Hideuse. Sadique. Vicieuse. Meurtrière. Voici comment Noam Chomsky décrit l’offensive israélienne de 29 jours à Gaza qui a tué près de 1900 personnes et en a blessé près de 10….
Hideuse. Sadique. Vicieuse. Meurtrière. Voici comment Noam Chomsky décrit l’offensive israélienne de 29 jours à Gaza qui a tué près de 1900 personnes et en a blessé près de 10 000. Chomsky a beaucoup écrit pendant des décennies sur le conflit Israël/Palestine. Après l’opération israélienne Plomb durci en 2008-2009, Chomsky a coécrit le livre «Gaza in Crisis: Reflections on Israel’s War Against the Palestinians » avec universitaire israélien Ilan Pappe. Ses autres livres sur le conflit Israël/Palestine incluent «Peace in the Middle East?: Reflections on Justice and Nationhood » and « Israël, Palestine, États-Unis : le triangle fatidique ». Chomsky est un dissident politique de renommée mondiale, linguiste et auteur, professeur émérite au MIT où il a enseigné pendant plus de 50 ans.
Transcription
JUAN GONZÁLEZ: Pour aller plus loin sur la crise à Gaza, nous nous tournons vers Boston où nous sommes rejoints par Noam Chomsky, le dissident politique de renommée mondiale, linguiste et auteur, professeur émérite au MIT où il a enseigné pendant plus de 50 ans. Il a beaucoup écrit pendant des décennies sur le conflit Israël/Palestine.
AMY GOODMAN: Il y a 40 ans ce mois-ci, Noam Chomsky a publié Peace in the Middle East?: Reflections on Justice and Nationhood. Son livre de 1983, Israël, Palestine, États-Unis : le triangle fatidique est connu comme un des travaux définitifs sur le conflit Israël/Palestine. Le professeur Chomsky nous rejoint depuis Boston.
À nouveau, bienvenue à Democracy Now !, Noam. S’il vous plaît commencez par commenter, car nous n’avons pas parlé ensemble pendant l’assaut israélien sur Gaza. Vos commentaires sur ce qui vient d’avoir lieu ?
NOAM CHOMSKY: C’est une atrocité hideuse, sadique, vicieuse, meurtrière, sans aucun prétexte crédible. C’est un autre de ces exercices périodiques israéliens qu’ils ont délicatement appelé « passer la tondeuse ». C’est comme tirer dans un tonneau, pour s’assurer que les animaux restent tranquilles dans la cage qu’on leur a construit, après quoi vous allez dans une période appelée « cessez-le-feu », qui signifie que Hamas observe le cessez-le-feu, comme l’admet Israël, tandis qu’Israël continue de le violer. Ensuite on le brise par une escalade israélienne, réaction de Hamas. Ensuite vous avez la période du « passage de la tondeuse ». Celle-ci, de bien des façons, est encore plus sadique et vicieuse que les précédentes.
JUAN GONZÁLEZ: Et sur le prétexte qu’utilise Israël pour lancer ces attaques ? Pouvez-vous en parler et à quel point pensez-vous qu’il a de la validité ?
NOAM CHOMSKY: Comme le concèdent les hauts responsables israéliens, Hamas avait observé le cessez-le-feu précédent pendant 19 mois. L’épisode précédent du « passage de tondeuse » était en novembre 2012. Il y eut un cessez-le-feu. Les termes du cessez-le-feu étaient que Hamas ne tirerait pas de roquettes – ce qu’ils appellent roquettes – et qu’Israël irait vers la fin du blocus et cesserait d’attaquer ce qu’ils appellent des militants à Gaza. Hamas le respecta. Israël le concède.
