Appelez l’apartheid en Israël par son nom

La citoyenneté, ici, rappelle celle de l’Afrique du Sud dans le passé : les Juifs sont des citoyens ‘blancs’, les Arabes d’Israël ont une citoyenneté ‘colorée’ (c’est-à-dire partielle) ; et les Palestiniens des territoires [occupés] ont une citoyenneté ‘noire’, sans droits politiques.

Récemment, un débat intéressant s’est tenu dans Haaretz entre Michel Sfard et Gideon Lévy. Sfard soutient que « Un jour, l’occupation cessera soudainement » (Haaretz.com, 22 janvier), tandis que Lévy suggère que « l’occupation ne finira pas » (24 janvier) et qu’Israël « peut continuer l’occupation tant qu’il le veut, aussi pourquoi finirait-t-elle ? ».

Peut-être tous deux ont-ils tort. Une analyse de la situation géopolitique de la Cisjordanie montre que l’occupation n’a pas été une occupation pendant très longtemps. Elle n’a pas été battue ou liquidée, elle s’est plutôt développée vers l’étape suivante : un contrôle colonial civil, accompagné d’un processus rampant d’apartheid dans toute la zone contrôlée par Israël entre le Jourdain et la mer.

La gauche israélienne qui combat cette situation scandaleuse a besoin de se mettre en phase avec le changement de la réalité et d’adopter une nouvelle terminologie : non plus « occupation », une situation qui n’existe plus et qui de toute façon peut être légale, mais « apartheid », qui apparaît devant nos yeux et qui constitue un grave crime international.

L’occupation, c’est une situation de contrôle militarisé temporaire à l’extérieur des frontières souveraines de l’État. Les caractéristiques du régime israélien dans la plus grande part de la Cisjordanie sont à l’inverse : le contrôle est civil, permanent (d’après les déclarations de leaders israéliens) et interne à la société et à la politique israéliennes.

Plus de 600 000 citoyens israéliens vivent en Cisjordanie (en incluant la partie de Jérusalem au-delà de la ligne verte) : la plus grande part de la surface de la Cisjordanie est sous le contrôle de conseils municipaux israéliens ; les Israéliens de Cisjordanie sont jugés selon les lois israéliennes et votent pour la Knesset. Plus de 1000 km² de terres palestiniennes, privées et publiques, sont enregistrées comme terres d’État, et constituent des terrains commercialisables en Israël.

Israël contrôle l’entrée et la sortie, la douane et les impôts, le tourisme, le commerce et même l’enregistrement des naissances et des décès dans les territoires. Gaza est sous blocus. L’Autorité Palestinienne, et même le Hamas hostile, en tant qu’organismes gouvernementaux au sein de l’enveloppe israélienne, se retrouvent ensemble pour donner un coup de peinture civile à l’occupation. Les principaux dommages aux droits humains et les obstacles pour établir un État palestinien ne proviennent pas de l’occupation militaire, mais découlent en réalité de la transformation civile.

La gauche, en Israël, a toujours essayé de séparer : démocratie « ici » et occupation « là ». Mais d’après les faits, cette séparation a disparu depuis longtemps. Israël a créé un espace civil juif continu tandis que les Palestiniens sont séparés dans des enclaves et des ghettos. C’est vrai, les citoyens israéliens jouissent d’une économie florissante et d’une législation progressiste qui protège les droits des femmes, des LGBTs et des immigrants. Mais les Arabes ont une citoyenneté collective inférieure dans l’État juif, fortement liée à leur identité de Palestiniens.

Dans une telle situation géopolitique, il n’est pas possible de parler de démocratie, malgré la tenue d’élections en Israël, parce que des élections réellement démocratiques chasseraient du pouvoir l’aile droite. Si les élections avaient été tenues seulement à l’intérieur de la ligne verte, en d’autres termes dans le territoire souverain légal d’Israël, comme c’est le propre d’une démocratie – un bloc de centre-gauche aurait gagné toutes les élections depuis le meurtre de Rabin, sauf une. (En 2001, Ariel Sharon a battu Ehud Barak même à l’intérieur de la ligne verte, en partie à cause du boycott arabe). Alternativement, si les élections avaient été tenues avec la participation de tous les habitants qu’Israël gouverne (Juifs et Arabes) comme des élections générales sont censées l’être, il est presque certain que là aussi, la droite aurait été battue. Néanmoins, elle est au pouvoir, avec de courtes interruptions, depuis des décennies, tout en utilisant cyniquement le terme « démocratie.

Selon le droit international, une situation dans laquelle un pays s’approprie et colonise des territoires hors de ses frontières souveraines s’appelle du colonialisme. Le Liban-sud était un exemple d’occupation militaire. La Cisjordanie est un exemple de colonialisme, du type qui cherche à se renforcer dans le temps tout en préservant les privilèges de la population dirigeante et en créant incidemment un régime d’apartheid.

L’apartheid en Cisjordanie s’infiltre dans toute la zone entre le Jourdain et la mer. En Cisjordanie, l’expansion des colonies juives signifie l’effacement de la différence entre « là » et « ici », tandis qu’à l’ouest de la ligne verte, les moyens de répression sont importés de Cisjordanie, par exemple la persécution des organisations des droits humains et l’expulsion des Bédouins de leurs terres ancestrales. La prospérité économique impressionnante d’Israël a versé d’énormes ressources principalement dans la population juive des deux côtés de la ligne verte. Ceci a exacerbé le processus de « développement séparé » qui caractérise les régimes d’apartheid.

Ces processus sont causé la création de différentes types de citoyenneté, qui rappellent ceux de l’Afrique du Sud dans le passé : les Juifs entre le Jourdain et la mer sont des citoyens « blancs », les Arabes d’Israël ont une citoyenneté « colorée » (c’est-à-dire partielle) ; et les Palestiniens des territoires [occupés] ont une citoyenneté « noire », sans droits politiques.

Alors, que peut-on faire ? D’abord, nous devons appeler cette chose par son nom. En d’autres termes, les opposants à l’occupation doivent mettre à jour leur image du phénomène et utiliser les outils légaux, conceptuels et politiques pour le combattre. L’occupation militaire peut être justifiée comme essentielle voire légale, comme beaucoup le font en Israël. Le colonialisme et l’apartheid sont illégaux et non démocratiques. Employer ces mots renforcerait la lutte significativement.

Deuxièmement, à cause de l’histoire et de la géographie complexes mises en jeu, nous devons penser à de nouvelles approches créatrices non limitées à des solutions simplistes telles qu’un retrait unilatéral. Le mouvement « Deux Etats, Une patrie » récemment créé, qui offre une vision d’une union israélo-palestinienne, en constitue un exemple. Cet agencement aurait deux Etats établis des deux côtés de la ligne verte, laquelle deviendrait une frontière ouverte avec liberté de mouvement et Jérusalem servant de capitale conjointe unifiée pour les deux Etats.

Quelle que soit la solution, la société israélienne doit cesser d’enfouir sa tête dans le sable et comprendre que le processus d’apartheid est la menace sécuritaire la plus sérieuse devant les habitants de toute cette terre – « blancs », « colorés » et « noirs ».