La destruction massive de Gaza met en lumière le concept de ‘domicide’

Ce concept est de plus en plus accepté dans le monde universitaire, mais ce n’est pas un crime distinct contre l’humanité selon le droit international.

La destruction de plus d’un tiers des habitations de Gaza, alors qu’Israël bombarde le territoire à la poursuite du Hamas, amène les experts juridiques internationaux à évoquer le concept de « domicide » – la destruction massive de logements pour rendre le territoire inhabitable.

Dans la guerre actuelle à Gaza, lancée après l’attaque du Hamas du 7 octobre sur le sud d’Israël, Les experts indépendants estiment que jusqu’à 40 % des logements de Gaza ont été endommagés ou détruits. L’ONU dit que 1.8 million de personnes sont déplacées à l’intérieur de Gaza, beaucoup d’entre elles vivant dans des abris surpeuplés de l’ONU au sud.

Bien que Gaza ait déjà été endommagée dans des conflits antérieurs et reconstruite, largement grâce à l’argent des pays du Golfe, l’échelle actuelle de la dévastation est d’une ampleur différente.

La question est de savoir si l’échelle des dommages sur les infrastructures est un sous-produit de la recherche des membres du Hamas ou fait partie d’un plan secret pour expulser les Palestiniens de Gaza, effaçant la possibilité pour Gaza de devenir une société semi-viable dans un avenir prévisible.

Domicide, concept de plus en plus accepté dans le monde universitaire, n’est pas un crime distinct contre l’humanité selon le droit international, et le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit au logement a présenté à l’ONU en octobre dernier un rapport faisant valoir qu’il fallait combler « une lacune très importante ».

La destruction de logements à Alep dans la guerre civile en Syrie, l’écrasement de villages des Rohingyas au Myanmar et la destruction de Mariupol en Ukraine ont accentué ces dernières années l’attention sur cette question.

« Il est nécessaire de traiter les hostilités en cours en sachant qu’elles vont systématiquement détruire et endommager les logements et les infrastructures civiles, rendant une ville entière – telle que la ville de Gaza – inhabitable pour les civils », a dit au Guardian le rapporteur de l’ONU, Balakrishnan Rajagopal, professeur de droit à l’Institut Massachusetts de Technologie de Boston.

Rajagopal avance qu’une lacune existe dans le droit international puisque, alors que la protection des logements civils est couverte par le Statut de Rome qui établit le tribunal pénal international en relation avec les crimes de guerre dans les conflits entre États, il ne figure pas en tant que crime contre l’humanité qui pourrait survenir dans un conflit à l’intérieur d’un État ou qui impliquerait des acteurs non-étatiques.

« Ceci s’applique à la destruction massive de l’habitat dans le cas du conflit israélo-palestinien à Gaza », a dit Rajagopal. « Israël dira qu’il ne s’agit pas d’un conflit armé international parce qu’Israël ne reconnaît pas la Palestine en tant qu’État.

Il a avancé que la plupart des conflits où il y a eu le plus de morts depuis la deuxième guerre mondiale ont été des conflits armés non internationaux, le conflit entre la Russie et l’Ukraine étant une exception plutôt que la règle.

Il a dit qu’une lacune similaire concernant la famine venait juste d’être comblée. Le statut de Rome avait mis la famine sur la liste des crimes de guerre, pas sur celle des crimes contre l’humanité, exemptant ainsi les acteurs non-étatiques. La Suisse a fait pression pour amender la loi et faire de la famine un crime contre l’humanité, changement finalement accepté en 2022.

Rajagopal a dit : « Je voudrais demander à ces pays qui s’opposent à ce qui se passe à Gaza, tels l’Afrique du Sud et l’Espagne, de faire exactement ce qu’ils ont fait concernant la famine pour protéger contre cette lacune [et] s’assurer que la destruction massive de logements à Gaza puisse faire l’objet de poursuites. »

Il a ajouté qu’en se fondant sur les faits et les remarques présentées par les dirigeants israéliens, il pensait que le but de la destruction à cette échelle ne visait pas que l’élimination du Hamas, mais de rendre Gaza inhabitable.

