« Zionism über alles »

La classe politique allemande a abandonné la conviction que l’Holocauste lui conférait une responsabilité envers l’humanité et l’a remplacée par une responsabilité envers Israël seulement.

Dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, des personnes du monde entier ont regardé avec horreur la manière dont l’Allemagne brandissait la mémoire de l’Holocauste pour réduire au silence toute critique de la guerre d’Israël contre Gaza. La réponse du gouvernement allemand au conflit lui-même n’a pas été si différente de celle des États-Unis : les deux pays ont augmenté leur fourniture d’armes à Israël et ont soutenu Israël contre l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice. Mais l’Allemagne est allée bien plus loin que les États-Unis dans sa persécution des manifestants, des artistes et des intellectuels qui exprimaient leur sympathie envers le peuple palestinien et leur solidarité avec lui. Elle brandit sa responsabilité dans un génocide pas si lointain comme si cela lui donnait une sorte d’autorité morale.

Cette invocation de l’Holocauste pour contrôler les critiques d’Israël est loin de la Erinnerungskultur, ou culture de la mémoire, que beaucoup d’observateurs internationaux ont jadis célébrée comme une forme exemplaire de prise en compte du passé. La philosophe Susan Neiman elle-même qui, il y a cinq ans, a écrit un livre célébrant la culture mémorielle de l’Allemagne comme un modèle pour les États-Unis, pense maintenant qu’elle s’est «  détraquée ». Neiman parle d’un « MacCarthyisme philosémite » spécifiquement allemand — même si, puisqu’ il a été souvent dirigé aussi contre des juifs critiques d’Israël, comme l’écrivaine du New Yorker Masha Gessen ou l’artiste Candice Breitz, il pourrait être plus juste de l’appeler « McCarthyisme sioniste ».

Si beaucoup d’attention s’est à juste titre focalisée sur les cas individuels de persécution, la genèse et l’évolution de la culture mémorielle de l’Allemagne est moins souvent discutée. Particulièrement aux États-Unis, beaucoup de ceux qui imaginaient l’Allemagne comme un pays relativement progressiste supposent maintenant que sa culture mémorielle de l’Holocauste a toujours stipulé un soutien inconditionnel pour Israël. Mais la réalité est plus complexe — et plus étrange. La mémoire de l’Holocauste ne s’est ancrée dans la classe politique de la République fédérale allemande que dans les années 1980. Pendant les deux dernières décennies, cette culture mémorielle a régressé, l’Allemagne abandonnant la conviction que l’Holocauste lui conférait une responsabilité envers l’humanité pour la remplacer par une responsabilité entre Israël seulement.

C’est en majorité à Angela Merkel, qui a dominé la politique allemande pour la plus grande partie des vingt dernières années, qu’incombe la faute de cette régression. Dans les dernières décennies, cependant, des forces politiques convergentes ont produit un alignement bizarre entre le centre-gauche allemand et la droite américaine et israélienne. L’Allemagne d’aujourd’hui est dirigée par un gouvernement de coalition comprenant les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux-démocrates qui, sur Israël, semble être « quelque part à la droite de l’AIPAC[1] », comme l’écrit Neiman.

Pour comprendre cet alignement particulier, il est nécessaire de retourner aux années 1960, quand la culture mémorielle allemande a émergé d’une Nouvelle Gauche qui cherchait à faire face au passé nazi, une histoire que j’ai racontée dans mon premier livre, Utopia or Auschwitz. Ces militants étaient les premiers Allemands à relier leur identité nationale à la responsabilité du pays dans l’Holocauste. Leur approche, contrairement à l’hyper-sionisme myope qui est dominant en Allemagne aujourd’hui, était fondée sur une interprétation universaliste des leçons de l’Holocauste, plutôt que sur une focalisation particulariste sur Israël—même quand ils se préoccupaient d’apaiser la conscience de l’Allemagne.

Le génération de 1968 et Israël

Si les baby-boomers américains étaient les enfants de la génération qui a combattu les nazis —baptisée « Génération grandiose » aux États-Unis —, leurs homologues allemands étaient les enfants de qu’ils appelaient la « génération Auschwitz ». Pour la génération de 1968, prendre en compte le nazisme et tirer des leçons morales de l’Holocauste, étaient à la fois importants existentiellement et extrêmement personnel. Quand ils sont devenus adultes, ils ont commencé à contester le silence sur le passé nazi pas-si-lointain de l’Allemagne.

