Une femme palestinienne s’est rendue au congrès annuel de cette association juive où elle a découvert un mouvement croissant de Juifs et d’autres alliés.
La victoire électorale de Benjamin Netanyahu et de l’extrême droite en Israël n’a déçu que ceux qui avaient placé leurs espoirs sur le Camp Sioniste mené par les Travaillistes, pensant qu’ils pourraient reprendre le processus de paix.
L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), l’administration Obama et l’Union Européenne (UE) doivent réaliser désormais que les Palestiniens n’ont pas de partenaire pour la paix. Il faudra qu’ils s’engagent dans ce qu’ils ont espéré éviter, c’est à dire qu’ils accentuent la pression extérieure sur Israël pour arriver à un accord juste et durable.
Pour autant, Israël et le territoire palestinien occupé ne sont pas les seuls champs de bataille où l’avenir des Palestiniens et des Israéliens se décide. Les États Unis ont aussi leur place. Et, par coïncidence, deux importants – et très différents – congrès de Juifs américains ont eu lieu aux deux extrêmes des élections israéliennes. La réunion annuelle des membres d’Une Voix Juive pour la Paix (JVP) a eu lieu à Baltimore du 13 au 15 mars et le Congrès annuel de J Street se tient cette semaine à Washington, DC, du 21 au 24 mars.
J Street est plus grosse et plus riche mais JVP se révèle être un véritable aimant pour des Juifs américains qui sont scandalisés par la politique israélienne et encore plus par la prétention de Netanyahu à parler en leur nom et qui veulent agir, y compris par le boycott. Les 204 000 « likes » sur le Facebook de JVP sont plus de sept fois plus nombreux que ceux de J Street et ses 41 800 abonnés à twitter sont bien trois fois plus nombreux que ceux de J Street.
J Street ne soutient pas le mouvement de Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) dirigé par les Palestiniens ; il se définit comme « pro-Israël » et « pour la paix », au sein de l’establishment juif américain. JVP, qui soutient BDS depuis des années, a publié une déclaration au début de l’année en reprenant totalement à son compte l’appel à BDS. Ce mouvement se positionne en faveur de la justice et des droits humains universels, disant que ce n’est pas le cas du courant dominant dans la communauté juive.
En dépit, ou plutôt à cause de ces positions hors des sentiers battus, JVP se développe rapidement. Le nombre de ses sections aux États Unis est passé de quarante et un à soixante douze au cours des derniers mois ; le nombre de membres a atteint 9 000 et les sympathisants en ligne sont près de 200 000. Il est significatif que l’essentiel de cette croissance est intervenu après l’opération « Barrière Protectrice » d’Israël contre la bande de Gaza assiégée à l’été 2014, qui a poussé des milliers de gens à sauter la barrière de l’inaction.
L’énergie et la maturité grandissantes de JVP ont attiré des centaines de gens à son congrès, dont les réservations ont été closes six semaines avant l’événement, avec 600 inscrits ; près de 200 entrées vidéo supplémentaires ont été données. Le thème du weekend était : « On n’attend pas », et les participants sont venus d’aussi loin que l’Angleterre et la Californie pour comparer leurs observations, développer une pensée stratégique, faire le deuil des morts de l’été dernier et célébrer une force montante. Le nombre de jeunes était frappant, aussi bien que celui des grands parents, des militants de longue date et de nouveaux venus à la cause. Et cette année, cette Palestinienne aussi est allée au congrès.
Pourquoi une Palestinienne voudrait-elle jamais participer à un congrès juif américain ? Tout d’abord, JVP est un acteur clef de ce qui est maintenant un mouvement américain grandissant en faveur des droits humains des Palestiniens et de l’égalité entre Palestiniens et Israéliens. En tant que cofondatrice (bien que n’y étant plus directement engagée) d’un autre acteur clef – la campagne étatsunienne pour la fin de l’occupation israélienne, je me rends compte que ce mouvement est arrivé à maturité.
Dans la génération précédente, plusieurs organisations nationales importantes se sont créées sous l’effet de l’effort d’une poignée de volontaires agissant chez eux, mobilisant leurs ressources personnelles à l’extrême limite. Ces organisations gèrent maintenant de l’argent et ont des équipes à Washington et dans tous les USA. Plus important : ils coopèrent désormais au sein du mouvement et avec d’autres mouvements. Par exemple, plusieurs organisations – JVP, la Campagne US, Code Pink, les Musulmans Américains pour la Palestine et d’autres – ont concentré leurs efforts autour du hashtag SkipThe Speech (Zappez le discours) pour convaincre les membres du Congrès de tourner le dos à l’incursion interventionniste de Netanyahu dans la politique étrangère américaine. Cela a généré plus de cent mille lettres, appels, visites et a contribué à encourager les presque soixante membres qui ont fini par zapper le discours, enhardis jusqu’à le critiquer.
Un autre exemple et la façon dont des groupes du mouvement de soutien aux droits des Palestiniens sont aussi profondément engagés dans le mouvement #LaVieDesNoirsCompte et autres campagnes pour les droits des individus et des communautés qui sont violés ici même, chez nous.