En avril cette année, un événement qui horrifia le gouvernement israélien eut lieu : un accord d’unité s’est formé entre Gaza et la Cisjordanie, entre Fatah et Hamas. Israël avait désespérément tenté de l’empêcher pendant longtemps. C’est un arrière-plan dont nous pourrions parler, mais il est important. Quoi qu’il en soit, le gouvernement d’unité arriva. Israël était furieux. Il devint encore plus fâché quand les USA l’avalisèrent plus ou moins, un gros coup pour eux. Ils lancèrent un saccage en Cisjordanie.
Le meurtre brutal de trois colons teenagers servit le prétexte. Ils firent croire qu’ils étaient vivants alors qu’ils savaient qu’ils étaient morts. Ceci permit une énorme – et bien sûr ils blâmèrent immédiatement Hamas. Il leur faut encore produire un élément de preuve et en fait leurs plus hautes autorités dirigeantes indiquèrent immédiatement que les tueurs étaient probablement une sorte de clan voyou Hébron, le clan Qawasmeh, ce qui s’avère apparemment vrai. Il a été une épine dans le pied de Hamas depuis des années. Ils ne suivent pas ses ordres.
Mais de toute façon, ceci donna l’occasion de se déchaîner en Cisjordanie, d’arrêter des centaines de gens, d’arrêter beaucoup de ceux fraîchement libérés, principalement de Hamas. Les assassinats augmentèrent. Finalement, il y eut une réponse de Hamas : ce qu’on appelle les attaques de roquettes. Et ceci donna l’occasion de « passer la tondeuse » à nouveau.
AMY GOODMAN: Noam Chomsky, vous avez dit qu’Israël fait cela périodiquement. Pourquoi le fait-il périodiquement ?
NOAM CHOMSKY: Parce qu’il veut maintenir une certaine situation. Il y a un arrière-plan. Depuis plus de 20 ans, Israël s’est consacré, avec le soutien des USA, à séparer Gaza de la Cisjordanie. C’est en violation directe avec les termes de l’accord d’Oslo il y a 20 ans, qui déclarait que la Cisjordanie et Gaza sont une unique entité territoriale dont l’intégrité doit être préservée. Mais pour les états voyous, les accords solennels ne sont qu’une invitation à faire ce qu’on veut. Aussi, Israël, avec le soutien US, s’est attaché à les garder séparer.
Et il y a une bonne raison à cela. Regardez la carte. Si Gaza est la seule issue vers le monde extérieur pour une quelconque entité palestinienne éventuelle, quelle qu’elle puisse être, la Cisjordanie – si elle est séparée de Gaza, la Cisjordanie est essentiellement emprisonnée – Israël d’un côté, la dictature jordanienne de l’autre. De plus, Israël conduit systématiquement les Palestiniens hors de la vallée du Jourdain, en bouchant les puits et en construisant des colonies. Il les appelle d’abord zones militaires, puis ils y mettent des colonies – l’histoire habituelle. Ceci signifierait que quels que soient les cantons laissés pour les Palestiniens en Cisjordanie, après qu’Israël ait pris ce qu’il veut et l’intègre à l’intérieur d’Israël, ils seraient complètement emprisonnés. Gaza serait une issue vers le monde extérieur, par conséquent les garder séparés l’un de l’autre est un objectif politique élevé, la politique des USA et d’Israël.
Et l’accord d’unité menaçait cela. Menaçait autre chose qu’Israël avait déclaré pendant des années. Un de ses arguments pour échapper aux négociations est : comment pouvons-nous négocier avec les Palestiniens quand ils sont divisés ? Bon, et bien, alors s’ils ne sont pas divisés, vous perdez l’argument. Mais le plus significatif est simplement le géostratégique que j’ai décrit. Alors le gouvernement d’unité était une vraie menace, avec le soutien tiède mais réel qu’il avait des USA, et ils ont réagi immédiatement.
JUAN GONZALEZ : Et, Noam, qu’est-ce que vous faites de – comme vous dites, Israël souhaite maintenir le statu quo, tout en continuant de créer en même temps une nouvelle réalité sur le terrain faite de colonies agrandies. Qu’est-ce que vous faites du refus continu d’une administration après l’autre ici aux USA, qui est opposé officiellement à l’extension des colonies, de refuser d’appeler Israël à la table sur sa tentative de créer sa propre réalité sur le terrain ?