Le Premier chancelier d’Allemagne de l’Ouest, le chrétien-démocrate Konrad Adenauer, avait supprimé avec efficacité tout engagement réel avec le nazisme. Beaucoup de ceux impliqués dans le régime nazi ont été réhabilités et réintégrés dans leurs précédentes positions ; au milieu des années 1950, l’élite du service public, de la justice et de l’université était largement redevenue celle du Troisième Reich. Beaucoup de jeunes ayant grandi en Allemagne de l’Ouest avaient le sentiment d’être « entourés de nazis », comme me l’a expliqué une personne que j’ai interviewée. Au milieu des années 1960, ils ont commencé à voir non seulement des continuités de personnes, mais aussi de structures : la République fédérale était un État fasciste, ou au moins « pré-fasciste ». Le mouvement étudiant a émergé en tant que protestation contre ces continuités, réelles et imaginées.

Le 2 juin 1967, la police de Berlin-Ouest a tué un étudiant, Benno Ohnesorg, lors d’une manifestation contre la visite du Shah d’Iran dans la ville. Trois jours plus tard, Israël a commencé la Guerre des Six-Jours. Jusqu’alors, la Nouvelle Gauche ouest-allemande avait eu tendance à soutenir Israël, qu’elle voyait comme un projet socialiste. Mais comme le mouvement étudiant s’est radicalisé dans les jours qui ont suivi l’assassinat d’Ohnesorg, il s’est aussi retourné contre Israël, qu’il considérait maintenant comme une tête de pont de l’impérialisme américain au Moyen-Orient — une position qui était en partie une réaction contre le véhément soutien à ’Israël de la part du détesté magnat des médias de droite Axel Springer. (Pendant la guerre, Springer s’est piqué d’avoir publié des journaux israéliens en allemand pendant six jours.)

Pendant la décennie suivante, alors qu’ils devenaient de plus en plus focalisés sur Israël, de manière critique, certains membres de la gauche ouest-allemande ont franchi la ligne entre l’anti-sionisme et l’antisémitisme. Cet antisémitisme de gauche a atteint son point culminant en 1976, quand deux Palestiniens et deux Allemands de l’Ouest qui sortaient du mouvement étudiant de Francfort ont détourné un avion d’Air-France, l’ont fait voler vers Entebbe, Ouganda, et ont séparé les passagers juifs et israéliens des autres passagers, qui ont été relâchés (Le frère de Benjamin Netanyahu, Yonatan, a été tué dans le raid israélien qui a suivi, destiné à libérer les otages — un événement qu’il cite comme le début de sa vie politique.)

Entebbe a choqué beaucoup de membres de la Nouvelle Gauche ouest-allemande, dont Joschka Fischer, une personnalité importante d’un groupe de Francfort baptisé « Lutte révolutionnaire ». De la scène de gauche de Francfort, Fischer connaissait l’un des auteurs du détournement, Winfried Böse. Fischer a dit plus tard à son biographe que le détournement, et particulièrement la séparation des passagers entre juifs et non-juifs, illustrait pour lui « comment ceux qui se démarquent catégoriquement du national-socialisme et de ses crimes avaient de manière presque compulsive répété les crimes des Nazis ». Au cours des années suivantes, l’échec du projet politique de la Nouvelle Gauche, et en particulier son imbrication avec le terrorisme, a ébranlé de manière décisive la conception du monde de Fischer, le forçant à repenser bon nombre de ses positions politiques. Le passé nazi et la responsabilité allemande envers lui sont restés centraux pour lui, mais les leçons qu’il en a tirées ont changé.

En particulier, Fischer s’est progressivement éloigné de son précédent anti-sionisme. Quant Israël a envahi le Liban en 1982, par exemple, il l’a défendu des critiques à l’intérieur du parti politique qu’il avait tout juste rejoint, les Verts. Ainsi que beaucoup de ses anciens camarades, il s’est aussi réconcilié avec la République fédérale, qui apparaissait maintenant aux militants désillusionnés comme un rempart démocratique fragile contre le fascisme. L’historien allemand Heinrich August Winkler a appelé cela « la gauche adenauerienne à titre posthume » — autrement dit, la gauche qui avait maintenant embrassé beaucoup des positions de Konrad Adenauer, l’incarnation de ce que le mouvement étudiant avait vu comme un État fasciste. 