Israël dit que les dégâts sur les bâtiments et la perte de vie de civils sont regrettables, mais sont rendus nécessaires par le fait que le Hamas se cache délibérément dans les écoles et les hôpitaux et qu’il refuse de se rendre. Il dit qu’il fait tous les efforts possibles pour avertir les citoyens d’attaques imminentes.

L’estimation du niveau de destruction des bâtiments de Gaza est controversée, mais l’utilisation nouvelle de l’imagerie satellite suggère que 98.000 bâtiments ont été endommagés au 29 novembre, début du cessez-le-feu temporaire maintenant abandonné.

Les découvertes se fondaient sur l’analyse des données du satellite Sentinelle-1 Copernic de l’Agence Spatiale Européenne par Corey Scher de la City University de New York et de Jamon van den Hoek de l’Université d’État de l’Oregon. Leur travail a été cité à plusieurs reprises par des organismes de presse allant de la BBC au Washington Post, reflétant la difficulté pour les reporters de cartographier l’ampleur réelle d’un bombardement.

Plutôt que d’utiliser des images optiques, l’évaluation repose sur des données satellitaires disponibles pour le public et sur un algorithme spécifiquement développé pour mesurer la stabilité de l’environnement bâti afin d’en déduire les dommages sur le bâti. Cette solution a l’avantage de regarder les structures sous des angles obliques et pas seulement d’en haut.

L’imagerie du nord au sud a montré 47 à 58 % de dommages à Gaza Ville, 11 à 16 % à Deir al-Balah, 10 à 15 % à Khan Younis et 7 à 11 % à Rafah, zone la plus proche de la frontière avec l’Égypte. Cela représente entre 67.000 et 88.000 bâtiments, ce qui signifie qu’en gros, 70 % des bâtiments restent intacts. Le chiffre pour Khan Younis aura augmené depuis la fin du cessez-le-feu et la concentration de l’activité militaire dans le sud.

Parmi les bâtiments détruits ou partiellement détruits se trouvent le principal tribunal palestinien de Gaza, connu comme le Palais de Justice, le complexe du Conseil Législatif Palestinien, 339 infrastructures scolaires et 167 lieux de prière, tandis que 35 des hôpitaux du territoire ne fonctionnent plus.

Hugh Lovatt, du Conseil Européen des Relations Étrangères, a suggéré qu’Israël « détruisait délibérément et méthodiquement les institutions et infrastructures civiles dont on aura besoin pour gouverner et pour stabiliser Gaza après le conflit ».

L’imagerie satellite révèle aussi la destruction de vergers, de serres et de terres agricoles au nord de Gaza. Human Rights Watch a dit lundi : « Au nord-est de Gaza, au nord de Beit Hanoun, la terre agricole autrefois verte est maintenant brune et désolée. Champs et vergers avaient d’abord été endommagés au cours des hostilités qui ont suivi l’invasion terrestre israélienne fin octobre. Les bulldozers ont creusé de nouvelles routes, ouvrant la voie aux véhicules militaires israéliens. »

Des fuites issues du gouvernement israélien, y compris du ministère du Renseignement, montrent que des responsables ont étudié les moyens de forcer les Palestiniens à quitter Gaza, soit volontairement, soit par la force. Le ministère du Renseignement n’est pas un organe de haut rang au gouvernement, mais des conservateurs comme John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale, ont étudié des variantes de ce genre de projets.

Giora Eiland, anciennement à la tête du conseil israélien de la sécurité nationale, a écrit au journal israélien Yedioth Ahronoth : « L’État d’Israël n’a pas d’autre choix que de faire de Gaza un endroit où il soit, de façon temporaire ou permanente, impossible de vivre. Créer une grave crise humanitaire à Gaza est un moyen nécessaire pour atteindre ce but … Gaza deviendra un endroit où aucun être humain ne pourra exister. »

Les États-Unis ont à plusieurs reprises exclu ce genre de politique, en partie parce qu’ils savent que deux alliés, la Jordanie et l’Égypte, n’accueilleront pas davantage de réfugiés dans leurs pays, même temporairement.