NOAM CHOMSKY : Oui, votre expression « opposait officiellement » est assez correcte mais nous devons regarder – vous savez, il faut distinguer entre la rhétorique d’un gouvernement et ses actions, et entre la rhétorique des leaders politiques et leurs actions. Cela devrait être évident. Alors on peut voir facilement l’engagement des USA dans cette politique. Par exemple, en février 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU a examiné une résolution qui appelait pour – qui appelait Israël à cesser son extension des colonies. Notez que l’extension des colonies n’est pas le vrai problème. Ce sont les colonies. Les colonies, l’infrastructure de développement, tout cela viole gravement le droit international. Ceci a été défini par le Conseil de sécurité et la Cour internationale de justice. Pratiquement tous les pays du monde au dehors d’Israël le reconnaissent. Mais c’était une résolution appelant à la fin de l’extension des colonies – politique officielle des USA. Qu’arriva t-il ? Obama mit son veto. C’est assez parlant.
En plus, la déclaration officielle à Israël sur l’extension des colonies est accompagnée par ce que le langage diplomatique appelle un clin d’œil – une indication discrète qu’on ne veut pas vraiment dire ça. Ainsi par exemple, la dernière condamnation par Obama de la récente violence de toutes parts, c’est son expression, a été accompagnée par l’envoi d’une aide militaire supplémentaire à Israël. Ça, ils peuvent le comprendre. Et ça été vrai tout du long. En fait, quand Obama a pris ses fonctions, il a fait les déclarations habituelles contre l’extension des colonies et son administration a été – dans les conférences de presse, on a demandé aux porte-parole si Obama ferait quelque chose, comme George Bush I fit quelque chose – des sanctions légères – pour bloquer l’extension des colonies. Et la réponse a été « non, c’est seulement symbolique ». Eh bien, ça dit exactement au gouvernement israélien ce qui se passe. Et en fait, si vous regardez point par point, l’aide militaire continue, l’aide économique continue, la protection diplomatique continue, la protection idéologique continue. Ici, je veux dire formuler les questions conformément aux exigences israéliennes. Tout cela continue, avec une sorte de claquements de langue qui dit « bon, on n’aime pas vraiment ça, et ça n’aide pas la paix ». Tout gouvernement peut comprendre cela.
AMY GOODMAN: Je veux en venir au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui a parlé hier aux journalistes étrangers.
PREMIER MINISTRE BENJAMIN NETANYAHOU: Israël a accepté et Hamas a rejeté le cessez-le-feu égyptien proposé le 15 juillet. Je veux que vous sachiez qu’à ce moment-là le conflit avait pris quelques 185 vies. Ce n’est que lundi soir qu’Hamas a finalement accepté la même proposition qui a pris effet hier matin. Ceci veut dire que 90 %, un plein 90 % des victimes de ce conflit aurait pu être évité si Hamas n’avait pas rejeté à l’époque le cessez-le-feu qu’il accepte maintenant. Hamas doit être tenu responsable de la perte tragique des vies.
AMY GOODMAN: Noam Chomsky, pouvez-vous répondre au premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ?
NOAM CHOMSKY: [inaudible] réponse étroite et une réponse large. La réponse étroite, c’est, bien sûr, comme le sait Netanyahou, que la proposition de cessez-le-feu a été arrangée entre la dictature militaire égyptienne et Israël, tous deux très hostiles à Hamas. Elle n’a même pas été communiquée à Hamas. Ils l’ont appris par les médias sociaux, ils étaient en colère, naturellement. Ils dirent qu’ils ne l’accepteraient pas dans ces termes. Ça, c’est la réponse étroite.