Auschwitz et la Staatsräson allemande

Fischer s’est alors de plus en plus préoccupé de la question des implications du passé nazi dans la politique étrangère de l’Allemagne. En 1985, pour le quarantième anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale en Europe, Fisher a écrit un article pour l’hebdomadaire Die Zeit qui concluait : « Seule la responsabilité allemande dans Auschwitz peut être l’essence de la Staatsräson de l’Allemagne de l’Ouest. Tout le reste vient après ». (Le terme quelque peu archaïque de Staatsräson est parfois traduit à tort ici par raison d’être mais la traduction correcte est raison dÉtat, quelque chose comme l’intérêt national[2].) Fischer cherchait à déduire une vision de la politique étrangère allemande du principe de responsabilité pour l’Holocauste.

À l’époque, il croyait que ce principe voulait dire de rejeter l’utilisation de la force militaire. Mais il a abandonné cette position après le massacre de Srebenica en 1995. Suivant son ami Daniel Cohn-Bendit, vedette des événements de Paris en mai 1968 qui avait alors déménagé à Francfort et mis en place « Lutte révolutionnaire », Fischer en est venu à soutenir l’idée d’une intervention militaire pour empêcher un génocide. Jusqu’alors seul le centre-droit avait prôné cette position ; les Verts la voyaient comme un prétexte pour la remilitarisation de l’Allemagne. Mais si sa génération n’utilisait pas tous les moyens pour empêcher un génocide, Fischer se demandait dans une lettre ouverte à son parti, n’auraient-ils pas failli de la même façon que leurs parents l’avaient fait pendant l’ère nazie ?

Trois ans plus tard, quand Fischer est devenu ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement rouge et vert dirigé par le social-démocrate Gerhard Schröder — un autre membre de la génération soixante-huitarde, même s’il ne partageait pas la préoccupation de Fischer pour l’Holocauste —, il a eu une chance de mettre ses idées en pratique. L’enjeu des implications d’Auschwitz pour la politique étrangère allemande est arrivé presque immédiatement au premier plan avec la question de l’intervention militaire pour empêcher un nettoyage ethnique au Kosovo. Le débat a été particulièrement intense au sein des Verts qui étaient engagés à la fois envers l’idée de paix et envers la responsabilité dans l’Holocauste. Ils semblaient être confrontés à un choix entre deux principes : « Plus jamais la guerre », qui a conduit plusieurs d’entre eux à s’opposer à l’intervention militaire de l’OTAN en Serbie, ou au moins à la participation de l’Allemagne à cette intervention, ou « Plus jamais Auschwitz », qui en a conduit d’autres (dont Fisher) à soutenir l’intervention et la participation allemande.

Cette obsession avec Auschwitz a conduit à un débat de politique étrangère narcissique qui semblait souvent être moins sur la région en question — dans ce cas, les Balkans — que sur l’Allemagne elle-même. Néanmoins, bien que Fisher ait maintenant défendu Israël plus vivement qu’il ne l’avait fait avant Entebbe, son idée de « Plus jamais Auschwitz » restait une aspiration universaliste à empêcher tout génocide n’importe où dans le monde.

De l’universalisme au particularisme

Bien que Fisher ait gagné le débat sur le Kosovo en 1999 — quatre Tornados allemands rejoignirent le bombardement de la Serbie par l’OTAN, avec le soutien des Verts —, un consensus émergea ensuite selon lequel il avait « instrumentalisé Auschwitz » à des fins politiques. Quand j’ai interviewé plus tard Wolfgang Ischinger, alors Secrétaire d’État dans le ministère des Affaires étrangères d’Allemagne et plus tard directeur de la Conférence sur la sécurité de Munich, il m’a dit que son ancien patron avait « surjoué l’argument pour gagner des soutiens domestiques ». À partir de là, Auschwitz n’a plus été invoqué dans les débats de politique étrangère comme il l’avait été dans les années 1990.

