association de secours CARE. Depuis 10 ans, Ainashe est membre de l’Association de Conseil Technique d’IPC, qui fournit des conseils d’experts à la direction de l’IPC. Il a par ailleurs rappelé comment, dans son enfance, il a survécu à la famine dans sa Somalie natale.
« Dans le chaos d’un conflit, s’accrocher à des seuils quantitatifs inaccessibles n’est pas simplement irréaliste », a dit Ainashe à Reuters. « C’est une erreur fatale qui risque de laisser des populations entières souffrir et mourir en silence. »
Jose Lopez, directeur du programme mondial d’IPC, a dit que le contrôleur de la faim s’appuie sur différents types de preuves pour « s’assurer que les découvertes de l’analyse d’IPC sont solides et donc crédibles ».
Néanmoins, la découverte d’une famine n’est pas un remède miracle. Comme l’a rapporté Reuters, une aide limitée a atteint Zamzam, camp de personnes déplacées au Soudan que l’IPC avait jugé subir une famine. D’ailleurs, si l’aide n’est fournie que lorsqu’une famine est découverte, c’est trop tard : il faut que la nourriture et l’aide médicale arrivent beaucoup plus tôt, longtemps avant que les gens commencent à mourir.
Pour prévenir la mort, les gouvernements et autres responsables qui peuvent aider à traiter la faim doivent « agir avant qu’une famine soit confirmée ou même prévue », a dit Lopez d’IPC. « Se contenter de changer la terminologie n’est pas susceptible de traiter la question. »
Même ainsi, les documents d’IPC revus par Reuters montrent que l’organisme de surveillance de la faim envisage de modifier sa définition de la famine. Parmi les options mentionnées dans les documents de septembre : abaisser le seuil de mortalité ou étudier les tendances de la mortalité plutôt qu’utiliser simplement un seuil fixe et définitif.
Des changements de ce genre prendront du temps, a prévenu Lopez. « Ce travail nécessite des efforts de collaboration et des études considérables », a-t-il dit à Reuters.
‘Jugement historique’
Le débat sur la question de savoir si et comment mettre à jour l’approche de la famine par IPC est entamé alors que la faim continue de se répandre dans le monde, spécialement dans les zones de guerre telles que Myanmar et le Soudan, où les gens se sont résolus à manger des feuilles. En 2023, presque 282 millions de personnes ont fait face à ce que l’IPC considère comme de hauts niveaux d’insécurité alimentaire aiguë. Plus de 36 millions d’enfants de moins de 5 ans étaient sévèrement mal nourris.
A Gaza, en décembre de l’année dernière, les enfants mouraient déjà pour des raisons liées à la malnutrition, d’après le personnel médical local.
C’est ce dont Mona Abdel dit qu’elle a été le témoin quand elle a commencé à s’occuper des patients mal nourris en tant que sage-femme à l’Hôpital Nasser.
Un jour de décembre dernier, deux nourrissons ont été admis à l’hôpital – une petite fille de 5 mois et un petit garçon de 8 mois, s’est-elle souvenu. Tous les deux respiraient rapidement et laissaient voir des signes clairs de malnutrition et de déshydratation. Leurs poids était dangereusement bas pour leur âge, leur ventre gonflé et leur peau sèche, a-t-elle dit.
Le personnel médical leur a rapidement administré du plasma et des transfusions sanguines et les a placés sous respirateur artificiel, a dit Abdel Atti, mais leurs corps étaient trop faibles. Ils sont morts une heure plus tard.
Ceux qui ont été blessés dans les zones de guerre peuvent aussi succomber à des infections auxquelles ils survivraient autrement si le manque de nutriments appropriés n’avait pas affaibli leur système immunitaire, disent les médecins. Dans ces cas là, on peut ne pas retenir la malnutrition comme cause de la mort, même si elle y a joué un rôle.
La découverte d’une famine par l’IPC, disent certains experts, aurait considérablement augmenté la pression sur le gouvernement israélien pour qu’il laisse entrer davantage d’aide humanitaire à Gaza à cause de l’opprobre international qu’Israël aurait dû affronter.
La guerre a commencé en octobre 2023 quand le Hamas a organisé une attaque surprise sur Israël. Cette attaque a tué quelques 1.200 personnes, dit Israël. Dans la campagne militaire israélienne en cours, au moins 1.9 million de personnes – environ 90 % de la population de Gaza – ont été déplacées, et quelque 45.000 Palestinien-ne-s ont été tué-e-s, d’après les autorités locales de santé.