La réponse large, c’est que 100 % des pertes, des destructions et des dévastations, etc., auraient pu être évités si Israël s’en était tenu à l’accord de cessez-le-feu après la – depuis novembre 2012, au lieu de le violer constamment puis d’accroître la violation de la manière que j’ai décrite, pour bloquer le gouvernement d’unité et de persister dans leur politique de – leur politique de s’emparer de ce qu’ils veulent en Cisjordanie et de le garder – séparation de Gaza et de faire subir à Gaza ce qu’ils ont appelé une « diète », la fameuse expression de Dov Weissglas. L’homme qui a négocié le soi-disant retrait de 2005 déclara que le but du retrait était de terminer la discussion sur un quelconque arrangement politique et de bloquer toute possibilité d’un État palestinien, et en attendant les Gazaouis seraient mis à la diète, ceci voulant dire juste assez de calories autorisées pour qu’ils ne meurent pas tous – parce que ça ne serait pas bon pour la réputation déclinante d’Israël – mais rien de plus que sa. Et avec sa capacité technique tant vantée, Israël, les experts israéliens ont calculé précisément combien de calories il faudrait pour laisser les Gazaouis à la diète, sous siège, avec les exportations et les importations bloquées. Les pêcheurs ne peuvent pas aller pêcher. Les navires militaires les ramènent sur terre. Une grande fraction, probablement plus d’un tiers et peut-être plus, de la terre arable de Gaza est interdite d’entrée pour les Palestiniens. On appelle ça une « barrière ». C’est la norme. C’est la diète. Ils veulent les garder comme ça, en même temps séparés de la Cisjordanie, et continuer le projet en cours de s’emparer – je peux décrire les détails, mais ce n’est pas obscur – s’emparer des parties de la Cisjordanie qu’Israël a l’intention – intègre dans Israël, et probablement finira par annexer d’une certaine façon, tant que les États-Unis continueront de le soutenir et de bloquer les efforts internationaux vers un règlement politique.
JUAN GONZÁLEZ: Et, Noam, alors que tout ce mois s’est déroulé et que ces images du carnage à Gaza se sont répandues autour du monde, quel est votre jugement sur l’impact de la relation déjà exécrable entre le gouvernement des USA et le monde arabe et musulman ? Je pense particulièrement aux jeunes musulmans et arabes autour du monde qui n’avaient peut-être pas été exposés aux atrocités précédentes du conflit israélo-palestinien.
NOAM CHOMSKY: Eh bien, d’abord, il faut distinguer entre les populations musulmanes et arabes et leurs gouvernements – différence frappante. La plupart des gouvernements sont des dictatures. Et quand vous lisez dans la presse que les Arabes nous soutiennent ou ceci cela, ça veut dire que les dictateurs nous soutiennent, pas les populations. Les dictatures soutiennent modérément ce que font les USA et Israël. Cela inclut la dictature militaire en Égypte, très brutale ; la dictature d’Arabie Saoudite. L’Arabie Saoudite est le plus proche allié des USA dans la région, et c’est l’État islamique fondamentaliste le plus radical du monde. Il répand ses doctrines salafistes-wahhabistes dans le monde, des doctrines fondamentalistes extrémistes. Il a été le premier allié des États-Unis pendant des années, comme il l’a été pour la Grande-Bretagne auparavant. L’un et l’autre ont préféré l’islam radical aux dangers du nationalisme séculier et de la démocratie. Et ils soutiennent assez – ils n’aiment pas – ils haïssent Hamas. Ils ne s’intéressent pas aux Palestiniens. Il doivent dire des choses pour calmer leurs propres populations, mais encore une fois la rhétorique et l’action diffèrent. Alors les dictatures ne sont pas émues par ce qui se passe. Probablement, elles s’en réjouissent tranquillement.