Il y a eu exception, cependant, pour Israël. Le soutien allemand à Israël remonte à Adenauer, qui avait accepté de payer des réparations en 1952 et commença à fournir des armes au pays. Et quand invoquer Auschwitz dans les débats de politique étrangère est tombé en disgrâce, plusieurs à droite ont commencé à utiliser le terme Staatsräson, que Fischer avait relancé dans son article de 1985, pour durcir la responsabilité de l’Allemagne envers Israël. Comme le journaliste Patrick Bahners l’a écrit dans le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung en 2002, « c’est la Staatsräson de l’Allemagne que Hitler ne puisse être autorisé à vaincre à titre posthume ». Le peuple juif était encore entouré d’ennemis — et que ses ennemis ne triomphent pas était autant dans l’intérêt national allemand que cela l’était d’empêcher une prise de pouvoir nazie sur l’Allemagne elle-même.

Le gouvernement rouge-vert vit sa fin en 2005, quand Merkel prit le contrôle en tant que chancelière allemande — une position dans laquelle elle devait rester les seize années suivantes. Dans un discours à la Knesset trois ans après son entrée en fonction —le premier par un chancelier allemand —, elle affirma que tous ses prédécesseurs avaient été conscients de la responsabilité historique particulière de l’Allemagne vis-à-vis de la sécurité d’Israël. « Cette responsabilité historique fait partie de la Staatsräson de mon pays », déclara-t-elle.

Le discours de Merkel semble avoir été influencé par Rudolf Dreßler, ambassadeur d’Allemagne en Israël de 2000 à 2005, qui dans un essai de 2005 a écrit que « une existence sûre pour Israël est dans l’intérêt national allemand et donc fait partie de notre Staatsräson ». Bien que le terme soit venu originellement de Fischer, selon un reportage récent du Spiegel, l’équipe de Merkel a pensé qu’il sonnait comme un ferme « langage chrétien-démocrate  ». Il était aussi typique de Merkel dans un autre sens : connue pour une approche à la politique du type « il n’y a pas d’alternative », elle cherchait à mettre la politique allemande vis-à-vis d’Israël hors de l’espace de la contestation démocratique et à faire de l’engagement envers la sécurité israélienne «  un principe non questionnable, sans alternative  », comme l’a exprimé l’historien Jürgen Zimmerer.

Merkel a réussi : l’engagement envers Israël comme un principe de la Staatsräson allemande est devenu un consensus dans tout le spectre politique. En 2021, le nouveau gouvernement de coalition des sociaux-démocrates, des Verts et des libéraux-démocrates a atteint un accord soigneusement négocié qui incluait une ligne familière : «  Pour nous, la sécurité d’Israël est Staatsräson ». Visitant Israël dix jours après les attaques du 7 octobre —à un moment où Israël avait déjà lâché des milliers de bombes sur Gaza —le chancelier Olaf Scholz a répété cette déclaration. (Son conseiller à la sécurité nationale, Jens Plötner, travaillait à l’ambassade allemande en Israël lorsque Dreßler y était ambassadeur.)

Depuis que Merkel a quitté ses fonctions, il y a eu une critique croissante de son héritage en matière de politique étrangère — particulièrement par rapport à la Chine et à la Russie, où elle a donné la priorité aux intérêts économiques sur la sécurité. Depuis le 7 octobre, il est devenu tout à fait clair que Merkel a aussi laissé derrière elle un héritage désastreux pour la politique allemande vis-à-vis d’Israël. En 2009, l’année suivant son discours à la Knesset, Netanyahou est revenu au pouvoir pour la deuxième fois — et Israël s’est depuis déplacé de plus en plus vers la droite. L’Allemagne se trouve maintenant complètement incapable de critiquer Israël, ou réticente à le faire, même quand il expulse et extermine la population de Gaza.

