Une université israélienne de pointe fait la promotion de l’industrie nationale d’armement dans le monde

Un nouveau cours donné au Technion, l’Institut israélien de technologie, apprend aux étudiants comment signaler et commercialiser la production de l’industrie d’armement israélienne à un public mondial.

Contrairement à une croyance populaire, le complexe militaro-industriel israélien ne repose pas que sur le gouvernement et les fabricants d’armes. L’université, une sphère souvent imaginée comme un bastion de la liberté de parole, indépendant des intérêts des corporations, joue un rôle crucial, quoique moins visible, au sein de l’establishment. Il ne faudrait pas ignorer sa complicité dans la violence.

C’est pourquoi, jeudi dernier au soir je me suis jointe à un petit groupe de militantes de la Coalition des Femmes pour la Paix dans le centre de Tel Aviv et nous avons manifesté contre un nouveau programme du Technion de Haïfa, l’institut israélien de technologie, qui est la principale université israélienne de recherche, devant son campus de Tel Aviv, dans le quartier de Sarona.

Ce programme de trois mois, intitulé « Stratégie de défense pour le marché international » est centré sur le marquage et la commercialisation de l’industrie d’armement israélienne à l’intention d’un public mondial. C’est la deuxième partie d’un cours du Technion conçu pour des juristes, des consultants et des chercheurs dans le domaine de l’exportation des techniques de défense. Les ateliers se sont centrés sur les règles de l’exportation, la cyber guerre, la sécurité intérieure, les stratégies de communication commerciale et sur des études de cas en Afrique du Sud et en Inde.

Des gens qui faisaient leurs courses passaient devant cette modeste manifestation et certains se sont arrêtés, curieux de lire nos pancartes, et nous ont demandé pourquoi nous étions là. D’autres se sont montrés davantage sur la défensive. Un homme nous a même menacées avec un pistolet camouflé dans son pantalon ; en même temps il agitait de façon menaçante un pointeur laser devant nos visages et marmonnait qu’il allait nous « effacer ».

Je n’ai pas pu m’empêcher de noter l’ironie du mot qu’il avait choisi, puisque l’effacement – des vies, des droits et de l’histoire, était précisément ce contre quoi nous manifestions là. L’industrie de la défense est le plus gros employeur d’Israël, ce qui veut dire qu’il a été largement exempt de critiques. Mais, récemment, ce secteur est devenu l’objet d’une surveillance accrue pour son rôle dans l’exportation d’armes à des régimes répressifs.

En janvier, un groupe de juristes israéliens défenseurs des droits humains a présenté une pétition à la Cour Suprême d’Israël appelant à l’arrêt de l’exportation d’armes israéliennes à la Birmanie, mettant en évidence la persécution systématique, dans ce pays, de la minorité ethnique musulmane des Rohinga. Eitay Mack, un avocat de Jérusalem défenseur des droits humains, impliqué dans la pétition, a engagé une procédure afin que soit ouverte une enquête pénale contre des représentants officiels d’Israël qui ont participé par des ventes d’armes au régime dictatorial violent d’Augusto Pinochet, responsable de l’assassinat, de la disparition et de la torture de dizaines de milliers de citoyens chiliens de 1973 à 1990.

Israël s’est aussi rendu complice du maintien de relations commerciales et militaires avec les milices du Sud-Soudan dans la guerre civile sanglante en cours, du gouvernement d’Afrique du Sud pendant l’apartheid et du gouvernement Hutu alors qu’il perpétrait un génocide contre la population Tutsi du Rwanda.

Or, la complicité académique israélienne, visible dans ces liens et dans d’autres conflits, est moins souvent contrôlée. Il est temps que cela change, dit Shahaf Weisbein de la coalition. « La manifestation visait à rendre plus visible le militarisme académique » dit Shahaf. « Avec le monde académique, l’industrie d’armement peut apparaître comme poursuivant une avancée technologique et théorique déconnectée de toute violence sur le terrain ».

En décembre, Hamushim, une banche de la Coalition qui enquête sur l’industrie israélienne de la sécurité, a lancé une Campagne de Hanouccah comportant huit petites actions destinées à éveiller la conscience sur la question de l’industrie d’armement, avec une condamnation de la Ligue Anti Diffamation pour le fait qu’elle sponsorise un entraînement en Israël des techniques de maintien de l’ordre public aux États Unis. Cette semaine, le groupe a lancé une campagne de lettres adressées au Technion, pour demander à l’université de ne pas poursuivre ce cours et d’éviter « de faire tomber le monde académique dans le militarisme ».

« La stratégie de défense pour les marchés internationaux » est peut être un nouveau cours, di Shahaf, mais ce n’est pas la première fois que le Technion s’est coordonné avec l’industrie de la défense.

L’université a mis au point le bulldozer Caterpillar D9 sans pilote, utilisé par l’armée israélienne pour démolir les maisons palestiniennes. Une filiale de l’université, Electro-Optics Research & Development (EORD), a fabriqué le « Scream », un système acoustique qui « crée des niveaux de son insupportables pour l’oreille humaine à des distances allant jusqu’à 100 mètres ». Appelé aussi « le Shofar » cette arme « non mortelle » de contrôle des foules est principalement utilisée pour réprimer des manifestations non violentes dans les territoires palestiniens occupés.

En 2013, Meir Shalit, le responsable académique du cours au Technion a été obligé de démissionner de son poste de chef de département d’exportation de matériel de défense du ministère de la défense, après qu’il ait supervisé une expédition d’armes vers la France, qui a abouti en Chine, en contravention avec les règles américaines du commerce des armes.

Ce qui est davantage déconcertant, sans doute, ce sont les liens étroits du Technion avec Elbit Systems, la plus grosse entreprise israélienne qui fait publiquement commerce des armes et de la sécurité ; elle porduit 85% des drones utilisés par l’armée israélienne et du système de surveillance électronique du mur de séparation israélien en Cisjordanie. Selon la chercheuse Shir Hever, le Technion a ouvert à Haïfa un centre de recherche électro-optique avec Elbit et le Technion propose une formation spéciale à des étudiants pour travailler chez Elbit ».

Dans la gauche israélienne, la résistance au militarisme est souvent vue uniquement sous l’angle du refus de l’armée. Mais Sahar Vardi, une militante antimilitariste, dit qu’on néglige souvent le rôle du monde académique comme espace de mobilisation effective d’étudiants et de professeurs.

« Ce projet peut nourrir le débat autour du boycott académique des institutions israéliennes si on le porte dans l’arène internationale » dit-elle.

À la fin de la manifestation de jeudi, le responsable du cours est sorti, très en colère, deux officiers de police à ses côtés. Sahar a décrit la confrontation qui s’est ensuivie comme un succès : « nous avons l’espoir que le fait d’organiser une telle forme d’action contre un exemple aussi grossier de complicité académique, servira de force émergente pour agir davantage sur le sujet » a-t-elle dit.