Les populations, bien sûr, sont très différentes, mais ceci a toujours été vrai. Ainsi par exemple, à la veille des manifestations de la place Tahrir en Égypte, qui ont renversé la dictature de Moubarak, il y a eu des sondages faits par les grandes agences de sondages américaines, et ils montraient très clairement que je pense environ 80 % des Égyptiens considéraient que leur principale menace était Israël et les États-Unis. Et en fait, la condamnation des États-Unis et de sa politique était si extrême que même s’ils n’aiment pas l’Iran, une majorité pensait que la région serait plus sûre si l’Iran avait des armes nucléaires. Eh bien si vous regardez toute l’histoire des sondages au cours des années, ça varie plus ou moins autour de ça. Mais ce sont les populations. Et bien sûr, les populations musulmanes ailleurs n’aiment pas ça non plus. Mais ce ne sont pas seulement les populations musulmanes. Ainsi, par exemple, il y avait une manifestation à Londres récemment, avec probablement des centaines de milliers de gens – c’était une manifestation vraiment énorme – protestant contre les atrocités d’Israël à Gaza. Et ceci a aussi lieu ailleurs dans le monde. Il faut se souvenir que – si vous revenez 20 ans en arrière, Israël était un des pays les plus admirés du monde. Maintenant c’est un des pays les plus craints et méprisés du monde. Les propagandistes israéliens aiment dire, eh bien, ce n’est que de l’antisémitisme. Mais dans la mesure où il y a un élément antisémite, qui est mince, il est dû aux actions israéliennes. La réaction est à la politique. Et tant qu’Israël persistera dans cette politique, c’est ce qui aura lieu.
En fait, ceci a été assez clair depuis le début des années 1970. En fait j’ai écrit là-dessus depuis, mais c’est tellement évident que je n’en tire aucun crédit. En 1971, Israël a pris une décision fatidique, la plus fatidique de son histoire, je pense. Le président Sadate d’Égypte a offert à Israël un traité de paix complet, en échange du retrait d’Israël du Sinaï égyptien. C’était le gouvernement travailliste, le soi-disant gouvernement travailliste modéré à l’époque. Ils ont regardé l’offre et l’ont rejetée. Ils planifiaient de grands programmes de développement dans le Sinaï, de construire une énorme, une grande ville sur la Méditerranée, des dizaines de colonies, kibboutzim et autres, une grande infrastructure, de chasser des dizaines de milliers de Bédouins de la terre, de détruire les villages, etc. C’étaient les plans, en début de réalisation. Et Israël prit la décision de choisir l’extension contre la sécurité. Un traité avec l’Égypte aurait signifié la sécurité. C’est la seule force militaire significative dans le monde arabe. Et ça a été la politique [d’Israël] depuis.
Quand vous poursuivez une politique de répression et d’extension au détriment de la sécurité, il va se passer des choses. Il y aura une dégénérescence morale dans le pays. Il y aura une opposition, une colère et une hostilité croissantes dans les populations au dehors du pays. Vous pouvez continuer à obtenir le soutien des dictatures et de, vous savez, l’administration US, mais vous allez perdre les populations. Et ça a une conséquence. Vous pouviez prédire – en fait moi et d’autres l’avons prédit dès les années 70 – et, juste pour me citer, « ceux qui se disent supporters d’Israël sont en fait des supporters de sa dégénérescence morale, de son isolement international, et de sa très possible destruction finale ». C’est ce qui – c’est la trajectoire en cours.