Une Allemagne hyper-sioniste

Dans les années 2010, je me suis demandé si un soutien domestique décroissant pourrait conduire à un affaiblissement de l’engagement de l’Allemagne envers Israël. Un changement générationnel était en train de se produire, la génération des soixante-huitards, pour qui le passé nazi était existentiel et personnel, étant remplacée par des Allemands ayant une attitude plus distante et indifférente envers lui. (Un livre influent Opa war kein Nazi— « Grand-père n’était pas un nazi » —a illustré comment les membres de cette génération ne pouvaient pas imaginer que les grands-parents pouvaient avoir participé à des atrocités.) De plus, la société allemande est aussi devenue plus diversifiée, les immigrants ayant leur propre ressenti sur les leçons du passé nazi.

À ma surprise, ce qui a émergé dans la dernière décennie n’est pas tant une Allemagne post-sioniste qu’une Allemagne hyper-sioniste. Alors même que la mémoire collective de l’Holocauste s’est compliquée par le changement générationnel et démographique, les élites allemandes ont redoublé leur engagement envers Israël. En fait, une partie de la raison pour laquelle ils semblent avoir fait cela est qu’ils craignent que leur interprétation des leçons du passé nazi ne soit plus partagée largement et qu’ils veulent la rendre non-négociable avant qu’il ne soit trop tard.

Les successeurs de Joschka Fischer dans le parti des Verts n’ont pas seulement accepté le passage d’une interprétation universaliste des leçons du passé nazi à une interprétation particulariste, ils sont devenus ses défenseurs les plus agressifs. Des politiciens Verts de premier plan, comme la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock et le ministre de l’Économie Robert Habeck, sont parmi les plus fervents partisans d’Israël et les plus durs critiques des voix anti-sionistes et pro-Palestine. Contrairement aux conservateurs américains, cependant, ils voient leur soutien inconditionnel pour Israël comme une expression de l’anti-nazisme — en d’autres termes comme une position progressiste. On se souvient de Fischer pour son affrontement avec les néoconservateurs américains dans l’élan vers l’invasion de l’Iraq en 2003, à laquelle il s’est opposé. Mais aujourd’hui, plusieurs Verts sont plus près des néo-conservateurs que de la gauche.

La position de la société de médias Springer sur Israël est effectivement devenue la position de toute la classe politique allemande — y compris celle des successeurs de la Nouvelle Gauche qui étaient radicalisés par le soutien de Springer à Israël en 1967. Plus récemment, Springer a mené plusieurs chasses aux sorcières contre des critiques d’Israël, comme Nemi El-Hassan, un journaliste palestino-allemand qui a finalement été écarté par le diffuseur public allemand ZDF. Les employés de la société doivent signer une déclaration de soutien à Israël. Dans un des États allemands, les chrétiens-démocrates ont fait d’un engagement similaire envers Israël une exigence pour acquérir la citoyenneté, et d’autres États se proposent de faire de même — comme si tous les citoyens allemands étaient maintenant des employés de Springer.

L’année dernière, Die Zeit a publié un rapport d’investigation choquant basé sur des emails du PDG de Springer, Mathias Döpfner, qui ont fuité. Dans l’un de ces emails, Döpfner donne un résumé de ses convictions politiques, se terminant par une phrase extraordinaire et glaçante qui décrit aussi judicieusement le consensus politique ayant émergé en Allemagne dans les dernières décennies : « Zionism über alles[3] ».

Hans Kundnani est chercheur invité à l’Institut Remarque de l’université de New York et il est l’auteur de deux ouvrages sur l’Allemagne, Utopia or Auschwitz et The Paradox of German Power.


[1] L’AIPAC [American Israel Public Affairs Committee] est un lobby américain de soutien d’Israël (n. d. T).

[2] Sur l’usage passé et actuel de la « raison d’État » en Allemagne, voir https://aurdip.org/sur-letonnant-retour-de-la-raison-detat-sous-lhabit-de-la-morale/]  (n. d. T).

[3] « Le Sionisme avant tout ». La phrase évoque « Deutschland über alles » (L’Allemagne avant tout, ou par-dessus tout), qui figure dans la première strophe de l’hymne national allemand. Au début, cet hymne visait une unification des états germanophones. Mais avec l’avénement du Troisième Reich, « Deutschland über alles » est devenu l’expression de la volonté d’expansion nazie. La strophe qui la contient est maintenant abandonnée dans les versions publiques de l’hymne national, la phrase résonnant fortement en Allemagne avec la signification de la période nazie.  (n. d. T).