A nouveau assiégés et bombardés depuis la fin de la trêve, le 1er décembre, les hôpitaux sont dans l’incapacité d’accueillir les milliers de Gazaouis nécessitant des soins d’urgence.
La détresse du système de santé de la bande de Gaza a résonné jusqu’au plus haut niveau des instances internationales. Avant le veto, mis en avant par les Etats-Unis, vendredi 8 décembre, à une résolution du Conseil de sécurité appelant à un « cessez-le-feu humanitaire immédiat », le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, alertait sur « les bombardements constants des forces armées israéliennes ».
« En l’absence d’abris ou du minimum pour survivre, je m’attends à un effondrement total de l’ordre public bientôt, en raison des conditions désespérées, ce qui rendrait impossible une aide humanitaire même limitée » dans la bande de Gaza, écrivait-il dans une lettre adressée au Conseil de sécurité. Le directeur de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, Philippe Lazzarini, a, lui, averti que « la capacité de l’UNRWA à poursuivre son action dans la bande de Gaza est devenue très limitée ».
« Plus de 130 collègues ont été tués, la plupart avec leurs familles. Au moins 70 % du personnel a été déplacé. Ceux qui travaillent encore s’efforcent de continuer à fournir une aide alimentaire et des soins médicaux. Ils emmènent leurs enfants au travail pour qu’ils soient en sécurité ou pour que, s’ils meurent, ils meurent ensemble, écrit-il. En trente-cinq ans de travail dans des situations d’urgence extrêmement complexes, je n’ai jamais écrit une telle lettre, prédisant le meurtre de mon personnel et l’effondrement du mandat que je suis censé honorer. »
Quelques heures plus tôt, le docteur Mohamed Salha a écrit une série de messages depuis l’une des salles de l’hôpital Al-Awda, dans le nord du territoire palestinien. Puis il est allé poser son iPhone sur le toit, pour trouver un peu de réseau via la carte SIM virtuelle espagnole que lui ont offerte des amis – les télécommunications locales dans l’enclave sont fréquemment hors service. « C’est très dangereux, rapportait-il, vendredi matin. Nous sommes assiégés depuis quatre jours: personne ne peut entrer ni sortir de l’hôpital. Hier, un sniper a tué l’un de nos collègues, un infirmier, alors qu’il se tenait à la fenêtre. Il y a quelques jours, un autre a tué une femme qui accompagnait une proche venue accoucher à l’hôpital. Son corps est toujours dans la rue, nous ne parvenons pas à le ramener. »
Nourrissons non évacués
Selon le médecin, plus de 250 personnes – le personnel de santé, une quarantaine de patients et leurs familles – sont rassemblées dans l’un des quatre bâtiments, avec à peine assez d’eau pour tenir deux ou trois jours. « Je ne peux vous décrire ce qu’on ressent. Nous n’avons le contrôle sur rien, ajoute-t-il. Ils ont attaqué l’hôpital Al-Awda six fois, en plus d’autres attaques proches de nos bâtiments depuis le début de la guerre à Gaza, le 7 octobre. » Dans l’après-midi, de lourdes explosions entrecoupaient un autre message vocal du médecin.
En plus du siège du principal hôpital de la ville de Gaza, Al-Shifa, mi-novembre, d’autres établissements de santé ont été bombardés ou encerclés. « Il s’agit plus ou moins toujours du même mode d’action : les bombardements commencent autour de l’hôpital, très proches, de plus en plus proches, puis les militaires entrent dans l’enceinte. Ils ordonnent au personnel et aux civils d’évacuer. Mais, en même temps, il n’y a jamais d’itinéraire sûr pour évacuer », analyse Isabelle Defourny, présidente de Médecins sans frontières (MSF).
Le 10 novembre, le personnel de santé n’aurait pas pu emporter des nourrissons placés en couveuse en fuyant l’hôpital pour enfants d’Al-Nasr, dans la ville de Gaza, après des bombardements. Faute de matériel, le transport aurait mis leurs vies en danger. Le ministère de la santé palestinien dit avoir notamment alerté l’armée israélienne de leur présence au sein de l’hôpital, ce que cette dernière nie. « Le 28 novembre, pendant la trêve, les médecins ont pu revenir et ont retrouvé quatre bébés morts », rapporte l’ONG Human Rights Watch.