Les autorités à la tête des pays concernés dirigent généralement l’équipe chargée de l’analyse de l’IPC. Dans certains pays qui souffrent de graves crises de la faim, Reuters a découvert que les gouvernements ou les rebelles ont essayé d’entraver les délibérations de l’IPC. A Gaza, l’IPC a monté un groupe ad hoc, dirigé par son propre personnel plutôt que par les représentants du gouvernement local. Deux sources de l’IPC ont dit à Reuters que cette décision reflétait en partie un effort pour maintenir une certaine neutralité.
Depuis décembre 2023, l’IPC a sans cesse trouvé que la proportion de la population qui subit un manque extrême de nourriture est la plus importante qu’ils aient pu voir où que ce soit dans le monde.
Les autorités israéliennes continuent de maintenir la mainmise sur ce qui se passe à Gaza. Une analyse par Reuters d’anciennes livraisons d’aide humanitaire laisse penser qu’une pression extérieure a pu faire la différence. A plusieurs moments clés quand les États-Unis ou d’autres acteurs puissants ont manifesté des inquiétudes sur l’urgence de l’accès à la nourriture à Gaza, Israël a autorisé l’entrée de davantage de nourriture sur le territoire, a découvert Reuters. Mais ces améliorations ont toujours été de courte durée et n’ont jamais suffi à satisfaire la faim sur des périodes prolongées, d’après les interviews avec des travailleurs humanitaires et des résidents de Gaza.
Un exemple : En mars, le Comité de l’IPC d’Examen de la Famine, qui contrôle et vérifie la découverte d’une famine, a publié une analyse qui prévoyait une famine « imminente » au nord de Gaza. La Cour Internationale de Justice a par ailleurs ordonné à Israël d’assurer la livraison d’aide aux Palestiniens sur l’ensemble de Gaza. Et ce mois-là, les chiffres du gouvernement israélien montrent que l’aide à Gaza a commencé à augmenter.
Puis, début avril, après qu’Israël ait tué sept membres de l’association caritative américaine World Central Kitchen [Cuisine Centrale Mondiale], le président Joe Biden a menacé de conditionner le soutien à l’offensive israélienne sur Gaza à la décision de démarches concrètes pour protéger les travailleurs humanitaires et les civils. Ce mois là, l’aide pour Gaza a atteint les niveaux les plus hauts depuis le début de la guerre. A aucun mois depuis, elle n’a atteint ces niveaux.
Dans une déclaration, les autorités israéliennes ont dit à Reuters que des efforts sont faits « presque quotidiennement » pour coordonner des créneaux horaires où les soldats israéliens « cessent le feu dans certaines zones » pour permettre la circulation des organisations d’aide, des équipes médicales et des fournitures humanitaires. « Les résidents sont informés à l’avance de ces pauses », dit la déclaration.
Cependant, même lorsque des fournitures arrivent à entrer à Gaza, des pillages par des groupes armés ont contrarié les efforts pour nourrir les affamés. Les restrictions israéliennes sur la circulation et les combats incessants empêchent eux aussi l’aide de parvenir à ceux qui en ont besoin.
Le 7 novembre par exemple, les autorités israéliennes ont approuvé une demande d’envoi de 10 camions d’alimentation et d’un camion d’eau depuis la ville de Gaza vers les zones du nord de Gaza qui n’avaient reçu aucune aide alimentaire depuis plus d’un mois, d’après le Programme Alimentaire Mondial, ou PAM, principal distributeur d’aide alimentaire. Alors que le convoi était retenu pendant deux heures à un checkpoint israélien, des civils désespérés ont pris une partie de l’aide, a dit à Reuters un porte-parole du PAM.
Le convoi a alors été autorisé à bouger. Mais quelques kilomètres plus loin, des soldats israéliens ont ordonné aux conducteurs de décharger les camions, laissant l’aide par terre près du checkpoint au nord de Gaza. Un porte-parole du PAM a dit que les membres de l’équipe avaient été avertis qu’il était dangereux d’avancer et qu’il fallait abandonner l’aide.
D’après le PAM, l’aide n’a jamais atteint sa destination : les écoles où s’abritaient des personnes déplacées et un hôpital. Le porte-parole du PAM a dit qu’il aurait été impossible aux civils d’approcher de la zone où l’aide avait été déchargée à cause de la présence de l’armée israélienne.
A peu près au même moment, l’armée israélienne a émis un communiqué sur l’incident. Il disait que 11 camions distribuant de la nourriture, de l’eau et des médicaments avait atteint le nord de Gaza. Il a également publié une vidéo et des photos, montrant les travailleurs humanitaires qui laissaient l’aide sur le bord de la route. Le communiqué n’a pas mentionné le fait que l’aide n’a pas pu atteindre sa destination prévue.