Ce n’est pas le seul exemple dans l’histoire. Il y a de nombreuses d’analogies faites avec l’Afrique du Sud, la plupart assez douteuses, à mon avis. Mais il y a une analogie qui, je pense, est assez réaliste et n’est pas beaucoup discutée. Elle devrait l’être. En 1958, le gouvernement nationaliste sud-africain, qui imposait le dur régime d’apartheid, reconnut qu’il devenait internationalement isolé. Nous savons d’après des documents déclassifiés qu’en 1958 le Ministre des affaires étrangères sud-africain appela l’ambassadeur américain. Et nous avons la conversation. En substance il lui dit « Voyez, nous devenons un État paria. Nous perdons tout le – tout le monde vote contre nous aux Nations unies. Nous devenons isolés. Mais ça ne compte pas vraiment, parce que vous êtes la seule voix qui compte. Et tant que vous nous soutiendrez, ce que le monde pense importe peu ». Ce n’était pas une mauvaise prédiction. Si vous regardez ce qui s’est passé au cours du temps, l’opposition à l’apartheid sud-africain a grandi et s’est développée. Il y a eu un embargo des armes par l’ONU. Les sanctions ont commencé. Les boycotts ont commencé. C’était si extrême qu’arrivé aux années 1980, même le congrès US votait des sanctions auxquelles le président Reagan devait mettre son veto. Il était le dernier soutien au régime d’apartheid. En fait, le Congrès rétablit les sanctions malgré son veto et il les viola ensuite. Encore en 1988, Reagan le dernier refuge et son administration déclaraient que l’African National Congress, l’African National Congress de Mandela, était un des groupes terroristes les plus notoires du monde. Ainsi les USA devaient continuer à soutenir l’Afrique du Sud. Ils soutenaient le groupe terroriste UNITA en Angola. Puis finalement, même les États-Unis rejoignirent le reste du monde et très rapidement le régime d’apartheid s’effondra.
Maintenant, ce n’est pas pleinement analogue en quoi que ce soit au cas d’Israël. Il y eut d’autres raisons à l’effondrement de l’apartheid, deux raisons cruciales. L’une d’elles était qu’il y avait un règlement acceptable pour les milieux d’affaires sud-africains et internationaux, un règlement simple : garder le système socio-économique et lui permettre – pour dire métaphoriquement – d’avoir quelques visages noirs dans les limousines. Ce fut le règlement, et c’est plutôt ce qui a été réalisé, pas complètement. Il n’y a pas de règlement comparable en Israël/Palestine. Mais un élément crucial, non discuté ici, est Cuba. Cuba a envoyé des troupes et des dizaines de milliers de techniciens, de médecins et d’enseignants et d’autres, ils ont chassé les agresseurs Sud-africains d’Angola, et les ont forcés d’abandonner la Namibie détenue illégalement. Et plus encore comme l’a fait remarquer Nelson Mandela dès sa sortie de prison, les soldats cubains, qui au passage étaient des soldats noirs, ont brisé le mythe de l’invincibilité du surhomme blanc. Ceci a eu un effet très significatif, tant sur l’Afrique Noire que sur l’Afrique du Sud blanche. Ceci indiquait au gouvernement sud-africain et à la population qu’ils ne pourraient pas imposer leur espoir d’un système de soutien régional, au moins d’un système pacifié qui leur permettrait de continuer leurs opérations en Afrique du Sud et leurs activités terroristes au-delà. Et ceci a été un facteur majeur dans la libération de l’Afrique Noire.
(…)
AMY GOODMAN : Notre invité est le professeur Noam Chomsky. J’en viens maintenant au président Obama parlant mercredi à une conférence de presse à Washington, D.C.
PRESIDENT BARACK OBAMA : « Depuis longtemps, on a reconnu que Gaza ne peut pas se soutenir en étant séparé en permanence du monde et incapable de fournir des opportunités, des emplois, une croissance économique à la population qui y vit, particulièrement vues la densité de la population et sa jeunesse. Nous devons voir un changement dans les chances données à la population de Gaza. Je n’ai pas de sympathie pour Hamas. J’ai une grande sympathie pour les personnes ordinaires qui luttent à l’intérieur de Gaza ».
AMY GOODMAN : C’était le président Obama hier. Noam Chomsky, pouvez-vous répondre ?