Le mélange et la vitalité du mouvement se reflétaient dans le mélange des intervenants à la réunion nationale de JVP : la légendaire militante Angela Davis, le rabbin Brant Rosen, la militante féministe et engagée contre la violence Andrea Smith et le Défenseur du Rêve Ahmad Abuznaid entre autres. La grande majorité des participants étaient des Juifs, mais, ironie du sort, pratiquement les premières personnes que j’ai rencontrées au congrès étaient trois autres Palestiniens, dont un qui était venu en randonnée depuis la Californie. « On voulait être là » m’ont ils dit, « pour parler de ce que nous faisons et apprendre des autres ».
JVP a toujours invité des voix palestiniennes à s’exprimer dans ses panels ; en effet, j’ai parlé à son congrès de 2011. Mais il y avait peu d’autres Palestiniens à ce moment-là ; alors que maintenant il y en avait beaucoup, avec aussi des participants de plusieurs appartenances chrétiennes et des représentants d’autres organisations nationales. JVP a procuré un espace sûr et accueillant pour tous les présents, donnant la possibilité aux discussions les plus difficiles de se tenir : c’était chaud mais sans rancœur, y compris sur l’antisionisme et l’antisémitisme.
Au-delà de prendre le pouls du mouvement, il était important d’être au congrès de JVP pour percevoir l’évolution du discours sur Israël-Palestine en Amérique. En un sens, la bataille sur Israël-Palestine en Amérique se mène sur la définition de la ligne à suivre. Comment sont définis les droits des Palestiniens actuellement ? Quels sont les buts du mouvement ? Comment et sous quelle forme Juifs et Palestiniens peuvent-ils vivre ensemble, comment le feront-ils ? Quand le militantisme commun palestinien-juif va-t-il basculer dans la normalisation du statu quo brutal ?
Des organisations nationales et des organisations de base sont engagées dans un nouveau discours depuis des années, avec des organisations professionnelles de la communication tel le redoutable Institut pour la Compréhension du Moyen Orient ? Les campagnes BDS auxquelles tellement de groupes participent contribuent à apporter quelques unes des réponses. Mais une bonne part du discours a encore besoin d’un cadre. De plus, il y a eu une tendance à voir BDS comme un but en soi, négligeant le fait que l’appel de la société civile palestinienne énonce des buts précis qui sont la libération de l’occupation, la justice pour les réfugiés palestiniens et l’égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël.
Israël et ses alliés américains ne sont que trop bien au courant de l’importance qu’il y a à définir une ligne. Ils ont essayé de sévir contre les critiques envers Israël en les amalgamant à de l’antisémitisme. Les partisans d’Israël ont réussi à faire prendre à des associations d’étudiants des résolutions présentant la critique légitime d’Israël comme de l’antisémitisme.
JVP fait partie des groupes qui luttent contre cette confusion. Il et vital, pour l’ensemble du mouvement, que des voies juives réaffirment vigoureusement que la critique de l’occupation israélienne et du déni des droits de plusieurs générations de Palestiniens n’est pas de l’antisémitisme ; c’est une position contre une politique et des pratiques qui sont tout simplement fausses.
Mais JVP se joint aussi à d’autres groupes en repoussant les limites du discours public, en imaginant comment résoudre le conflit et envisager un avenir différent. En tant que Palestinienne, je n’ai jamais imaginé que j’assisterais à un débat aussi profond – et courageux – sur le droit au retour des Palestiniens dans un lieu public américain, a fortiori un lieu juif américain. Mais ce fut le cas. Liat Rosenberg de Zochrot (Elles se souviennent) et Basem Sbaih de Badil (l’Alternative) étaient invités à introduire une session plénière intitulée « Repartir du passé pour réaliser l’avenir » modérée par Marilyn Kleinberg Neimark, professeur émérite du Collège Baruch de New York et militante de longue date.
Un des souvenirs du congrès que je préfère, c’est quand Sbaih a mis le doigt sur ce qu’il y aurait comme terre disponible pour le retour des réfugiés, étant donné que la majorité des Juifs israéliens sont encore rassemblés dans la zone de Tel Aviv. « Oh une terre sans peuple » fut la réponse de Neimark, comme un éclair.
Tant d’acteurs de l’establishment juif américain ont mis leurs talents et leur énergie depuis des décennies au service de l’entreprise colonial israélienne illégale ! Et là, à ce congrès, il y avait une foule de Juifs, au meilleur de leur savoir-faire et de leur stratégie, oeuvrant ensemble en faveur des droits des Palestiniens et de l’égalité pour tous.
La dernière personne que j’ai vue au congrès était une avocate tout juste diplômée, une jeune américaine musulmane d’origine asiatique qui était aussi venue de Californie. « Pourquoi teniez-vous à être ici ? » m’étonnais-je. « Il faut montrer à JVP qu’ils ont des alliés » fut sa réponse émouvante. « C’est un combat solitaire ».
Oui, ce le fut. Mais plus maintenant.