Le COGAT, l’organisme du gouvernement israélien responsable de l’aide à Gaza, n’a pas répondu aux questions de Reuters à propos de l’incident. Le porte-parole des Forces de Défense Israéliennes n’ont fait aucun commentaire.
Dans un rapport du mois de juin sur Gaza, le Comité d’Examen de la Famine de l’IPC a écrit que l’augmentation de l’aide était l’une des raisons pour lesquelles la famine qu’ils avaient prédite en mars n’avait vraisemblablement pas eu lieu. Jeremy Konyndyk, président de l’association Refugees International , a dit qu’il pensait qu’Israël autorisait les livraisons parce qu’il voulait éviter d’être considéré comme responsable de la constatation d’une famine.
« La détermination officielle d’une famine signalerait une calamité historiquement grave provoquée par la tactique militaire de l’État d’Israël », a dit Konyndyk, ancien directeur de l’Agence des États-Unis pour le Bureau du Développement International de l’Assistance Américaine en cas de Désastre à l’Étranger. « Ce mot – famine- a un pouvoir énorme … Il le tire d’une détermination technique à un jugement historique. Et ceci, bien sûr, n’était pas un jugement historique pour lequel le gouvernement israélien voulait être tenu pour responsable. »
Le COGAT n’a pas répondu aux questions de savoir si Israël avait autorisé l’entrée de davantage d’aide à Gaza pour prévenir la détermination d’une famine, ou si des pressions extérieures avaient poussé Israël à assouplir temporairement ses restrictions.
La découverte d’une famine pourrait être utilisée dans des affaires juridiques contre Israël ou ses responsables, on dit certains experts.
En novembre, le Tribunal Pénal International de La Haye a émis des mandats d’arrêt à l’encontre du Premier Ministre Benjamin Netanyahou et de son ancien chef de la défense. L’un des crimes de guerre avancé : la famine en tant que méthode de guerre. La famine est également au cœur de l’affaire de l’Afrique du Sud accusant Israël de génocide piloté par l’État. Cette affaire se trouve devant la Cour Internationale de Justice, la plus haute instance juridique de l’ONU.
Bien que la découverte d’une famine ne soit pas nécessaire pour prouver une responsabilité pénale, « elle accentuerait l’extrême urgence d’un changement de comportement par Israël », a dit Tom Dannenbaum, professeur associé de droit international à l’École Fletcher de Droit et de Diplomatie de l’Université Tufts.
Certains experts ont dit à Reuters que la détermination d’une famine par l’IPC ne ferait pas beaucoup de différence en ce qui concerne la mobilisation pour l’assistance à Gaza. La question est de savoir si Israël « lèvera les restrictions sur l’accès et fera en sorte que les organisations puissent livrer l’aide sans danger », a dit Alexandra Saleh, responsable de la politique humanitaire et du plaidoyer à Sauver les Enfants. Cette association humanitaire est l’une des 19 organisations et institutions intergouvernementales qui supervisent l’IPC.
‘Vraiment Terrible’
Alors que l’IPC examine ses propres critères, certains experts suggèrent qu’il devrait élargir ses méthodes et sa façon de penser.
L’IPC obtient généralement la plupart de ses informations par les travailleurs humanitaires qui vont de maison en maison glaner des informations essentielles sur la malnutrition sévère et le taux de mortalité. A Gaza et dans les autres zones de conflit, la violence et les déplacements répétés rendent ces sondages difficiles. Conséquence : On peut ne pas voir la famine ou la découvrir trop tard.
Les seuils de famine de l’IPC nécessitent des évaluations spécifiques de la mortalité, du pourcentage de maisonnées qui font face à un manque extrême de nourriture et du pourcentage d’enfants mal nourris. Mais certains experts de la sécurité alimentaire disent que les standards de l’IPC, qui font partie d’un système fondé sur des données probantes destinées à classifier objectivement l’insécurité alimentaire aiguë, ont besoin d’être revus et ne devraient pas être les seuls facteurs déterminants de la famine.
Ainashe, analyste de l’association de secours CARE, a dit que l’IPC devrait modifier son approche dans les zones assiégées. Le moniteur, a-t-il dit, ne devrait pas accepter uniquement les données numériques pour certains des seuils dont il se sert pour déterminer une famine. Par exemple, a-t-il dit, l’IPC devrait arriver à la conclusion qu’il s’agit d’une famine lorsque au moins 20 % des foyers souffrent d’une faim extrême – seuil auquel il adhère actuellement – tout en utilisant également des informations anecdotiques sur le terrain fournies par les médecins, les familles et les travailleurs humanitaires indiquant que la malnutrition et les taux de mortalité augmentent rapidement. Le système, a dit Ainashe, doit « privilégier le sauvetage des vies humaines ».