NOAM CHOMSKY : Eh bien, comme toujours, pour tous les Etats et toutes les directions politiques, il faut distinguer entre rhétorique et actions. Tous les leaders politiques peuvent produire une charmante rhétorique, même Hitler, Staline, qui vous voulez. Nous demandons : que font-ils ? Exactement qu’est-ce qu’Obama suggère ou réalise comme moyen pour parvenir à la fin du siège du blocus de Gaza soutenu par les USA, qui crée cette situation ? Qu’a-t-il fait dans le passé ? Que propose-t-il de faire à l’avenir ? Il y a des choses que les USA pourraient faire très facilement. Encore une fois, je ne veux pas rapprocher trop avec l’analogie sud-africaine, mais elle est révélatrice. Et ce n’est pas le seul cas. La même chose s’est produite si vous vous souvenez dans le cas de Timor Est-Indonésie. Quand les États-Unis, Clinton, ont finalement dit aux généraux indonésiens « La partie est finie », ils se sont immédiatement retirés. La puissance des USA est substantielle. Et dans le cas d’Israël, elle est critique, parce qu’Israël dépend d’un soutien américain pratiquement unilatéral. Il y a plein de choses que les USA pourraient faire pour réaliser ce dont parle Obama. Et la question est – et en fait, quand les USA donnent des ordres, Israël obéit. Ceci s’est produit à maintes reprises. Pourquoi ? C’est complètement évident, vus les rapports de force. Alors on peut faire les choses. Elles ont été faites par Bush II, par Clinton, par Reagan, et les USA peuvent le faire à nouveau. Alors nous saurons si ces mots ont été autre chose que l’agréable rhétorique habituelle.
JUAN GONZALEZ : A propos de séparation entre rhétorique et actions, Israël a toujours déclaré qu’il n’occupe plus Gaza. Democracy Now ! a parlé récemment à Joshua Hantman, conseiller principal de l’ambassade d’Israël aux États-Unis et ancien porte-parole du ministère de la défense israélien. Et Hantman a dit, je cite, « Israël a en fait quitté la bande de Gaza en 2005. Nous avons retiré toutes nos colonies. Nous avons retiré les forces de l’IDF. Nous avons retiré 10 000 juifs de leurs maisons dans un pas pour la paix, parce qu’Israël veut la paix et il a tendu les bras pour la paix ». Votre réponse ?
NOAM CHOMSKY : Eh bien, plusieurs points. Premièrement, les Nations unies, tous les pays du monde, y compris les États-Unis, considèrent Israël comme puissance occupante à Gaza – pour une raison très simple : il y contrôle tout. Il contrôle les frontières, la terre, la mer, les airs. Il détermine ce qui va à Gaza ce qui en sort. Il détermine de combien de calories les enfants de Gaza ont besoin pour rester en vie, mais pas pour prospérer. Pour le droit international, c’est de l’occupation, et personne n’en doute hors d’Israël. Même les USA, son bailleur habituel, est d’accord. Ceci dit – avec ça on clôt la discussion sur puissance occupante ou pas.
Quant à vouloir la paix, revenez sur le soi-disant retrait. Remarquez qu’il a laissé Israël comme puissance occupante. En 2005, les faucons israéliens menés par Ariel Sharon, un faucon pragmatique, ont reconnu qu’il était absurde pour Israël de maintenir quelques milliers de colons dans Gaza dévastée et de consacrer une grande part de l’IDF, l’armée israélienne, pour les protéger, et beaucoup de dépenses pour couper Gaza en morceaux séparés, etc. Absurde de faire ça. Il était plus sensé de retirer ces colons de leur colonies subventionnées de Gaza, où ils résidaient illégalement, et de les envoyer dans des colonies subventionnées en Cisjordanie, dans des zones qu’Israël a l’intention de garder – illégalement bien sûr. C’était juste du pragmatisme.
