Quinze femmes, arrêtées après les attaques du 7 octobre pour des délits d’expression sur les réseaux sociaux, ont été échangées contre des otages détenus par le Hamas, sans l’avoir demandé. Cette assimilation au mouvement islamiste risque de leur porter préjudice en Israël.
Le 30 novembre, vers 4 heures, les parents d’Alaa Shahade, 23 ans, dormaient quand la sécurité intérieure israélienne, le Shin Beth, a sonné à leur porte dans une petite ville près de Nazareth. Les policiers ramenaient à leur domicile leur fille, tout juste sortie de prison. Elle avait été incarcérée le 19 novembre pour avoir publié, le 7 octobre, quatre messages sur Instagram relayant des images de l’attaque meurtrière du Hamas en territoire israélien. Sa famille avait été informée la veille qu’elle figurait sur la liste des prisonniers échangés par Israël contre des otages israéliens retenus à Gaza par le Hamas. Alaa, elle, n’a appris la raison de sa libération qu’en arrivant chez elle.
Sur les deux cent quarante prisonniers libérés des geôles d’Israël dans le cadre de cet accord, interrompu par la reprise des combats, le 1er décembre, treize profils sont identiques au sien: des Palestiniennes, citoyennes israéliennes, plutôt jeunes (de 21 à 46 ans), arrêtées pour des délits d’expression sur les réseaux sociaux, relevant, selon la justice, de soutien au terrorisme. Deux autres femmes sont poursuivies pour des slogans criés lors de manifestations.
De simples prévenues
Aucune de ces quinze femmes n’a été sollicitée pour faire partie de cet accord avec le Hamas, pas plus que ne l’ont été leurs avocats ou leurs parents. Aucune n’avait été jugée, certaines n’ayant même pas encore été inculpées. Ce n’est que le 28 novembre que le gouvernement a décidé d’étendre la liste des trois cents prisonniers palestiniens potentiellement libérables à cinquante femmes palestiniennes supplémentaires.
« C’est la première fois, dans l’histoire des échanges négociés entre Israël et des groupes armés, que de simples prévenues sont concernées », assure l’avocate d’Alaa, Sawsan Zaher, qui souligne que toutes les familles n’ont pas apprécié de la même manière cette initiative. « Certaines considèrent qu’il était plus urgent de retrouver leur fille et d’éviter des années de procédures; d’autres pensent que les arrestations étaient légalement contestables et qu’on pouvait obtenir leur libération devant les tribunaux, leur évitant ainsi d’être assimilées au Hamas. »
Traumatisée par cette expérience, Alaa, dit son conseil, ne sait pas si elle pourra retourner dans son institut universitaire, à Nof HaGalil. Vivant dans une petite ville arabe, elle n’a pas subi de harcèlement de la part du voisinage, et n’a pas été agressée, comme d’autres jeunes femmes libérées. Mais, sur les réseaux sociaux, la haine s’est déchaînée. Elle avait retiré de son compte Instagram, le jour même, les quatre posts relayant l’irruption du Hamas en Israël. « Elle n’a plus rien publié jusqu’à son arrestation, le 19 novembre à 3 heures du matin, par une unité antiterroriste », précise son avocate.
Les quinze femmes étaient toutes détenues à la prison de Damon, non loin de Haïfa, au sommet d’une petite colline cernée d’un maquis verdoyant. « Elles n’avaient droit qu’à une demi-heure de promenade par jour et on les faisait dormir sur le sol », rapporte Sawsan Zaher. Lors d’une audience, le 23 novembre, Alaa a dénoncé les coups de gardiennes et les menaces d’un gardien. Elle partageait sa cellule avec trois jeunes femmes dont deux, Sabreen Atawneh et Rita Murad, ont aussi retrouvé la liberté grâce à l’accord avec le Hamas.
Sabreen, 22 ans, a été arrêtée le 3 novembre pour avoir posté sur son compte Instagram ouvert à seize personnes, entre le 7 et le 10 octobre, des images liées à l’attaque avec des commentaires. Par exemple, la photo d’une Jeep volée par des Gazaouis à l’armée israélienne et les phrases: « Souvenez-vous de ceci (…) Il s’agit de la résistance palestinienne (…) Ce sont des gens opprimés qui se lèvent et ripostent »; « Contre l’occupation, le blocus de Gaza, les arrestations d’enfants, les politiques israéliens sont fiers et disent que leur vie vaut plus que celle des Palestiniens, l’apartheid total. »
Licenciée de son poste
Sabreen a été licenciée de la direction de l’entreprise de transport public de Beer Sheva, dans le sud du pays, où elle travaillait comme agent administratif, après la transmission, le 8 octobre, par un collègue, de l’un de ses posts. « Les enquêtes ont été ouvertes, en grande partie, sur la base de dénonciations », note son avocate, Nareman Shehadeh Zoabi, également cadre de l’association Adalah de défense des droits civiques et politiques de la minorité arabe en Israël, basée à Haïfa. « D’ailleurs, dit-elle, aucune de ces quinze jeunes femmes n’avait d’activité politique et elles ont toutes condamné le massacre du 7 octobre lors des interrogatoires. »
Dès le 28 novembre, Me Zoabi avait demandé aux autorités judiciaires des éclaircissements sur l’inscription du nom de sa cliente sur les listes de prisonniers échangeables. Un courrier resté sans réponse. « Cette décision a de graves conséquences pour ces femmes, leur simple inclusion dans l’accord d’échange sert à les qualifier d’ennemies de l’Etat et risque d’hypothéquer considérablement leur avenir », estime l’avocate de Sabreen.
Une conséquence qu’a déjà pu vivre Rita Murad, 21 ans, la troisième jeune femme libérée de la cellule d’Alaa. Le réputé Institut israélien de technologie (Technion), où elle étudiait, a déclaré publiquement qu’il ne reprendrait pas les étudiantes figurant sur la liste de l’échange. Elle avait été interpellée le 29 octobre pour avoir publié, le 7, sur son compte Instagram, trois photos avec commentaires qualifiés d’« affiliation à une organisation terroriste » et « d’incitation au terrorisme », notamment celle d’un bulldozer et de Gazaouis franchissant la barrière brisée entre Israël et Gaza avec ces mots : « Pendant que l’armée invaincue dort. »
La situation judiciaire de ces femmes demeure délicate, malgré leur remise en liberté. Car les poursuites n’ont pas été classées. Aucune amnistie ou mesure de libération conditionnelle n’a été assortie à leur remise en liberté. « Si elles sont dehors, s’afflige Me Zaher, c’est juste que le « deal » avec le Hamas, c’était des femmes en échange de femmes, des enfants en échange d’enfants, et que les Israéliens manquaient de prisonnières palestiniennes déjà jugées ; ils ont dû se rabattre sur de simples prévenues. En droit, elles peuvent retourner en prison. » Selon sa consœur, Me Zoabi, « cette décision stigmatise les Palestiniens d’Israël et semble aussi désigner les Arabes jouissant de la citoyenneté israélienne comme les membres d’un front intérieur ».