L’IPC dit qu’il a adapté ses méthodes dans les endroits affectés par le conflit. Un exemple : Il utilise les informations collectées grâce à des enquêtes téléphoniques dans les zones où les collecteurs de données ne pourraient pas aller, a dit Lopez, directeur du programme mondial de l’IPC. Mais Lopez a averti que trop abaisser les exigences en matière de données « mettrait la crédibilité de l’IPC en danger et risquerait d’aboutir à un affaiblissement de l’action ».
Certains experts pensent que l’IPC devrait étudier la façon de développer son utilisation de l’imagerie satellite et autres outils afin de pouvoir tout pister, des schémas de déplacement à la croissance des cultures ou les sites funéraires, comme l’a fait Reuters en évaluant la famine au Soudan. Ils ont dit aussi que le système de l’IPC est trop dépendant des statistiques et pas assez d’interviews approfondies de personnes qui subissent la faim sur la façon dont ils survivent et sur leurs expériences.
« L’approche de l’IPC a perdu de vue ce qu’est une famine dans le monde réel », a dit Chris Newton, ancien analyste d’IPC qui a étudié les questions relatives au conflit et à la sécurité alimentaire. Il est maintenant un boursier invité au Centre International Feinstein de l’Université Tufts à Boston. « Étant donnés les risques de mort massive, l’IPC doit trouver de meilleurs moyens pour intégrer toute information disponible potentiellement utile. »
Shay, le pneumologue volontaire parti en octobre, a dit qu’il n’avait pas besoin de davantage de données pour comprendre ce qui se passe à Gaza.
Le service de pédiatrie de l’Hôpital Nasser avait environ140 patients en moyenne chaque jour où Shay était présent, a-t-il dit ; le service comptait 40 lits. Les enfants et leurs mères dormaient sur des tapis dans les couloirs et les conditions de surpeuplement augmentaient les risques de propagation des infections. Beaucoup d’enfants souffraient de déshydratation, de diarrhée ou d’hépatite pour avoir bu de l’eau polluée. Il pense que les conditions ne feront qu’empirer.
« Les enfants vont être encore plus malades », a dit Shay. « Il va y avoir encore plus d’infections. »
D’après plusieurs méthodes de calcul de la famine antérieures au système IPC, Gaza est déjà en proie à la famine, a dit Alex de Waal, directeur général de la Fondation Mondiale de la Paix a l’École Fletcher de Tufts. Dans un essai récent, de Waal a estimé que la famine et les maladies associées ont fait là au moins 10.000 morts. Il a dit que son estimation est une approximation, pas un décompte : il est arrivé à ce chiffre en étudiant une série de morts estimées dans le territoire et en examinant les chiffres de la mortalité dans d’autres pays assaillis par des urgences alimentaires semblables à celles de Gaza.
Ne serait-ce que la semaine dernière, le moniteur de la faim du gouvernement américain, le Réseau des Systèmes d’Alerte Précoce de la Famine (FEWS NET), a publié un rapport qui faisait une projection de la famine à début 2025 dans une partie du nord de Gaza. Après l’émission du rapport, l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Jack Lew, a écrit que ce rapport s’appuyait sur des données « obsolètes et inexactes ». A la suite des critiques de Lew, FEWS NET a retiré le rapport, déclarant que son alerte est « en cours d’examen » et qu’il pensait mettre ce rapport à jour en janvier.
De Waal a dénoncé les commentaires de Lew et a dit que la situation met en évidence comment le manque de données numériques exige de s’appuyer « sur l’extrapolation, l’inférence, les preuves empiriques, la logique et le jugement d’experts ». Si les États-Unis s’inquiétaient de la qualité des données, « ce serait très simple d’exiger qu’Israël autorise les agences internationales à travailler et à récolter ces données », a dit de Waal.
Le porte-parole de Lew et le Département d’État des États-Unis ont refusé tout commentaire.
Quant aux débats sur le bilan exact du nombre de victimes de la faim à Gaza, de Waal a dit qu’il y manquait un point plus important. « Nous devons détrôner le concept disant que, si ce n’est pas une famine, tout va bien », a-t-il dit. « Même si ce n’est pas une famine, ce peut être absolument terrible. »
- Photo : Des enfants palestiniens soignés et photographiés par le Dr. Gregory Shay, volontaire de MedGlobal qui a passé le mois d’octobre à soigner les patients de l’Hôpital Nasser au sud de Gaza.
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