Il y avait un moyen très simple de le faire. Ils auraient pu simplement informer les colons de Gaza que le 1er août l’IDF allait se retirer, et ce jour là ils auraient grimpé dans les camions qui auraient été fournis et parti pour leurs colonies illégales en Cisjordanie et dans les Hauts du Golan. Mais il a été décidé de construire ce qu’on appelle parfois un « traumatisme national ». Alors un traumatisme a été construit, un spectacle qui a été tourné en ridicule par de grands spécialistes en Israël, comme le grand sociologue Baruch Kimmerling qui s’en est moqué. Et le traumatisme a été créé, alors vous pouviez voir des petits garçons, leurs photos devant des soldats israéliens, « ne détruisez pas ma maison ! » avec des voix derrière « Plus jamais ». Ceci veut dire « Plus jamais ne nous faites quitter quoi que ce soit » en référence d’abord à la Cisjordanie. Et un traumatisme national mis en scène. Et le grotesque l’a été d’autant plus que c’était une répétition de ce que même la presse israélienne a appelé le « Traumatisme National 82 », en mettant en scène un traumatisme quand ils ont dû se retirer de Yamit, la ville qu’ils ont construit illégalement dans le Sinaï. Mais ils ont conservé l’occupation. Ils ont continué.
Et je vais répéter ce qu’a dit Weisglass alors. Rappelez-vous, c’était le négociateur avec les États-Unis, le confident de Sharon. Il a dit que le but du retrait était de terminer les négociations sur un État et sur les droits palestiniens. Ceci y mettra fin. Ceci les gèlera, avec le soutien des USA. Et puis vient l’imposition de la diète sur Gaza pour les garder à peine en vie, mais sans développement, et puis le siège. Dans les semaines après le soi-disant retrait, Israël a augmenté les attaques sur Gaza et imposé des sanctions très dures, soutenu par les États-Unis. La raison a été qu’une élection libre a pris place en Palestine, et qu’elle a pris une mauvaise direction. Eh bien, Israël et les États-Unis bien sûrs aiment la démocratie, mais seulement quand elle va dans le sens qu’ils veulent. Alors, les USA et Israël ont immédiatement imposé de dures sanctions. Les attaques israéliennes, qui n’ont jamais réellement pris fin, ont grimpé. L’Europe, à sa honte, a suivi. Ensuite Israël et les États-Unis ont immédiatement commencé à planifier un coup d’état militaire pour renverser le gouvernement. Quand Hamas a prévenu le coup, les deux pays ont été furieux. Les sanctions et les attaques militaires ont augmenté. Et puis on arrive à ce qu’on a discuté avant : des épisodes périodiques de « passage de la tondeuse ».
AMY GOODMAN : Nous – Noam, nous n’avons qu’une minute.
NOAM CHOMSKY : OK.
AMY GOODMAN : Très rapidement, à ce point-ci, beaucoup de médias US disent que les USA ont été mis sur la touche, il n’y en a que pour l’Égypte qui fait cette négociation. Que doit-il arriver maintenant ? Le cessez-le-feu va finir dans quelques heures s’il n’est pas étendu. Quel type de trêve doit être accompli ici ?
NOAM CHOMSKY : Eh bien, pour Israël, avec le soutien des USA, la situation actuelle est une sorte de situation gagnant-gagnant. Si Israël accepte l’extension du cessez-le-feu, Israël peut continuer avec sa politique habituelle, que j’ai écrite avant : prendre ce qu’ils veulent de la Cisjordanie en la séparant de Gaza, maintenir la diète, etc. Si Hamas n’accepte pas le cessez-le-feu, Netanyahou peut faire un autre discours comme celui que vous – le discours cynique que vous citiez auparavant. La seule chose qui puisse casser cela, c’est si les USA changent leur politique comme ceci s’est produit dans d’autres cas. J’en ai mentionné deux : l’Afrique du Sud, Timor. Il y en a d’autres. Et c’est décisif. S’il doit y avoir un changement, il dépendra crucialement d’un changement de la politique des USA ici. Pendant 40 ans, les USA ont presque unilatéralement soutenu la politique israélienne de rejet et le refus de promouvoir le consensus international écrasant pour une solution à deux États.