« C’est tragique, il est inconcevable de voir ces images de bébés morts dans un hôpital. Le Comité international de la Croix-Rouge [CICR] n’a pas participé à l’évacuation, car les conditions sécuritaires nécessaires n’étaient pas réunies. C’est une énorme responsabilité d’évacuer un hôpital quand il y a des combats et que les routes sont détruites », explique Alyona Synenko, porte-parole du CICR.
« Un système de santé attaqué de façon systémique »
Le 7 novembre, un convoi humanitaire de l’organisation a été pris pour cible, alors qu’il acheminait du matériel médical. MSF a enquêté sur une autre attaque qui a ciblé deux de ses véhicules le 18 novembre, tuant un infirmier volontaire et un membre de la famille d’un employé. L’ONG tentait d’évacuer 137 personnes coincées dans la ville de Gaza. « Tous les éléments pointent vers la responsabilité de l’armée israélienne », rapporte MSF dans un communiqué, réclamant une enquête indépendante.
Vendredi 8 décembre, un ambulancier de la défense civile a été grièvement blessé dans le sud de la bande de Gaza après que son véhicule a été visé par un sniper. Le service de secours palestinien déclare ne plus disposer que de trois équipes et ambulances dans le nord du territoire, qui se déplacent sous les tirs. « Malgré des appels réitérés via l’ONU et le CICR, Israël n’a pas répondu à nos demandes de cesser de s’en prendre à nous. Le droit international impose de ne pas s’attaquer aux équipes de secours », rappelle l’un de ses membres, joint au téléphone.
L’Organisation mondiale de la santé recensait, le 5 décembre, 212 attaques sur les infrastructures médicales dans l’enclave depuis le 7 octobre, en majorité dans la ville de Gaza. « Ce nombre ne dit pas grand-chose de l’ampleur des attaques », met en garde Ben Bouquet, porte-parole de l’organisation onusienne, qui évoque aussi les conséquences « dévastatrices pour le système de santé » du siège imposé par Israël à Gaza. « Le nombre de personnes tuées et blessées est sans précédent » dans les territoires palestiniens, rappelle-t-il. Selon les derniers chiffres de M. Bouquet, 36 soignants gazaouis ont été arrêtés, sans qu’on sache où ils se trouvent actuellement.
« Nous ne parlons pas uniquement d’hôpitaux bombardés ici, comme en Ukraine, mais d’un système de santé entier qui est attaqué de façon systémique. Le niveau de violence que nous observons ici est sans précédent, tout comme l’est le manque de réponses sérieuses de la communauté internationale », conclut-il.
« Les personnels sont terrorisés »
« Je n’ai jamais vécu des attaques d’une telle intensité et un déplacement de population aussi massif. C’est une catastrophe », abonde Christophe Garnier, coordinateur d’urgence à MSF, qui est sorti de la bande de Gaza, jeudi 7 décembre. « Les personnels sont terrorisés. Ils ont pour la plupart préféré rester dans les sous-sols de l’hôpital plutôt que de s’aventurer sous les tirs dehors », raconte-t-il, évoquant la situation à l’hôpital Nasser, à Khan Younès, dans le sud de l’enclave.
« Ces derniers temps, les journées sont apocalyptiques », témoigne Louise Bichet, responsable du pôle Moyen-Orient de Médecins du monde. « Nos collègues boivent de l’eau saumâtre. Ils n’ont pas assez de nourriture. Certains ne mangent qu’une fois par jour. Ils souffrent de problèmes respiratoires à cause des bombardements », ajoute-t-elle. Depuis le 7 octobre, les autorités sanitaires ont recensé 133 000 cas de détresse respiratoire. Ces derniers jours, d’autres maladies potentiellement mortelles émergent des ruines hépatites et méningites (112 cas) se répandent. Selon le ministère de la santé local, les bombardements israéliens ont fait 17 487 morts, pour plus des deux tiers des femmes et des moins de 18 ans.